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09/02/2011



L'invité du mois

Fabio SCOTTO

Fabio Scotto présentera ses textes le 4 avril 2011 à 20h00 au Royale Factory Café- Théatre/Café- Concert, 2, Rue Jean Houdon, Versailles lors de la Manifestation FABIO SCOTTO LECTURE ET CONCERT dans le cycle de rencontres "Paroles du Monde"
(Association Littéraire Paroles d'encre) Contact: http://www.royalefactory.fr - Réservations: 09.51.74.78.83



BIBLIOGRAPHIE

FABIO SCOTTO est né à La Spezia en 1959 et vit à Varèse en Italie. Poète, il est l’auteur de huit recueils et de nombreux livres d’artiste et ses poèmes ont été traduits en une dizaine de langues. En français ont paru les recueils Piume/Plumes/Federn, Éditions En Forêt / Verlag Im Wald, 1997, Voix de la vue, Hôtel Continental, 2002, Le corps du sable, L’Amourier, 2006 (Finaliste au Prix “Max Jacob étranger” 2007), Les nuages, le vent. Poésies de Ségaliérette, Manière Noire éditeur, 2006, L’ivre mort, Trames, 2007, Cahier crétois, Éditions de la Margeride, 2010, Sur cette rive, L’Amourier 2011, des poèmes dans les revues «AUBE Magazine», «Le Guide céleste», «Correspondances», «Travers», «L’Humanité», «Europe», «Aujourd’hui poème», «Scherzo», «Le frisson esthétique», «Thauma», «Exit», ainsi que les éditions qu’il a procurées du Cahier Yves Bonnefoy de la revue “Europe” (n°890-891, 2003) et du Colloque de Cerisy Bernard Noël: le corps du verbe (ENS éditions, 2008).
Professeur de langue et de littérature françaises à l’Université de Bergame, spécialiste de l’oeuvre de Bernard Noël et d’Yves Bonnefoy, il est l’auteur des essais Le Neveu de Rameau de Denis Diderot (1992), Bernard Noël: il corpo del verbo (1995) et de nombreux articles et communications sur Tardieu, Michon, Michaux, Cendrars, Ponge, Bonnefoy, Frénaud, Cioran et d’autres. Il a traduit une trentaine d’ouvrages, parmi lesquels Chatterton d’Alfred de Vigny, Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (préface d’Umberto Eco), les Premières poésies de Villiers de l’Isle-Adam, L’opera poetica d’Yves Bonnefoy pour Mondadori, plusieurs livres de Bernard Noël et a récemment édité et traduit une importante anthologie de la nouvelle poésie française (Nuovi poeti francesi, Einaudi, 2011).
Il a reçu en Italie les Prix de traduction littéraire “Civitanova Poesia 1998”, “Achille Marazza 2004” et le Prix Spécial du jury du “Premio Europeo 2006”.


Poésie:

Sur cette rive, traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini, préfacé par Yves Bonnefoy, L’Amourier, Coaraze, 2011.

Il grido viola, préface de Silvio Raffo, Edizioni del Leone, Venise, 1988, Prix Mention "Ungaretti" 1988.

Il bosco di Velate, préface de Giorgio Bàrberi Squarotti, Edizioni del Leone, Venise, 1991, Targa “Pietro Mignosi” 1993.

Piume/Plumes/Federn, preface de Martin Steiner, edition trilingue, trad. allemande de Rüdiger Fischer, trad. française par l’Auteur, Éditions En Forêt / Verlag Im Wald, Rimbach (Allemagne), 1997.

Il nodo della voce, Laghi di Plitvice, Lugano (Suisse), 1997.

La dolce ferita, préface de Rodolfo Di Biasio, Caramanica Editore, Marina di Minturno (Latina), 1999.
Genetliaco, préface de Giancarlo Pontiggia, Coll. "Passigli Poesia. Testi scelti da Mario Luzi", Passigli Editori, Florence, 2000, Prix Sélection “Metauro” 2001.

Voix de la vue, poèmes français, Hôtel Continental, Plancoët (France), 2002.

L’intoccabile, préface de Tiziano Rossi, Coll. “Passigli Poesia. Testi scelti da Mario Luzi”, Passigli Editori, Florence, 2004, Prix Sélection “San Pellegrino” 2004.

Unha escuma de voz
, édition. bilingue italien-galicien, trad. par Xavier Frías-Conde, préface de Antonio Dominguez-Rey, Espiral Maior Auliga, La Coruña (Galice, Espagne), 2005.

Le corps du sable, edition bilingue italien-français, préface de Bernard Noël, trad. par C. Held, J.-B. Para, B. Noël, B. Simeone, P. Vighetti, “Grammages”, éditions L’Amourier, Coaraze (France), 2006.

Poèmes (anthologie 1988-2006), trad. par Aksinia Mihailova, “Ars poetica europea XXe siècle”, éd. Nov Zlatorog, Sofia, 2006.

Bocca segreta, préface de Francesco De Nicola, Coll. “Passigli Poesia. Fondata da Mario Luzi”, Passigli Editori, Florence, 2008, Prix Sélection “San Vito al Tagliamento” 2010.
Nedotakljivo (L’intoccabile), trad. par Nadja Dobnik, Poetikonove Lire, Ljubljana (Slovénie), 2010.

Éditions à tirage limité:

Seule, la bouche (La bocca sola), trad. par Bernard Noël, ill. par Paul Trajman, Collection “face à face”, Editions L’attentive, Ségalierette (France), 1999.

Carnet parisien, livre peint par Anne Slacik, Paris, 2004.

Le visage inconnu (Il volto ignoto), trad. par Bernard Noël, ill. par Oscar Piattella, Editions L’attentive, Ségalierette (France), 2004.

La carne amata, Sagittario, Gênes, 2004.

La carne amata, livre manuscrit, ill. par Elisabetta Diamanti, Éditions Transignum, Paris, 2005.

Les nuages, le vent. Poésies de Ségaliérette (Le nubi e il vento), trad. par Vénus Khoury-Ghata, avec six gravures originales de Michel Roncerel, Manière Noire éditeur, Vernon (France), 2006.

Fragments du corps rouge. Haikai, poèmes français manuscrits sur des feuilles peints par Colette Deblé, “Cahier de Peauésie de l’Adour”, Paris, 2007.

L’ivre mort, poèmes français, ill. par Michel Mousseau, éditions Trames, Barriac, 2007.
Cahier crétois, édition bilingue, trad. par Gérard et Danièle Augustin, ill. par Robert Lobet, Éditions de la Margeride, Nîmes, 2010.

Keita, édition bilingue, trad. par Francis Catalano, ill. par Marc Pessin, Éditions Le Verbe et l’Empreinte, 2011, sous presse.

