Pour un revenu maximum

Jean-Philippe Huelin

Pour un revenu maximum
Autant être direct : je n’ai rien contre les riches et je suis pour un revenu maximum.

La raison est simple : je suis un partisan d’une rencontre féconde entre la physique de notre monde et l’économie de notre société. Cela implique notamment que rien ne peut être infini dans un monde fini : ni l’augmentation de la population, ni la richesse matérielle et donc pas non plus la part de celle-ci dont peut disposer un individu. Cela me parait donc être un signal clair pour aider à ancrer cette réalité dans les mentalités : non, on ne peut pas accumuler sans limites. C’est physiquement impossible, personnellement inutile et moralement discutable.

Une course sans fin, donc sans but

Si riches, et pourquoi ?

C’est inutile car passé un certain stade de richesse ni le confort ni le bonheur n’augmentent plus vraiment (voir par exemple ici). Maintenir un “standing” en participant à des activités élitistes et en gérant le train de vie associé coûte plus que de l’argent. Cela prend du temps et éloigne des autres aspirations de l’existence, générant une autre forme de frustration que l’on voudra compenser… avec plus d’argent.
S’engager dans une compétition du “toujours plus” pour faire aussi bien et si possible un peu mieux que ses voisins ne sert qu’à entretenir à l’infini un esprit de compétition qui finit par être stérile. Au bout du compte, cette compétition ne sert qu’à distordre le signal prix envoyé sur les seuils de qualité supérieure des consommations ordinaires. C’est un phénomène que l’on constate à peu près partout : la montée en prix “diverge” par rapport à la montée en gamme.

  • Prenons le vin : les premiers prix sont à quelques euros pour des vins de piètre qualité ; en doublant le budget (vers 8 €) on peut se procurer des vins de qualité moyenne ; en triplant ce budget (25 €) on peut obtenir de bons vins mais pour obtenir des vins d’exception il faut encore ajouter un facteur 4 (100 €). Bien sûr, si l’on cherche des vins encore plus rares et “exclusif” on va dépasser le millier d’euros voire bien plus
  • On peut appliquer des raisonnement similaires à d’autres produits alimentaires comme le thé, la viande (ou globalement la restauration), ou à l’automobile et bien sûr l’immobilier
  • Que se passe-t-il lorsqu’on monte dans cette gamme de prix ? A chaque fois, l’”objectif” est d’éliminer une partie de la population. Le terme “objectif” n’est pas des plus appropriés vu qu’il n’y a pas une volonté unique et déterminée derrière ce mécanisme de prix, mais utilisons-le faute de mieux. Cela coûte peu cher de “dissuader” les plus pauvres d’acheter certaines bouteilles mais pour dissuader la grande majorité des buveurs de vin il faut mettre la barre de prix beaucoup plus haut. Enfin, pour réserver les “meilleurs” (au sens de recherchés dans ce cas) crus aux personnes les plus riches il faut que leur prix soit à la mesure des revenus de ces derniers, donc astronomiques pour le commumn des mortels.

