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Le biofeedback intégré en temps réel à l'entraînement neuromusculaire augmente la connectivité fonctionnelle du cerveau et réduit les hauts risques du genou.



Le biofeedback intégré en temps réel à l'entraînement neuromusculaire augmente la connectivité fonctionnelle du cerveau et réduit les hauts risques du genou.
Les progrès réalisés dans l’analyse de mouvement 3D et les plateformes de force ont permis d'évaluer la coordination neuromusculaire lors de Drop Jump Vertical (DVJ). Pendant la phase d'atterrissage du DVJ, le mouvement triplanaire de la hanche, du genou et de la cheville qui entraîne le valgus dynamique est quantifié par un moment externe d'abduction maximale de genou (pKAM). Hewett et collaborateurs ont même montré que des mesures biomécaniques prospectives du pKAM à l'atterrissage permettaient de prévoir les lésions du LCA sans contact avec 73 % de spécificité et 78 % de sensibilité : une constatation qui a alors motivé les programmes de prévention de lésions du LCA à améliorer la coordination neuromusculaire par un entraînement neuromusculaire (NMT). Cependant, les programmes traditionnels de prévention des blessures du LCA exige une grande conformité et des durées d'entraînement prolongées pour obtenir les résultats escomptés en matière de mouvements. Ces obstacles peuvent expliquer pourquoi les taux d'incidence des lésions du LCA restent élevés et soulignent la nécessité d'adopter des approches complémentaires qui améliorent la compliance des athlètes et la mise en œuvre à grande échelle. 
Un mécanisme qui a été historiquement négligé dans les NMT est de savoir comment le système nerveux central (SNC), et plus particulièrement le cerveau, contribue aux lésions du LCA. Les lésions du LCA surviennent souvent dans des situations nécessitant une coordination sensorimotrice complexe, ce qui illustre le rôle essentiel du SNC dans le maintien de la stabilité articulaire fonctionnelle. La connectivité somatosensori-cérébelleuse à travers les deux hémisphères est essentielle pour une coordination motrice réussie. Une prédisposition neurale potentielle aux lésions du LCA pourrait être étudiée, et éventuellement modifiée, par des recherches plus approfondies. 

Compte tenu de sa pertinence comportementale et de sa sensibilité de mesure relative aux changements au sein du SNC, la connectivité fonctionnelle pourrait être un outil précieux pour compléter notre compréhension de la prévention des lésions du LCA. Dans une étude préliminaire investiguant le rôle d’un entrainement préventif de lésion du LCA sur la biomécanique des genoux à haut risque et la neuroplasticité, des athlètes sains ont suivi 6 semaines de NMT standard complété par un biofeedback en temps réel : entraînement neuromusculaire augmenté (aNMT). L'aNMT a augmenté l'activité du réseau de planification sensori-motrice et a diminué l'activité du cortex moteur (suggérant une amélioration de son efficacité). Ces deux changements neuronaux ont été corrélés avec une dimiution de la biomécanique du genou à haut risque. 

À nouveau Dustin Grooms vient de publier en équipe sur le sujet en tant que référence mondiale. Il viendra en France en juillet pour al formations sur le LCA.
Xavier Laurent vous propose la synthèse de cette étude publiée le dans Psychophysiology.
 

Objectif: 

Évaluer l'efficacité de l'aNMT pour améliorer la biomécanique d'atterrissage à haut risque et pour augmenter la connectivité fonctionnelle cérébrale sensorimotrice liée au genou. 
 
Hypothèses :
  1. L’aNMT améliorerait la biomécanique du genou à haut risque pendant la DVJ.
  2. La participation à l’aNMT augmenterait la connectivité sensorimotrice fonctionnelle entre les régions liées au contrôle de la motricité du genou. 
  3. Des améliorations de la biomécanique du genou à haut risque seraient associées avec une connectivité fonctionnelle sensorimotrice liée au genou accrue pour ceux qui ont participé à l’aNMT.
 
