Il y a quelques années j’ai eu la chance de monter sur le mont de la Transfiguration, le mont Thabor, en Palestine. Il a été choisi bien après la mort de Jésus. Toutefois, c'est un lieu tout à fait approprié pour une telle scène. Une fois arrivé au sommet, on est encore ébloui aujourd’hui. C’est, en premier lieu, le paysage qui nous impressionne car on domine la plaine à perte de vue, mais, c’est, surtout, le souvenir du passage de l’évangile que nous venons de lire qui nous accroche. On entre dans l’église qui a été construite sur le site et on se plonge avec foi dans ce mystère des paroles qui nous sont rapportées ce matin : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le! ».
« Écoutez-le » c’est pour nous, aujourd’hui, entrer dans le mystère de la Mort-Résurrection de Jésus. Sans la Transfiguration la vie de Jésus qui se termine sur la Croix dans la Passion n’a pas de sens pour nous et pour les chrétiens auxquels saint Marc s’adressent
Essayons d’y voir un peu plus clair.
I –
La scène de la Transfiguration de Jésus
Commençons par la scène elle-même de la Transfiguration de Jésus. Le mot grec pour la désigner est « métamorphose ». Jésus se métamorphose devant ses disciples. Son aspect change totalement. Il projette une nouvelle image. Il resplendit de lumière. Moïse et Élie se tiennent près de lui pour marquer le lien qu’il y a avec les promesses de Dieu faites au peuple d’Israël dans l’Ancien Testament. La voix qui se fait entendre confirme que ces promesses sont maintenant réalisées dans Jésus qui est celui que le Père appelle son Fils bien-aimé
Cette scène est une anticipation d’un autre moment de la vie du Christ : celui de sa « Résurrection ». Jésus le confie aux trois disciples privilégiés qui ont été témoins de la Transfiguration en leur disant de garder pour eux ces instants vécus hors de l’ordinaire jusqu’à ce qu’ « il soit ressuscité d’entre les morts ».
On touche ici le cœur du mystère de la vie de Jésus, celui de sa Mort-Résurrection, celui de la Croix et de la Gloire, celui du Vendredi-Saint et de Pâques.
II –
Le sens du mystère de la Mort-Résurrection du Christ
Ce mystère de la Mort-Résurrection du Christ qu’on appelle mystère pascal parcourt la vie de Jésus d’un bout à l’autre. Il ne s'agit pas seulement de deux évènements, de deux volets distincts et subséquents de sa vie terrestre, mais bien d’une seule source qui anime Jésus et le nourrit.
On ne comprendrait rien à la vie de Jésus si on imaginait – ce qui hélas! a été fait trop souvent – la Résurrection de Jésus comme un cadeau, une récompense pour sa persévérance dans les souffrances de la Passion et pour sa mort sur la croix. Cette vision binaire est étrangère à la vie de Jésus. S’il entre dans la Passion qui le mène à une mort effroyable c’est que celle-ci est nécessaire dans le plan de Dieu.
Un auteur célèbre en France, Fabrice Hadjadj (
voir note à la fin) observe, avec à-propos et avec un certain humour, que pour ressusciter, il faut d’abord mourir : « Pour être un bon ressuscité, il faut d'abord être un bon mort » disait-il dans une entrevue au magazine français
La Vie en 2016. Les deux : « mort » et « résurrection » vont ensemble. Ainsi le lien entre la Mort et la Résurrection de Jésus n’est pas un lien de causalité, mais bien un lien vital. Sa vie qui semble perdue sur la Croix est transfigurée, se métamorphose en vie pour toujours avec Dieu (Romains 6, 10). Saint Paul le dit à ses baptisés en leur rappelant que, comme le Christ Ressuscité qui vit maintenant pour Dieu, ils sont entrés avec lui par le baptême dans la même vie qu'Il leur fait partager (cf. Colossiens 2, 12).
Retenons bien que la scène de la Transfiguration qui trouve sa place dans les évangiles ne peut être escamotée sans conséquences car, sans elle, on ne comprend rien de la suite de la vie de Jésus.