Essais:
Le Neveu de Rameau di Denis Diderot, Coopli IULM, Milan, 1992.
Bernard Noël: il corpo del verbo, Crocetti Editore, Milan, 1995.
Francesistica, dans Consigli pratici per una tesi di laurea in Letterature Straniere, Casa Editrice Le Lettere, Florence, 2000.
Il frammento poetico nel Novecento francese, Donzelli Editore, Rome, 2011, en préparation.

Récits:
A riva. Prose, Nuova Editrice Magenta, Varèse, 2009.

Traductions-éditions:
Patrice Dyerval, Notazioni, poèmes, Edizioni del Leone, Venise, 1990.
Bernard Noël, Diario dello sguardo, journal, Guerini e Associati, Milan, 1992.
Alfred de Vigny, Chatterton, théâtre, Guerini e Associati, Milan, 1993.
Bernard Noël, Il rumore dell'aria (poesie scelte 1956-1993), poèmes, Edizioni del Leone, Venise, 1996.
Bernard Noël - Jean-Paul Philippe, Porta dello spazio, poèmes, Flussi Edizioni d'Arte, Valmadrera (Lecco), 1998.
Yves Bonnefoy, La vita errante, poèmes, Edizioni del Bradipo, Lugo, 1999.
Villiers de l'Isle-Adam, Poesie scelte, poèmes, Ignazio Maria Gallino Editore, Milan, 2000.
Hélène Dorion, Passerelle e polveri, poèmes, Verlag Im Wald / Éditions En Forêt, Rimbach (Allemagne), 2000.
Michèle Finck - Laury Aime, Il pianoforte a quattro mani, poèmes, éditions Udnie-Lorimage, Paris, 2001.
Yves Bonnefoy, La pioggia d'estate, poèmes, Edizioni del Bradipo, Lugo, 2001.
Laurent Grisel, La Nassa, poèmes, Verlag Im Wald/ Editions En Forêt, Rimbach (Allemagne), 2001.
Pierre Autin-Grenier, Légende de Zakhor, proses, Verlag Im Wald/Editions En Forêt, Rimbach (Allemagne), 2001.
Bernard Noël, La Sindrome di Gramsci, roman, Piero Manni, Lecce, 2001.
Bernard Noël, La malattia della carne, récit, Abramo Editore, Catanzaro, 2002.
Yves Bonnefoy, Nove pietre, poèmes, Edizioni Canopo, Prato, 2003.
Yves Bonnefoy, La casa natale, poèmes, Edizioni del Bradipo - Unaluna, Lugo-Milan, 2003.
Yves Bonnefoy, Seguendo un fuoco. Poesie scelte 1953-2001, poèmes, postface de Yves Bonnefoy, Crocetti Editore, Milan, 2003, Prix “Achille Marazza” 2004 de traduction poétique.
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, roman, introduction de Umberto Eco, “Ottocento, 1”, La Biblioteca di Repubblica-Gruppo Editoriale L’Espresso, Rome, 2003.
Yves Bonnefoy, Il disordine. Frammenti, poèmes, “Collana di poesia”, San Marco dei Giustiniani, Gênes, 2004.
Yves Bonnefoy, Il mare o forse nulla, poème, “Autografi, 2”, San Marco dei Giustiniani, Gênes, 2004.
Yves Bonnefoy, La comunità dei traduttori, essai, “Le parole e le cose”, Sellerio, Palerme, 2005.
Yves Bonnefoy, Terre intraviste. Poesie 1953-2006, poèmes, “Selected Poems”, Edizioni del Leone, Venise, 2006.
Vénus Khoury-Ghata, Ortiche, poèmes, “Il Labirinto del mondo, 1”, Il Ponte del Sale, Rovigo, 2007.
Yves Bonnefoy, Le assi curve, poèmes, “Il Nuovo Specchio Poesia”, Mondadori, Milan, 2007.
Yves Bonnefoy, L’opera poetica, “I Meridiani”, Mondadori, Milan, 2010.
Nuovi poeti francesi, anthologie poétique, Giulio Einaudi Editore, Turin, 2011.

Editions scientifiques:
(éd.), La nascita del concetto moderno di traduzione. Le nazioni europee fra enciclopedismo e epoca romantica, en collaboration avec G. Catalano, “Hermes”, Armando Editore, Rome, 2001.
(éd.), Cahier Yves Bonnefoy, Revue “Europe”, n°890-891, Paris, juin-juillet 2003.
(éd.), Bernard Noël: le corps du verbe, Actes du Colloque international de Cerisy (juillet 2005), “Signes”, ENS éditions, Lyon, 2008.://

EXTRAITS DE TEXTES TRADUITS EN FRANçAIS

FABIO SCOTTO Poèmes
Cahier préalpin (1999)



Gavirate

Clair de lune
sur le lac
à Gavirate
Après la pluie le vent
secoue les branches
des peupliers nus
près de la plage
Lido
les drapeaux du camping
flottent aux rafales
Clair de nuit
lumière crue
sur l'argent des vagues
algues mortes
Bateaux abandonnés
souvenirs d'été
épaves
Une balançoire dans le noir
Là je t'ai vue
Je t'ai perdue


Castiglione Olona
à Patrice Dyerval et à sa femme Marie-Hélène

Après-midi pluvieux
à Castiglione Olona
avec Patrice et Marie-Hélène
Le sentier raide
jusqu'à la chapelle du XVème
de la Collegiata
Portail ouvert
Personne dedans
L'église dort dans un lit d'ombre
Histoire de redescendre vers le pays
chercher de la monnaie pour éclairer
les fresques de Masolino da Panicale
Trente secondes deux cents lires
Visions volées à la cécité de la pierre
Silence
Paix
Mais ce printemps venteux
arrache les fleurs aux balcons
gèle le sang
L'Olona
fleuve vénéneux
répand ses miasmes chimiques
parmi de vieilles maisons en ruine
Sous le pont médiéval
mousse verte et cailloux
Un vieux assis bricole
Nos pieds foulent le sol
Des oiseaux s'envolent

Varèse
(Dissipatio H.G.)

Je survis. Donc, j'ai été élu, ou bien j'ai été exclu.
Guido Morselli, Dissipatio H.G., 1977.