Méthodes :
Étude contrôlée non randomisée 
 
Participants :
  • Footballeuses universitaires en fin de saison sportive
  • n = 30
    • aNMT Group : n = 17
    • Control Group : n = 13
Mesures :
  • Drop jump vertical avec analyse 3D (cinétique et cinématique)
    • 3 essais 
    • Moyenne des pKAM bilatéraux
  • IRM fonctionnel en état de repos pré- et post protocole 
    • 25 ROIs (régions sensori-motrices gauches et droites) 
Protocole :
  • aNMT group : 
    • 6 semaines, 3 / semaine
    • Session NMT : 
      • 1,5h d’entrainement en groupe : plyométrie, gainage, renforcement, équilibre, résistance, vitesse (détails dans Myer et Collaborateurs 2005 )
      • 15 min (2/semaine) avec biofeedbackde 6 mouvements avec biofeedback (squat, pistol squat, single-leg RDL, overhead squat, squat jump, and tuck jump)
 
Biofeedback :forme rectangulaire dynamique dont les sommets sont en correspondance avec des variables biomécaniques clés liées au risque de lésion du LCA (flexion latérale du tronc, rapport moment de force d’extension genou:hanche, moment de force d’abduction de genou, ratio de force verticale de réaction au sol et localisation centre de pression).
Les participants devaient effectuer tous les exercices et obtenir une forme de rectangle cible, c’est-à-dire produire des paramètres biomécaniques associés à la réduction du risque de blessure au LCA (Figure 1).
  • Control Group : 
    • Pas de NMT

Statistiques:
  • Independent t test (pKAM) (Hypothèse 1)
  • Omnibus F test (ROIs) (Hypothèse 2)
  • Post hoc paired samples t tests (ROIs) (Hypothèse 2)
  • Analyse de régression linéaire (pKAM / connectivité sensori-motrice) (Hypothèse 3)
  • Niveau𝛼:  p < 0,05 
  • Taux de fausses découvertes : p<0,05

Résultats :
  • Aucune différence significative de pKAM en pré-protocolen'a été observé entre les deux groupes (p > .05). 
  • Pourcentage de variation du pKAM était significativement plus élevépour le groupe aNMT(M = 31,80, ET = 36,53) par rapport au groupe témoin ((M = 2,57, ET = 46,78), t(28) = 1,92, p = 0,03, d = 0,71).
  • Le test omnibus a révélé des changements significatifs de connectivité de pré- à post-protocole pour le thalamus gauche et tous les autres ROIs cibles pour le groupe aNMT( F(4, 13) = 7,52, p non corrigé = 0,0023, p corrigé = 0,0460).
  • Les analyses post hoc ont révélé une augmentation significative de la connectivité entre le thalamus gauche et l'aire motrice supplémentaire droite (SMA) pour le groupe aNMT, du pré-(M = -0,10, ET = 0,17) au post-protocole (M = 0,07, ET = 0,18), β = 0,17, t(16) = 3,37, p non corrigé = 0,0020, p corrigé = 0,0473.
  • Analyses de régression ont révélé qu'une plus grande amélioration du pourcentage de variation du pKAM était liée à une augmentation de la connectivité post-protocole entre le cervelet (division antérieure) et le thalamus droits pour le groupe aNMT,t(15) = 4,89, p non corrigé = 0,0001, p corrigé = 0,0292, r2 = 0,61 (voir figure 3). 
  • Aucun changement significatifde la connectivité fonctionnelle pré- et post-protocole ou d’association entre le pourcentage de changement pKAM et la connectivité fonctionnelle pré- post-protocole n'a été observé pour le groupe contrôle(tous les p corrigés > 0,05).

Discussion :
 
Les résultats biomécaniques de l'étude sont cohérents avec les résultats précédents démontrant la possibilité de modifier la biomécanique du genou en utilisant un stimulus de l'aNMT. Il est à noter que le groupe aNMT, qui a interagi avec un stimulus visuel pendant 6 semaines d'entraînement, a augmenté de manière significative la connectivité cortico-thalamique (SMA) et a connu des améliorations plus importantes de pKAM qui ont été associées à une connectivité cérébello-thalamique accrue. 
 
