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Crash en mer - Juillet 1944

Nous sommes le 5 juillet 1944. C’est un mercredi. C’est la quatrième mission du sous-lieutenant Donald - « Don » - Taylor, qui a rejoint en mars 1944 le 309th Fighter Squadron, appartenant au 31st Fighter Group, rattaché à la 15e armée de l’air US, celle qui opère sur le « théâtre méditerranéen des opérations ». Elle va s’achever dans le golfe d’Ajaccio.



Insigne du 31stFG
Insigne du 31stFG
Les festivités de l’independance day, la veille, sont plus ou moins digérées.
Gueule de bois pour certains, crampes-souvenir de la dérouillée reçue au football la veille pour d’autres.
Pas le temps de se plaindre, « there is a war on ».
Briefing à 7heures 30, pour une mission banale d’escorte de bombardiers B-24 qui vont frapper la gare de triage de Béziers.
Banale ? Pas tant que cela, car même pour le 31st FG, basé à San Severo dans les Pouilles, équipé depuis avril du fameux mustang P-51 qui peut effectuer des missions de près de six heures, le trajet est très long.
L’escorte devra se poser sur le terrain d’aviation de Campo dell Oro, près d’Ajaccio, pour refaire le plein avant de rejoindre son point de départ.
Les pilotes de mustang yankees pourront y saluer leurs homologues de l’Armée de l’Air française qui y sont stationnés avec leurs spitfires britanniques.
Ils n’auront toutefois pas le temps de rendre une visite de courtoisie à leurs compatriotes du 1st Emergency Rescue Squadron, anges gardiens des pilotes alliés – et de leurs adversaires – dans cette partie de la Méditerranée, stationnés avec leurs hydravions PBY-5 Catalina à Aspretto, non loin de là.
Et sans doute espèrent-ils secrètement ne jamais avoir affaire à leurs services…

La mission se passe pour le mieux.
La flak aboie, les B-24 et leurs « little friends » passent, la Luftwaffe, elle ne se montre pas.
Ce théâtre d’opérations a pour elle, qui doit couvrir les villes en flammes du Reich, une priorité très secondaire. Plus assez de pilotes.
Trop de conquêtes, et déjà trop de défaites.

Insigne du 309 FS
Insigne du 309 FS
Arrivée à Campo donc pour la douzaine d’avions rutilants.
Et oui, sur ce théâtre d’opérations en particulier, on ne peint plus les avions, et ils brillent comme des sous neufs.
Quand ils en ont le temps, les mécaniciens doivent même les cirer, les polir. Motif ? Aérodynamique élémentaire : on gagne quelques kilomètres heures, paraît-il.
Et puis plus question désormais de se cacher, d’éviter l’ennemi. On cherche au contraire à le provoquer pour mieux finir de l’anéantir.
Ainsi, les quatre groupes de chasse qui volent sur P-51 dans le coin arborent-ils reflets éblouissants et couleurs criardes sur la dérive : rayures, échiquiers, peintures jaunes et rouges qui s’affichent sans complexe.
Les jeunes gens juste sortis de l’adolescence qui font la guerre par ici ont baptisé les avions du 31st FG les «candy strips », car leur fuselage arrière leur rappelle les sucres d’orge qu’ils n’ont pas encore fini d’aimer.

A peine sortis de l’adolescence ? Il a 22 ans, le sous-lieutenant Taylor.Il a le droit de vote depuis un an, mais depuis quatre ans il est soldat, et depuis des mois déjà, il pilote des avions de guerre.
D’autres sont plus jeunes que lui encore : son copain le lieutenant Loving, qui a déjà une victoire à son palmarès, est né en 1923. Mais il est vrai qu’il a devancé Taylor dans l’Air Force. La valeur n’attend pas le nombre des années, mais l’expérience, ça aide.
Taylor est donc un « rookie », un bleu.
C’est sa quatrième mission de guerre, et il n’a pas encore d’appareil personnel. On lui a confié le WZ-I, dont le pilote habituel est resté au sol aujourd’hui.
Et pour bien faire, lui, Taylor, on l’a confié à un des « vieux » de l’escadrille. Le capitaine David Wilhelm a été crédité de sa cinquième victoire l’avant-veille au dessus de Ploesti en Roumanie. C’est un pilote confirmé donc, et depuis ce trois juillet, un « as » selon la terminologie de l’Air Force.

