Réflexions autour de la place du père


,Cet article est un message de la liste de discussion parents conscients publié avec autorisation de l'auteur.

Les messages de ces derniers jours me faisaient réfléchir à la place du père dans la relation avec le bébé. Il y a dans les messages de certaines personnes l'idée que la relation avec le père devrait être identique à celle de la mère, comme si cette identité était garante d'égalité. Dans ce cadre, le sein, et même la grossesse, sont des aberrations. Or si le père et la mère sont égaux ontologiquement en tant qu'humain, cela ne dit rien d'autre.
D'abord, le corps féminin est différent du corps masculin. Nous vivons une période de fusion totale avec l'enfant, la grossesse, ce que ne vit pas le père: la relation va se construire autrement.

Je me suis posé la question: c'est quoi être fusionnelle? C'est englober l'autre. C'est aussi nier les besoins de l'autre, puisqu'il est nié en tant que personne. On voit ça dans certaines relations amoureuses aussi: quand on veut faire un à deux, il y en a un de trop. On est nombreuses sur la liste à être en fin de grossesse. Personnellement, je me réjouis de voir la fin
venir: vient un moment où la fusion ne nous permet pas de connaître les subtilités de ce petit être que nous portons. Nous ne pouvons pas le voir, capter son regard quand nous lui parlons, le serrer dans nos bras. Les mères qui ont accouché par voie basse ont littéralement mis leur enfant dehors: il en faut de l'énergie pour supporter les contractions et pousser son enfant vers la sortie!!! (la césarienne, c'est différent, pour l'avoir vécu on ressent surtout de l'arrachement... c'est une autre histoire).

Est-ce qu'on est fusionnelle en répondant aux besoins de son enfant? La société tend à dire que oui, mais c'est parfaitement faux. Quand on est dans la fusion, on s'en fout des besoins de l'autre puisqu'on le nie. On ne prend en considération que soi dans la relation... et on ne laisse pas la place à ce que l'autre a envie. Or quand on allaite et qu'on porte à la demande, on est certes "collés", mais, en tous cas pour ma part, on le fait pour le bébé. Même si certains jours on aurait envie de le déposer dans son petit lit et qu'il y dorme toute la nuit comme dans les films!!! Dans cette optique, je ne vois pas du tout où est l'éjection du père par rapport au sein ou à n'importe quoi d'autre. Quand mon mari accueille avec moi dans le lit conjugal un de nos enfants pour un cauchemar, une peur nocturne ou simplement un "besoin de papa maman", il entend avec moi le besoin de notre enfant et il y répond de même. Et quand nos enfants ont besoin d'être portés, nous utilisons tous les deux des portes bébés qui nous conviennent... Pour moi, il y a deux choses qui font du mal à la relation père-enfant: le mythe du père-séparateur, qui va réclamer sa place d'amant et se voir comme en concurrence avec le bébé au lieu de se voir comme la personne qui répond aux besoins de son enfant avec la mère. En gros, je ressens cela comme si le père prenait une place de grand frère qui réclame maman au lieu de prendre sa place de père!!! Je me souviens d'un papa venu à nos rencontres du mercredi dans mon asso. Le papa, seul père présent, se demandait comment dire à son épouse qu'il avait envie d'elle, sans la "forcer". Là, je me suis dit (et je lui ai dit) que tous les magazines qu'on nous fourre sous le nez compliquent sacrément les choses. Les besoins du père ne sont pas concurrents aux besoins du bébé: ils s'y adaptent comme les besoins de la mère, et c'est très caricatural d'imaginer que la mère n'a aucun besoin sexuel, ou alors qu'elle les assouvit avec son enfant. Cela
n'est "logique" que si le père estime qu'il a "droit au" sexe, pas si on estime que dans une relation de couple équilibrée, la sexualité consiste à donner et recevoir à part plus ou moins égale. Bref, dans mon esprit, le père et la mère ont une relation de soutien mutuel, de don mutuel, de plaisir mutuel. C'est pour moi la norme. Si on ne fait que donner dans une
relation de couple, en l'occurence donner au père, on est en droit de se poser la question de notre bénéfice dans la relation.