Ton nom fut lu pour la première fois en 922
Certains le feraient remonter au vieux celtique
Vare, Vara, Varo (eau)
D'autres à la famille romaine
de Publius Quintilius Varus
ou bien à Vallexitum, Vallesium, Varisium
ou encore à virens (verdoyant)
pour tes bois
Je pense
anagramme phonique
au Midi français
le Var
Èze

Le féodalisme
les luttes avec Milan et Côme
puis les Espagnols bâtirent des églises
pendant la Contre-Réforme
La famine dans la période autrichienne
Un Club des Jacobins après 1789
renoue avec la France
Risorgimento
Vacances de Stendhal avec Madame Pietragrua
à Sainte-Marie
Vie marchande bétail soie
C'est encore comme ça
Tes collines tes chapelles tes saints tes sous
Ta frime tes fringues tes chaussures tes loups
Tes relents sécessionnistes
Tes boutiques pleines tes théâtres vides
Tes chemises vertes
(donnons l'alerte)

Pourtant les jardins les fontaines les lacs
oléographie d'une paix illusoire
La solitude d'un écrivain méconnu
Guido Morselli
traversant la Place du Marché
déjà déserte
à six heures du soir


Caldé
(Vers les Alpes)


Au couchant
les oiseaux nagent vers la rive
pêchent leur repas
le bec dans l'eau
D'autres s'envolent plus haut
vers les rochers
leurs cris sauvages
aux premières ombres de la nuit
Le ciel est encore rose sur la baie
un chien se repose dans le jardin
deux amants se tiennent par la main
J'écoute le va-et-vient des vagues
On dit qu'un cygne vint mourir ici
un beau soir de mai
du plomb dans l'aile
Personne ne le vit
Ce sera ma fin
Le hurlement du train
Je perds des plumes
Je ris

Luino

L'air n'a plus le même parfum
Quinze ans
Une fille blonde aux yeux noirs
un dimanche devant la gare
caresse un chien
elle sourit
Plus rien depuis
La vie est manque
J'aime son absence
J’attends la pluie


© Fabio Scotto, La dolce ferita, Caramanica Editore, Marina di Minturno, 1999.

Miroir du soir
(2000)



...en effaçant sur le sable
un autre nom que le sien
un autre lieu que le lieu

le feu qui s'allume au loin
rafraîchira la brûlure

et la fin de tout poème
et son recommencement sans fin...
Jacques Dupin


Ces mots
je les dis souvent
du bout des lèvres
de la mémoire
Le vent les caresse
de sa main tremblante
passe la saison doux
printemps
Et la promesse m'ac
compagne triste
aux bals masqués de l'espoir
que demain que
pourtant que Narcisse
vole la fleur au miroir
C'est le soir
Parole
da labbra aride
di pioggia
sorrise al vento
che vi giace
sopra
Narciso
fiore impigliato
nella ruota
al triste giro
l'acqua che si guarda














Des mots/ des lèvres arides/ de pluie/ ayant souri au vent/ qui s’étend/ sur elles/ Narcisse/ fleur empêtrée/ dans la roue/ au triste tour/ l’eau qui se regarde

Ils vont partir ce soir
pour l'hôpital du noir
mais ils auraient voulu
que l'écho résonne
de leur voix
au moins pour un instant
les départitions splendides
La valise est vide
Vanno viandanti
appena dopo l'ora
partiti con la luna
ad altra rotta
Lo dici
e già quel dire non li tocca
Vanno viandanti
con il sasso in bocca



























Des passants vont/ juste après l’heure/ partis avec la lune/ pour une autre route/ Tu le dis/ et plus ce dire ne les touche / Des passants vont/ une pierre dans leur bouche
Quand tu l'aperçois
au loin
le lointain
son front d'acier
descend sourd
l'horizon le boit
J'ai mal à l'hiver
La gorge me fait froid
Se mai
da carovane
in lontananza
sordo un segnale
acceso di metallo


















Si jamais/ des caravanes/au loin/ sourd un signal/ vif d’acier

Pour toi j'ai plein
de bijoux
un coffre

Je ne l'ai pas
Je te l'offre
Darti
non avendo
il volto mio
dell'acqua




























Te l’offrir/ sans l’avoir/ mon visage/ de l’eau

© Fabio Scotto, Genetliaco, éditions Passigli, Florence 2000.





Voix de la vue
(2002)


«Derrière le soleil, il y a le ciel plus seul.»
Reb Bar.

EDMOND JABÈS, Le Livre des Questions, I, Paris, Gallimard, 1964, p. 215.






I

Ses yeux
perles d'aube
dans la nuit venteuse
Ses yeux
ciels surgis de l'obscur du temps
La vie même
naît de ses mains
Quand elle sourit
le premier des sourires s'invente
Lumière des joues
Voix de la vue
Joie qui déborde
Et chante

II

Elle descend les escaliers
vêtue de blanc
du miel sur l'aile
Elle danse seule
autour de la table
ses bras tendus dessinent dans l'air
je ne sais pas quoi de vivant
comme par un miracle des doigts
Fleurs d'ongles
Pays sombre
Tout a été dit par le silence
La chair est chaude
L'enjeu est connu
Chercher accroupis
la balle perdue
dans le noir creux de la cave

III

Le ciel délire dans ses prunelles
L'air sur ses lèvres dit l'infini du temps
Le manque a posé ses mains sur ma bouche
Je crie comme un sourd
car sa beauté m'émeut
et me touche
Jour du jour
Mes pieds au bord de l'abîme
entre le dit et le tu
Nus contre l'oubli

IV

Rien que du sable
à perte de vue
Désert aquatique
où les nuages joignent
la traînée jaune de l'horizon
Les vols des oiseaux
dessinent un temple dans l'air
Le vent annonce déjà la pluie
Les dieux sont partis
Seul l'archange garde
les portes du Paradis
menacées par des démons à l'affût

Sa beauté est un défi
lancé au soleil timide
de septembre
Mon désir monte
comme la marée et ses vagues
Inapaisable soif
Mort infinie


© Fabio Scotto, Voix de la vue, éditions Hôtel continental, Plancoët, 2002, puis dans L’intoccabile, éditions Passigli, Florence, 2004.



L’intouchable
(2004)




Sere a Lione
Le luci morte del Centro Commerciale
poco prima di Natale
(male che non perdona)
Tra il Rodano e la Saona
il vento gelido sul viso
La notte impiccata ai lampioni
Sei tu dietro i miei passi?
Quante ore a domani?
Non chiami
Ho dentro un peso
Vorrei che fosse solo bene
l'ala che mi spunta
sotto i tuoi occhi
se solo mi tocchi
Ma il peggio deve ancora venire
Conto le nubi
nella quiete d'un viale
che hai abitato
Ti penso a casa
con i figli
premurosa col tuo primo amore
Grazie di tutto
Anche del dolore
*

Soirées de Lyon
Les lumières mortes du Centre commercial
peu avant Noël
(mal qui ne pardonne pas)
Entre Rhône et Saône
un vent glacé sur le visage
La nuit pendue aux réverbères
Me suis-tu pas à pas?
Combien d’heures jusqu’à demain?
Tu n’appelles pas
J’ai en moi un poids
Si seulement c’était un bien
L’aile qui pointe en moi
sous ton regard
rien qu’à ton toucher
Mais le pire est encore à venir
Je compte les nuages
dans l’avenue paisible
que tu as habitée
Je te vois chez toi
entourée d’enfance
couvant ton premier amour
Merci pour tout
Même pour la souffrance

