II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus

Avons-nous tendance à idéaliser le passé ? Un thème que F. O. Giesbert a repris et réanimé samedi dernier dans le cadre de son émission "Les grandes questions" avec deux philosophes de qualité, Roger-Pol Droit, pour qui la nostalgie reste "un vieux travers humain" et Vincent Cespedes, qui vient de publier "L'ambition ou l'épopée de soi", un titre qui "vibre" aux antipodes du cocon accueillant de la nostalgie. Alors, "Nostalgie : était-ce mieux avant ?"


photo Jacques Henri Lartigue, Yvonne, Koko et Bibi. Royan, juillet 1924
photo Jacques Henri Lartigue, Yvonne, Koko et Bibi. Royan, juillet 1924
A travers cette émission, je n'ai pu m'empêcher de penser au dernier essai d'Alain Finkielkraut qui a fait couler beaucoup d'encre et qui est précisément sur ce thème de "c'était mieux avant". Avant de savoir si A. Finkielkraut a raison de se montrer aussi pessimiste, il est bon de rappeler, comme le souligne Roger-Pol Droit, que quand on affirme "c'était mieux avant", il est important de définir "quand exactement" ? Et pourquoi "c'était mieux" ? Car différent ne veut pas dire mieux... Si l'on prend l'exemple de la médecine, aujourd'hui, on soigne mieux que dans le passé et il y a des chances que dans le futur, des progrès soient encore réalisés. Dans ce domaine, le "c'était mieux avant" est donc à proscrire. Attention également à ne pas tomber dans l'écueil de la subjectivité, on peut avoir l'impression qu'avant c'était mieux, parce que l'on était tout simplement plus jeune et que l'on avait moins mal aux articulations... Comme le fait remarquer Vincent Cespedes, la nostalgie est avant tout une notion subjective.

Que penser de "L'identité malheureuse" d'Alain Finkielkraut : la nostalgie a-t-elle du bon ?
Alors A. Finkielkraut a-t-il raison de regretter la France passée ? Le problème est que dans son essai, il mélange différentes réalités qui n'ont pas les mêmes causes : l'évolution de la société liée aux avancées des nouvelles technologies (qui n'est pas un phénomène français mais international), les problèmes d'égalité homme-femme dans les "banlieues" qui remettent en cause la tradition littéraire galante française, l'hypocrisie des bobos, l'excès d'égalitarisme qui viendrait amoindrir le sens des valeurs... Bref, il est difficile de s'y retrouver et de donner tort ou raison à son auteur, tant il y a de subjectivité et d'idées éparses.

Quand il critique les nouvelles technologies et les réseaux sociaux en citant le sociologue Christian Baudelot "On fait plusieurs choses à la fois et de moins en moins longtemps la même chose". Faut-il en déduire pour autant que le monopole du livre "papier" était mieux avant ? Le problème n'est pas tant les nouvelles technologies que notre éternel problème de rapport au temps. Le temps va trop vite, les phénomènes de "burn out" sévissent et c'est certainement pour cela que nous avons besoin de nostalgie pour ralentir le rythme de nos vies saccadées.

Quand il se moque des bobos, on peut bien évidemment sourire, car cela nous fait irrésistiblement penser à notre classe politique, donneuse de leçons, mais qui ne se les applique jamais à elle-même. Les bobos "prônent l'abolition des frontières tout en érigeant soigneusement les leurs. Ils célèbrent la mixité et ils fuient la promiscuité. Ils font l'éloge du métissage mais cela ne les engage à rien sinon à se mettre en quatre pour obtenir la régularisation de leur "nounou" ou de leur femme de ménage"." Pour être crédible, encore faut-il donner l'exemple. Mais est-ce que c'était mieux dans le passé ? Rien n'est moins sûr...

Lorsqu'il défend les rapports complices qu'ont su créer les hommes et les femmes en France, à quelle époque fait-il référence exactement ? Ne serait-ce pas là une vision un peu idéalisée des rapports homme/femme quand on voit avec quelle vitesse l'actuel président de la république a "répudié" sa première dame... Vivait-on vraiment avant dans une patrie féminine et littéraire ? Si on peut être d'accord avec lui sur le fait que le port du voile par une femme ne la met pas sur un même pied d'égalité qu'un homme et modifie les rapports homme/femme, il faut en revanche reconnaître que la femme n'a pas toujours eu une place de choix dans la société française. La société a mis du temps à évoluer et il s'agit aujourd'hui plutôt de ne pas reculer.

