| LES AVENTURIERS DE L'ŒUVRE PHOTOGRAPHIQUE

Trois protagonistes pour une aventure parmi les chefs d'œuvre de la photographie du XIXe et des prémices du XXe siècle. Trois protagonistes unis par une passion pour l'œuvre photographique. Voyages en Photographie ne pouvait trouver meilleur intitulé. Les tirages exécutés dans les règles de l'art, nous transportent dans les paysages fantastiques, insolites, pittoresques, capturés tout autour du monde, en des lieux et des époques que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître. Certains disparus, d'autres désormais encombrés d'urbanisme. Un relief et une force de caractère qui captive. Un voyage dans les tropismes d'une autre époque, là où les lieux et les portraits ethnographiques se livrent dans toutes leurs particularités.

Lorsque qu'un collectionneur réputé, par ailleurs expert en photographie ancienne auprès de Tajan, rencontre deux passionnés, l'union se scelle dans la création d'une entreprise atypique qui extrait l'art photographique de l'appréciation feutrée des initiés et de la préservation de l'ombre, pour le donner à voir sans craindre l'affadissement et la disparition. "Au fil de trente ans de passion, Serge Kakou a réuni l'une des plus importante collection privée de photographies anciennes d'Europe. Une collection essentiellement portée sur le voyage, l'exotisme et la curiosité" évoque Alban Gonord. La collection vit mais insuffisamment. Expositions dans des galeries, prêts à des musées, dont Orsay… Toutes ces parenthèses n'offrent qu'une vue partielle, une échappée temporaire. Une démonstration convenue qui laisse Serge Kakou insatisfait. Il est bientôt gagné par une envie de démesure qui vibre du plaisir de partager sa formidable collection avec le plus grand nombre, mais dans le respect de l'œuvre originale.
| Ci-dessus, Bas-relief at Karnak, photographe inconnu, 1900. | 1. Climbing the Grand Pyramid, Félix Bonfils, 1880.

La collection est riche, rare, précieuse et fragile… Elle révèle les mondes d'ailleurs à la lumière d'une photographie naissante et le voyage prend sa source aux années 1835-1840. Un objet photographique, négatif ou positif, témoin d'un passé oublié et disparu. Reste à lui tracer un chemin vers les temps nouveaux. Le dessein de Serge Kakou se matérialise avec Chris Knotz qui, passionné de photographie, donne une réalité à cette entreprise extraordinaire. Enfin, Alban Gonord rejoint l'aventure et complète le triptyque.

Voyages en Photographie est bâti sur l'idée de réaliser des tirages d'après les négatifs et les positifs de la collection, complétés à la faveur de rencontres nouvelles avec des collectionneurs privés, des musées ou au sein d'archives de photographie. Les tirages sont effectués dans le plus pur respect des méthodes originales afin d'offrir une restitution fidèle de l'œuvre, jusque dans les nuances de chaque épreuve (plaques de verre, papier salé, albuminé, argentique, etc.). Et de retrouver le halo noir caractéristique des épreuves albuminées, leur subtile teinte jaune ou le bleu-violet des épreuves argentiques. "Nous avons dû trouver le procédé adéquat qui nous permettrait de traduire l'œuvre originale avec fidélité. En l'occurrence, le procédé Giclée reste inégalé" précise Alban Gonord. Selon la latitude laissée par l'original, les agrandissements varient du format 24x32 cm au format 90x120 cm. La rigueur appliquée aux tirages, réalisés selon les normes de conservation muséographique, se poursuit dans la sélection du papier et du passe-partout (sans acide, avec réserve alcaline) pour assurer la bonne tenue de l'image sur près d'un siècle.

L'aventure est de chaque photographie. Elles sont une fenêtre ouverte sur le passé. "Nous sommes attentifs à la qualité et aux teintes de l'époque, mais aussi aux sujets. C'est une aventure à part entière de découvrir l'histoire de chaque photographie, d'identifier l'époque, le lieu, la culture qu'elle représente, mais aussi parfois les détails ou les secrets qu'elle recèle et qui nous échappent au premier regard. C'est par exemple la silhouette du photographe Kusakabe Kimbei prise dans le reflet d'une vitre (Japanese Bath - 1880). Certaines photographies conservent leur part de mystère. Il arrive qu'elles nous laissent à nos hypothèses. Nous ne saurons peut être jamais le jeu auquel se livraient les photographes lorsque le nom de Zangaki, écrit sur la pierre d'une pyramide, apparaît sur la photographie de Félix Bonfils (Climbing the Grand Pyramid - 1880). Nous partons à la rencontre de la photographie, pour la comprendre, découvrir le sujet, la tribu, le lieu, la représentation, le contexte du moment, avec parfois des photographies qui bravent l'interdit ou montrent une grande créativité dans la mise en scène" développe Alban Gonord.
| 2. Japanese Body Art, Back, Kusakabe Kimbei, 1880.

Des insolences, comme ces images d'hommes tatoués prohibées par le Japon de l'époque, attaché à montrer une civilisation étrangère à consonance tribale de ces corps illustrés (Japanese Body Art, Back - Kusakabe Kimbei, 1880). Les photographies du Japon offrent un visage très particulier. Au delà de la grâce des femmes qu'elles représentent ou de l'interdit des hommes tatoués qu'elles dépassent, elles montrent une recherche dans la mise en scène et la créativité du photographe. Les épreuves sont confiées aux soins d'aquarellistes pour la mise en couleur. Quand à la jeune femme sous la pluie (Caught in a Rainstorm - Kusakabe Kimbei, 1880) elle laisse deviner le recours à quelques artifices… "La jeune femme se prête à la pause, mais la pluie est créée par de fines rayures opérées sur le négatif. Quant au vent, il est suggéré par le mouvement du costume… retenu par des fils" souligne Alban Gonord.

Il y a ces portraits de femmes du monde, indienne de Manille (Tagale Indian from Manila - 1880) ou noblesse Tutsi (Noble Woman - 1910), aux visages desquelles il est si difficile de détacher notre regard ; ce chef guerrier Fidjien (Warrior - G.W. Waters, 1890) dont la beauté absolue rompt avec ses pratiques cannibales… Il y a aussi le plaisir de découvrir des paysages à jamais disparus comme ce temple englouti sous les eaux du Nil (Philae Temple - Francis Frith, 1857), cette Egypte agricole incarnée par un enfant juché sur un buffle (Child and Buffalo - Otto Schoeff, 1876) ou cette perspective dégagée sur les pyramides du Caire aujourd'hui dévorée par l'urbanisme (Traveling to the Pyramids - Firm Bonfils 1890). Lucien Gauthier nous transporte sur les plages du Tahiti tel que Paul Gauguin l'a fréquenté (Mount Trouée - 1910) tandis que Emile Gsell nous offre le temple d'Angkor tout entier, sans rien y dérober (Bayon Temple in Angkor - 1873).

L'aventure est parfois proche, industrielle, avec un portrait ferroviaire en gare de Londres (Euston Station, London - James Valentine & Son, 1895) ou la chevauchée épique du cheval vapeur à la conquête des territoires américains (Train in the White Mountains - 1895). Il y a aussi la curiosité de cette nature disparue avec l'imposante stature des cactus géants du Mexique, immortalisée par Léon Diguet (Cordon Cactus - 1895) ou cet exercice chronologique appliqué aux natures mortes qui se compose en diptyque… "Le hasard de la découverte ! Ces deux photographies dressent un tableau d'abondance sur deux temporalités : avant et après les agapes. Ces deux vues ont rejoint séparément la collection… Réunir le diptyque de G.R. Lambert sans avoir connaissance du jeu chronologique a été une formidable découverte" explique Alban Gonord. Le premier tableau montre une table garnie des fruits exotiques de la péninsule malaisienne : noix de coco, bananes, papayes, corossols, petites baies, goyaves, durians, ramboutans, ananas, mangoustes… Pleins et intacts ils entourent une bouteille de champagne encore scellée par son bouchon. La seconde nature morte, s'ouvre sur un festin consommé et la bouteille gît parmi les reliefs du banquet (Still Life I, Before et Still Life II, After - G.R. Lambert, 1880).
| 3. Warrior - G.W. Waters - 1890

Dans l'univers des chefs d'œuvre de la photographie, il surgit des spectacles insolites pour l'œil averti. Des épreuves où les teintes subtiles laissent place à un bleu franc qui dévoile les bas-reliefs de Karnak sous un jour nouveau (Bas-relief at Karnak - 1900). Une autre esthétique de la photographie ancienne, apportée par le bleu des cyanotypes. "Autrefois ce procédé photographique était moins onéreux. Mais aujourd'hui les épreuves prennent une dimension très moderne" dévoile Alban Gonord.

Riche de vingt mille originaux, la collection de Voyages en Photographie continue de s'agrandir à la faveur des rencontres, dans une recherche épicurienne. Aujourd'hui, elle se destine aux professionnels, décorateurs, architectes et enseignes de décorations. Mais nos aventuriers ne s'interdisent aucun voyage et l'avenir les portera peut être sur les rives du grand public et pourquoi pas vers d'autres supports pour donner à vivre l'œuvre photographique autrement. Leur passion leur inspire de ménager leur monture et de ne pas s'égarer à tous les horizons.
"Il est encore des épreuves qui ne sont pas éligibles au tirage, des chimies que nous n'arrivons pas à saisir… et il n'est pas question de trahir l'œuvre originale par une approximation, l'art est à ce prix". Parce que l'art est un plaisir qui se goûte au quotidien, Serge Kakou, Chris Knotz et Alban Gonord nous donnent l'art à vivre au grand jour, loin de l'ombre des salles fortes, sans craindre l'usure de la lumière… pour chaque jour voyager un peu, là ou le temps ne nous permet plus d'aller.
| 4. Train in the White Mountains, photographe anonyme, 1895

Voyages en Photographie - www.voyagesenphotographie.com

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