*

Le luci sul lungolago
verso il nuovo porto
Sembra che viva
in una deriva
cullato da questo vento
un altro tempo
Tornavi
ora mia
come mai prima
(... le salite in bicicletta
sognando di vederti...
... gli sguardi rubati
nell'atrio delle Elementari...)
Ora c'eri
e mi baciavi
gli occhi più belli
per le lacrime
china su di me
bevendo il mio tormento
Seme dei nostri dodici anni
Speme che ancora m'inganni
Lento
*

Les lumières au bord du lac
vers le nouveau port
Il semble que vive
à la dérive
bercé par ce vent
un autre temps
Tu revenais
mienne désormais
comme jamais auparavant
(…les montées à bicyclette,
rêvant de te voir…
…regards à la dérobée
dans le préau de l’école…)
Tu étais là
tu m’embrassais
les yeux embellis
par les larmes
penchée sur moi
buvant mon tourment
Blé en herbe de nos douze ans
Espoir encor m’illusionnant
Lentement

*



So che sei lì
sdraiata sul divano
nel libro
la tua mano
mi sorprende

Ci scriviamo (ci scrivi «amo»...)

La luce sarà poi
dagli occhi
di smeraldo
voce rotta
dal pianto
di ogni febbre

Penso a te
che mi cresci sul ventre
nel buio senza sonno
Bianca parola
sul nero niente

*

Je sais que tu es là
allongée sur le divan
dans le livre
ta main
me surprend

Nous nous écrivons (nous «écrivaimons»)

Et la lumière viendra
de tes yeux
d’émeraude
voix entrecoupée
de pleurs
enfiévrés

Je pense à toi
foison sur mon ventre
dans l’ombre sans sommeil
Parole blanche
Sur le noir néant


© Fabio Scotto, L’intoccabile, éditions Passigli, Florence, 2004, pour les textes italiens.

Traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini
«Pyro», n°21, décembre 2009.





L’ivre mort
(2007)


Anéantir un jour de la vie ou mourir un peu, le sachant, quels cris jetterais-tu: quoique une divination pareille, au nom de quelque supériorité, t’interrompe, souvent, de la tâche, ivre mort.
Stéphane Mallarmé, “Solitude”, Variations sur un sujet (1895).


I

Tu as perdu tes pages
Ne t’habite plus que le vent
Ta peau est sèche
Tu dors dans le tronc
lamelles du non-écrit
cachées dans le coeur du bois
Ses mains sur toi, frère
L’ivre qui ne sait lire ta peine
a ses yeux d’aveugle
au bout des doigts
Il se lit en toi
Il prononce ton absence
Son regard s’émiette à chaque pas

II

Ils sont venus de loin
De mots pleine la bouche
sans mémoire
Le soir, une vierge couchée
parmi les herbes folles
depuis l’origine du temps
Ils ont des forêts et des diables
Elle a le sable et la foudre
Ils veulent habiter son ventre
Elle chasse les abeilles
Elle s’envole avec l’ange
Ils butinent le vide

III

Il a dormi là
Ses pieds ont laissé des traces
sur la voie des moineaux
Le chant des cigales fort dans les champs
Les rayons du soleil,
ces contre-ombres du ciel partout
sur les choses de la terre
Une paupière s’ouvre
et c’est la grâce du vu
dans la forêt sidérale
Te parler, te lire
à l’aube des pensées sauvages
buvant ton encre vermoulu, tes ronces
fleuris d’un sourire doux
Plus rien dans la vue
Un creux dans le mot

IV

Il ignore tout sens
Les sens l’envoûtent
Son corps écartelé
montre le creux de ses entrailles
La fée habite dans son foie
Il ne sait mourir
Sans prononcer le mot mort
Livre, tu as tous les mots
tout le temps, tout le sang blanc
d’avant l’encre
La nuit écrit
de ses ailes de corbeau
une litanie sur tes hanches

V

Ce qui gicle du vu
quand les mots s’éteignent
serait-il la chose même
dépouillée de sa carapace de lettres
pur souffle de la matière
surgi des lèvres mouillées
de pluie si l’air de tête
annonce aux blancheurs assises
sur tes genoux la venue muette
d’un chant de disparition

VI

Il marche seul
sous le ciel étoilé
Le soleil écoute l’aphonie des champs
Partout le sang
partout des maisons détruites
par la folie humaine
Il pense à l’arbre
aux feuilles qu’il offre
au baiser de la lumière
Le coeur bat
ses pas défient la nuit
L’obscurité s’ouvre
Les mots tracent
leur parole de feu sous ses semelles
Au loin des vagues sauvages
dansent sous l’écume du temps
Leur cri érigé contre les ténèbres
L’écrit quelque part en lui
comme une promesse nue

VII

Livre, ces jasmins qui poussent de tes mains
Ces vers bleus au fond de tes entrailles
Livre, tes côtes, tes vertèbres
qu’une bouture d’air empale
ce sont les touches d’un orgue de jade
qu’aucune musique ne retient
Il écoute ta voix vibrer
le vent d’août comme un peigne sur les prés
Lépreux, ses plaies fleurissent sur son front fade
Il vient d’où? D’où cette fatigue d’esclave
à l’heure où les guêpes bourdonnent
parmi les ronces l’instant d’un souffle?
L’air le respire, le tient
Ses mots de chair au bout de sa bouche
dévorent son destin
Un parfum de thym
Une page pousse de ses mains

© Fabio Scotto, L’ivre mort, poèmes français, éditions Trames, Barriac 2007.

« Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid »

De cette visite du musée de Madrid, le poète, sensible aux chromatismes et aux jeux de lumière, a rapporté tout un ensemble de « poèmes peints ». Ils ont été croqués à partir des toiles des grands peintres du Siècle d'or hollandais et flamand, qui font partie des collections du musée. Un écho harmonieux qui rend compte de l’acuité subtile d’un regard et d’une juste distanciation. (Angèle Paoli)


NICOLAS MAES, EL TAMBORILERO DESOBEDIENTE, 1655

La madre cuce
di fronte alla culla
rosate le guance
rosso il vestito
Il piccolo dorme
accanto alla finestra
foglie sui vetri
una luce malata
e tersa
Lui ritto e boccoluto
sotto il cappello grigio
non sente ragioni
Si stropiccia gli occhi
la bacchetta buttata a terra
Sogna i prati
Altri giochi
Altre canzoni
Una festa
Una guerra

Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 43.