Les réservoirs remplis, c’est le décollage de Campo dell Oro, en milieu d’après-midi.
Alignement parfait, temps au beau fixe avec un peu de vent.
Collant à son « wing leader », Don Taylor est le dernier à quitter la piste. Les bolides s’arrachent au sol et entament une courbe ascensionnelle vers la gauche.
Le capitaine Wilhelm aperçoit son ailier derrière lui. Un deuxième coup d’œil quelques secondes plus tard… plus de trace du WZ-I.
Il bat le rappel de l’escadrille, on cercle au-dessus de l’eau tandis que les appels radio fusent, rien. Il faut se résoudre : «he went in », il a plongé.
La mort dans l’âme, c’est le rapport que l’officier chargé du debriefing devra enregistrer le soir même.

Il n’a pas plongé, le Lieutenant Taylor, en tout cas pas comme ses camarades l’imaginaient.
Mais à 400 pieds, son moteur l’a lâché. Impossible de savoir pourquoi.
Au sol, un témoin parlera de grandes flammes sortant des pipes d’échappement.
Le pilote ne les a pas vues. Pas le temps. Pas assez d’altitude non plus pour sauter en parachute.
Un bref moment de panique, et puis les procédures d’urgence. Il va falloir poser le bolide sur l’eau, et dieu sait que ses instructeurs lui ont répété que cette manœuvre est formellement déconseillée.
Le manuel de vol ne rappelle-t-il pas opportunément qu’un « avion de chasse n’est pas conçu pour flotter » ? Et le mustang encore moins que les autres : sa large prise d’air ventrale en fait un véritable piège, incapable de glisser un tant soit peu sur l’eau, et surtout susceptible de couler en moins de deux secondes.
Et pour finir la mer est plutôt agitée…

Pas le temps de prévenir les copains. Le pilote largue la verrière, les réservoirs supplémentaires aussi sans doute. Il « saute » une presqu’île, c’est l’Isolella, dont il rase le toit des premières maisons, et très vite c’est le choc. Violent. L’avion rebondit, tourne par deux fois sur lui-même avant de s’enfoncer dans les flots. Secoué, ensanglanté parce qu’il s’est fracassé la tête sur son collimateur, le jeune homme se débat, déjà englouti, aspiré avec son avion. Il gonfle sa « Mae West », agrippe le dinghy qui jusque là se contentait de lui servir de coussin dans le cockpit, parvient à en déclencher la bouteille d’oxygène, puis à se hisser dessus. Il est à un mile de la côte, deux peut-être. Il a failli mourir. Il n’a plus de force.

L'école d'infirmières, devenue depuis "Villa May"
L'école d'infirmières, devenue depuis "Villa May"
Un bruit le ramène à la réalité. Quelqu’un, depuis la côte, a nagé jusqu’à lui. C’est un soldat français stationné là, et qui avec ses camarades a assisté à toute la scène. Ce courageux saint Bernard des mers remorque le canot jaune et le jeune type à demi-assommé qui est à bord. Sur la terre ferme, on lui ôte sa combinaison trempée pour le couvrir de vêtements secs. Direction l’hôpital le plus proche. De l’autre côté du golfe ? Non. La chance sourit une nouvelle fois au malheureux, car tout près de là, une somptueuse villa, propriété – ça ne s’invente pas - d’un tenancier de maisons closes de Vichy, accueille... une école d’infirmières militaires. Pour faire bonne mesure, on prévient aussi le docteur di Barbazza, qui a pris ses quartiers d’été dans sa maison de l’Isolella, et dont le jeune fils Paul a tout vu à la jumelle. Il émerge enfin, notre pilote, et comme dans les films, son premier réflexe est de demander une cigarette. Celle du rescapé.

Paul di Barbazza
Paul di Barbazza
Huit jours plus tard, il reprend son tour d’opérations. Lui qui devait cinquante missions en effectuera cinquante-sept, pour finir la guerre flight-leader. Il a mûri le bleu, ce jour-là plus que les autres sans doute. Et il n’a jamais oublié ce moment qui faillit être son dernier, et garde toujours aujourd’hui une immense reconnaissance envers celui qui l’a sauvé des eaux.
Au docteur di Barbazza qui proposait pour ce soldat une médaille, le général Martin, gouverneur militaire de la Corse, répondra, lui, qu’il n’avait fait que son devoir, et qu’en temps de guerre c’était la moindre des choses.

Paul di Barbazza, lycéen à l’époque, n’a pas oublié non plus l’aventure de ce pilote qu’il croyait anglais, et qui a eu tant de chance.

Il aura fallu attendre plus de soixante ans avant que son avion, oublié de presque tous, n’émerge des profondeurs, grâce aux efforts de quelques plongeurs et à l’enthousiasme de quelques artistes.


Vendredi 9 Février 2007
Sébastien Ottavi