II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus

LIVRES PHILous

Jeudi 22 Septembre 2016

Francis Métivier, par son titre Liberté inconditionnelle qui détonne, fait un pied de nez à la tendance actuelle qui consiste à proposer des livres "mode d'emploi" pour accéder au bonheur ou à la joie. Point étonnant pour ce philosophe rock 'n' roll (auteur de Rock'n philo) de ne pas souscrire à toute cette mollesse monotone autour du bonheur. Il dénonce d'ailleurs cet éloge de la joie qui a tendance à déformer la théorie de Spinoza, qui se retrouve être le philosophe star de la joie... Alors qu'en réalité, la joie spinoziste tend vers Dieu.


Arrêtez de chercher le bonheur, soyez désinvolte !
Aujourd'hui, tout est centré sur cette quête du bonheur. Même au travail, on crée des métiers exotiques de "chief happiness officer" pour valoriser le bien-être en entreprise. On mesure même le bonheur intérieur brut des pays... Mais on se préoccupe de moins en moins de notre degré de liberté. "Le bonheur est au fond un concept très contemporain. L'homme dans l'histoire de la pensée, s'est interrogé sur le soulagement, l'ataraxie, l'absence de douleur". Or, de nos jours, la philosophie, pour se faire aimer, s'est transformée en marchande du bonheur. "Le bonheur est devenu une grande surface commerciale où poussent les rayons "joie", "bien-être", "connaissance de soi" ou "beauté"." C'est la frénésie des faux philosophes et du retour de la caverne de Platon. Pourtant notre société a tendance à réduire tout doucement nos petites libertés, en les traçant subtilement dans le magma sans fin du big data. Même l'informatique réduit notre espace en le codant. Francis Métivier a donc raison d'attirer notre attention sur la liberté. Rien n'est acquis. Les révoltes sociales ont surtout émergé pour la liberté, non pas pour le bonheur. La liberté est grandiose, alors que le bonheur est quelque chose de plus intime et subjectif.

Nous sommes dans l'ère du "bonheur contenu". Pour illustrer ce type de bonheur, l'auteur évoque les propos de Zizek, la "permission de jouir dans le pseudo-infini d'une consommation fermée". "Bois tout le café que tu veux. Mais si et seulement si celui-ci est décaféiné. La liberté du café décaféiné à volonté parce qu'on a retiré à la substance". Tout est permis, mais à condition que cela soit sous contrôle.

Autre inconvénient de cette quête absolue du bonheur, ce dernier pousse parfois à trop de comparaison. Quand on est libre, on ne se compare à rien, puisque que l'on est affranchi des injonctions. "Le bonheur dont l'envie ne vient pas de moi se heurte à deux maux : la comparaison et la jalousie." En témoignent les réseaux sociaux : montrer son bonheur, "ce comportement rend heureux, oui... mais deux minutes seulement". Cela revient à la théorie d'Elsa Godart qui souligne qu'interrompre sa jouissance pour poster un selfie, ce n'est plus jouir... "Ce sentiment de compétition sociale tue à la fois la liberté et le bonheur"

Voulons-nous alors donner raison à Schopenhauer qui nous condamne à demeurer des êtres de désir, englués dans le manque et la frustration, soit dans le déterminisme d'une souffrance certaine ? Ou au contraire, ne serait-il pas plus judicieux d'essayer de penser en être libre ?

L'auteur nous invite à être désinvolte. "Etre désinvolte, c'est laisser le temps s'écouler, s'en branler que le temps s'écoule, et ne pas s'en cacher, faire passer le temps au sens strict. Etre détaché du monde et de soi." Il faut savoir que le mot désinvolture vient du latin volvo, qui signifie "rouler, dérouler, développer". C'est accepter d'être en roue libre, le freewheeling. Mais pour arriver à ce stade, il faut avoir beaucoup pédaler.. Diogène était désinvolte dans son tonneau. Il faut refuser de céder aux injonctions honteuses. "Le désinvolte se moque de la vérité". C'est le contraire de l'hyperactivité dans laquelle nous entraîne la société actuelle, qui frise le burn out. On ne peut pas changer le monde, mais on peut construire partiellement son monde.

Chose importante que l'on a tendance à nier : pour être libre, il faut se confronter à l'idée de la mort. Faire comme si elle n'existait pas n'est pas une attitude responsable La mort a été pendant des siècles le principal sujet des philosophes. La mort est le sujet dont découlent les vraies questions philosophiques. On ne peut en faire abstraction.

Vaut-il mieux alors mourir libre ou heureux ? Mourir debout ou vivre à genoux ? Les grands hommes n'ont pas peur de la mort car ils savent que la liberté est plus précieuse qu'un petit bonheur moelleux.

"Notre liberté humaine est notre transcendance", comme le rappelle l'auteur. C'est la liberté qui nous rend humain. Même si la liberté est une quête difficile, voire un combat permanent.
Un essai à lire pour se réveiller et se confronter aux vraies questions.

Liberté inconditionnelle, Francis Métivier. Pygmalion, 2016.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Jeudi 22 Septembre 2016 à 07:39 | Commentaires (0)

Nouveau commentaire :


Recherche






Profil
Marjorie Rafécas
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.




Infos XML

RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile

Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs