Rencontres

JÉRÔME REVON,
EN COMPOSITIONS PHOTOGRAPHIQUES

Par Barbara Poirette

Exposition jusqu'au 7 avril. Jérôme Revon ou l’art d’un autre regard porté sur l’urbain, l’art exercé d’un œil animé qui au fractionnement semble exprimer le mouvement autant que le sujet. Bien qu’arrêtée, l’image n’est pas figée. Instrument et expression, il fait de la photographie une variation sur laquelle il compose sa partition. Rencontre ici, mais plus encore avec l’exposition Splits.



JÉRÔME REVON, <br>EN COMPOSITIONS PHOTOGRAPHIQUES
Réalisateur et producteur pour la télévision, Jérôme Revon s’aventure dans l’arrêt sur image. Il chasse, musarde, découvre, capte, accumule comme on collectionne… Il provoque la rencontre, décompose pour mieux composer. Une nouvelle impulsion nait de ses rapprochements et des unions photographiques qu’il scelle. Celui qui faillit arrêter l’école à 15 ans pour se consacrer à la photo, renoue avec sa tentation adolescente. « J’ai heureusement croisé le chemin d’une directrice formidable qui m’a laisser une semaine de réflexion pour déterminer si j’allais jusqu’au bac ou si je prenais la clé des champs photographiques », c’est finalement la direction du bac que prendra Jérôme Revon.

JÉRÔME REVON, <br>EN COMPOSITIONS PHOTOGRAPHIQUES
Un regard, une perception de l’espace, Jérôme Revon se réapproprie les codes de la ville. New York se laisse caresser par la lumière en vue aérienne et rompre par le parcours de ses yellow cabs. Helico/NYC, ci-dessus. La très inspirante création de Julian Schnabel au cœur du Village… Un nuage de Venise dans le fracas new-yorkais. Palazzo Chupi/NYC, ci-contre.
Date des expositions à la fin de l’article.


Très vite, il démarre en télé avec Stellio Lorenzi sur Antenne 2. De stagiaire, il devient deuxième puis premier assistant sur Stade 2. Il passe sur Canal+ où Charles Biétry le fait passer réalisateur, à 22 ans. Au palmarès de ses réalisations les émissions s’enchainent : Frou Frou, Union libre, Coucou c’est nous, 7 sur 7, Envoyé Spécial, Fort Boyard… quelques gros directs d’émissions politiques avec notamment le débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2007, mais aussi quelques grands rendez-vous culturels et sportifs avec les J.O. de Barcelone et d’Atlanta, les Victoires de la Musique, la cérémonie des Césars, celle des Molières, le Sidaction… En 1997, Jérôme Revon ajoute la production à la réalisation et s’associe à Stéphane Gateau, venu de Nulle Part Ailleurs, pour fonder R&G Production.

ÉTAT DE PERSISTANCE

Jérôme Revon conserve toutefois de la photographie un manque persistant… D’autant que les directs de la télévision ne s’arrêtent jamais, comme condamnés à passer. Il y a un an, sa curiosité éveillée par les techniques nouvelles, ravive son intérêt pour la photographie. Il prospecte, coure les laboratoires, visite les ateliers… Déjà à 15 ans, l’image chevillée à son code génétique, il photographie, développe et découpe ses photos en bandes. De sa créativité adolescence exprimée sur papier Ilford, il conservera le goût du fractionnement de l’image. À la découverte des nouvelles techniques, ses aspirations photographiques font à nouveau valoir leur voie. L’idée prend forme. Vite. Jérôme Revon s’engouffre. Le soir, après ses journées de captations télévisuelles, il passe dans cette autre dimension, faussement statique de l’image. De ses tirages, il élabore des maquettes, découpe, segmente et ce n’est que satisfait de l’ébauche qu’il se rend au laboratoire où les tirages trouvent leur pleine dimension. Une ultime confirmation pour qu’à l’atelier l’œuvre finale prenne corps.

