| L'ARTISANAT PORTEUR D'ENCHANTEMENT
23/04/2008
A l'occasion du Masterwork, les Ateliers d'Art de France nous offrent de voir l'artisanat autrement. Menée conjointement avec le World Crafts Consil Europe, cette opération a su montrer les nombreux visages mais aussi la modernité d'un artisanat très éloigné de l'image surannée entretenue par notre mémoire. Si le tour de main hérité est transmis et entretenu à travers le temps, il a également su découvrir de nouveaux chemins d'expression. A s'interroger sur l'avenir des artisans, c'est à notre consommation que nous renvoie aussi la réflexion. Et si l'artisanat était le dernier refuge de l'enchantement ?
Ateliers d'Art de France réunit un ensemble de savoir-faire inestimables et uniques, précieux pour la société mais fragiles aussi. La chambre syndicale fondée en 1868, fédère plus de mille trois cents professionnels artisans, artistes, manufactures d'art dont elle assure la promotion des savoir-faire, des valeurs d'excellence et d'authenticité dont ils sont porteurs. L'exposition Masterwork compte parmi ces actions de valorisation destinées à faire connaître les talents dans toute leur diversité de la préservation du patrimoine à la création contemporaine. Une diversité particulièrement bien démontrée par la forme et les talents présentés. Des noms peu connus du grand public tel l'Irlandais Liam Flynn avec son vase en bois tourné et creusé ou Thierry Depauw et son fauteuil Dalia en acier patiné aux acides… côtoyaient sous les voutes du Viaduc des Arts les luminaires des Fourmis Bleues, d'Ombre Portée ou encore les méduses de Géraldine Gonzalez auxquels s'ajoutaient des noms plus connus du grand public tels que Leblon Delienne, Bleu Nature ou plus patrimoniaux avec l'Orfèvrerie d'Anjou. Deux cents objets de créateurs européens et français étaient réunis au Viaduc des Arts avec en conclusion la vente aux enchères des pièces exposées à Drouot, sous le marteau de Maître Cornette de Saint Cyr.
L'UTILE CONTRE L'INUTILE
L'occasion aussi de s'interroger sur l'artisanat d'art et les valeurs qui lui sont associées ; la place de ces créateurs confrontés au marché tendu de la surconsommation. Face au développement de l'art, la question est posée : l'utile est-il porteur de valeur, par comparaison avec l'expression artistique, dépourvue d'usage mais vitalisé par la cotation.
Les artisans se frottent aux contradictions d'un secteur en mutation. Et Claude Mollard président de la Société des Artistes Décorateurs (S.A.D), de nommer Charlotte Perriand et Jean Prouvé pour illustrer le paradoxe, "ces deux designers sont représentatifs des arts appliqués plus que de l'artisanat, mais tout deux ont créée des pièces à caractère utile et social. Aujourd'hui, les chaises réalisées par Jean Prouvé pour l'Éducation nationale atteignent en vente publique des sommes à quatre ou cinq zéros". L'utile est-il porteur de valeur, la réponse est immédiate. A moins que la signature ne prennent ici le pas sur l'usage et que la possession d'un Prouvé ne l'emporte sur l'utilité de la chaise. A l'opposé, Claude Mollard relève les sommes astronomiques que la création artistique sait atteindre sans être porteuse d'usage, "la dernière vente de Jeff Koons chez Christie's a atteint 20 millions d'euros". Ancien conseillé au ministère de la Culture et ancien directeur du Centre Pompidou, Claude Mollard se rappelle la devise des Arts Décoratifs "le beau dans l'utile" ou l'art de concilier deux qualités si souvent mises en opposition. "Depuis une centaine d'années, une sorte d'épuration de la création artistique s'opère, un mouvement que Christine Buci-Glucksmann relate très bien dans son ouvrage Philosophie de l'ornement d'Orient en Occident, et qui tend à opposer l'art pur aux arts ornementaux. C'est aussi une tendance très française que d'opposer ces univers d'expression restés intimement liés pendant des années. Au Japon cette confrontation n'a pas de sens". Et pourtant, artistes et artisans, métiers de l'art ou métiers d'art, art appliqué ou décoratif, ont l'art pour dénominateur commun.
LA PART DES ARTS
Dans les métiers d'art la question de l'art est sans cesse posée, ainsi que celle de l'utile et de l'usage. Chacun se détermine dans un florilège de définitions et de concepts aux contours parfois flous : artistes, artisans, designers, concepteurs, créateurs, décorateurs, artistes appliqués… Autant de mots employés à qualifier la même chose et à alimenter la confusion du genre. Se posent à leur tour les questions de notoriété et finalement de valeurs, de valeur intrinsèque et de valeur marchande.
