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Entretien avec Nafa Kireche, ministre de l’Anavad : "Nous sommes demandeurs de débats contradictoires"

23/02/2015 - 15:02

DIASPORA (SIWEL) — Le fait d’être kabyle n’immunise pas toujours contre les positions ineptes. La Kabylie paie d’ailleurs aujourd’hui la courte vue et l’inconséquence de certains de ses leaders.


Tamurt info : M. Kireche, nous ne pouvons pas ne pas revenir sur les attentats de ce début d’année contre le journal "Charlie Hebdo" et la supérette "Hyper Cacher". Plus d’un mois a passé depuis ce drame. Quelle est votre lecture actuelle de ces évènements ?

Cet évènement tragique a évidemment eu une portée internationale. C’est clairement un"11 septembre" français voire européen. Il y avait là une volonté affichée des terroristes de marquer les esprits et de terroriser tous les individus qui seraient tentés de remettre en cause certains dogmes ou de se poser des questions sur une idéologie meurtrière qui sévit dans les pays musulmans et qui désormais s’étend aux pays démocratiques.
La Kabylie a affiché son soutien au peuple français, avec notamment une présence massive de drapeaux kabyles lors de la marche républicaine qui eu lieu à Paris le 11 janvier 2015 à coté d’une cinquantaine de dirigeants d’Etat du monde.
C’était d’abord un soutien à la liberté d’expression. Un principe très important pour la Kabylie. En Kabylie même, des manifestations spontanées se sont déroulées dans plusieurs localités. En France, je tiens à saluer l’action du réseau Anavad qui a organisé cette mobilisation à laquelle les Kabyles ont massivement pris part. Le monde entier a été intrigué par les drapeaux kabyles qui flottaient lors de cette manifestation. C’est ainsi que plusieurs journalistes ont approché Ferhat Mehenni, président du GPK, et d’autres militants afin d’avoir des informations à ce sujet. Alors que le régime algérien met toute son énergie à offrir au monde l’image d’une Kabylie refuge des islamistes, notamment par la troublante affaire Gourdel, les Kabyles ont tenu a remettre les choses à l’endroit : la Kabylie sera toujours du côté de la liberté contre la servitude.
D’ailleurs, il faut signaler que du côté algérien des manifestations tolérées, voire initiées par la police, ont eu lieu pour soutenir les assassins en criant "nous sommes des Kouachi" ou encore "Kouachi chouhada !". La Kabylie mérite mieux que d’être sous la coupe d’un régime capable d’enfanter de tels monstres.

Tamurt info : Comment expliquez vous alors que certaines voix kabyles, notamment celle de l’avocat et militant berbériste de la première heure, Mokrane Ait-Larbi, appellent à instituer un "délit de blasphème" au niveau international ?

Le fait d’être kabyle n’immunise pas toujours contre les positions ineptes. La Kabylie paie d’ailleurs aujourd’hui la courte vue et l’inconséquence de certains de ses leaders. Concernant Mokrane Ait-Larbi, il n’a pas échappé aux gens attentifs et aux observateurs, qu’il a déserté le combat pour la Kabylie depuis qu’il avait accepté un poste de sénateur du tiers présidentiel. Il n’a soutenu aucune des actions kabyles destinées à défendre la liberté de conscience et d’expression, notamment le déjeuner public du 3 août 2013, pendant le ramadan, ou pour soutenir les non-jeûneurs contre l’inquisition dont ils étaient victimes. Quand l’imam de Belcourt, Abdelfatah Hamadeche a appelé au lynchage de Ferhat Mehenni, on ne l’a pas non plus entendu. Je ne vais pas m’étendre davantage car il semblerait que les extrémistes pour lui ne seraient pas les Kouachi et Hamadache.
Sa proposition d’instituer un "délit de blasphème" au niveau international doit choquer même certains islamistes modérés. Ce délit est déjà institué dans les pays musulmans. Visiblement, l’Arabie Saoudite, l’Iran ou le Soudan, pour ne citer que ces pays, sont les nouveaux modèles de société de M. Ait-Larbi. Car ce projet implique deux choses : on ne peut pas demander à l’ONU de pénaliser le blasphème, sans pratiquer cette loi chez soi, ce qui nous amène à une autre conséquence, à savoir que l’arabo-islamisme est une idéologie indépassable, dans le pays de Saint Augustin, Mammeri et Kateb Yacine !
Pour la Kabylie, son application serait tout simplement mortelle au moment où le régime algérien encourage l’implantation de l’islamisme radical dans nos montagnes afin de venir à bout de notre résistance. Il faut dire les choses telles qu’elles sont : Celui qui prône des idées liberticides et qui ne reconnait pas de statut de peuple et de nation pour la Kabylie travaille contre celle-ci et trahit son combat.

Tamurt info Que pensez vous de l’initiative d’un "manifeste pour un statut particulier de la Kabylie" initié par certains militants ?

Le texte en lui-même est intéressant. Les initiateurs pensent avoir trouvé un compromis entre l’instauration d’un Etat kabyle et le jacobinisme actuel. Je crains malheureusement que ce ne soit un coup d’épée dans l’eau. Le régime algérien doit les trouver sympathiques mais les pétitions et autres interpellations verbales, loin de le faire trembler, le réconforte en lui apportant une reconnaissance de fait qu’il sait non méritée. Cette initiative me rappelle la pétition pour la reconnaissance de Tamazight comme langue officielle. Elle n’a évidemment eu aucune débouché sauf celui de ridiculiser encore un peu plus le combat des Kabyles, qui a changé de forme. Vous remarquerez que la liste des signataires est quasiment la même pour les deux textes. Et le résultat sera le même.
J’ai pu voir que certains des signataires veulent muter en organisation politique pure et simple. Le MAK et le GPK les encouragent à aller de l’avant pour la clarté du débat et des positions. Beaucoup de ces gens opèrent à la périphérie du MAK et de l’Anavad. La plupart sont des autonomistes convaincus mais doivent mettre leurs compétences au service d’un projet politique et non s’en servir comme simples commentateurs de l’action du MAK et du GPK dont les militants ont choisi d’investir le terrain.
Je suis cependant circonspect quant à la réussite de leur initiative car ce sont des diseurs et non des faiseurs. Le terrain implique des sacrifices qu’ils ne sont pas prêts de faire.

Tamurt info : Berbère TV organise régulièrement des débats sur la Kabylie avec certaines émissions comme "Regards sur la Kabylie". Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes demandeurs de débats contradictoires, de confrontations. C’est dans des échanges de points de vue que la Kabylie trouvera sa voie et que la démocratie deviendra réalité.
Mais en l’état, il y a de plus en plus de réticences au sein de nos cadres à participer à ce genre de débats. Nous sommes la principale force politique de la Kabylie et dans la diaspora et pourtant nous sommes réduits au rôle de faire-valoir et de caution sur ces débats tronqués, pour des gens qui n’ont absolument aucune implantation sur le terrain kabyle. Ces réticences dureront tant qu’il n’y aura pas sur les plateaux une représentation équitable des forces politiques kabyles.Retour ligne automatique
Permettez-moi d’ajouter que le journal de Berbère-tv relate avec forces détails les actions du gouvernement algérien et jamais celle du Gouvernement Provisoire Kabyle. Quand le président de l’Anavad et un de nos ministres, quand le président du MAK ou tout le Mouvement font l’actualité, et ils la font de manière quotidienne, Berbère-tv n’en parle qu’à de rares occasions.

Propos recueillis par Tamurt info




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