Publication du rapport de Proxinvest sur la rémunération des dirigeants des sociétés cotées du SBF 250
Etrangement, la France, qui était il y a quelques années encore en avance sur les questions de gouvernance, est restée à l’écart du débat concernant le vote annuel des actionnaires sur la politique de rémunération, vote aussi appelé « Say on Pay », généralisé au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Suisse, adopté en 2009 en Allemagne et enfin en 2010 en Belgique et aux Etats-Unis par l’importante loi Dodd Frank. La crise semble avoir eu raison de nombreux abus comme de leurs critiques les plus virulents, mais les actionnaires des sociétés françaises restent vigilants comme le démontrent les statistiques 2010 de vote aux assemblées générales.
Deux dossiers illustrent ce recul du débat public sur les rémunérations en 2010 : celui de la Société Générale, dont les retraites et indemnités de départ des dirigeants, et au premier chef le PDG Frédéric Oudéa, auront été silencieusement mais fortement critiquées. Le second dossier, à peine entendu, fut celui de Renault qui a tardivement avoué, en juin 2010, la rémunération complémentaire considérable de son Président, Carlos Ghosn, chez Nissan Motors - environ 8 M€ - alors que le rapport Renault n’avouait que 1,2 M€. Ce sont aussi, là encore, deux nouvelles démonstrations que les recommandations de modération et d’autorégulation du patronat ne règlent pas le problème et que peut-être seul l’arbitrage des actionnaires est en mesure de contenir les excès.
Pour les premiers dirigeants du CAC 40, la rémunération totale moyenne baisse de 14%, de 20% à échantillon constant avec une médiane stable, ceci après deux années de baisse moyenne plus fortes de 25% en 2008 et 17% en 2007, tandis que les autres dirigeants du SBF 120 ont vu, eux, leur rémunération baisser de 14% en 2009 contre 17% en 2008.
Toutefois la part salariale progresse de 5% au niveau du CAC 40 et stagne au niveau du SBF 120, et c’est sans surprise la part actionnariale, c’est-à-dire la dotation d’options et d’actions gratuites, qui se réduit en moyenne de 46% et explique l’essentiel de la baisse. L’AMF relève, d’ailleurs, en juillet 2010 que 21 sociétés sur les 56 disposant d’une politique d’attribution d’options ou d’actions n’ont procédé à aucune attribution à leurs dirigeants au titre de l’exercice 2009, et 50% seulement des sociétés observées ont accordé de nouvelles actions gratuites ou options en 2009 contre 63% en 2008.
La part salariale fixe, variable et « accessoire » dans le total perçu par les présidents exécutifs se renforce donc encore pour le CAC 40 : de 54% en 2007 à 61% en 2008 puis 76% pour 2009, et pour le SBF 120 (hors CAC 40) de 56 % en 2007 à 64% en 2008 puis 72% en 2009, puisque les bonus qui avaient baissé de 26% en 2008 ont cru en moyenne de 13% pour le CAC 40 et beaucoup moins pour les moindres capitalisations. A échantillon constant, cette part variable croît à 35% du total perçu alors que la part fixe qui, malgré un montant absolu quasi-constant, prend elle aussi une part encore plus forte du total - passant de 24% à 30% - aux dépens de la part des incitations à long terme.
En ce qui concerne les rémunérations des présidents exécutifs du SBF 120 versées en période de crise, la formule 30-35-35 fait place à une formule proche de 35-40-25 soit environ 35% de fixe, 40% de prime et 25% d’incitation actionnariale à long terme.
Pour 2009, les patrons exécutifs du CAC 40 ont donc perçu un total moyen de 3,1 M€ contre 3,6 M€ en 2008 et 4,7 M€ en 2007 : ce montant moyen n’excède donc plus notre plafond Proxinvest du socialement acceptable de 240 fois le SMIC (4,3 M€) et se compare à un total perçu par les autres premiers dirigeants de l’indice SBF 120 hors CAC 40 à 1,6 M€ (contre 1,8 M€ en 2007). L’écart avec la moyenne perçue par les autres dirigeants du SBF 250 est notable : un dirigeant du CAC 40 gagne encore presque cinq fois le montant reçu par un patron des 130 dernières capitalisations de l’indice : la pente reste impressionnante.
