LES DEUX DJIHADISMES
 
 
            Une étrange bipolarité caractérise le djihadisme. Il y aurait semble-t-il, d'une part un "bon djihadisme", celui qui bénéficie de l'appui actif des puissances occidentales et du financement généreux des fondamentalistes golfiques, et d’autre part un mauvais djihadisme, celui qui serait né d'une génération spontanée à connotation exclusivement religieuse. Cette curieuse dichotomie mérite d'être questionnée.
Comment est-il possible d'une part fulminer contre les djihadistes et dans le même temps d'honorer les monarques golfiques d'Arabie saoudite et du Qatar, dont nul n'ignore qu'ils en furent et demeurent les généreux mécènes et/ou les inspirateurs ?
Ces excellents monarques bénéficient de visites courtoises, de remises de décorations et de congratulations, pour ne pas parler de génuflexions, d'agenouillements et de prosternations, alors que nul n'ignore leur évidente ambivalence.
Autre incohérence : l'Islam sunnite, fût - il fondamentaliste ou salafiste, est décrété amical et fréquentable en Syrie lorsqu'il combat l'Islam chiite libano-iranien, tandis qu'il est au contraire vilipendé en Irak, où les chiites sont soutenus dans leurs visées hégémoniques à l'encontre de la minorité sunnite.
 
Le djihadisme "soft ", pure invention des Occidentaux.
 
L'ASL (Armée Syrienne Libre), directement mise sur pied, équipée, armée par les Occidentaux pour "aider à instaurer la démocratie en Syrie" ayant vite révélé ses faiblesses et étant rapidement devenue une fiction incapable de remplir l'office qui lui avait été assigné, il a fallu dans un second temps accepter qu'elle soit "épaulée" sinon absorbée, voire phagocytée par les résurgences syriennes d’Al Qaida et d'autres groupes extrémistes. À ce propos, la louange que fit un certain Fabius du "bon boulot" effectué par Al Nosra reste dans toutes les mémoires.
Prenons l’exemple d’Alep : au moment où les sympathiques combattants "modérés" ont perdu la partie, et se sont retrouvés pris au piège dans Alep Est, une gigantesque campagne de désinformation et de manipulation a été développée pour détourner l'attention sur les malheureuses populations civiles prétendument écrasées sous un déluge de bombes. Il s'agissait, la suite l'a démontré, de sauver les restes de l'ASL, et d'exfiltrer prudemment par le biais d'une évacuation négociée, à la fois les gentils rebelles et leurs conseillers, leurs officiers traitants, et nombre d'agents déguisés en humanitaires distingués, notamment ceux labellisés casques blancs.
La dénonciation des horreurs de la guerre et de ses tragiques conséquences sur les populations civiles a fait l’unanimité dans les médiaş dominants. Il ne saurait être question de désapprouver une telle dénonciation. Mais l'indignation, pour être prise au sérieux, ne doit pas être à géométrie variable, et doit moins encore servir à occulter des desseins plus que douteux.
En l’occurrence le camp occidental a mené campagne pour soulever l'indignation du bon peuple. Dans le même temps, au Yémen, le bombardement des populations civiles par la coalition occidentalo-saoudienne est largement occulté, et les bombardements effectués à Mossoul pour reprendre la ville à Daech, étant paraît-il remarquablement ciblés,  ne feraient aucune victime civile. Alors, trêve d'indignation sélective !
 
Le djihadisme "hard" de Daech
 
Est-il possible d'occulter les responsabilités de l'Occident dans la situation qui prévaut tant à travers la planète que dans notre sphère nationale ?
La première interrogation qui s'impose à propos de Daech est incontestablement celle-ci : "qui l'a fait roi" ?
Si l'on en croit la vulgate répétée à l'envie par le pouvoir socialiste et les médias dominants, l'existence des extrémistes de Daech en Syrie serait uniquement due à la cruauté de Bachar El Assad, contre lequel il fut et demeure nécessaire ou opportun de créer, d'organiser puis d'armer et soutenir des "contras" à base de djihadistes "modérés" (déclarés ou réputés tels à défaut de pouvoir être baptisés "démocrates").
Antérieurement, la naissance, le développement et l'extension de l'E.I en Irak, ont été une conséquence directe des conditions dans lesquelles s’est effectuée la liquidation des structures du régime de Saddam Hussein, voire de l'État Irakien.
Il n'est pas inutile de rappeler les stratégies géopolitiques développées par les États-Unis, qui ont sinon créé, du moins favorisé et utilisé l'islamisme "hard". Les terrains d'application concrète de ces stratégies ont été, entre autres, l'Afghanistan lorsqu'il s'agissait d'y évincer la Russie, la Bosnie Herzégovine qu'il fallait faire imploser, et particulièrement la Serbie, à laquelle fut arraché le Kosovo.
 
Le comportement "occidental" peut-il être exempté de questionnement ?
 