JÉRÔME REVON, <br>EN COMPOSITIONS PHOTOGRAPHIQUES

JÉRÔME REVON, <br>EN COMPOSITIONS PHOTOGRAPHIQUES
Les colonnes de la Place Saint-Marc, à l’origine cette photo comprend quatre autres vues des colonnes de la place et se lisent fidèlement en reprenant les angles de la pièces dans laquelle dans laquelle elles sont exposées. San Marco/Venise, ci-dessus. Gros plan sur des mosaïques de Gaudi, Jérôme Revon salue le choc visuel des couleurs de l’artiste catalan, « un modeste hommage à la pure beauté de ses créations ». Série Guëll/Barcelone, ci-contre.

L’art se fait composé. La photo immortalise l’instant, le prélève au temps qui passe. Mais plus encore que l’image, Jérôme Revon cherche la rencontre, celle de deux bâtiments, celle d’un regard à double focale porté sur la ville, celle de deux édifices incontournables ou de deux urbanités universelles. Il cherche, expérimente les collisions jusqu’à toucher l’accord parfait. Deux façades se répondent d’une époque à une autre, une vue aérienne de New York tranche avec la circulation des légendaires Yellow cabs, comme la prestance de l’Opéra Garnier contraste avec l’agitation de la nuit parisienne. Il exalte la Place Saint-Marc en noir et blanc ou plonge dans l’abstraction offerte par les mosaïques de Gaudi à Barcelone. Deux photos créent à la rencontre de leurs fractionnements un nouveau propos, né de leur complémentarité ou de leur opposition. « La rencontre est frappante ! J’irai jusqu’à dire que les photos décident. La plupart des rapprochements ne fonctionnent pas jusqu’à ce que deux photos forment une parfaite alchimie visuelle ». Pas d’effet autre que la capacité du photographe à saisir l’instant, le reflet, la tonalité.

ENTRE DEUX PAQUETAGES

À peine revenu de Pékin que déjà il repart pour New York. Du soleil levant à la ville qui ne dort jamais, cet hyperactif vit en chasse de huit heures à minuit, parce que les villes lui paraissent plus belles encore vêtues de leurs lumières nocturnes. De retour de ses périples, c’est dans l’enfermement de son atelier qu’il est le premier spectateur de ses expéditions photographiques. Un florilège de ses œuvres à peine décroché du restaurant Quai Ouest sur les bords de Seine que déjà il forme l’exposition Splits, passage Choiseul dans le deuxième arrondissement parisien, avec en tête sa prochaine exposition par laquelle il unira Paris et New York. Une exposition déjà programmée durant un mois, pendant la manifestation Art Saint Germain, entre les murs de la Galerie Images de Fer, rue de Seine à Paris. Paris… Jérôme Revon aime Paris autant qu’il peine à la photographier. L’état de résident, entrave la portée de l’œil, il est peut être plus dur de se laisser surprendre par le quotidien. « En photographie, il y a deux Paris. Celle en noir et blanc, et Paris en couleur qui glisse très vite dans la carte postale ou dans le vieillot ».

JÉRÔME REVON, <br>EN COMPOSITIONS PHOTOGRAPHIQUES
Sous le haut patronage de l’Opéra Garnier à la majesté enveloppée de lumière, se livre le ballet incessant des lumières de la vie parisienne, en mouvement saccadé, atteint de friction. Light Opéra/Paris, ci-dessus.

