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La perte de force après réparation du ligament croisé antéro-externe (ACLR) : le Blood Flow Restriction (BFR) comme outil de traitement durant la phase précoce de réhabilitation ?



Quels problèmes rencontrons-nous après la réparation du ligament croisé antéro-externe ?

L’atrophie musculaire est une conséquence majeure suite à la lésion du LCA et de sa réparation engendrant une diminution de force musculaire. La récupération de cette force musculaire fait partie intégrante des objectifs rééducatifs pour la fonction de l’articulation et occupe une place prépondérante des critères de retour au sport (RTS). Or dès la phase post-opératoire, on observe déjà une amyotrophie, notamment au niveau quadricipital, qui peut persévérer même à deux ans après l’intervention (1,2).

Quels sont les mécanismes de la perte de force suite à l’ACLR ?

L’atrophie musculaire et la diminution d’activation neurale sont des mécanismes bien documentés sous-tendant la perte de force après une intervention chirurgicale.
L’atrophie du muscle squelettique est une diminution de taille ou de volume du muscle. Elle peut se manifester de plusieurs manières. D’abord par une diminution de l’épaisseur en section transversale, de la longueur des fibres musculaires, de la masse musculaire pouvant refléter son contenu en protéines, ou bien encore par le nombre de myocytes. L’atrophie observée dans la jambe atteinte due à des processus intrinsèques comme par exemple des changements de la balance production / dégradation de protéines musculaires peuvent mener à la perte de masse musculaire (3-5). Dès 5 jours de non utilisation, Wall et collaborateurs montrent une augmentation claire de l’expression génique de la myostatine et d’ubiquitines kinase, toutes deux, en grande partie responsables de l’amyotrophie (6,7).
La myostatine est un facteur de croissance qui régule négativement la masse musculaire squelettique par différents processus.
  - D’abord en inhibant l’activation et l’auto-renouvellement des cellules satellites : véritables cellules souches musculaires; responsables de la croissance post-natale des myocytes et de la réparation du tissu musculaire lorsque celui-ci est lésé. Bunney et collaborateurs ont retrouvé une diminution du pool de cellules satellites au niveau du vaste latéral post ACLR (8).
  - Ensuite, en régulant la machinerie translationnelle de l’expression des composants de la voie de signalisation Akt/mTOR, un régulateur majeur de la synthèse protéique dans les cellules musculaires (9,10).
Les ubiquitine kinases sont quant à elles des enzymes qui se fixent aux protéines myo-fibrillaires et permettent leur ubiquitinylation aboutissant, in fine, à la dégradation des protéines myo-fibrillaires (11).

Tandis que l’on retrouve au niveau du vaste latéral une surexpression des ARN messagers des gènes codant pour ces enzymes à 5 jours post-immobilisation de genou chez l’Homme, on l’identifie maximale à 3 jours post-immobilisation chez l’animal (6,12).
La diminution d’activation quadricipitale post-opératoire d’origine neurologique correspond à l’inhibition arthrogénique musculaire (AMI). Ce phénomène est engendré par à un réflexe spinal de flexion. Il entraine une augmentation de l’excitabilité des muscles fléchisseurs au niveau du système nerveux central, une inhibition réciproque des muscles extenseurs et une dysrégulation de la boucle gamma (13,14). On observe différentes causes à ce phénomène tant au niveau périphérique, spinal que supra-spinal. Bertrand Sonnery-Cottet et collaborateurs ont récemment fait revue des différents traitements à notre disposition pour traiter l’AMI : les exercices physiques et la cryothérapie sont d’après eux les piliers de la thérapeutique (14). Ces auteurs mettent en avant une étude utilisant un protocole de fatigue des ischio-jambiers chez des patients opérés du LCA (15). En effet, la fatigue musculaire des ischio-jambiers a précédemment démontré qu’elle pouvait modifier son excitabilité centrale (16). Le protocole mis en place conduit ainsi à une amélioration significative du ratio d’activation central du quadriceps (15).
Malgré que le BFR ait montré qu’il pouvait modifier l’excitabilité corticale et entrainer une fatigue accrue comparativement à des protocoles sans occlusion, il n’a pas encore été étudié pour le traitement de l’AMI (17-19). La recherche devrait s’intéresser à son intégration dans le traitement de l’AMI.

Quel est l’impact du Blood Flow Restriction ?