NICOLAES MAES, LE TAMBOUR INDISCIPLINÉ, 1655

La mère coud
face au berceau
ses joues sont roses
rouge son caraco
L’enfant dort
près de la fenêtre
feuillages contre les vitres
lumière maladive
et diaphane
Lui droit et bouclé
sous son chapeau gris
refuse d'entendre raison
Il se frotte les yeux
la baguette jetée à terre
Il rêve des prairies
D’autres jeux
D’autres chansons
Une fête
Une guerre

Traduction inédite d’Angèle Paoli





EMANUEL DE WITTE, EL ANTIGUO MERCADO DEL PESCADO EN ‘EL DAM, 1650

La donna con la cuffia
posa la cesta sul banco
Alle spalle volti bui
scavati nelle tenebre
La luce nasce
dall’ argento delle scaglie
pesci grandi
pancia all’aria
mentre il sangue cola
Buoni affari stamani
ad Amsterdam
Poco più indietro un levriero
con la sardina in bocca
Una cicogna
Sola

Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 44.




EMANUEL DE WITTE, LE VIEUX MARCHÉ AUX POISSONS DANS LE DAM, 1650

La femme à la coiffe
pose son panier sur l’étal
Derrière elle des visages assombris
taillés dans les ténèbres
La lumière naît
de l’argent des écailles
gros poissons
ventre à l’air
tandis que coule le sang
On fait de bonnes affaires ce matin
à Amsterdam
Légèrement en retrait un lévrier
une sardine à la gueule
Une cigogne
Esseulée

Traduction inédite d’Angèle Paoli


JAN JANSZ VAN DER HEYDEN, CRUCE DE CAMINOD EN UN BOSQUE, s.d.

Gli uomini sono piccoli
Gli alberi sono grandi
Lei con la cesta in spalla
il figlio scalzo per mano
incontro a un signore a cavallo
Due pescano con la canna sul fiume
Una rossa si sporge dal davanzale
attinge
Foglie bianche di luce
Il mondo che nasce
Che si dipinge

Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 45.




JAN JANSZ VAN DER HEYDEN, CROISÉE DE CHEMINS DANS UN BOIS, s.d.

Les hommes sont tout petits
Les arbres sont immenses
Elle le panier sur l’épaule
emmène son fils nu-pieds
au devant d’un gentilhomme à cheval
Deux hommes pêchent à la ligne dans le fleuve
Une rousse s’appuie au rebord de la fenêtre
elle puise
Feuillages blancs de lumière
Le monde qui naît
Qui se peint

Traduction inédite d’Angèle Paoli





Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 49.






http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/thyssen10.html



EN REGARDANT UN TABLEAU DE KANDINSKY SUR UN MUR D’HÔPITAL AVEC L’INFIRMIÈRE MARINA


« Dites-moi ce que vous voyez »
– je demande à Marina
infirmière de garde
blonde toute timide de Belluno
de blanc vêtue
en ce juin torride
« Je vois une maison, la lune…
Des pyramides, non, des voiles, peut-être le soleil
dans l’obscurité… »
Sur un fond noir
disposées en éventail
des figures géométriques
comme des lambeaux apolliniens
d’un esprit qui a explosé
du côté de Dada, en ‘17.
Là, derrière la vitre
le va et vient des docteurs
l’énième gastroscopie d’un père maigre
qui depuis quelques jours perd du sang de son rectum
« Michele, comment va Michele?...
C’est vous Monsieur Michele?... »
Michele va où le destin le veut
Les yeux brouillés par l’anesthésie
presque souriants lorsqu’il tousse tout à coup
au tube retiré de l’œsophage
épuisé et sans défense
comme un cri primal
faisant oui de la tête
sereinement vivant dans la mort
« Oui, je suis Michele…
77 ans…
Je me trouve dans la demeure de ce monsieur-là… »
Mais quel monsieur?
Étrange que je n’arrive pas même à pleurer
en caressant ton visage tiré
les cheveux trempés de sueur, les jambes nues
attachées à sa grosse couche
en cette impitoyable saison

En revanche les yeux grands et clairs de montagnarde
la peur, l’embarras
la belle ingénuité, la bêtise flaubertienne
de Marina si loin
si près de moi ne se sachant pas
si fragilement meilleure que les autres
tandis que nous te ramenons à la chambre ensemble
via couloirs et ascenseurs
tout en poussant doucement le lit à roulettes
elle devant, moi derrière
dans les méandres souterrains du ventre de Paris
Et c’est ici à Varèse
en ce sixième mois non pas de grossesse
que je voudrais la déshabiller devant toi
jusqu’à frémir à l’intérieur d’elle
tout mon souffle
pour te redonner vie à travers elle
si elle me sourit éperdue
la tache foncée qui assombrit
ton sang
Père, mourant en toi
en toi renaissant
dans le désir muet
et vain
Dans la sombre tiédeur dialysée
de ta chambre
plus personne je n’aime
plus personne je n’appelle










UN RÊVE


Elle file à toute allure c’est incroyable sur la côte là-haut
entre tunnels et terrassements
quand nous partons de Lerici
en direction des brumes du nord
La fin d’une vacance comme tant d’autres
entassés dans la BMW beige pâle
avec les bédés, les savates
l’odeur de la fougasse dans les petits sacs
Les maisons une à une disparues derrière la vitre
Alors que nous montons vers le ciel
un matin gris, les yeux ensommeillés
Et tout à coup ce n’est plus l’auto
mais un train qui souffle sur les parois en surplomb
des gorges liguriennes le long des Cinqueterre
Pluie fine, plages désertes
personne à la mer
qui brille au loin tu vois
(c’est encore ce monde, ou est-ce déjà l’autre?)
Papa, tu bloques le train
Tu me demandes la serviette
Tu veux te baigner
« Mais c’est un train de ligne… » – je te dis
« L’horaire des arrêts… nous n’avons pas le temps…
Et si tu tombais malade?
Les autres? »
Tu réponds : « Ils attendront... »
Le train est immobile
Tu nages vers le large





Traduction de l’italien par Francis Catalano, «Exit. Revue de poésie», n° 46, 2007, Editions gaz moutarde, Montréal, Québec, Canada, p 89-91.




Ce qui reste d’un canard sauvage
à Michèle Finck

Au bord de la chaussée encore humide de pluie, l’oiseau est immobile, couché à la renverse. Happé par une auto peut-être, ou par les crocs d’un chien errant, il n’a plus ni pattes ni tête.
Ce n’est ni un pigeon ni une hirondelle, on dirait un canard sauvage à cause des rayures verdâtres autour du cou : elles jaunissent au soleil avec des teintes rosées. Il est là, ventre en l’air, mort depuis peu, ses plumes mouillées formant des touffes sous lesquelles brille l’éclat gris de la peau. Les cyclistes l’évitent au dernier moment, d’un brusque coup de guidon. Aucun insecte autour, étrangement, ni mouches ni moucherons, comme si l’œuvre de la mort n’était pas encore la mort, mais un sommeil simulé à l’ombre des feuillages où l’oiseau avait dû se poser plus d’une fois pour reprendre son souffle sur les branches des sapins parfumés de givre – ou, plus bas vers le lac, dans la pénombre du taillis, quand il narguait les rats et les écureuils. Quoique agiles, mais plus lourds et sans ailes, ils le fixaient avec de petits cris de colère chaque fois qu’il prenait son envol vers le large sur le miroir plombé du lac. Il montait à lents coups d’aile réguliers, jusqu’à croiser la route du vent naviguant entre les nuages, tel un prince nomade.
À présent une aile se cache, un lambeau de ciel est tombé en poussière sur le pavé, un chant muet te parcourt et, avec un ultime battement, le cœur palpite encore, dans son étreinte avec la terre.