Lorsqu'il s'agit de rechercher les causes de l'existence et du développement de DAECH, les analyses courantes se réduisent à la mise en exergue d’une explication péremptoire,  celle des turpitudes intrinsèques de l’Islam.
Cela évite toute interrogation sur les responsabilités lointaines ou récentes de l'Occident dans la genèse et le développement des "désordres" qui caractérisent le Proche Orient, et plus généralement le Maghreb et la sphère subsaharienne.
Or l'expansion du terrorisme et l'embrigadement djihadiste ne peuvent se satisfaire d'une explication unique et simplificatrice, sinon simpliste, à savoir celle de l'intégrisme religieux et de la nocivité intrinsèque du Coran. Ce livre saint sert, nul ne saurait le nier, de base idéologique pour ceux qui y puisent les justifications de leur combat.
En ce sens il joue un rôle identique à celui de Mein Kampf, à celui de "Que faire ? " ou à celui du petit livre rouge de Mao, à cette différence près qu'il s'agit ici d'une source d'inspiration purement religieuse.
Certes d'autres textes religieux ont également été utilisés par le passé pour alimenter des haines, des crimes et des conflits, mais leur éloignement historique permet d'en estomper le souvenir.
S'agissant de notre actualité immédiate, une fois admis que le Coran sert d'arme de combat à ceux qui l'utilisent pour endoctriner les "soldats de Dieu" et à ceux qui s'en prévalent pour justifier leurs actes, il y a tout de même lieu d'aller au-delà de cette explication exclusive lorsqu'il s'agit d'analyser les causes de la guerre qui nous est menée.
Sans prétendre à l'exhaustivité, et sans ordre de prééminence particulière, rappelons brièvement les autres causes, non religieuses, qui méritent d'être évoquées, sinon retenues :
 
En termes de géopolitique :
 
- Faut-il passer sous silence les effets induits de la création de l'État d'Israël et surtout le traitement infligé aux Palestiniens, qui réactivent un antisémitisme  latent dans le monde arabo-musulman ?
- Faut-il passer sous silence l'installation de régimes autoritaires ou dictatoriaux inféodés à l'Occident et réprimant tout progressisme sous couleur de lutte contre le communisme (par exemple dans l'Iran du Shah, dans l'Irak de Saddam Hussein en ses débuts et dans l'Indonésie du général Suharto) ?
- Faut-il passer sous silence les ingérences anciennement qualifiées de "civilisatrices" transformées en ingérences humanitaires et "démocratiques" masquant mal des appétits économiques des puissances occidentales (Iran, Irak, Koweït, Libye, Syrie et "pré carré" de la "FrançAfrique ) ?
- Faut-il passer sous silence le remplacement, avec la bénédiction et l'appui des Occidentaux, de régimes laïcs au profit de régimes influencés par le fondamentalisme religieux obscurantiste propre à nos chers amis qataris et saoudiens ?
 
S'agissant particulièrement de la France :
 
- Les flux migratoires en provenance des pays ex-colonisés qui furent "organisés" (importation massive de main-d'œuvre) durant les périodes d'expansion économique en ont changé la composition ethnique et religieuse. Une partie de cette population importée et transplantée, culturellement et cultuellement différente, n'a pas été intégrée, et encore moins assimilée ; elle trouve dans le repli communautaire, puis dans l'extrémisme, un refuge ou une échappatoire.
- Les phénomènes de rejet réciproques entre la population "historique" et la population récemment transplantée ne font qu'aggraver les antagonismes respectifs, d'autant que les inspirateurs du djihad se font un plaisir d'entretenir les séquelles mémorielles négatives du passé colonial.
- La dégradation des conditions de vie des populations issues de l'immigration et le phénomène de ghettoïsation des cités produisent des effets qui jouent un rôle dans le rejet des règles du pays d'accueil et favorisent dans un premier temps les incivilités, puis la délinquance et le "rachat" par l'engagement religieux, rachat et rédemption qui ne sont pas sans rappeler, soit dit en passant, le commerce des "indulgences" dénoncé jadis par un certain Luther à l'encontre de la Papauté.
 
Conclusion
 
Au regard des précédentes considérations, il est permis de conclure que si une dénonciation des caractéristiques intrinsèques de l'Islam, dénonciation sous-tendue par la mise en exergue de versets coraniques prônant la violence est un exercice devenu courant, la prise en compte de facteurs historiques et des développements plus ou moins récents intervenus dans les relations entre l'Islam et l'Occident, est largement moins mis en évidence.
L'interventionnisme occidental (ancien ou récent) dans les pays arabes est pourtant tout aussi responsable de la situation qui prévaut dans les pays du Moyen Orient en particulier et dans le monde musulman en général que l'interprétation fondamentaliste des livres saints de l'Islam par des djihadistes forcenés.
In fine, s'interroger sur la genèse de la confrontation entre l'Islam et l'Occident, est un exercice qui, lorsqu'il évoque, en sus des dérives propres à l'islam, les responsabilités de l'Occident, est souvent suspecté de complaisances coupables.
Mais cela doit-il empêcher la recherche objective des causes de la situation que nous connaissons ?
 
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P.S :


 
 
Je préciserai qu'en dehors des deux djihadismes en question, il en existe un troisième, non abordé dans le  texte qui précède, car il ne relève pas directement de l'actualité politique nationale ou internationale.
Il s'agit d'un djihadisme rarement évoqué par les détracteurs de l'Islam. Ce djihadisme fait l'objet de versets moins nombreux certes que ceux qui louent et préconisent un djihadisme "guerrier" qui fut circonstanciel, et qui est réactivé par ceux que l'on nomme les islamistes.
Ils n'en sont pas moins importants du point de vue de l'application des préceptes coraniques et fondent ce que l'on appelle le "djihadisme intérieur" ou le "combat intérieur", appellation préférable à celle de "petit djihad" (par opposition au "grand djihad" glorifié par les adeptes de la guerre permanente contre les "infidèles" ou les apostats) .
Le djihad intérieur est  celui du combat de l'homme contre ses mauvais penchants, celui qui s'apparente à une introspection permanente en vue de parvenir à la vertu, celui de la recherche du bon et du bien,  celui de la découverte en soi des qualités humaines les plus nobles et les plus altruistes.
Cette forme d'ascèse, ou plutôt de "descente dans les tréfonds de soi-même" , connue des autres religions et des philosophies moralistes est à rapprocher d'une formule ésotérique connue de certains initiés :  V.I.T.R.I.O.L

 


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