En dehors de la nostalgie, là où on peut le rejoindre assez aisément, c'est sur celui du raz le bol de la pensée unique, du politiquement correct, du "conformisme idéologique de notre temps". "Le politiquement correct n'est pas n'importe quelle idéologie dominante. il est l'enfant du "Plus jamais ça"". Alors entre le c'était mieux avant et plus jamais ça, il y a peut-être un antagonisme à dépasser. Attention également à l'excès d'instrumentalisation de la notion d'égalité, ne pas confondre égalité des droits et l'égalitarisme. Souhaiter que tous les citoyens soient "identiques" est illusoire et presque nihiliste. "Habités par la passion égalitaire nous menons le combat contre les discriminations jusqu'au point où tout finit par se valoir".


Que penser de "L'identité malheureuse" d'Alain Finkielkraut : la nostalgie a-t-elle du bon ?
Pour en revenir à la nostalgie, la question n'est pas de savoir au final si A. Finkielkraut a raison d'être nostalgique, mais pourquoi est-il nostalgique ? Comme l'explique si bien Barbara Cassin dans son livre "La nostalgie", la nostalgie est comme l'Odyssée d'Homère, qui interroge le rapport entre patrie, exil et langue maternelle. "Enracinement et déracinement, voilà la nostalgie". En plein exil américain, c'est la langue allemande qui manquait à Hannah Arendt et non pas l'Allemagne, ni le peuple allemand. Si le lien qui unit A. Finkielkraut à la France est la langue de Molière, la littérature française, sa nostalgie s'éclaire. Car "la nostalgie est moins une affaire de sol, que de langue natale".

Sources :
L'identité malheureuse, Alain Finkielkraut, Stock 2013.
La nostalgie, quand donc on est chez soi ?, Barbara Cassin, Autrement 2013.
Emission citée :
http://pluzz.francetv.fr/videos/les_grandes_questions_f5_saison2_,95769484.html?fb_action_ids=10152219525774905&fb_action_types=og.likes&fb_source=other_multiline&action_object_map=[186659641543154]&action_type_map=[%22og.likes%22]&action_ref_map=[]

le Mercredi 29 Janvier 2014 à 06:41 | Commentaires (0)

2013, un siècle après la naissance d'Albert Camus, nous a permis d'assister à un foisonnement de publications de cet auteur génial, décédé décidément trop tôt... Cet été, j'ai profité de la lumière estivale pour lire le Camus de Michel Onfray (L'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus) et relire Le premier homme (livre sur lequel d'ailleurs s'est beaucoup appuyé Michel Onfray pour les éléments biographiques), pour me replonger dans l'humilité de cette philosophie si lumineuse. Mais aussi pour assister au procès de Sartre contre Camus, car l'essai de Michel Onfray ressemble surtout à une réhabilitation de l'image de Camus contre Sartre. Une plaidoirie vigoureuse contre la mauvaise de foi de l'auteur de la nausée et du néant. "Camus a dû faire face à la haine de tant de gens pour avoir eu raison trop tôt." Quand on pense que Brochier et BHL ont vu dans "Noces", ce bel ouvrage de Camus, une philosophie pétainiste... Les bras nous en tombent.


Pour 2014, pourquoi ne pas s'inspirer de la pensée lumineuse de Camus ?
Quelle serait alors la "Camus Attitude" pour savourer la nouvelle année autrement ? Voici quelques pistes...

Apprendre la comparaison descendante
Vous devez vous demander, mais qu'est-ce donc que la "comparaison descendante" ? On entend souvent que se comparer rend malheureux, oui mais, tout dépend avec qui l'on se compare. Si l'on se compare avec des moins chanceux que soi, on prend nécessairement de la hauteur. Peut-être que c'est grâce à ce mécanisme psychique inconscient que Camus a toujours été lumineux, car il n'a jamais oublié d'où il venait. "La pauvreté a appris à Camus l'incapacité à l'amertume, mais aussi l'incertitude d'avoir réussi. Fils de pauvre pour lequel la culture n'est pas un héritage mais une conquête et qui se trouvera toujours illégitime dans le milieu intellectuel".
Sa maladie lui a donné également la bonne distance concernant les autres et le monde. "La comédie humaine préserve de l'envie ou du ressentiment".

