Obsolescence programmée : responsabilité partagée avec le consommateur


Interrogé par France 4 sur le sujet de l’obsolescence programmée, je me suis rendu compte que mon point de vue est plus nuancé que la chasse aux mauvais fabricants préconisée par certains. Je partage donc avec vous certaines réflexions. N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.



Extrait de Obelix et Compagnie, 1978
Extrait de Obelix et Compagnie, 1978
Je prépare actuellement un reportage qui va notamment s'intéresser à la thématique de "l'obsolescence programmée" des appareils électroménagers high tech. Avez-vous vous même pu constater sur des ordinateurs ou imprimantes "récentes" (dix dernières années) des " faiblesses" qui seraient dues à la conception de ces appareils ? La qualité de ces appareils s'est-elle "dégradée" par rapport à des modèles plus anciens ?”, me demande la journaliste.

A mon avis, ce que l'on considère comme de l'obsolescence programmée est une combinaison de quatre facteurs :
- Le progrès technologique
- La recherche du prix le plus bas par le consommateur
- l'évolution des modèles économiques vers les consommables plus que vers l'investissement
- La véritable obsolescence programmée par le fabricant

Je m'explique :

- Le progrès technologique est rapide, et il est demandé par les consommateurs. C'est bien sur moins le cas des cafetières que des smartphones. Mais si vous voulez plus de vidéos, plus de mémoire, plus de définition sur l'appareil photo de votre portable, cela veut dire que vous acceptez de changer d'appareil régulièrement, car les composants évoluent. Après, bien entendu, on pourrait se contenter d'un nouveau modèle d'iPhone tous les deux ou trois ans, mais vous n'êtes pas obligé d'en changer à chaque fois. Bien sur il y a un lien entre le logiciel, que l'on fait progresser et qui est mieux adapté aux derniers modèles, et l'obsolescence des modèles plus anciens, mais consommateurs et fournisseurs sont ici responsables. Les seconds changent de modèles pour intégrer des évolutions technologiques, et les premiers les achètent comme des moutons.

- La recherche du prix le plus bas. Je repense à la machine à laver de ma mère, une Miele qui lui a servi pendant 15 ans, sans problème. Mais elle avait coûté très cher. Elle avait fait un investissement. Aujourd'hui le consommateur veut payer le moins cher possible. Il préfère un produit jetable, de basse qualité et de bas coût; que d'investir dans un produit haut de gamme. Certains vous diront que le consommateur ne veut plus payer cher, parce que le produit est de plus mauvaise qualité. Mais je pense que c’est renverser la situation. C’est bien le consommateur qui préfère payer moins cher, au détriment de la qualité. On a bien connu cela dans le monde des vêtements. Un polo Lacoste de 1970 durait beaucoup plus longtemps qu’un polo Lacoste de 2010. Mais appelle-t-on pour autant cela de l’obsolescence programmée ?
Au Canada, le symbole de cette tendance est "Dollarama", une chaine de magasins où tout est à 1 ou 2 dollars. Pour Halloween, Noël, les anniversaires, on ne conserve rien, on utilise, on consomme, on jette.
Là encore, mes parents conservaient les décorations de Noël d'un hiver à l'autre, et elles étaient soigneusement rangées dans une boite, que l'on remontait de la cave chaque année en décembre pour garnir le sapin. Aujourd'hui le lendemain des fêtes de Noël, les poubelles de Montréal sont pleines d'objets achetés chez Dollarama, et que le consommateur préfère jeter et racheter l'année suivante. Cette obsolescence est programmée par le consommateur, par sa préférence pour le “pas cher - jetable”, au détriment du qualitatif forcément plus cher.
Quand vous dites que la qualité des imprimantes s'est dégradée; bien sur ! Il suffit de les comparer. Les imprimantes à aiguilles des années 80 pesaient lourd, avec beaucoup de pièces en acier, solides. Même les plastiques étaient plus épais. Mais une imprimante matricielle noir et blanc Apple coûtait 7700 Francs en 1985 ! Aujourd'hui à la FNAC, vous avez une imprimante Canon couleur à jet d'encre à 49 euros... Cela ne peut pas être la même qualité de produit. Mais quel consommateur achèterait aujourd'hui plus de 1000 euros une imprimante solide ?

- Les entreprises s'adaptent et parfois encouragent cette évolution. Leurs modèles cherchent à maintenir un niveau de chiffre d'affaires en progression, on ne peut pas le leur reprocher, c’est le principe fondateur de l’économie de croissance capitaliste. Cela ne peut se faire que sur les marchés de conquête, et pas de renouvellement normal. Il y a quelques décennies, les fabricants équipaient les consommateurs, en électronique, en électroménager. Maintenant ils ont déjà tout ! Le chiffre d'affaires ne peut donc se faire qu'en remplacement. Les entreprises doivent donc parfois, pour continuer à croître, forcer certains remplacements. Le consommateur qui veut payer moins cher, tombe aussi dans le piège des consommables. Ah ! une imprimante laser à 80 euros !!!! Mais combien coûtent les cartouches de toner ? Souvent plus cher que l’imprimante elle-même. Même chose pour les capsules de café, où les téléphones portables offerts en échange d’un abonnement. Le consommateur préfère ne pas investir, et payer à l'usage. Cela renchérit la facture, mais elle est étalée, donc indolore.

- Après, il reste le cas de l'obsolescence réellement programmée par les fabricants, qui fragiliseraient une pièce pour conduire à la panne du produit au bout d’un certain temps. Cela existe certainement, et c'est inacceptable, mais c'est une raison parmi d'autres. Et c'est sans doute celle qui est la plus difficile à prouver.
Il y a cependant quelques cas. Reprenons celui des imprimantes. Certaines contiennent un compteur, qui vous force à remplacer le tambour après X pages imprimées, même s'il fonctionne encore. C'est une forme de renouvellement programmé. Mais il est facile pour le fabricant d'expliquer que cela évite de pousser une pièce à bout et d'endommager d'autres éléments. Je pense aussi aux chargeurs électriques des ordinateurs portables Apple, qui coûtent presque 100 euros, et que beaucoup d'utilisateurs remplacent souvent car le câble casse. Voulu par Apple ou simplement mal conçu ? Difficile de trancher.

L'obsolescence programmée est donc bien une tare de notre société de consommation. Mais dans “société de consommation”, il y a “consommateur”. N’avançons pas les yeux fermés en disant “ce n’est pas moi”. Si ! Consommateurs et fabricants sont tous deux à l’origine de cette obsolescence programmée.

Philippe NIEUWBOURG
Philippe Nieuwbourg est expert précurseur en intelligence d’affaires. Il a créé et dirige depuis le... En savoir plus sur cet auteur