La SMA a été étroitement liée au contrôle moteur car elle est importante pour initier et générer le mouvement . Le thalamus, traditionnellement considéré comme un relais cérébral, joue un rôle essentiel dans le contrôle moteur en raison de son emplacement anatomique entre les zones motrices corticales et sous-corticales . Le cervelet est également d'une importance capitale pour le contrôle moteur car il contribue à la synchronisation de l'activité motrice.
Le thalamus reçoit et transmet des informations sensorielles provenant de nombreuses régions corticales, y compris la SMA, qui ont vraisemblablement augmenté leur activité en réponse aux demandes sensorielles de l'aNMT. Des études neurophysiologiques ont démontré que l'intégration de deux modalités sensorielles (la proprioception et la vision dans notre cas) dans le même contexte spatial (c'est-à-dire l'intégration intermodale) engendre des processus neuronaux distincts (16). L'entraînement avec le stimulus d’aNMT a nécessité un degré élevé d'intégration intermodale : le feedback visuel a changé en temps réel avec les informations proprioceptives, ce qui a pu renforcer la connectivité cortico-thalamique. Les réseaux neuronaux impliqués dans les opérations intermodales comprennent souvent le sulcus temporal supérieur, le sulcus intrapariétal, le cortex frontal, les régions pariétales et les régions insulaires/claustrales.

Bien que l'approche des auteurs (a priori) des ROIs du réseau du genou ait empêché une investigation de toutes ces régions, les résultats de la connectivité cortico-thalamique accrue post-aNMT fournissent un soutien préliminaire selon lequel l'intégration intermodale peut être le mécanisme moteur de l'aNMT. Plus spécifiquement, ils émettent l'hypothèse que l'aNMT peut faciliter une meilleure planification motrice au sein du SMA grâce à des améliorations du traitement des relais sensoriels transmodaux médiés par le thalamus
 
Nos analyses ont révélé que les changements dans la biomécanique du genou étaient liés au renforcement de la connectivité cérébello-thalamique pour le groupe aNMT, plutôt qu'à la connectivité cortico-thalamique. En surface, ces résultats peuvent sembler divergents, mais ces derniers s'expliquent probablement par des contraintes de tâche. Le DVJ est une tâche balistique dynamique qui requiert un degré élevé de précision, de synchronisation motrice et de coordination motrice de la part de l'athlète, qui a été testé sans aNMT. Le cervelet contribue aux mécanismes de feedforward et au timing sensorimoteur, et peut être plus impliqué dans les demandes de DVJ que dans les exercices plus lents d’aNMT spécifiques. En d'autres termes, les changements de pKAM mesurés par la DVJ peuvent être plus sensibles aux changements de la connectivité cérébello-thalamique, et moins liés aux opérations neuronales intermodales mentionnées ci-dessus se produisant durant l’aNMT.

Les systèmes de biofeedback sont guidés par leur capacité à induire des stratégies implicites d'apprentissage moteur (sans instruction explicite spécifique). L'apprentissage implicite contribue à la réorganisation du cortex moteur mettant en valeur des stratégies potentielles pour bénéficier des processus de neuroplasticité. 


Par exemple, l’utilisation de la focalisation attentionnelle externe dans les stratégies de prévention de lésion du LCA (instruction verbale qui dirige l'attention vers les effets de son mouvement) et/ou l'intégration d'analogies (instruction verbale utilisant des métaphores peut améliorer la connectivité fonctionnelle par des processus synaptogènes. En effet, des preuves récentes indiquent que l'adoption de telles techniques d'apprentissage moteur influence l'activité cérébrale et ainsi engager les processus neuronaux cortico-thalamiques et/ou cérébello-thalamiques. 
 
