| ENTRE PATINE ET BARBOUILLE
17/01/2007
Drame de la banalisation, revers d'une démocratisation de la forme qui néglige le fond, contamination massive de tics verbaux, appropriation de phrases toutes faîtes "qui confère à la description son caractère vendeur"… au royaume des vessies chacun se prend pour une lanterne ! N'importe qui sachant tenir un pot de peinture et un pinceau s'imagine faire naître la patine, là où il applique une couleur. Et nous voici à rêver d'art margeur devant un poster qui se prend pour un Cézanne.
Il n'y a pas la patine du riche et celle du pauvre ; la patine des villes et la patine des champs, mais des finalités différentes et la maîtrise ou non des savoirs-faire. Il s'agit de ne pas placer la prétention au-delà de la compétence. Le terme de patine est régulièrement employé à raison parfois, à tord trop souvent. Au mieux, elle qualifie des meubles peints, parfois vieillis avec plus ou moins de réussite ; au pire elle désigne des meubles crasseux à l'excès ou tombés en décrépitude. En somme, il est plus vendeur de qualifier de patine le tissus d'une bergère usé jusqu'à la trame ou de moucheter d'une peinture vert de gris, une armoire d'herboriste pour donner l'illusion grossière du temps passé.
L'AME DE L'OBJET, DU MEUBLE
La vraie patine se gagne avec le temps, au rythme de l'usage. Un bord qui s'émousse sous la caresse répétée d'une main. Une peinture usée ici et là, avec la douceur d'un geste maintes fois répété ou la rudesses des accidents de la vie… donne à deviner le chemin de vie du meuble. "Il suffit d'observer la patine d’un cadre ancien et son vieux miroir piqué au mercure ou à l’argent… pour distinguer le sourire de cette femme, penchée sur son reflet 300 ans plus tôt. La chandelle qu’elle tenait a laissé tomber quelques gouttes de cire, qui se devinent encore du bout des doigts… A prêter l'oreille, on entend les papotages des soubrettes qui 10 fois, 100 fois, ont caressé de leur plumeau les bords du cadre. Ce cadre qui a du se couvrir en partie de noir à la mort de Louis XVI. C'est aussi cette goutte qui dégouline encore au séchage du XVIIe siècle… Noircie par le temps, poussiéreuse, elle pourrait raconter la hâte d'un artisan, qui redressa trop vite le cadre. Le regard glisse aujourd’hui sur les usures, les transparences de l’assiette*, sous jacente à la feuille d’or" évoque Manuela Paul-Cavallier qui a bien voulu remonter le temps pour nous parler de la patine à travers son ancienne expérience de restauratrice.
HISTORICITE DU GESTE
Evidente, discrète, omniprésente… la patine ne fait pas le meuble, mais elle lui procure cette poésie, cette identité particulière. Elle est un livre ouvert sur le meuble et son histoire. Mais l'homme peut se substituer au temps et faire naître la patine. "C’est un peu le Graal pour un restaurateur. Elle n’est qu’une infime partie du métier, mais certainement l'une des plus cruciales. Elle ne fait pas tout, loin de là ! C'est elle qui donnera le coup de géni. Elle rendra l’intervention homogène, même imperceptible si elle est réussie. Mais elle n'a pas le pouvoir de sauver de la catastrophe une restauration mal commencée". La patine divise les professionnels. Pour les musées, les restaurations et patines doivent être clairement visibles, pour témoigner des interventions. Les antiquaires quant à eux penchent pour des patines irréprochables, imperceptibles à l'œil non averti. Il arrive même parfois que les experts s'y laissent tromper.
Ne pas négliger l'observation. Créer une patine, un effet d'usure impose de savoir où se pose l'érosion naturelle du temps ; connaître la matière, sa tendresse ou au contraire sa dureté… Les angles sont les premiers à s'adoucir. Mais pas n'importe comment, ni n'importe ou… Il faut avoir observé avec humilité l'œuvre du temps pour que la patine née de la main de l'homme semble naturelle. Une usure incohérente serait comme un trompe l'œil dont la lumière ne serait pas homogène, elle garde ce détail qui accroche l'œil, ce quelque chose qui sonne faux.
* Assiette n.f. Produit naturel préparatoire à la pose de la feuille d'or, d'argent ou de laiton sur bois. (…) Préparation à base d'argile extrêmement fine (…) Selon l'argile employée, on parle d'"assiette rouge", ou "assiette jaune" (…).
Extrait du Dictionnaire des Mobiliers & des Objets d'art du Moyen Age au XXIe siècle - Aurélia et Anne Lovreglio - aux éditions Le Robert.
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