Il y a un siècle, les Ritals ...



Il y a un siècle, les Ritals ...
Il y a un siècle, les Ritals ...

Mohammed s'appelait alors Giovanni.

dossier publié en mai 96 par le journal Cuverville - Toulon

http://66.102.9.104/search?q=cache:P4S-LMeoWYcJ:www.ldh-toulon.net/article.php3%3Fid_article%3D361+tuerie+italiens+1893&hl=fr&lr=lang_fr

L'itinéraire des émigrants transalpins à la croisée des XIX et XX siècles ...
En 1931, la France est l'un des premiers pays d'immigration du monde, avec 2,7 millions d'étrangers pour 42 millions d'habitants, c'est à dire 6,4 % de la population. On retrouvera cette proportion en ... 1990.

Sur ces 2,7 millions, on recense 808 000 Italiens ; les clandestins renforcent en fait ce nombre qui dépasse probablement le million.

Pourquoi cette immigration ?

Les transalpins sont d'abord venus pour échapper à la pauvreté et trouver du travail, avant d'être rejoints par une génération qui fuyait le fascisme. Il faut cependant admettre que l'émigration n'aurait pas pu prendre une telle ampleur si le pays d'accueil n'avait pas été demandeur ...

Premier artisan de l'immigration : l'Etat.

Pendant la guerre de 14-18, parce qu'ils étaient arrachés au rythme des explosions dans les tranchées de la Meuse, les bras manquaient dans les champs ou les usines de fabrication d'armements ; des accords d'emploi furent ainsi conclus avec les pays amis, en particulier l'Italie. Un Office d'Etat dispersa sur le territoire les étrangers au gré des besoins, avec autant d'ardeur qu'il tenta de les renvoyer chez eux une fois le conflit achevé. Mais les syndicats d'employeurs avaient pris le relais...

Deuxième artisan de l'immigration : le patronat.

La révolution industrielle impliqua un énorme besoin de main d'oeuvre non qualifiée dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Une partie du patronat regardait déjà vers les réservoirs de main d'oeuvre étrangère pour d'abord pallier les insuffisances de l'offre nationale, puis rabattre les prétentions des ouvriers français : dans les années 1860, les houillères du nord envoyaient des agents recruteurs en Italie ; les soyeux lyonnais déléguaient des padroni et vantaient les qualités des Italiens, "véritables chinois de l'occident", prêts à se contenter d'un peu de polenta à défaut de riz. C'est sous la direction d'un capo maestro que les équipes italiennes arrivaient toutes constituées dans les oliveraies méridionales des années 20. Contrats fallacieux et dépôts clandestins fleurissaient... Le patronat du Midi, avant guerre, avait vite compris tout le parti à tirer de cette "fourmilière" d'où l'on tirait ou rejetait, au gré des besoins, des journaliers interchangeables... Tout cela est évidemment à mettre en parallèle avec l'attitude de nos patrons modernes qui préfèrent encore dans certains cas l'embauche des clandestins à celle de travailleurs "légaux" forcément plus exigeants (voir les procès de novembre dernier qui mettaient en cause des entrepreneurs utilisant des clandestins turcs pour leurs chantiers, ou plus récemment encore, l'incendie dans un atelier de prêt-à-porter parisien [1]).

La spécialité professionnelle des travailleurs italiens du début du siècle était justement de n'en avoir aucune, ce qui leur permettait d'intervenir dans tout type d'activité manuelle. Ils devenaient terrassiers, dockers, manoeuvres, saisonniers agricoles ou métallurgistes dans les chantiers navals.

Installation en France.

Pour une raison évidente de proximité, la plus forte concentration transalpine se trouvait sur le littoral : Marseille était la plus grande ville italienne de France (100 000 personnes en 1911, soit 1/4 de la population), bien avant qu'on la taxe de "ville arabe". Un chantier marseillais parmi d'autres en 1928 employait 98 Français sur 1200 ouvriers, la plupart italiens... Le quartier du Vieux Port devint une véritable enclave napolitaine, communauté portuaire des dockers et des pêcheurs, avec son organisation commerciale, ses dialectes, ses fêtes et spécificités culinaires. Quand le centre fut saturé, il déborda à la Belle-de-Mai et à l'Estaque.

L'accueil des Français fut inégal : d'abord indifférent, il devint hostile dans un contexte de crise et de nationalisme exacerbé par le boulangisme après la défaite de 1871.

La violence xénophobe finit par s'exprimer par des émeutes anti-italiennes en 1881 à Marseille et en 1894 à Lyon (après l'assassinat du président Carnot par un anarchiste italien, Caserio) ; elle culmina à Aigues-Mortes en 1893.

Plus tard, entre les deux guerres, on développa l'usage des termes gentiment mutins "macaroni", "pipi", "babi" ou "ritals".

Les peurs habituelles

Les Italiens étaient aussi surnommés christos à une époque où la France était touchée par la déchristianisation.

Le comportement religieux très ostentatoire des premiers arrivants, "tristes brutes aveuglées de catholicisme" selon le Cri du Peuple, les éloigna des prolétaires français. A Marseille, les dockers transalpins déchargeaient les navires aux cris de "per Gesù e per la madonna..."