Pour ne plus envier
"Devant ma mère, je sens que je suis d'une race noble : celle qui n'envie rien".
Enfant, Camus constate que, chez les riches, les objets disposent d'un nom. "Dans une maison bourgeoise, on parle du grès flambé des Vosges, du service de Quimper ; dans une maison de pauvre, il n'existe que des assiettes creuses, le vase posé sur la cheminée ou le pot à eau". Mais, "Ne rien désirer, ne rien envier" reste sa force.


Etre fidèle à la lumière de son enfance
Camus a toujours glorifié l'intensité qu'a pu lui procurer la "modeste" lumière du soleil dans sa vie."La pauvreté avec le soleil n'est pas la misère ; sans la lumière méditerranéenne la même pauvreté définit l'enfer sur terre." Chacun d'entre nous a au fond de lui sa madeleine de Proust qui l'extirpe du sentiment du vide. C'est ce refuge, ce Tipasa si bien décrit dans les Noces de Camus, qu'il faut cultiver et y être fidèle même dans ses moments les plus sombres.
"Au plus noir de notre nihilisme, j'ai cherché seulement des raisons de dépasser ce nihilisme. Et non point d'ailleurs par vertu, ni par une rare élévation de l'âme, mais par fidélité instinctive à une lumière où je suis né et où, depuis des millénaires, les hommes ont appris à saluer la vie jusque dans la souffrance".
"Je sais cela de science certaine, qu'une œuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l'art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur une premier fois, s'est ouvert" Noces à Tipasa.


Dépasser la pensée binaire
Camus n'est pas dans les schémas binaires de la pensée classique. Au moment de son accident fatal, se trouvait dans sa serviette Le gai savoir de Nietzsche en plus de son manuscrit sur le premier homme. L'amour de Camus pour le philosophe allemand dure depuis l'âge de ses 19 ans où il a découvert la théorie de Nietzsche sur la musique. "Camus a un rôle de Méditerranéen qui propose des solutions solaires, nietzschéennes, radieuses, indexées sur la pulsion de vie, aux antipodes du tropisme français et européen, nocturne, hégélien et marxiste, indexé sur la pulsion de mort."
Sujet d'actualité : Michel Onfray à travers Camus nous conseille de nous méfier des politiques qui se nourrissent du ressentiment. "Nietzsche s'oppose au socialisme de ressentiment : animé par l'envie de revanche, conduit par le désir de vengeance, ce socialisme-là s'installe du côté des passions tristes." Ainsi, s'habituer aux aphorismes contradictoires de Nietzsche permettrait peut-être d'échapper à la pensée binaire ambiante...


Etre courageux et avoir une éthique
Même si de nos jours, tout encourage à ne pas avoir d'éthique, c'est évident que pour se sentir bien dans sa peau, il est préférable d'en avoir une et surtout d'avoir des convictions. Comme le fait remarquer Michel Onfray, "Camus fit du journalisme une éthique, un combat politique. il dénonce les mœurs de la classes politique, les politiciens corrompus, la logique clientéliste.". "Le journalisme est le plus beau des métiers du monde - quand il n'est pas le pire : le plus beau s'il prend le parti de la vérité et de la justice, s'il défend la veuve et l'orphelin, s'il enquête et dénonce les scandales - le pire s'il se met aux ordres d'une idéologie, d'un système, des puissants ou s'il donne à l'homme du ressentiment les pleins pouvoir et l'impunité de son support". Alors quand Closer dévoile la nouvelle relation du Président avec Julie Gayet, est-ce du journalisme "poubelle" ou au contraire une mise en lumière de l'utilisation du pouvoir pour des fins personnelles ? A voir...

L'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus, Michel Onfray, Flammarion.

le Samedi 11 Janvier 2014 à 10:48 | Commentaires (0)

Le titre "La femme parfaite est une connasse" (de A.S et M.A Girard) sorti en 2013 est racoleur. Bien entendu, ce livre très léger ne vous apportera aucune réponse. Sinon quelques minutes de rire. Juste un petit "shooter" d'humour très chicklitt pour attaquer la nouvelle année sans culpabilité.

Personnellement, je l'ai lu déjà d'une part parce qu'il est court et pas cher (avouons-le, je ne vais pas faire ma "connasse") et d'autre part, parce qu'il correspond à un phénomène de société (occidentale) où les femmes commencent à être plus performantes que les hommes.


