Le bonus des traders, un «miracle» qui perdure...

Alors que les médias parlent du «miracle» qui a guéri sœur Marie Simon-Pierre, Jack Dion se penche sur un autre bien plus croustillant : celui des bonus des traders. Le contrôleur des rémunérations des opérations de marché, l'ex-président du FMI, Michel Camdessus, vient de rendre un rapport indiquant... que le montant des bonus diminue. Mais encore 3 milliards en 2009 : un miracle.

Le bonus des traders, un «miracle» qui perdure...
La presse en tient pour les miracles. Au pays de Voltaire et des Lumières, on nous relate l’histoire merveilleuse de Marie Simon-Pierre, surnommée « sœur Marie Simon-Pierre » car nous sommes dans un pays laïc qui n’a pas oublié qu’il fut, naguère, la fille aînée de l’Église.

Pour les béotiens qui auraient débarqué ce matin de la planète Mars, ou qui auraient pris un TGV bloqué dans la campagne à cause d’un incident de caténaire du à un attentat terroriste, on résumera rapidement l’histoire.

Marie Simon-Pierre est une religieuse atteinte par la maladie de Parkinson et qui a été guéri du jour au lendemain, en 2005. Pour elle comme pour l’Église, il n’y a pas de mystère. Elle ne doit son salut qu’à ses prières et à l’intercession personnelle de feu Jean-Paul II auprès de Dieu. C’est ce « miracle », comme on nous dit à la télé, qui va permettre au prédécesseur de Benoit XVI d’accéder au statut de saint.

On se gardera bien de jeter la pierre à la religieuse. Sa vie de croyante investie totalement dans la piété et l’entraide mérite le respect. Elle est libre de croire à qui elle veut et de baptiser « miracle » l’un de ces phénomènes médiaux inexpliqués qui jalonnent l’histoire de la science. Plus étonnant, en revanche, est l’envahissement du domaine médiatique public par un discours qui est à la laïcité ce que le clan Ben Ali est à la justice.

Mais puisqu’il est question de « miracle », il faut en souligner celui des bonus versés par les banques à leurs traders. Lui aussi vaut le détour.

Tout le monde se souvient qu’il fut question, au plus fort de la crise, de modérer les fameux bonus et de les ramener à un niveau présentable, ce qu’ils n’étaient guère jusqu’ici. Des ministres fort respectables et qui le sont toujours (ministres) avaient alors expliqué que c’en était fini des abus, et que Jérôme Kerviel ne laisserait aucune lignée financière. Les PDG des grandes banques, la main sur le cœur (c’est là qu’est le portefeuille), avaient juré qu’ils allaient être d’une sévérité exemplaire, et qu’à défaut de loi contraignante, les engagements pris seraient surveillés comme le niveau du CAC 40.

D’ailleurs, pour vérifier que ce code de la route financière, le gouvernement avait créé un poste de super-gendarme, confié à un super pro, Michel Camdessus, ancien président du Fonds Monétaire International (FMI), un prédécesseur de DSK. Michel Camdessus avait donc été bombardé « contrôleur des rémunérations des professionnels des marchés », ce qui vous classe son homme.

L’impétrant vient de rendre son rapport, et c’est là que l’on découvre le petit miracle, celui des bonus en principe contrôlés et qui demeurent néanmoins incontrôlables. C’est aussi drôle que les frasques spirituelles de Marie Simon-Pierre et de Jean-Paul II.

Que nous dit Sa Sainteté Camdessus, grand prêtre de la morale de l’argent ? Que tout ne va pas trop mal, puisque le montant total des bonus a baissé. En vérité, il n’a été « que » de 3 milliards d’euros en 2009, soit un peu moins qu’en 2008.

Il n’empêche que le bonus moyen s’élève à 242.000 euros, et surtout que les sommes touchées par les stars de la « bonus connection » dépassent toujours l’entendement. Ainsi, les 400 traders les mieux lotis ont reçu en moyenne 1,65 million d’euro en 2009. Les dix qui composent le dessus du panier ont même eu droit à 4 millions d’euros par tête de pipe. Quant au roi des rois, il s’est arrogé le pactole de 10 millions d’euros, une somme qui vient s’ajouter, rappelons-le, aux salaires et aux diverses autres avantages entrant dans les émoluments versés aux traders.

Fort pudiquement, le rapport Camdessus évoque « un système de rémunération hors normes ». Le mot est juste. Mais on se demande pourquoi il n’y a pas de normes. Il suffirait de le décider, en instaurant un salaire maximum, ou ayant recours à l’impôt pour conférer visage humain à ces revenus. Mais évoquer ces éventualités, dans certains milieux, relève du sacrilège, ou du crime contre l’esprit saint des marchés, un blasphème aussi grave que de contester la présence de la main de Dieu sous le voile de Marie Simon-Pierre.

Prions donc, mes frères, pour que les traders puissent sauver leur pain quotidien. Amen.

Jack Dion - Marianne | Mardi 18 Janvier 2011


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