© Fabio Scotto, Sur cette rive, traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini, préfacé par Yves Bonnefoy, L’Amourier, Coaraze, 2011.










EXTRAITS DE CRITIQUES EN FRANçAIS

Martin Steiner

«Si la poésie est l’émotion devenue parole et disponible sur appel, selon la remarque de Valéry, les vers de Fabio Scotto en fournissent un nouvel exemple. Non pas au premier coup d’œil: le charme de ces poèmes n’est ni importun ni évident, mais caché comme la perle dans le coquillage. Il faut aller vers eux, les lire et lire ancore; l’émotion alors sera durable. Une modestie cultivée, voilà la base de l’écriture de Fabio Scotto. Rien de biaisé, de criard, mais une calme intensité qui mène au-delà des apparences: Le métaphores se montrent sobres, la syntaxe caresse plus qu’elle ne provoque; de tels poèmes survivront au jour. (…)»

Préface de Piume /Plumes /Federn, Verlag Im Wald/Éditions En Forêt, Rimbach, 1997.





Bernard Noël

«Il y a chez Fabio Scotto un naturel qui trompe sur sa nature: on le croit lié à une aisance verbale alors qu’il provient de sa manière d’aller spontanément vers le risque d’une mise à mal de la posture poétique par cela même qu’elle provoque (L’amour est une chanson pour personne / Le reste est cendre /que tu éteins sur la cendre / Fumée).
(…)
Cette recherche entraîne une méfiance à l’égard de “l’avant”, qui est le lieu de la mémoire réflechie. Il faut que la bouche du poème abandonne sa position faciale et descende dans le laboratoire corporel où la perception revient sur soi et se symbolise. Les poèmes que voici viennent de sous le visage, là où la circonstance amoureuse se métamorphose en signes dont chacun peut faire sa lecture.»

Extrait de la Préface de Le corps du sable, L’Amourier, 2006, pp. 7-9.





Sylvie Fabre G.

Une tâche terrestre, la poésie de Fabio Scotto




Le paradis est épars, je le sais
C’est la tache terrestre d’en reconnaître
Les fleurs disséminées dans l’herbe pauvre.
Yves Bonnefoy




Les Editions L’Amourier viennent de publier au printemps plusieurs poètes italiens dont Fabio Scotto, traducteur émérite, entre autres, de Y. Bonnefoy et de B. Noël. L’occasion nous est ainsi donnée de lire ou relire les poèmes de cet auteur écrits directement dans notre langue ou ceux, bien plus nombreux, traduits en français et parus depuis 1997 chez divers éditeurs ou dans des revues et de mieux découvrir son oeuvre de poète.
J’ai eu la chance d’ouvrir ses livres baignée dans la lumière méditerranéenne de l’été en Corse. La terrasse où je me tenais avait vue sur la mer et sur l’île de la Maddalena, un des lieux d’origine de Fabio Scotto. Tourner les pages, lire, lever les yeux vers la rive bleue en face où résonnait le poème, étaient un mouvement comme naturel, un signe adressé. Je vérifiais une fois encore le « hasard objectif » qui préside à la rencontre et « le non-couchant de la parole » poétique. La lecture devenait ce va-et-vient de l’intérieur vers l’extérieur, de l’instant vers l’espace, mêlant rêve et réalité à la manière du premier recueil médité Piume, Plumes, Federn.

Cette anthologie trilingue parue en 1997 aux Editions allemandes Verlag/Im Wald, Ed.En Forêt, s’ouvre sur Il grido viola, Le cri violet (Edizioni del Leone 1988), qui réunit une série de poèmes en vers libres comme autant de propositions de voyage. Fabio Scotto y fait circuler les souffles entre lieux géographiques, réels ou imaginaires, et lieux intimes, entre histoire et légende dont il ramène des figures. Celles de Nausicaa, Antigone ou Sapho entrent en miroir avec la femme « assise à côté de lui, jardin du Luxembourg, qui pense ses pensées, servante aux souliers encore propres, » ou celle de « l’attente dans l’escalier », ombre sœur d’une connue à Naxos et dont le poète confesse « Et plus je te cherche / plus tu t’éloignes. » L’aventure de la vie est d’abord quête de l’amour, affirmation du désir et du manque, « joie / mouillée de larmes sur l’oreiller. »
La poésie de Fabio Scotto dit l’approche, l’attente, la fuite et la disparition, elle chante le possible de la relation et du langage dans cette circonférence de l’impossible dont parlent tous les poèmes. Elégiaque et concrète, elle montre la femme, fille de la brise, et l’homme, nouvel Ulysse, en voyageur immobile : « Immobile sur mon lit / Et pourtant je tourne. » Leur dialogue, incertain toujours, douloureux souvent, se heurte à la conscience de l’altérité et à l’indicible « Vorrei parlarti / senza parlare. »
Fabio Scotto, comme Baudelaire, Rimbaud et tant d’autres avant lui, a le désir ardent de l’union et celui, non moins ardent, du départ mais vers quel horizon ? « Oui, j’aimerais te dire allons-y / je ne sais où peut-être dans la vie / si c’est encore ouvert. »
D’un poème à l’autre, l’auteur nous entraîne dans une traversée charnelle et mentale qui va de Naxos à l’Atlantide, de Bali à Lerici, et dans l’élan nous le suivons vers ces bouts du monde que sont Nankin ou Saint-Malo, et bien au-delà, jusqu’à la lune, défi « à l’être humain / de plus en plus étranger au monde. » Entre les îles, le ciel et tous les continents, entre Paris et Samarcande, il y a les choses connues, palpables ou impalpables, la lumière ligurienne de mai, le vent qu’ « impertinent/ il gifle », « grande fratello »l’arbre, la cigale lasse et les étoiles malignes, le désert, la fleur amarante, les plages et les monts, toute la beauté silencieuse des choses. Il y a aussi l’empreinte des animaux et des hommes, bateaux au port, cailloux dans les souliers, vols d’oiseaux, pieds nus des enfants, chiens qui aboient : « Pour un rien, je partirais / en restant », écrit le poète.
Car l’invitation au voyage est sans doute un leurre, celui-ci ne ramène jamais qu’à soi-même et « il vaut mieux laisser couler tout le fleuve allongé sur son lit », être ce « prince du cosmos dans un fauteuil. » Fabio Scotto a parfois des intonations baudelairiennes pour dire ces lointains paradis, ces mers avec leurs voiles perdues « in questo nulla », et le spleen de l’homme, sa « Noia ».
« Rien que des plumes », suggère-t-il, « sole piume » nos vies, corps et pensées, poussières au vent, mais plumes d’encre noire, traces que laissent les poètes car « seules les traces font rêver »...

