Pouvez vous m’envoyer les slides ? Non !


« Je ne peux malheureusement pas venir à votre conférence comme prévu. Est-ce que je pourrais recevoir les slides par email s’il vous plaît ? » est une des demandes les plus absurdes que je reçois régulièrement. Voici dans ce billet, expliqué pourquoi c'est absurde, de mon point de vue.



Powerpoint, le "souffleur" moderne
Powerpoint, le "souffleur" moderne
Qu'est-ce qu'une conférence ? Une prestation audiovisuelle au sens littéral, c'est à dire audio et visuelle. Les diapositives projetées sont un support, un complément de la prestation orale, ils ne se suffisent jamais à eux-mêmes. Lire les slides d'une conférence et s'en contenter c'est comme regarder un film sans le son, une pièce de théâtre dont les acteurs seraient muets, ou lire un livre sans le texte en se contentant des images.

Comment peut on partager des slides qui sont censés n'être que des supports visuels.
Si ce sont de simples supports, ça ne sert à rien de les partager ! Ils ne suffisent pas et tronquent le message.
Si tout est dedans, c'est alors que la conférence ne sert à rien !

Mon premier conseil s'adresse donc aux présentateurs. Si les slides de votre conférence sont suffisamment informatifs pour que les absents puissent comprendre le contenu de votre conférence à leur lecture, restez chez vous ! Votre présence à la conférence ne sert a rien !

Mon deuxième conseil s'adresse aux organisateurs. Si vous voulez connaître le contenu de ma conférence en lisant les slides que vous m'aurez demandé de vous envoyer avant, et si le contenu des slides vous suffit, c'est que là encore, ma présence n'est pas nécessaire, contentez vous donc de projeter les slides !

D'ailleurs, en passant, le meilleur des présentateurs est certainement celui qui est capable de tenir en haleine son auditoire pendant tout la durée de la conférence, sans aucun support visuel. C'est la force des conteurs que tout le monde écoutait religieusement, au coin du feu ou au pied de l'arbre. Avaient ils des slides ? Non. Et ils n'en avaient pas besoin. Fabrice Luchini a-t-il besoin de slides lorsqu'il lit un texte, seul sur scène ? Je ne crois pas… Nous ne parviendrons jamais à la cheville de Fabrice Luchini, mais cela n’interdit pas d’essayer de s’en approcher.

La mode est aujourd'hui aux slides imagés. Peu de texte ou pas du tout. Et une image. Allez, je dois parler d'agilité ? Et hop, un singe qui s'élance de branche en branche, avec en bas le mot "agilité". Ou même sans le mot si je suis révolutionnaire.
Ai-je vraiment besoin de cette image ? Mon propos sur l'agilité n'est-il pas suffisamment fort pour se passer de l'allégorie ? Si j'ai besoin de l'illustration ce n'est finalement pas pour l'auditoire, mais pour moi, conférencier, pour me rassurer.

Et nous arrivons à la réelle raison d'être de ces fameux slides... La médiocrité du conférencier. Car si les slides sont remplis de texte, c'est souvent pour servir de souffleur au locuteur, car il ne connaît pas son sujet ou pas assez.
Il suffit d'observer certains, le regard accroché dans un torticolis permanent à la projection derrière eux, dédaignant du même coup leur public à qui ils ne parlent pas, pour comprendre que ces fameux slides sont au mieux une anti-sèche, au pire un prompteur. Le conférencier nous donne ainsi l'image d'un dévot, accroché à l'écran de projection qui le surplombe.
Le pire étant souvent les conférences "académiques" où l'austérité des slides s'additionne à l'austérité du contenu et se conjugue à l'austérité du "professeur" présentant son "article".

Allez, une petite dernière pour la route. Des services tels que SlideShare sont, de mon point de vue, une aberration. Ils sanctifient les mauvaises présentations, celles où l'audio peut être oublié si l'on a le visuel. Sur ce point, une conférence enregistrée et mise en ligne sur YouTube avec l'audio et le visuel, est bien plus respectueuse de l'orateur. Si vous vous respectez comme orateur, arrêtez d'y publier vos présentations. Et si en relisant votre présentation, vous vous dites qu'elle peut être publiée sur SlideShare, c'est sans doute qu'elle est mauvaise et plus proche d’une plaquette commerciale !
Le seul intérêt que je vois et que j’accorde à SlideShare, c’est quand vous l’utilisez comme simple lieu de stockage, pour ensuite faire un “mashup” avec votre vidéo et présenter l’ensemble des deux, audio et visuel, grâce à un outil comme Presentz.js.

Alors comment faire, me direz-vous, "vous, monsieur Nieuwbourg, qui vous permettez si facilement de critiquer !" Quelques idées, que vous êtes libres de commenter :
- si vous osez, supprimez tout support. Racontez une histoire, si elle est belle et bien racontée, vous n'avez pas besoin de maquillage PowerPoint.
- si vous avez absolument besoin de présenter quelques schémas, faites-le, et utilisez un slide vide pendant le reste de votre discours. Les participants vous regarderont et vous écouteront au lieu de regarder vos images. Si vous n'êtes pas à l'aise, c'est normal au début, prenez des cours de théâtre, ou suivez une formation spécialisée.
- si un absent vous demande vos slides répondez lui gentiment en lui demandant s'il va à l’Opéra sans écouter les chanteurs.
- si l'organisateur demande à voir vos slides avant, demandez-lui s'il a commandé un conférencier ou une soirée diapo, et envoyez lui le lien vers ce billet. Et s'il insiste, envoyez lui un résumé de ce que vous direz sur une page de texte maximum. S'il n'a toujours pas compris, il ne vous mérite pas comme conférencier, annulez !

Ai-je toujours procédé comme cela ? Oh que non ! Mais après des centaines de conférences données, je me rends aujourd'hui compte peu à peu de ces aberrations, et j'essaie de mettre en application pour moi-même ces bonnes pratiques.

Philippe NIEUWBOURG
Philippe Nieuwbourg est expert précurseur en intelligence d’affaires. Il a créé et dirige depuis le... En savoir plus sur cet auteur