"La femme parfaite est-elle une connasse ?", 277 commentaires clients sur Amazon, un vrai débat qui s'annonce pour 2014...
L'image de la femme parfaite rôde ainsi dans tous les magazines et devient limite oppressante pour les femmes qui souhaitent juste être "normales". Mais quelle est aujourd'hui la norme ? Dans le magazine CLES de juillet dernier, un article titré "Il vaut mieux naître fille", on y apprend qu'en 2009, les femmes sont aux Etats-Unis majoritaires sur le marché de l'emploi et le nombre de celles qui gagnent plus de 100 000 dollars par an augmente plus vite que pour les hommes. En 2028, le revenu moyen de l'Américaine dépasserait celui de l'Américain. Autre chiffre révélateur pioché dans un article sur les "panks", aux USA, 42% des femmes entre 14 et 44 ans n'ont pas d'enfant. Aussi, quand on voit à la une d'un magazine, la photo sexy de Marissa Mayer, PDG de Yahoo, brush parfait et bouts pointus, on se dit que les femmes mettent la barre encore plus haut que les hommes... On regrette déjà l'image du bon père de famille. Cette tendance à l'over-contrôle, à la surperformance, est carrément inquiétante.

Ce qui est alors rassurant en lisant "La femme parfaite est une connasse", est de se rendre compte que l'on a toutes en nous une des particularités de la femme parfaite. Certaines achètent du bio, d'autres bricolent, portent des talons de 15 cm, sont organisées, savent faire des cupcakes, n'ont pas de cellulite, ne lisent jamais Voici, ont réussi à se marier, ont des beaux enfants... Ce qui est en revanche impossible c'est de réunir toutes ces qualités dans la même femme. Respirez, la femme parfaite n'existe pas. Et il y a donc très peu de connasses !

Mais ce qui est surtout amusant est de voir sur Amazon les réactions de certaines femmes qui ont pris ce petit opuscule un peu trop au sérieux et qui se sont senties attaquées :

"D'après les dires des auteures vu sur un plateau de télé, ce livre expliquait à la femme lambda (moi!) comment surmonter ses très nombreux complexes face à la femme parfaite (Kate Moss) je me suis donc dit que ce livre allait me remonter le moral. Que nenni! Ce livre attaque des femmes comme moi : je ne bois pas, je ne fume pas, je ne sort pas en boite, je sais cuisiner, j'ai un mari gentil depuis 25 ans, mes enfants sont casés et ont un bon métier et je n'ai pas une "vie de m****". Pour elle, je suis donc une connasse, lol. Pourtant j'ai un physique plutôt commun et je suis un peu boulotte. Alors quid!"

"Plus sérieusement je me suis dit "oh chic un livre qui va démonter un peu toutes ces poufs qui s'y croient à vouloir se la jouer starlette", pour moi c'était ça être une connasse!
En fait non: être une connasse c'est avoir une vie normale (ou, selon les auteures, une vie de m***!) une relation sérieuse, ne pas coucher le premier soir avec le premier mec rencontré lors d'une rencontre en boîte alors qu'on est bourrée (car il faut forcément être bourrée pour ne pas être une connasse), avoir un talent quelconque aussi basique que "savoir cuisiner autre chose que du micro-ondable"...
"

"Je pensais rire mais cette femme est haineuse en fait. Pour écrire son bouquin elle a listé tous les défauts qu'il est possible d'avoir (quand on est parisienne et victime de la mode, fumeuse, buveuse, jalouse, avec une bande de vraies fausses copines pourries etc). Et ensuite, elle a décidé que tout le monde ou presque était comme ça. Et que donc toutes celles qui n'avaient pas ces défauts là étaient des connasses. Voilà c'est ça le principe du bouquin."

(source : http://www.amazon.fr/product-reviews/229005948X/ref=dp_top_cm_cr_acr_txt?ie=UTF8&showViewpoints=1)

Les femmes ne sont décidément pas prêtes à se mettre d'accord sur ce que devrait être la perfection... et heureusement ! Restons libres de penser comme on a envie et détendons-nous.

Bonne année 2014 en toute décontraction !


Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 5 Janvier 2014 à 18:14 | Commentaires (0)

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Marjorie Rafécas
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.




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