Préoccupation des investisseurs reprise par l’AMF, la rémunération des présidents non exécutifs, les « chairmen », échappe toujours au contrôle de l’assemblée générale. Ces rémunérations d’administrateur à caractère exceptionnel demeurent parmi les plus élevées en Europe avec 928 000 € pour le CAC 40 en 2009, juste après leurs voisins latins : selon nos observations en 2008, les présidents français reçoivent quatre fois plus que leurs homologues allemands et néerlandais. A contrario, les administrateurs français du CAC 40, avec chacun 71 177 € en moyenne et 54 904 € en médiane, ressortent moins bien lotis que leur président et moins rémunérés que leurs homologues européens et se situent au douzième rang des rémunérations sur les seize pays que comprend l’étude 2008 des 300 premières capitalisations européennes (indice FTSE Eurofirst 300). Il serait de meilleure pratique que, à l’instar de tous ses collègues administrateurs non-exécutifs, le Président d’un conseil d’administration français ne se voit rémunérer qu’en jetons de présence, autorisés par l’assemblée générale au regard de l’article L.225-45 du Code de Commerce) et le législateur serait donc bien inspiré de revoir l’article L225-47 al.1 sur lequel se fonde les grandes sociétés françaises pour justifier l’absence de vote sur le sujet.
Les équipes dirigeantes dans leur ensemble (comités exécutifs, directoires…) voient une évolution contrastée : au niveau du CAC 40, c’est encore une baisse de 20% en 2009 de leur rémunération totale après la baisse de 14% en 2008, soit un total réduit à 1,4 M€ dont environ 1,1 M€ de part salariale et environ 400 000 € d’actionnarial tandis que les 80 autres sociétés de l’indice SBF 120 connaissent une baisse de 11%, après -17% en 2008, avec des chiffres évidemment plus modestes d’environ 600 000 € de part salariale et 200 000 € d’actionnarial.
Les critères de performance, mieux renseignés et donc mieux analysés dans le présent rapport, se sont généralisés sur les plans actionnariaux avec une répartition très nette de ces derniers : critères comptables internes pour les bonus annuels d’une part et critères externes de performance boursière pour les plans actionnariaux d’autre part. Comme les années précédentes, la transparence progresse donc mais la responsabilité régresse.
Alors que tous les pays, dont les Etats-Unis, ont, soit par la loi soit par le code de bonne gouvernance, adopté le principe de mise au vote annuel de la politique de rémunération, la France se refuse à soumettre les rémunérations des dirigeants à l’approbation de l’assemblée et au premier chef les rémunérations des présidents non exécutifs qui échappent ainsi à tout contrôle, au mépris de la loi. Le rejet en 2009 par les conseils d’administration de Total, Sanofi-Aventis, Cap Gemini, et cette année de Société Générale, de résolutions externes de très grands actionnaires demeure à nos yeux une violation de la loi et de la hiérarchie normale des contrôles.
Le second point d’importance concerne la transparence nécessaire des retraites chapeau relevée justement par le rapport de l’AMF sur l’application des recommandations AFEP/MEDEF. Proxinvest et ses collègues de l’European Corporate Governance Service (ECGS) sont donc conduits à rejeter tout plan de retraite sur-complémentaire présenté au vote qui serait mal documenté ou qui excéderait le plafond de 20% de la rémunération salariale moyenne au cours des trois dernières années. Il conviendrait également d’obliger les sociétés à communiquer le coût individuel annuel de cet élément de rémunération différée.
Le troisième point prioritaire pour Proxinvest est la meilleure lisibilité des critères de performance applicables aux bonus et aux plans actionnariaux : trop souvent les critères ne sont aucunement communiqués ou ne le sont que partiellement. On ne peut pas suivre l'AMF lorsqu’elle admet complaisamment la pleine recevabilité de critères de performance qualitatifs, « tout à fait légitimes », même s'ils restent confidentiels, pour la détermination de la partie variable de la rémunération. Proxinvest rejettera tout plan actionnarial n’offrant pas des critères de performance lisibles et mesurés sur long terme (minimum trois ans).
Pour 2011, Proxinvest et ses partenaires de l’ECGS ont défini leur politique de vote sur le contrôle des rémunérations et appellent le législateur ou l’AFEP-MEDEF à veiller à l’introduction d’un vote annuel sur la politique de rémunération en France afin de rendre les administrateurs plus responsables dans la définition de la politique de rémunération.
Paris, le 14 décembre 2010