III-
Application
Le Mystère de la Mort-Résurrection de Jésus, le mystère dit mystère pascal, renferme le plus beau témoignage d’amour qu'un être humain puisse donner. Au « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », Jésus, sur la croix, répond « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46).
Sur la croix, Jésus, nouvel Isaac, s’en remet totalement à son Père. Isaac, nous raconte la première lecture, avait suivi sans retenue aucune son père Abraham vers le bucher où celui-ci voulait le sacrifier comme offrande à Dieu. Ce geste, absurde pour nous, est saisissant. Il reflète des usages qui nous sont étrangers, mais son sens rejoint celui de notre foi où Dieu le Père offre son Fils pour le salut du monde, pour notre salut.
La Mort du Christ est un don à l’humanité pour qu’elle puisse entrer en communion par lui avec Dieu notre Père à toutes et à tous. Jésus devient ainsi le seul chemin pour aller à Dieu. La
Lettre aux Hébreux dira du Christ qu’il est le seul et l’unique médiateur pour faire le pont entre Dieu et l'humanité (Hébreux 9, 15).
Je me suis laissé inspirer dans cette homélie par les paroles mêmes de Jésus en descendant de la montagne de la Transfiguration. Comme les disciples, je suis resté attaché à cette parole : « avant que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts ». Vue dans cet éclairage, la scène de la Transfiguration porte bien son nom. Elle nous invite à regarder au-delà de simples faits matériels de la vie de Jésus comme les racontent les évangélistes et à en découvrir le sens spirituel dans la lumière de la Résurrection.
Conclusion
Merveilleux mystère que ce mystère de la Mort-Résurrection de Jésus, mystère pascal, qui est sans cesse présent dans toutes nos célébrations, dans toutes nos méditations et dans toutes nos actions. En effet, le parcours de notre vie dans le temps au fil des jours, des mois et des années est illuminé par la présence du Christ, Mort et Ressuscité, qui nous rejoint déjà alors que nous attendons son Retour dans la Gloire.
Rappelons-nous que toutes les morts si écrasantes qu'elles nous paraissent comme la perte d’un être cher, les difficultés au travail, les harcèlements de toutes sortes, les privations et les souffrances non désirées etc., que toutes ces formes de mort de même que notre vraie mort à la fin de notre parcours terrestre sont éclairées et imprégnées de la vie du Seigneur Mort-Ressuscité qui est toujours vivant, hier, aujourd’hui et demain.
Que le partage de son Corps et de son Sang dans cette Eucharistie nous garde près de lui, car, comme le dit saint Paul aux chrétiens de Corinthe « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (I Corinthiens 11, 26).
Amen!
Mgr Hermann Giguère P. H.
Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l'Université Laval
Séminaire de Québec
20 février 2024
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Fabrice Hadjadj, né le 15 septembre 1971 à Nanterre (Hauts-de-Seine), est un écrivain et philosophe français, juif et athée converti à la foi chrétienne. Il est l'auteur de
Résurrection, mode d’emploi, Magnificat, Paris, 2016, 192 p. Agrégé de philosophie, essayiste et dramaturge, il dirige l’institut
Philanthropos, à Fribourg. Il est l’auteur de nombreux essais, dont
Réussir sa mort (Presses de la Renaissance, 2005 ; Points 2010),
La Profondeur des sexes (Seuil, 2008) et
Le Paradis à la porte (Seuil, 2011) et d'une pièce de théâtre connue sur Job intitulée
Job ou la torture par les amis écrite en 2011. Le pape François l'a nommé membre du Conseil pontifical pour les laïcs en 2014.
Entrevue dans Le Figaro (
lien visité le 19 février 2024)
Citation tirée de cette entrevue : «Le mystère de la Résurrection ne prétend pas abolir le drame, mais l'accomplir et le transfigurer en rédemption, découvrant le don sous l'ordinaire et changeant la perte en offrande. » (Fabrice Hadjadj)
Tiré du site internet Carrefour Kairos, site internet d'Hermann Giguère www.hgiguere.net
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