VÉRONIQUE MOURIER RENAULT, ILLUSIONNISTE DE L'ESPACE
18/12/2007
Véronique Mourier Renault est de ces peintres décorateurs qui se plaisent à nous tromper. Elle maîtrise l'art du décor peint et celui du trompe-l'œil… et bien attentif est celui qui discerne le faux du vrai au premier coup d'œil. Entre ses mains naissent les nuages, les colonnes, les jardins ensoleillés, les matières les plus variées et les effets les plus majestueux. Habitations et lieux de prestige deviennent le théâtre de son expérience et la parenthèse picturale enchante la surface du mur…
Trompe-l'œil et décors peints ont-ils encore leur place dans notre quotidien ? Nous les imaginons dévolus aux ciels des cathédrales, aux monuments historiques et aux lieux fastueux… Le trompe-l'œil partage avec les décors muraux une résonance du passé, pourtant ils retrouvent leur usage d'antan et continuent d'enchanter notre quotidien. "Le décor mural remonte à l'antiquité, souligne" Véronique Mourier Renault. "On en retrouve à Pompéi ainsi qu'en Grèce. Ils avaient pour vocation d'embellir les intérieurs. Toutes les villas de Pompéi ou d'Herculanum étaient peintes". Déjà le goût de la personnalisation préoccupait les esprits, même si à l'époque elle se limitait au cercle des puissants. "A Rome, les murs de la Domus Aurea - villa de Néron - étaient richement couverts de décors peints. La Renaissance italienne est également prolifique…" poursuit-elle.
| Ci-dessus. Le surdimensionnement des visages peints de la fresque équilibre l'espace longitudinal du mur (15 x 3 mètres) tandis que le choix du dessin contraste avec la modernité du lieu (CNCE, Paris). Architecte Jean Louis Berthet.
La perspective connaît différentes évolutions stylistiques et de construction selon les époques et les écoles. Des vestiges ont également été retrouvés dans la ville ensevelie sous les cendres du Vésuve. "Elle est très présente dans les théâtres à l'italienne. Je me souviens particulièrement d'une perspective extraordinaire à Rome. Sur le coté d'une allée à l'abri d'un porche, un trompe-l'œil ouvrait une perspective d'une profondeur de cinquante mètres là où il y avait un mètre tout au plus. L'effet est apporté par notre œil qui interprète naturellement l'illusion et fait naître l'impression de profondeur".
MAINS SAVANTES
| 1. Suite à sa restauration, le chœur de l'église d'Aulnoy, Seine et Marne, bat à nouveau de toutes ses couleurs et de ses drapés retrouvés.
Sur les conseils d'un ami décorateur, elle suit la formation de peintre en décor à l'IPEDEC de Pantin. Un retour aux sources et six mois d'une dense formation. "Mon diplôme en poche, je suis allée voir les constructions de décors du théâtre et du cinéma". Mais cette école des choses sophistiquées, fines et poussées, a réveillé son passé d'art plastique. Une opportunité l'emportera sur d'autres rives, celles d'un chantier de décoration chez un particulier, suivie quelques temps plus tard, de la proposition d'un restaurateur de travailler avec lui sur les trompe-l'œil de la Cathédrale de Chambéry. Comme un équilibre naturel, Véronique Mourier Renault se partage entre le présent avec la création de décors, et le passé avec la restauration.
"Je me retrouvais pleinement dans les deux univers. La restauration et l'observation qui lui est indispensable. Je maîtrisais l'exécution des trompe-l'œil, mais ce n'est qu'en remontant étape par étape que les techniques de restauration de peinture murale s'acquièrent" développe Véronique Mourier Renault. De visiter les techniques anciennes, les couleurs et les pigments utilisés, de travailler sur la restauration, lui donne le goût de la matière. Son métier présente deux facettes : la peinture avec des effets en trompe-l'œil, et la matière avec les enduits, la chaux, le plâtre, le sable, autant de textures palpables auxquelles s'ajoutent les pigments. "J'ai besoin des deux. J'aime travailler le mur, les grandes dimensions qu'il procure. J'aime tout autant me plonger dans l'intimité d'un petit trompe-l'œil. Pousser le souci du détail comme réaliser un ciel, avec des mouvements très enlevés". D'un coté la concentration de l'autre l'ampleur du geste… comme un équilibre.
COMME UN TABLEAU
| 2. Une fresque comme une découvertes, se détache de la blancheur immaculée du plafond, (CNCE, Paris).