Par quels mécanismes agit le BFR ?
Le BFR recrute des mécanismes hypertrophiques de réponse musculaire différents que ceux mis en jeu après des exercices de renforcement traditionnel. En effet, c’est l’hypoxie, l’ischémie et l’augmentation de l’acidité intra-cellulaire qui entrainent une réponse inflammatoire. On observe ainsi une augmentation de la libération d’interleukine 6 (IL-6) et de cellules immunitaires (macrophages et neutrophiles) (20).

L’IL-6 est au coeur de plusieurs processus physiologiques et pathologiques : c’est son rôle dans l’hypertrophie musculaire qui nous intéresse ici. L’IL-6 peut favoriser l’hypertrophie en sollicitant la protéosynthèse par stimulation de mTORC1 (récepteur gp130 et voie PI3KGp130-Akt) et en régulant la prolifération des cellules satellites (21).

Les cellules immunitaires, quant à elles, ont un rôle majeur dans la réparation et la régénération du tissu musculaire après l’exercice : par la phagocytose, en sécrétant des cytokines pro- inflammatoires (IL-6) et des facteurs de croissance ou bien encore en stimulant la prolifération des cellules satellites. Les mécanismes permettant la libération des cellules immunitaires après un entrainement en BFR ne sont pas encore bien compris mais il semble qu’une interaction avec HIF-1⍺ (Facteur Induit par Hypoxie) en soit la cause (21).
  
La régulation des mécanismes de l’atrophie est un autre point d’action du BFR. En effet, un protocole de renforcement avec restriction du flux sanguin a montré une diminution significative de l’expression génique de l’ARN messager de la myostatine (22).
Une étude chez le rat a par ailleurs montré une diminution de l’expression génique de l’ubiquitine- protéasome en plus de celle de la myostatine suite à un protocole de BFR à faible charge (7).

Pour quels résultats ? :
Une récente revue systématique a analysé l’utilisation du BFR dans le traitement de la faiblesse musculaire du membre inférieur (le quadriceps majoritairement) résultant de pathologies du genou (23). Les auteurs mettent en évidence que le BFR est une technique efficace dans le traitement de l’atrophie et de la faiblesse musculaire. Ils observent également que cette technique est sécurisée : ils n’ont relevé aucun évènement indésirable (23).

L’amyotrophie se met rapidement en place, le BFR peut il être utilisé dès la phase aigue post- opératoire ? :
Les effets de l’amyotrophie sont inévitables de part la mise en décharge dans le contexte de l’ACLR. C’est particulièrement évident en post-opératoire de part la tension des greffes, les dommages cartilagineux, les ecchymoses osseuses ainsi que les lésions méniscales qui agissent comme contre-indications aux exercices à charge lourdes dans un objectif de récupération des qualités musculaires (24-26). Bien qu’il puisse être utilisé à n’importe quelle phase de la réhabilitation post ACLR, le BFR à la phase aigue serait ainsi particulièrement intéressant : obtenir les mêmes bénéfices musculaires avec de faibles charges qu’avec des charges lourdes (27-29).
Hugues et collaborateurs ont récemment comparé durant les 8 premières semaines post-ACLR un protocole d’entrainement en BFR à 30% 1RM (groupe BFRT) et un protocole d’entrainement traditionnel à 70% 1RM sans occlusion (HI-RT) (28,29).
Ils ont ainsi montré que l’utilisation du protocole BFRT permettait d’obtenir une augmentation de la force et une hypertrophie musculaire similaires au protocole traditionnel, des améliorations significativement plus importantes de l’amplitude articulaire de flexion et de la circonférence patellaire sans pour autant déclencher d’évènements indésirables ou de modifier la laxité articulaire après les 8 semaines de protocole.

Par ailleurs, ces auteurs ont étudié la douleur ressentie durant les séances. Ils ont observé que la douleur de genou ressentie durant les sessions d’entrainement avec BFRT et 24h après était significativement plus faibles que celle ressentie suite au protocole HI-RT (28).

En conclusion :

L’utilisation du BFR pour le traitement de la perte de force musculaire et l’amyotrophie consécutives à la réparation du ligament croisé antéro-externe semble être efficace.
    
Cette dernière devrait être néanmoins davantage étudiée afin de proposer des guidelines sur les paramètres et les protocoles à utiliser. L’intérêt de cette technique dans le traitement de l’inhibition arthrogénique musculaire devrait également être appréhendée.
Le BFR constitue un outil supplémentaire à l’arsenal thérapeutique du masseur-kinésithérapeute dans la prise en charge de la réhabilitation après réparation du ligament croisé antéro-externe.
Le BFR pourra, bien entendu être utilisé dans la rééducation de nombreuses autres pathologies non développées dans cet article.

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