Les autres parties du recueil, extraits de Il bosco di Velate( Edizioni del Leone,1991) Le bois de Velate, « La Palude », Le Marais, « Le Fornaci », La Tuilerie nous proposent des paysages familiers, des scènes de la vie quotidienne en Italie où le thème de la marche, « un pas après l’autre sur la route qui avance », nous amène peu à peu à celui de la mort. « Sur nos têtes l’orage menaçait »… « La Palude » raconte une promenade à plusieurs dans le marais. Scène d’enfance avec ses peurs et ses défis, ses promesses de gifles au retour à la maison. Rien ne manque à la nostalgie, ni l’image des écorchures aux genoux, ni celle de « l’escargot moche » dans la poche « per fare paura / alle bambine ». Fabio Scotto convertit le souvenir et sait évoquer les heureuses clartés sur le chemin de l’obscur, l’inquiétante étrangeté des éléments naturels qui contamine les relations humaines et les fait basculer dans la dispute. La mémoire s’est mise en marche avec les mots pour remonter le temps et évoquer en une sorte de journal intime, - songe toujours en vers et parfois délicatement ironique -, les premières expériences, les amours, roses et épines. S’y dessine le visage encore enfant de Josée, « la Giusi » de « Le Fornaci », « apeurée et timide» à qui l’on murmure dans le présent du passé « ti amo/ (forse) / ti amo », façon peut-être de conjurer le sort. Car l’avant-dernier poème dit la mort de la grand-mère en été, la maladie crue, la douleur de la perte, l’enfance innocente qui définitivement s’éloigne (« J’avais cinq ans / tu me regardais / jouer entre les ombres des jardins ) Maintenant il n’y a que des mains qui râlent… » La forme de distanciation adoptée, le désespoir sous-jacent tranchent avec le dernier vers – « La morte morirà ma tu rimani » - où les allitérations des « m » et des « r » scandent avec force le message d’un amour qui déborde la mort : « La mort mourra mais tu restes avec nous. »
Le recueil se clôt sur l’image clé de l’oiseau se brisant les ailes sur la vitre de la claire réalité et de la langue, métaphore du destin du poète.


Dans Le corps du sable, de 2006, les Editions L’Amourier ont réuni des extraits des recueils principaux de Fabio Scotto et nous donnent ainsi une vision assez globale de son œuvre et de l’évolution de sa poésie. On y discerne un héritage qui va de Pétrarque et Dante, peut-être pour le mélange des langues, à Montale, Caproni et Penna en passant par les poètes symbolistes français ou plus contemporains comme Eluard, Desnos et maintenant Bernard Noël.
La langue de Fabio Scotto, toujours versifiée, est un mélange de simplicité, d’énergie, de réalité concrète et émotionnelle, de lyrisme souvent élégiaque. Elle possède une force sonore et charnelle qui en fait aussi une poésie de l’oralité. L’écriture du recueil montre les thèmes récurrents de l’ensemble de l’œuvre : l’expérience amoureuse, les limites du langage et de l’être, le vécu et le rêvé, le rapport à l’altérité, au paysage et plus rarement à l’histoire. Elle dévoile le monde, l’être et la vie dans leur saisi et leur in-saisi.

La première partie de cette anthologie est un extrait, traduit par Claude Held, de La dolce ferita , La douce blessure, paru chez Caramanica Editore en 1999. Le premier poème décrit une scène de vie dans une gare. Sorte d’élégie moderne qui met en scène une jeune fille croisée au cours d’un voyage en train, inconnue qu’observe et désire le poète dont le regard n’est pas sans rappeler le regard baudelairien sur « La Passante » qu’on aurait pu aimer. Mais l’amour, dit le poème suivant, « Via Lugano », est « une chanson pour personne », sorte de profession de foi que déclinent, sous diverses formes tout au long du recueil, les thèmes de la rencontre impossible et de l’incommunicabilité. Malgré « la voix au cœur de miel », le corps de l’amour ( et de la langue ) reste, comme le rappelle le titre, « corps du sable ».

Les poèmes, plus nombreux, extraits de Genetliaco, Anniversaire, sont ici traduits par Claude Held, Bernard Simeone et Jean- Baptiste Para. Fabio Scotto y élit les métaphores des ailes, du vent et de la cendre, abeilles, fumées et « Fleurs séchées » pour explorer la part du désir et du rêve et essayer d’affirmer, malgré le doute et l’absence, la présence, si menacée : « Nous sommes là / oui / nous sommes là »... La possibilité d’un bonheur est toujours questionnée : « Sei felice ? »
L’édition italienne parue en 2000 chez Passigli Editori dans la collection Poesia nous montre combien le poète pratique une forme de bilinguisme et de double culture. Professeur, grand lecteur et traducteur, il connaît très bien la poésie française classique et contemporaine et possède parfaitement notre langue. Comme dans ses autres livres, on retrouve, en exergue des parties ou même dans le corps des textes, de nombreuses citations de poètes français. Une section du recueil « Miroir du soir » fait alterner, en une osmose surprenante, les strophes écrites directement en français et celles écrites en italien dans un poème bilingue unique. Les sonorités sombres, « parole da labbra aride…La gorge me fait froid », la beauté violente, romantique des images mettent en scène les tourments vespéraux, - feu et eau, nuit et sang - , de « ce métier de l’âme » qu’est la poésie.

De L’intoccabile, L’intouchable, publié en 2004 toujours chez Passigli Editori, les éditions de L’Amourier ont retenu le long poème « Segovia », traduit par Patrick Vighetti où l’on retrouve l’acuité du poète dans la perception des choses, l’économie et la précision du langage : « Plaza Mayor / Nous buvons une Horchata / assis au Negresco / tandis que les enfants jouent / sur le kiosque à musique/ Rien »…Immédiate, la rupture introduit une autre dimension, plus méditative, et la difficulté du dire. Oui, le réel est là, dit Fabio Scotto, mais l’être est toujours au-delà. La blessure est ontologique et, malgré le rapprochement des corps, « le dire des doigts », le sang, la voix et le cœur se perdent, l’autre demeure « l’intouchable » comme la vie. Rien n’est assuré : « J’ai tout de toi / et tout me manque», constate le poète.
Dans le même recueil, Jean-Baptiste Para a choisi de traduire « Dans le piège des ronces », poème du désenchantement en onze parties, qui conte une expérience initiatique d’égarement en forêt, « Nell’insidia dei rovi ». L’on y retrouve encore des accents baudelairiens pour évoquer la femme aux yeux glauques d’aube, « aux flancs d’amazone, à la voix enfantine » dans l’amour, dont « la peau sombre » recèle et garde le mystère de la nuit et son propre secret. « Le mal te ressemble / Tu me laisses à côté », écrit Fabio Scotto, l’amour est « paix renoncée » ; nul ne peut guérir l’homme de « la condamnation de la parole » ni de la solitude.
L’édition italienne, avec une préface de Tiziano Rossi, contient aussi un long poème écrit en français, « Voix de la vue », publié d’abord aux éditions Hôtel continental en 2002. Il dit « les ailes du désir », l’inapaisable soif de vivre. L’amante y est cette fois femme-enfant qui « joue / Elle est la joie ». Fabio Scotto chante la jubilation des corps et le sexe « comme un couteau » qui signe la séparation. L’infini rêve d’aimer, seul le sauve un instant, petite éternité, le geste d’écrire.