La tuerie d'Aigues-Mortes

A la fin du dix-neuvième siècle, la récolte des sels dans les salines de Peccais était l'occasion pour plusieurs centaines de personnes, travailleurs itinérants, de venir au mois d'août grossir la population d'Aigues-Mortes... Les "trimards" français et italiens acceptaient ainsi un travail harassant en raison des salaires pratiqués.

La récolte de 1893 tourna au drame en se transformant en véritable "ritalade", conséquence de la Grande Dépression des années 1875, et des fantasmes relatifs à la préférence nationale ou à la protection du travail national (termes déjà employés à l'époque !) Les bilans firent état d'un nombre de morts italiens compris entre 8 et plus de 50.

Il est difficile et sans réel intérêt de définir précisément l'origine du massacre ; les tensions dans ce genre de chantier étaient courantes depuis de nombreuses années et les renforts de gendarmerie très prisés par la population locale.

Cet évènement permit à la presse locale de s'exprimer dans un véritable festival de propos nationalistes et de mauvaise foi xénophobe.


Les Italiens permettent donc au début du vingtième siècle l'ascension sociale des Français en se "chargeant des besognes que nos nationaux refusent" (un parlementaire en 1906).

Alors que la population hexagonale n'assurait plus son propre renouvellement, que les bras manquaient (les couples français réduisaient la natalité par la contraception naturelle), l'appel à l'immigration apparut comme une nécessité vitale. Celle-ci assura entre 1918 et 1939 l'essentiel de l'accroissement démographique en France.

Le développement de ces propos est intéressant par l'analogie évidente qui apparaît entre deux climats "fin de siècle". On s'aperçoit que les vagues de xénophobie sont toujours liées à une crise économique ou politique, et non au dépassement d'un quelconque "seuil de tolérance".


En 1897 déjà, il valait mieux être né au bon endroit pour prétendre profiter sereinement de la Promenade des Anglais. Cette année-là, la municipalité ouvertement italophobe (elle venait d'être réélue sur le slogan "Nice aux niçois") décida de ne pas renouveler le permis de travail de cent cochers transalpins (l'annexion de Nice à la France date de 1860).

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1903 : tract édité par la Ligue de la patrie française [2] pour stigmatiser "la barbarie italienne". [3]


"Le nombre des étrangers de toutes conditions qui vivent actuellement chez nous peut être évalué, sans crainte d'exagération, au chiffre de 1,8 millions, soit près de 5% de la population totale. [...] Nous devons dire, pour la clarté même de la question qui passionne l'universalité des travailleurs français que, sur ces 1,8 millions d'individus établis chez nous, 60 000 à peine vivent de leurs revenus, c'est à dire nous apportent de l'argent. Les autres, plus de 1,7 millions, nous en prennent, tout en échappant à la plupart des charges qui pèsent sur nos nationaux. Dans certaines villes, à Marseille par exemple, la majeure partie des grandes usines ont éliminé de leur personnel jusqu'au dernier de nos nationaux

[...] L'envahissement des Italiens s'étend rapidement à toute la Provence. A Toulon le mal sévit avec autant de violence qu'à Marseille.

[...] Tous les rebuts des cinq parties du monde peuvent acquérir la qualité de citoyen français. Bien mieux, le législateur de 1889 a imposé la qualité de français à des gens auxquels jusque là le hasard d'une natalité française accordait simplement la faculté d'une option. Le résultat inévitable de cette loi a été que les naturalisations ont décuplé.

[...] Après avoir aidé les leurs à conquérir sur nous le travail qui faisait vivre les nôtres, les Italiens naturalisés français marchent dès maintenant à la conquête de l'Hôtel de Ville de Marseille [...] La race française, fortement entamée dans cette ville, sera sûrement débordée avant peu, si l'on ne se décide à arrêter enfin la marée montante des naturalisations."

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1995 : tract distribué par le FN lors de la campagne présidentielle pour dénoncer la facilité avec laquelle des nouveaux barbares peuvent apparemment obtenir la nationalité française.

National-Hebdo le sous-titre :

"La vraie fausse carte d'Identité du Front National. Plus vraie que la fausse. A peine plus fausse que la vraie."

Maurice Barrès, Charles Maurras, Léon Daudet... , qui aujourd'hui fascinent et inspirent les "penseurs" d'extrême droite dans leurs idées de préférence nationale et de loi du sang, diabolisaient l' étranger ; ils ne visaient à leur époque ni l'Algérien ni le Marocain, ce n'était pas la mode ; non, ils vomissaient l'ennemi de toujours, celui de l'intérieur : le juif ; et puis aussi le Belge... l'Italien... l'Espagnol...

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[1] Rappelons que cet article a été publié en mai 1996

[2] La Ligue de la patrie française a été fondée en 1899, en opposition à la Ligue des droits de l'homme créée l'année précédente. Elle comptera jusqu'à 50 000 adhérents, dont Maurice Barrès, mais s'épuisera rapidement pour disparaître en 1905.

[3] Source : J. Berjont - "De l'envahissement des étrangers en France - la Provence Italienne" - 1903 - (extraits)

 

Lundi 14 Septembre 2015
PG

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