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Neutralité d'internet : la quête du chevalier Bayart

Homme de convictions et rhéteur éclairé, Benjamin Bayart part en campagne. En croisade pour la défense de la neutralité d'internet, Benjamin Bayart, président de FDN – le plus ancien fournisseur d'accès à internet français –, a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet sensible.

Comment un citoyen non initié doit-il entendre le concept de neutralité d'internet ?
Comprendre la neutralité d'internet n'est pas évident, car, si on y touche, les conséquences ne seront pas forcément visibles immédiatement. On peut faire un parallèle avec le principe de séparation des pouvoirs : si on essaie de s'en passer, ça pourrit la vie de tout le monde. La neutralité d'internet touche ainsi à des problèmes démocratiques majeurs et la somme des petits impacts d'un réseau non neutre entraînerait de graves conséquences, au niveau de la liberté d'expression notamment. Comme dans le cas de la séparation des pouvoirs, on peut dire qu'on n'est plus dans une démocratie si internet n'est pas neutre.

Quels sont aujourd'hui les ennemis de la neutralité du réseau ?
En premier lieu, les opérateurs. Tous les gros fournisseurs d'accès d'un côté, qui aimeraient bien prélever leur dîme sur ce qui circule dans leurs tuyaux – même si cela s'apparenterait à du racket. De l'autre côté il y a les gros opérateurs de services – Google, par exemple. Un réseau non neutre leur permettrait d'asseoir leur position dominante, puisqu'ils auraient les moyens de s'en accommoder, contrairement à de nouveaux acteurs innovants, mais sans force de frappe financière. Pour comprendre les enjeux, il suffit de se souvenir de ce qui s'est passé avec Altavista. C'était l'un des tout premiers moteurs de recherches, le plus usité à l'époque et, en trois ans, Google l'a séché sur pied. En l’état actuel des choses, Facebook peut très bien connaître le même sort…

Et comment cette problématique est-elle appréhendée par les politiques ?
Du côté du politique, on retrouve cette vieille tentation de contrôle autoritaire absolu, qu'a bien décrit Orwell dans 1984. Pour autant, les choses évoluent plutôt dans le bon sens. Certains, à droite comme à gauche, comprennent correctement les enjeux de la neutralité d'internet. D'autres sentent bien que ça touche aux libertés fondamentales, et quand on a consacré sa vie à la politique, on est quand même heurté quand nos décisions bafouent certains articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Les politiques sentent aussi que ça créerait certains dangers, comme donner des moyens disproportionnés aux opérateurs, dont ils se méfient. Cependant, certains n'y comprennent rien. Les débats au Sénat sur la Loppsi, par exemple, sont surnaturels.

N'y a-t-il pas également un problème d'usage ? En se centralisant, internet ne deviendrait-il pas un gigantesque minitel ?
La majorité des gens font des choses futiles, et c'est normal. Ils ont besoin de se vider la tête… En ce sens, on peut faire un parallèle avec Arte. Si on interroge les gens, tout le monde regarde Arte. Quand on jette un oeil à l’audimat, c'est une autre histoire… Je peux très bien passer ma soirée sur Facebook et considérer qu'il est important que tel ou tel blog existe. Alors certes, internet se centralise de manière inquiétante, mais les usages peu à peu évoluent aussi. C'est une question de temps, d'expérience du réseau.

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