La lecture de ces recueils presque achevée, toujours dans son écho et dans le jeu de miroir de ses deux langues, et avant de continuer l’avancée dans l’œuvre doublement lumineuse du poète, je dirai quelques mots encore sur deux inédits de Segreta bocca, Bouche secrète, traduits par Bernard Noël et que L’Amourier Editions nous propose. Il y est question de la bouche qui seule peut ouvrir le temps et raviver l’instinct du ciel en nous : « e grido tutto il cielo / in un singulto. » Pour Fabio Scotto. L’écriture semble bien la tentative d’articuler le cri dont parle aussi J.-M. Maulpoix et tant d’autres poètes lyriques, ce cri qui monte de la soif du corps et de la langue.
Pour conclure, ce qui me semble en jeu dans cette écriture est la recherche d’ « une présence », comme dirait Y. Bonnefoy, formulée au plus près des choses, des circonstances et de l’amour, au plus vif de notre appartenance terrestre et céleste. Celle-ci n’enlève pas la tension de la vie, son vertige, mais y répond par l’injonction du langage qui s’efforce de trouver son absolu. La poésie de Fabio Scotto est « une morale de la parole », a noté B. Noël, une poésie du sens, adressée, qui dit l’aventure d’être.






Hélène Cazes

Fabio Scotto, Le Corps du sable, L'Amourier, 2006.


Composé d'extraits de La Douce Blessure, d'Anniversaire, de l'Intouchable, et du recueil Bouche Secrète, le beau volume donné par L'Amourier est une infinie conversation avec l'aimée. Le lecteur y est invité et y restera pris au souvenir d'une image, d'un drapé, d'un tableau qui n'a pas été peint.
Le Corps du Sable de Fabio Scotto se lit et se relit comme une poignée de sable fin, chaud, que l'on laisse glisser entre ses doigts. Il en reste, longtemps après, l'insaisissable impression d'une caresse invisible, que l'on perdrait à vouloir refermer la main. On reste, immobile, dans la demi-lumière du recueil, avec le sentiment de revenir d'un voyage et de reconstruire ses habitudes. Oui, le retour d'un univers poétique. C'est peut-être aussi la confusion des temps qui me désoriente au sortir des poèmes car je sais que le présent est enfoui dans les couches du passé, déjà, Et je sais que les anniversaires sont des horoscopes, que le début contient la fin. Et je sais que les mots d'amour contiennent la promesse de l'absence. Souvenirs sans regrets et rêves sans réveil sont les grains du sable qui coule entre ces lignes. Un curieux plaisir que celui de cette chaleur que je sais perdue, d'avance. Certains poèmes viennent du recueil La douce blessure et c'est exactement là, le sable qui brûle un peu, juste assez pour faire mal mais assez doucement pour que je reste immobile, à savourer la douleur.
J'ai nourri mon amour de jeûne
la voix au cœur de miel
dans le corps du sable (…)

Le miel, le sable, les insectes volants, grillons, abeilles, phalènes, les cigognes, la fumée, la lumière qui change, les poèmes de Scotto glissent entre les instants, en équilibre instable entre les temps et les personnes. Je les écoute comme on épie deux amoureux à la table voisine d'un café ou de l'autre côté d'un arbre. La voix d'un homme, qui parle d'amour à une femme. Qui parlait d'amour à une femme. Ils n'ont pas de visage, l'un et l'autre. Ils ont des répliques : « Dimanche on se voit? », ils ont des vêtements, un loden, une jupe et une histoire qu'ils ne racontent pas. Ou plutôt, elle a des vêtements, des gestes, un corps. Lui n'est que voix. Elle est plus absente que lui, bien sûr. J'écoute ses mots à lui et je les garde, car les personnes tournent dans le petit matin du recueil et le lecteur se trouve à la place du tu. Et, à écouter mieux, la voix du poète est elle-même l'unisson de plusieurs timbres : le recueil tisse les traductions de Claude Held, Bernard Noël, Jean-Baptiste Para, Bernard Simeone et Patrick Vighetti, qui savent trouver les mots en regard des originaux italiens. Et le dialogue des langues strie le volume, comme les rais que laissent passer des persiennes.

L'amour est une chanson pour personne
C'est mon droit d'espionne, ou de lectrice : tous les mots d'amour me reviennent. D'ailleurs, au moment où ils sont dits, furent dits, s'adressent-ils même alors à la personne que l'on voit? A celle que tu crois aimer? Les fantômes d'amours fanées se glissent dans les pronoms personnels, comme les fleurs séchées — autre titre d'un autre recueil de Scotto —, restent entre les pages d'un livre de poésie. Les autres sont là, je suis là dans tous les "tu" de ces déclarations. Je suis là dans les souvenirs et les rêves du poète. Et je le quitte.
Le corps du sable, qui s'est enfui, est encore palpitant. Il est sculpté par les images, les promesses qui lui donnent forme. Orphée qui promet de « mourir deux fois » si elle lui donne un nom, peintre en quête d'un « visage inconnu », arpenteur des cités et de leurs grandes places, Scotto assemble le tableau fragmentaire de bouches, doigts, langues et ventres ; le corps du sable a la couleur de la peau de cette femme. Sable des machines à tromper le temps et corps d'imprimerie pour saisir l'insaisissable.


Yves Bonnefoy

« (…) La poésie doit résolument devenir pleine conscience de soi, ce qu’avait longtemps tenté d’empêcher la rhétorique. Et Fabio Scotto n’a pas manqué à ce devoir de l’”absolument moderne”. Il est un de ces vigilants grâce auxquels la poésie italienne perçoit clairement de nouvelles voies. (…) »

Préface de Sur cette rive, L’Amourier, 2011.





Dimanche 27 Février 2011
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Effraction/ diffraction/
mouvement,
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dans la Cité,
mars 2018.

Pour avoir vu un soir
la beauté passer

Anthologie du Printemps
des poètes,
Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







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22/11/2010