C’est moralement discutable, car cela pousse un peu tout le monde et beaucoup plus certains à définir l’augmentation de leur richesse comme l’horizon principal de leur existence, au détriment d’un épanouissement personnel, professionnel ou familial. Cette quête promeut des valeurs de cupidité et de transigence avec ses principes moraux, d’autant plus que la richesse fascine et qu’elle est trop souvent vécue comme la sanction de qualités supérieures, le badge d’entrée dans le club des “surhommes”. Je ne vois pourtant pas en quoi devenir millionaire implique qu’on est meilleur qu’un autre. On peut devenir riche pour de nombreuses raisons (par héritage, par chance, par tricherie, par opportunisme de carrière, par recherche délibérée des failles du système etc.). On peut bien évidemment le devenir par son travail, son sens du commerce ou son génie sportif ou intellectuel, mais en quoi posséder ces qualités implique-t-il que l’on mérite de gagner 100, 1 000 ou 10 000 fois plus qu’un travailleur honnête et dévoué ? Pourquoi le fait de posséder un fort sens des responsabilités, une générosité extrême ou un talent de médiateur ne rapporte-t-il rien (matériellement, car humainement il n’y a pas photo) ?
Etant moi-même plutôt confortablement payé pour un travail qui n’est pas assommant après des études dans lesquelles je ne me suis jamais beaucoup investi, je ne me sens pas “supérieur” aux personnes qui ont donné deux fois plus que moi pour gagner trois fois moins, bien au contraire. J’ai tiré profit de mes facilités qui s’avéraient correspondre à un domaine “porteur” et je suis sans doute moins méritant que quelqu’un qui est allé contre sa nature pour suivre une vocation.
L’autre effet pervers de cette course à la richesse et qu’elle donne l’impression à chacun qu’il peut devenir millionaire, ou que ses enfants le pourront. Or le club reste extrêmement select et c’est normal car l’augmentation de la richesse des plus aisés ne fait qu’augmenter le prix des “prestations” qu’ils recherchent et grandir la marche à gravir pour ceux qui voudraient les rejoindre. Pourtant tout un chacun veut y croire, ce qui légitime dans l’opinion notre modèle de développement. Ce qui permet également d’accepter sans broncher les tentatives politiques et médiatiques pour faire comprendre que cette ultra-richesse est bénéfique et ne doit pas être remise en cause.

Une limite en toutes choses

Voilà pourquoi je suis pour un revenu maximum : ce serait envoyer un signal fort et clair à tout le monde que la poursuite d’une chimère de richesse (et donc de pouvoir) absolu n’apportera qu’un semblant de bonheur à quelques élus et une frustration extrême aux autres. Ce serait libérer chacun du poids de ce besoin de réussite matérielle à tout prix, lui permettre de trouver d’autres motifs de satisfaction dans l’existence. Ce serait rétablir une “échelle des valeurs” plus humaine entre les différentes contributions de chacun à la société. Ce serait se rapprocher de l’idéal d’individus nés “libres et égaux”.

Le moyen le plus simple consiste en la mise en place d’une tranche “confiscatoire” de l’impôt sur le revenu conjointement à l’instauration d’un impôt citoyen.

  • La tranche confiscatoire est une tranche à 100% pour les revenus au-delà d’un certain seuil (et au-delà de ce seuil seulement), ce qui laisse quand même de beaux restes
  • L’impôt citoyen n’est pas vraiment une nouveauté car il existe notamment aux Etats-Unis. Il permet d’imposer un ressortissant Français où qu’il soit, et donc de couper court à toute peur d’un “exil fiscal” des plus riches, qui ne sont, comme nous l’avons vu, pas forcément les meilleurs, mais sans doute les plus cupides.
  • On objecte en général à ce moment là que les riches ne font pas que s’acheter des villas somptuaires mais investissent, créent des emplois etc. C’est bien sûr vrai. C’est également plus dur de créer de l’activité économique quand on gagne le SMIC. Cela dit, si l’objectif n’est pas de s’enrichir mais de créer de l’activité il est tout à fait possible de le faire, pour ceux qui se sont enrichis à travers leur entreprise, en utilisant directement les fonds de celle-ci pour investir plutôt que de passer par un transfert vers leur fortune personnelle. Rappelons aussi que payer des impôts n’est pas stérile mais consiste simplement à subventionner les services publics dont tout le monde bénéficie et donc en particulier à subventionner l’emploi… public.
  • Enfin, limiter l’échelle des salaires ne veut pas dire un salaire unique : en conservant un rapport de 1 à 20 on maintient une incitation au travail, au dépassement de soi, à entreprendre, à prendre des risques tout en limitant les effets pervers d’une thésaurisation stérile.

Ce n’est donc pas un projet “contre” les riches que je respecte et qui, comme les moins riches possèdent en leur sein des personnes aux qualités admirables. C’est un projet pour une autre société moins tiraillée par les inégalités. C’est un pas vers un modèle de développement plus respectueux de l’homme et de son environnement. Pour reconnaitre et accepter nos limites.

Blog Accroît-sens


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