Il arrive que le papa aille mal et ait besoin de soutien, certes, mais si ce ne sont pas les circonstances mais toute la relation qui est comme ça, il y a problème. Dans le cas du post partum, c'est d'ailleurs souvent la mère qui a besoin de soutien, qui se sent débordée... si le père ne pense qu'à "prendre sa place" plutôt qu'à remplir les besoins de son enfant, c'est douloureux. D'un enfant, on reçoit, certes, mais on ne peut rien lui réclamer. On choisit de le mettre au monde, on n'a pas le droit d'en attendre des compensations. Il m'est arrivé d'être soutenue par mes enfants, mais on ne peut pas leur réclamer ce soutien, on le leur doit à sens unique. C'est nous qui en sommes responsables. Poser le père en séparateur, mettre ses besoins en concurrence avec ceux du bébé revient à infantiliser le père, ce qui prive la mère de tout soutien et témoigne d'un mépris sans nom pour la personne du père qui se voit réduit à la position d'enfant supplémentaire, sauf qu'il est très gâté et a le droit de faire la loi!!!

L'autre chose qui fait du mal au père, ce sont les opinions à la Badinter. Bref, le bébé devient une sorte de petit maître à la maison qui empêcherait sa mère de vivre sa vie rien qu'en voulant téter, être porté et qu'on lui change ses couches. Bref, confions-le à des professionnels et que tout rentre dans l'ordre (productiviste de la société)... Père et mère sont donc
remis à leur stricte égalité... Soit mais ils sont égaux dans quoi? Dans l'esclavage au système productiviste. C'est fou ce que Badinter idéalise le travail. Une de mes amies vient d'arrêter de travailler, elle ressent cela comme une immense libération. Enfin, elle cesse d'être tiraillée entre les besoins de ses filles (son aînée souffre d'un trouble du déficit de
l'attention) et sa vie professionnelle, dans laquelle elle vivait une forme de harcèlement. Le problème de Badinter, c'est qu'elle ne conçoit le travail que comme emploi rémunéré, et l'indépendance que comme indépendance financière. Elle n'a pas tort de prendre en compte cette partie de la question, mais dans quel système vivons-nous qui place en priorité les
besoins du système productiviste par rapport aux besoins des petits humains à peine nés!!! Dans quel monde place-t-elle les couples, quand chaque heure de ménage fait l'objet de comptabilité, chaque heure passée avec les enfants, et que l'indépendance y est tant valorisée... Il y a une interdépendance dans le couple. Certes, financièrement, au niveau légal, je
dépends de mon mari. Mais les 100m² de potager que j'entretiens, le bien être de nos enfants, l'entretien de la maison, tout cela n'est-il qu'un travail stupide? Quand les ouvriers au 19e s avaient de mauvaises condition de travail, on n'a pas dit qu'il fallait absolument qu'ils quittent les usines pour s'émanciper. Pourquoi le dit-on des femmes au foyer? Je pense
que mon mari a mille fois "pris sa place de père" et s'est mille fois comporté en époux attentif en me laissant mener la vie que je souhaite mener. De mon côté, j'essaye de le soutenir et le conseiller au mieux dans ses choix de vie à lui, et on essaye que tout cela offre la vie la plus harmonieuse possible à nos gosses. Pourquoi se prendre la tête avec des théories fumeuses quand on peut faire les choses avec bon sens? Pour d'autres femmes de mon entourage, l'épanouissement passe par le travail. Une de mes grandes amies est docteur en mathématiques appliquées et chercheuse à l'UCL. Elle vient de mettre au monde son second, et c'est le papa qui prend le congé parental, papa qui adore porter en écharpe, bercer, ect. Doit-il être taxé de père fusionnel qui prend la place de la mère? Personne ne dira jamais ça, au contraire, c'est toujours la mère qui est suspecte. Or qu'importe, dans le fond, qui répond aux besoins du bébé du moment qu'ils sont remplis! Je ferai d'ailleurs remarquer que cette maman a toujours eu des allaitement longs, ce qui montre encore comment le père peut prendre sa place dans la relation même si la mère allaite!!!

Voilà, j'ai été longue, mais ça m'énervait de voir les besoins du père, de la mère et des enfants mis en concurrence, comme si ceux des uns de devaient être assouvis qu'au détriment de ceux des autres. La vie serait bien mal faite si c'était le cas. Pour finir, il me semble plus efficace que les pères et les mères soient attentifs à leurs propres besoins et à les formuler correctement. Qu'ils soient prêts à y répondre seuls quand l'autre n'est pas disponible. En tant que mère, j'essaye de travailler sur moi et sur l'amour que je porte au père de mes enfants, plutôt que de me focaliser sur ses manquements, qu'il ne manque pas d'avoir puisque c'est un être humain. J'attends de lui la même chose...

Belle journée.


Rédigé par Marie-Eve Lapy-Tries le Lundi 21 Novembre 2011 à 23:21 | Lu 788 fois