Une part de l'utile et de l'inutile qui se traduit également en termes de force et de faiblesse. Sociologue et professeur à Sciences PO, Dominique Reynié participe à l'Observatoire des métiers d'art et c'est donc en observateur averti qu'il parle du refus des artisans d'art d'être assignés à l'une ou l'autre des catégories "Ne me rangez pas du coté de l'inutile, ne me limitez à l'utile. Le cloisonnement à l'une ou l'autre de ces notions déclenchent une forme de résistance de leur part. Cette zone d'ambigüité entre l'utile et l'inutile dans laquelle ils se placent, fait aussi l'intérêt de leur contribution. Mais le revers de cette ambivalence parfaitement assumée peut amener une faiblesse dans une époque partisane des positionnements tranchés et lisibles".
|13. Zwartepik-3 d'Eric de Dormael et Sylvie Janvier - Ombre Portée, applique métallique L.125 x H.44 x P.15 cm, estimation de 1300 à 1400 €, www.ombreportee.com
L'artisanat d'art induit également une dimension patrimoniale dans la conservation et la transmission de savoir-faire, dans des métiers rares, dans des tours de main compliqués dont la disparition est parfois donnée comme inévitable. "Cette valeur ne peut pas être ramenée brutalement à la simple utilité. Les artisans d'art sont très sensibles à leur rôle de conservation et de transmission. Ils sont les gardiens et les passeurs d'une tradition et d'un héritage qui leur sont confiés" souligne Dominique Reynié.
L'ENCHANTEMENT POUR SOI
Mais le sociologue voit également dans la contribution des artisans d'art la préservation de la singularité. Et c'est peut être sur ce point que la dimension artistique apparaît le mieux aux yeux du plus grand nombre. "C'est une contribution que je considère majeure dans le monde d'aujourd'hui. La singularité de l'objet unique ou produit en petites séries ; la singularité en contrepoint de la massification et de l'uniformisation caractéristiques de notre époque". Singularité d'un objet qui prétend associer l'utilité à l'esthétisme, capable de nous extraire de l'uniformité et de ré-enchanter le monde ordinaire. "Cette singularité procure un sentiment devenu rare aujourd'hui : l'objet que je possède m'était destiné. À la différence d'une production de masse qui nous fait prendre un objet parmi tant d'autres identiques qui se consomment et se remplacent aussitôt".
Cette différence se joue jusque dans la relation entretenue avec l'objet. "Je prends possession de l'objet qui m'est destiné et j'en fais usage. Utiliser un objet c'est aussi courir le risque de l'abimer, de le briser. Il n'y a pas de vénération. Cette retenue dans la relation à l'objet est aussi très caractéristique de la culture des artisans d'art qui ont le respect de l'ouvrage mais ne prennent pas le vertige" développe Dominique Reynié.
L'objet rare devient précieux dans la mesure où il entre dans notre intimité et sa perte ou sa destruction provoque un manque, une absence. Pour Dominique Reynié, ce sentiment de perte procure une expérience oubliée avec laquelle nous avons besoin de renouer dans une époque où la destruction engendre la consommation. "D'une certaine manière le drame de la destruction s'inscrit dans le développement durable. Ce phénomène nous met à nouveau en relation avec l'équilibre nécessaire qui consiste à ne pas détruire autant et ni systématiquement"
MISE À L'ŒUVRE
Intelligence de la main, artiste artisan, artisan d'art, maître artisan, artisan décorateur, métier d'art, maître d'art, restaurateur, artiste designer, concepteur, une litanie à laquelle s'ajouteront certainement d'autres qualificatifs pour exprimer cet univers de nuances, vitalisé par un maillage étendu à tous les territoires géographiques et de savoir-faire. Geneviève Ravaux, chargée de la mission des métiers d'art au ministère de la Culture et directrice du marquage des collections nationale, regrette qu'il soit si difficile de faire la part des arts. Mais l'obsession française de la classification a fini par rendre l'écheveau indémêlable. "Pour une exposition à Pékin, j'avais choisi une soixantaine de pièces, certaines réalisées par des maîtres d'art originaires des métiers d'art, d'autres exécutées par des maîtres d'art artistes et d'autres encore par des artistes plasticiens. En regardant seulement les objets la confusion était totale. Tous partageaient des valeurs esthétiques, de la beauté. À partir d'un certain niveau de qualité il devient difficile de reconnaitre la provenance de la pièce. C'est souvent la signature qui nous renseigne puisque le plasticien signe ses réalisations, contrairement aux professionnels des métiers d'art qui ne signent que très rarement leurs pièces".