Les stratégies d'apprentissage moteur implicites qui, selon nous, sous-tendent l'aNMT peuvent également expliquer la latéralité dans les résultats de connectivité fonctionnelle. L'augmentation de la connectivité cortico-thalamique a été localisée dans la SMA droit et au thalamus gauche, tandis que l'augmentation de la connectivité cérébello-thalamique a été localisée dans l'hémisphère droit seulement. Comme le thalamus est important pour transmettre des informations à travers tout le cortex, il est intéressant de noter que la connectivité thalamique renforcée a été localisée dans les régions sensorimotrices droites. Bien qu'un rôle comportemental clair pour chaque hémisphère ne soit pas concluant (domination du cerveau droit vs gauche), il existe de plus en plus de preuves montrant que l'hémisphère droit est particulièrement impliqué dans l'intuition et les fonctions « basées sur la perspicacité » qui sont fortement liés à l'apprentissage implicite en général. L'aNMT affiche de manière abstraite des informations qu'un athlète doit utiliser pour apprendre à coordonner plusieurs variables biomécaniques sans instruction explicite : le groupe aNMT peut avoir amélioré sa capacité à « coder » intuitivement les informations perceptuelles affichées par le stimulus aNMT, résultant en une activité hémisphérique droite hyperactive co-activée avec le thalamus lors de l'intervention. Bien que les études sur les lésions et l'IRMf fournissent des données neurologiques en faveur de l'hémisphère droit pour une telle fonctionnalité basée sur l'intuition nous soulignons qu'une telle interprétation est largement spéculative (29). 
 
Limitations :
Premièrement, le groupe témoin n'a pas effectué de NMT standard (sans biofeedback en temps réel) pour vérifier si les changements biomécaniques et de connectivité observés étaient dus au stimulus de biofeedback ou NMT, plus généralement. 
Deuxièmement, il a été choisi d'examiner indépendamment avant et après les changements de connectivité et les relations associées avec les adaptations biomécaniques pour chaque groupe (plutôt que les différences longitudinales par groupe) et les auteurs reconnaissent que ce n'est peut-être pas le modèle statistique le plus fort car aucun effet d'interaction n'a été examiné. Cependant, cette approche a été choisie pour identifier des mécanismes neuronaux préliminaires de preuve de concept (en raison d'une petite taille d'échantillon). 
Enfin, les participants n'ont pas été randomisés dans le groupe aNMT ou le groupe témoin  ce qui augmente le potentiel de biais. Bien qu'il n'y ait pas de différences significatives d'âge, de taille, de poids ou de pKAM, les changements de connectivité fonctionnelle pré-post-aNMT et leur relation avec les adaptations biomécaniques justifient une interprétation prudenteen raison du plan expérimental de la présente étude. 

Conclusion :

Ces données fournissent des preuves préliminaires des mécanismes de neuroplasticité potentiels sous-jacents aux modifications biomécaniques induites par un entrainement neuromoteur enrichi de biofeedback visuel interactif en temps réel.
Non seulement ces données révèlent comment le cerveau peut s'adapter en réponse à un aNMT, mais elles peuvent aussi guider les chercheurs qui ont appelé au développement d’un « entrainement cérébral » dans la réadaptation musculo-squelettique.  

L’aNMT peut être utile pour d'autres troubles musculo-squelettiques que la prévention des lésions de LCA, qui présentent des altérations de la structure et de la fonction cérébrales (par exemple, la douleur fémoro-patellaire). 
De simples modifications de biofeedback (par exemple, l'ajustement d'informations visuelles et sensorielles) pourraient potentiellement entrainer des mécanismes de neuroplasticité et améliorer la prévention des blessures.
 

L'étude:
Diekfuss, , J. A., Grooms, D. R., Foss, K. B., Bonnette, S., Dicesare, C., Dudley, J. A., … Myer, G. D. (2020). Real-Time Biofeedback Integrated Into Neuromuscular Training Increases Brain Functional Connectivity and Reduces High-Risk Knee Biomechanics. Psychophysiology, 2325967119S0002. https://doi.org/https://doi.org/10.1111/psyp.13545