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Les tests orthopédiques classiques et l’examen de l’épaule aujourd’hui



Les tests orthopédiques sont largement enseignés, utilisés et décriés en même temps dans le cadre de la formation et de la pratique clinique des médecins et des kinésithérapeutes aujourd’hui.
  • Enseignés parce que utiles dans la démarche diagnostique en complément de l’imagerie. 
  • Utilisés car rapides, peu couteux et faciles à exécuter. 
  • Décriés car étudiés sous l’angle de leur faible corrélation avec l’imagerie pour déterminer un diagnostic anatomique de lésions structurelles. (1)
Or les examens d’imagerie sont eux même souvent peu corrélés à la clinique. En effet, les épaules saines à l’imagerie peuvent être symptomatiques, et celles montrant des lésions supposées ne sont pas toujours douloureuses. Cela est particulièrement vrai en sport overhead ou certaines adaptations pathologiques à l’imagerie et cliniquement  asymptomatiques sont extrêmement fréquentes. (2)
De plus certains examens d’imagerie sont chers et peuvent créer un effet nocebo en objectivant une atteinte anatomique asymptomatique. (3) 
Si ces examens ont évidemment leur place dans l’évaluation et la décision de prise en charge thérapeutique des épaules, la rééducation apparait dans de nombreux cas comme le traitement de choix et les thérapeutes ont donc dû se pencher sur un autre mode de raisonnement clinique.
 
Le raisonnement clinique en kinésithérapie de l’épaule : 

Au vu de ce manque de fiabilité et de reproductibilité des tests orthopédiques sur un gold standard dé-corrélé de la clinique (l’imagerie), il paraissait pertinent de développer un nouveau modèle. 
Développé depuis une douzaine d’année seulement, (4) il remet en question, et de plus en plus fortement, l’utilisation des tests orthopédiques classiques. La question est de mesurer sa pertinence dans la pratique et la conduite de notre traitement. 
Les plus grands spécialistes de l’épaule recommandent aujourd’hui un abord plus fonctionnel qu’anatomique, proposant des arbres décisionnels recherchant davantage la fonction atteinte, le mouvement douloureux et les paramètres influençant ces douleurs. (5)(6) Cela permet d’orienter la démarche thérapeutique dans notre traitement. 
Effectivement notre but n’est finalement pas de poser un diagnostic structurel, il parait donc peu pertinent de les étudier sous le spectre de leurs ratios de vraisemblance. 
Dans un complexe articulaire comme l’épaule, les tests musculo-tendineux sollicitent le muscle mais aussi des structures péri articulaires (bourses séreuses, capsule, ligament…). C’est pour cela qu’ils sont peu spécifiques.  Il est rare de pouvoir inclure avec quasi certitude une pathologie, et c’est souvent sous la forme de cluster. 
 
Une notion primordiale dans la prise en charge est de bien distinguer structure et symptôme. Un symptôme peut avoir plusieurs origines et une structure peut donner plusieurs symptômes. L’utilisation fonctionnelle des tests orthopédiques classiques peut donc s’avérer riche d’enseignement pour la mise en place de notre traitement.
 
 
 
Prenons en exemple le célèbre Jobe test (ou empty can test) : 
 
 
 

Il a été initialement décrit pour identifier des ruptures du supra épineux. 
 
Il a été ensuite étudié selon différents critères : faiblesse et/ou douleur déclenchée et selon différents diagnostics : rupture complète ou partielle du supra épineux (SE) isolément, ou de la coiffe () et plus récemment du syndrôme douloureux sous-acromial (SAPS). Il a également été étudié en terme de validité clinique selon que l’on utilise une irm ou une arthroscopie comme diagnostic de référence. (7)(8)(9)

D’après ces résultats contrastés, il apparait comme plus sensible que spécifique, qu’il faudrait mieux se concentrer sur une perte de force qu’une douleur pour identifier une lésion isolée du supra épineux mais qu’il ne serait pas possible de distinguer si elle est complète ou partielle. Il ressort également à l’EMG que certaine positions comme la champagne toast position recruterait plus analytiquement (9 muscles recrutés lors du Jobe test) le supra épineux et moins le Deltoide. (10).