La notion d'utile est généralement attachée à l'usage et naturellement associée à l'artisanat. Cela ne doit pas pour autant exclure la tournure esthétique et possiblement artistique que peut revêtir la pièce. De Londres à New York en passant par Paris, il suffit de visiter les musées pour constater que les métiers d'art y ont une place de choix. "Les métiers d'art sont très représentés dans les collections nationales, qu'il s'agisse de mobiliers, de céramiques, de tapis, de tapisseries, etc. Jacob ou Galet étaient les artisans d'art de leur époque. Qui sont les Jacob et les Galet d'aujourd'hui que nous retrouverons dans les prochaines années dans les musées. Comment passer de l'œuvre d'atelier à la collection nationale, comment atteindre une cotation digne de leur valeur en salle des ventes" s'interroge Geneviève Ravaux.
|25. Dalia, de Thierry Depauw, fauteuil en acier patiné aux acides et verni, estimation de 800 à 900 €.
PEU DE CANDIDATS
Mais les secteurs de haute qualification sont les premiers fragilisés. La relève s'annonce difficile et ne sera sûrement pas assurée si les choses ne changent pas rapidement, "il faut huit à quinze ans de formation pour qu'un jeune atteigne la haute qualification". Mais le nombre des candidats aux filières hautement qualifiées va décroissant. "Les parents n'y sont pas favorables. La formation est très longue, le travail exigent et comparativement peu rémunéré" déplore Geneviève Ravaux. Quand ils sont nommés, les maîtres d'art ont pour mission de transmettre à un élève leur savoir, leur expérience, leur tour demain, leur réseau… "Dans certains cas, la relation entre le maître et l'élève est tellement forte que le maître d'art transmet y compris son atelier et sa clientèle" poursuit-elle. Paradoxalement, lorsqu'il s'agit de métier d'art l'acheteur juge souvent trop chère une pièce exceptionnelle qui aura demandé de nombreuses heures de travail, et plus encore si le professionnel ne bénéficie pas d'une cote particulière. En revanche, le public offre un accueil favorable aux métiers d'art, il se passionne pour ces métiers, mais cela ne suffit à motiver la relève.
Pour Pierre Cornette de Saint Cyr, il est grand temps de rompre avec cet affrontement factice de l'utile et l'inutile. "Je trouve idiote cette opposition entretenue entre les arts et les métiers d'art. Est utile ce qui est intelligent et créatif, est inutile ce qui est stupide. Lesage est un bien plus grand artiste qu'un peintre de la place du Tertre. La différence doit résider dans la créativité. La chose la plus difficile à comprendre est qu'il existe des critères objectifs. Il y a objectivement de grands artistes et objectivement des gens dépourvus de talent. Dans tous les domaines de l'art, des sciences, de la création, règne la règle des trois i : inventeur, imitateur, idiot. Quel que soit leur domaine d'expression, les idiots n'en restent pas moins des idiots".
A son tour le commissaire priseur fait référence à la sphère design. Longtemps les designers ont été considérés comme des fabricants de meubles. Leur production était consommable donc périssable. "J'ai trouvé des pièces magnifiques dans des poubelles. Nous avons fait des expositions, valorisé l'acte de création, mené des ventes de design. Progressivement le monde à ouvert les yeux sur de formidables créateurs et les cotations des designers rivalisent aujourd'hui avec celles des peintres. Nous avons le devoir d'honorer les créateurs, qu'ils soient designers, artistes ou artisans d'art. Notre travail est de séparer le bon grain de l'ivraie, mais la différence ne se fera pas sur l'utile. Je trouve cette séparation insultante, il faudrait au contraire s'inspirer des Japonais qui donnent le statut de trésor national vivant à leurs artisans d'art. Les vrais talents doivent être honorés" conclut Pierre Cornette de Saint Cyr.
A LIRE
Ouvrage collectif
Collection Encyclopédie du voyageur
240 pages
Prix public : 26 €
Éditeur : Guide Gallimard
ISBN : 978-2742420018
Christine Buci-Glucksmann
Collection Débat
176 pages
Prix public : 29 €
Éditeur : Galilee
ISBN : 2718607610
EN SAVOIR PLUS SUR LES ARTISANS D'ART
Ateliers d'Art de France - www.ateliersdart.com
Compagnons du devoir du tour de France – www.compagnons-du-devoir.com
Conseil des métiers d'art – www.maitres-art.com
Fédération nationale des ateliers d'art (FNAA) – www.webfnaa.org
Société d'encouragement aux métiers d'art (Sema) – www.metiersdart-artisanat.com
Société nationale des meilleurs ouvriers de France – www.meilleursouvriersdefrance.org
Ateliers d'Art de France - www.ateliersdart.com
Compagnons du devoir du tour de France – www.compagnons-du-devoir.com
Conseil des métiers d'art – www.maitres-art.com
Fédération nationale des ateliers d'art (FNAA) – www.webfnaa.org
Société d'encouragement aux métiers d'art (Sema) – www.metiersdart-artisanat.com
Société nationale des meilleurs ouvriers de France – www.meilleursouvriersdefrance.org