Jérôme Revon se livre à une collecte pour laquelle il se perd et se laisse séduire, seuls son œil aiguisé et sa traque de l’instant le différentient du flâneur. Il photographie ce qu’il aime, accumule, collectionne, réserve sans réserve jusqu’à la rencontre. Un parti pris dont sont exclus ou presque les personnages. Un autre parti pris, lui fait préférer les grands formats qui révèlent toute la force de l’image. New York, Londres, Venise, Florence, Barcelone, Pékin, Paris… autant de grandes capitales dont l’architecture et les paysages urbains ont inspiré Jérôme Revon et dont il a fait son premier sujet. Moscou, Dubaï, Tokyo… autant de citées dont il aspire à saisir les splendeurs. Mais il voit déjà au delà des murs d’autres sujets possibles. « La composition photographique, la rencontre, sont une forme d’expression déclinable à une infinité de sujets. J’aimerai explorer les visages, les corps, les soumettre à cette fragmentation et au rapprochement. Mais l’urbain le premier m’a stimulé. Cet univers m’agresse et me fascine à la fois. Une part de lui m’est imposée et me dérange. De là certainement me vient l’envie de convertir ce malaise en séduction ». C’est peut être aussi par la lumière et sa capacité à révéler l’espace que Jérôme Revon se laisse guider. La lumière du jour, celle furtive qui sublime l’instant et que seul l’œil avisé sait capturer, mais aussi celle artificielle qui baigne à sa clarté et à sa couleur variables les rues de nos villes. Une lumière dans laquelle le photographe voit une matière. Lumière fugace des feux d’automobiles dont la pellicule fut-elle numérique, conserve la trace. Celle de Paris dont l’éclairage très jaune lui évoque les lampes au tungstène « Paris est très peu éclairée, contrairement à New York ou aux autres capitales, elle semble être restée au XVIIIe siècle ».

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Le mur d’enceinte du 798, une ancienne usine de radio réaffectée en centre d’art contemporain, est le seul espace d’expression toléré à Pékin pour les graffeurs. Superman 798/Pékin, ci-contre.

Il fonctionne à l’instinct, par goût, loin des académismes de la photographie. La photo l’intéresse autant par sa netteté que dans ses flous. « Je me considère plus compositeur que photographe. La photographie est comme un prolongement naturel de mon métier de réalisateur, les instruments sont les mêmes ». Il vit la photographie comme une parenthèse régénératrice, un retour aux origines de l’image. La parenté entre ses activités professionnelle et artistique se fait discrète, même s’il est possible de lire dans l’alternance de ces fragmentations une évocation de l’animation décomposée. Là encore, l’interprétation, subjective, appartient à celui qui reçoit l’œuvre. Fixés dans la translucidité cristalline du Diasec, les tirages sont révélés sur un papier métal peu employé par les photographes et dont les propriétés accentuent les brillances. Une brillance encore enrichie par le Diasec qui au goût de Jérôme Revon, sublime l’image, la désencombre du cadre et offre un accrochage plus élégant.

De l’œuvre à la commande, il n’y a qu’un pas, plusieurs fois franchis. « Les commandes amènent une autre approche : celle qui impose de voir par l’idée que se fait l’autre du sujet ». Certaines ont d’ailleurs rejoints les collections comme Vendôme Rouge/Paris, tandis que l’une de ses compositions photographiques accueille les visiteurs du Musée Magritte à Bruxelles. Plus que la côte, se sont les coûts de fabrication qui conditionnent le prix des œuvres dont le tirage se limite à huit ou douze exemplaires, numérotés et signés. Des tirages qui devraient pour les prochaines collections se limiter à huit exemplaires, comme à l’origine de la photographie, lorsque les photographes brulaient les négatifs après le huitième tirage.
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Aujourd’hui le plus grand étonnement de Jérôme Revon vient de la manière dont sont perçues ses œuvres ; les préférences, les goûts et les couleurs, différents exprimés selon les publics et les sensibilités. La grande différence entre son métier et son art, réside peut être en ce que Jérôme Revon se trouve du même coté de l’image que ceux qui le regardent et l’apprécient ; lui laissant le loisir de recevoir sans intermédiaire le ressenti, l’émotion procurée…

Exposition Splits, jusqu’au 7 avril 2010
12/18 passage Choiseul 75002 Paris

Galerie Images de Fer, du 27 mai au 30 juin 2010
13 rue de Seine 75006 Paris

Plus d'informations
Jérôme Revon - www.jeromerevon.com

23 Mars 2010