L'harmonie, la douceur des tonalités, le jeu de l'ombre et de la lumière… s'approcher mais ne jamais chercher à capturer la réalité. "Le trompe-l'œil allie la justesse du trait à la souplesse de la main. Comme une moulure travaillée artisanalement, il y a ces inflexions, ces irrégularités légères qui donnent le charme, la beauté, l'homogénéité à l'ensemble". Paradoxalement un trompe-l'œil trop parfait sonne faux… L'imperfection est au cœur de la réalité des choses. "La préparation est rigoureuse et tire les lignes d'une perspective irréprochable. Mais cette base doit être corrigée à main levée pour apporter les irrégularités, indispensables à l'illusion. Il faut savoir se laisser guider par son œil" poursuit-elle.
UNE ÉPOQUE EN QUÊTE DE RELIEF
Quel que soit le produit, la mise en œuvre ne doit pas être négligée. Tout à l'air facile… pour qui possède le coup de main. Elle ne s'interroge pas, le geste tombe là où il faut, précis, justement dosé… Une seconde plus vingt ans d'expérience !
| 3. Un travail d'orfèvre pour une grille de fer forgé dont l'ombre portée indique le sens de la lumière, ruse d'ombre et de lumière…
LES VOYAGEURS DU TEMPS
| 4. Détail de la fresque réalisée pour le CNCE (Paris). Architecte Jean Louis Berthet.
C'est un plafond irrécupérable, pour lequel la partie centrale est exécutée sur toile en atelier, toile qui sera marouflée par la suite sur le plafond. Comme lorsqu'elle doit faire revivre le passé, Véronique Mourier Renault se rend sur place pour faire les relevés de dessin et le repérage des couleurs. C'est une intervention sur des fouilles au château de Blandy-les-Tours, en Seine et Marne. Pour reconstituer le motif original des enduits peints du XIVe siècle découverts, il lui a fallu remonter le temps, reproduire les éléments épargnés pour parvenir à combler les manques. C'est un trompe-l'œil qui joue de symétrie et reproduit l'alcôve voisine… au point de perdre le sens de la réalité dans ce jeu de miroir où le faux et le vrai se répondent et se confondent. "Il y a des moments où nous nous laissons prendre à notre propre trompe-l'œil. Cette seconde d'hésitation est une vraie récompense, le signe que le travail est réussi" poursuit-elle. C'est un sondage de couleur qui révèle un ciel, un soubassement qui dévoile un marbre à l'italienne…
ART DU FAUX, VRAI TALENT
| 5. Création d'un décor de faux marbres dans l'Antichambre de la Salle du Conseil, Hôtel Matignon (2006).
Des patines de poutres travaillées dans l'esprit du XVIIe siècle, des lustres patinés, des matières : faux bois, fausses pierres, faux léopard, faux galuchat… C'est une porte blindée qui disparaît sous des moulures peintes en trompe-l'œil, un bas de mur lisse qui se laisse gagner par les boiseries. Le jeu d'ombre et de lumière qui faire naître le volume. C'est un cadre peint qui se dessine autour d'un tableau, un panoramique qui donne le ton à un restaurant, un salon marocain qui s'invente un jardin à perte de vue, un couloir étroit de six mètres qui respire d'une nouvelle perspective…
LES OUTRAGES DU TEMPS
| 6. Création d'un staff sculpté et peint en trompe-l'œil de faux marbre, CNCE Paris (2005-2006)
Architecte Jean Louis Berthet.
Paradoxe de la restauration, la satisfaction vient de ce que le travail ne se remarque pas. Comparativement à l'état de vétusté qui a justifié l'intervention le changement est remarquable, mais par rapport au lieu, la restauration doit passer inaperçue… "Il faut assurer la continuité dans l'histoire. A Matignon, la situation était ambivalente. Il s'agissait d'une création, mais faite dans l'esprit d'une restauration puisqu'elle prolongeait un faux marbre du XIXe dans un vestibule pour assurer une continuité entre deux espaces. Notre travail est visible, mais ne doit pas se faire remarquer. En revanche, lorsque nous réalisons un trompe-l'œil, nous sommes dans la création et donc dans la visibilité". Les portes d'ascenseur de l'hôtel Hilton cachées sous une marqueterie raffinée de faux bois et de feuilles d'or, une porte blindée disgracieuse effacée par une boiserie peinte en trompe-l'œil chez un particulier… "Tous les supports se prêtent au trompe-l'œil, il suffit de connaître la bonne préparation !" poursuit Véronique Mourier Renault.
Tout le talent du décor peint et du trompe-l'œil réside dans la justesse de l'interprétation, dans la capacité ou non de celui qui l'exécute à faire vivre la magie qui nous fera croire à l'illusion. Véronique Mourier Renault s'amuse de nos surprises et de nos hésitations entre le faux et le vrai et nous, nous aimons à nous laisser duper par cette illusionniste aux doigts d'or.
Véronique Mourier Renault - www.mourier-renault.fr