Comme la majorité des tests orthopédiques de l’épaule, il est recommandé de ne pas les utiliser seuls mais accompagnés de tests complémentaires comme ici le full can test et le zero abduction test pour améliorer la valeur diagnostique. 
 
Il apparait donc qu’il n’est pas possible d’établir un diagnostic précis avec le Jobe test. Quand bien même il aurait été possible de définir une rupture tendineuse du supra épineux, de nombreux patients ont des ruptures complètement asymptomatiques… 
 
En revanche, nous ne pensons pas qu’il faille éliminer les tests orthopédiques du bilan de l’épaule douloureuse: 
 
Nous estimons que l’utilisation des tests est pertinente à condition de les utiliser en prenant  en compte leur intérêt clinique et de les corréler à l’anamnèse et notre examen dans son ensemble. 
Ils font d’excellents marqueurs pour identifier des mouvements douloureux et les évaluer au cours du temps et de la rééducation.  En plus de les utiliser comme tests reproduisant la symptomatologie du patient, on peut apprécier les éventuelles pertes de force du patient. Ils permettent de fixer des caps et des objectifs clairs et donc une trame.
 
Exemple, le Jobe test s’avère positif car il y a un déficit de force et/ou une douleur : je ne peux pas affirmer avec certitude le type de lésion qu’a notre patient. En revanche, mon objectif sera de récupérer une scaption (élévation dans le plan de la scapula) indolore puis de renforcer musculairement. Pour cela il existe un arsenal thérapeutique que nous maitrisons bien. 
  • traitement antalgique
  • recherche de paramètres influençant la douleur
  • rééducation fonctionnelle
  • renforcement musculaire
Auquel on ajoutera en fin de rééducation une phase spécifique au sport pour un return-to-play en sécurité et en prévention d’une éventuelle récidive. 

En conclusion, 
 
Les tests orthopédiques classiques de l’épaules sont peu spécifiques. Mais les atteintes structurelles, même importantes objectivées à l’imagerie sont souvent asymptomatiques en sport notamment. 
Ils présentent donc une limite évidente pour poser un diagnostic structurel. 
Cependant ce sont des outils intéressants comme marqueurs objectifs de l’évaluation. 
Ils apparaissent pertinents à utiliser en rééducation à condition de connaitre leurs limites et de les utiliser à bon escient, conjointement à une anamnèse détaillée et une approche plus fonctionnelle de la prise en charge de l’épaule.
 
 
Florian Patalagoity

Bibliographie
  1. Salamh 2020 - It Is Time to Put “Special Tests” for Rotator Cuff Related Shoulder Pain Out to Pasture
  2. Lesniak 2013 - Glenohumeral findings on magnetic resonance imaging correlate with innings pitched in asymptomatic pitchers
  3. Birrell2005 - Association between pain in the hip region and radiographic changes of osteoarthritis: results from a population-based study
  4. May 2008 - Expert Therapists Use Specific Clinical Reasoning Processes in the Assessment and Management of Patients With Shoulder Pain: A Qualitative Study
  5. Lange 2017 - Reliability of Specific Physical Examination Tests for the Diagnosis of Shoulder Pathologies: A Systematic Review and Meta-Analysis
  6. Greenberg 2014 - Evaluation and Treatment of Shoulder Pain
  7. Sgroi 2018 - Diagnostic Value of Clinical Tests for Supraspinatus Tendon Tears
  8. Hegedus 2012 - Which Physical Examination Tests Provide Clinicians With the Most Value When Examining the Shoulder? Update of a Systematic Review With Meta-Analysis of Individual Tests
  9. Ostor 2013 - Validation of Clinical Examination Versus Magnetic Resonance Imaging and Arthroscopy for the Detection of Rotator Cuff Lesions
  10.  Chalmers 2016 - The Champagne Toast Position Isolates the Supraspinatus Better Than the Jobe Test: An Electromyographic Study of Shoulder Physical Examination Tests