COLONISATIONS. COLLOQUE  A L'UNIVERSITE DE CORSE
Libre propos n'ayant pas valeur de contribution
 
Depuis l'antiquité des peuples colonisés sont souvent devenus les auxiliaires de leurs propres colonisateurs.
Pour nous en tenir au Maghreb, ce fut le cas des Berbères qui, après avoir donné à Rome légions et dignitaires  se firent les auxiliaires de la conquête arabe en al-Andalus.
En a-t-il été de même pour les Corses ?
Sans remonter aux Corses enlevés par les Barbaresques et n'ayant jamais pu revoir leur patrie d'origine, certains d'ailleurs étant devenus de parfaits serviteurs de la régence turque, il semblerait qu'aucune étude exhaustive n'ait été réalisée à ce propos, mis à part de brèves considérations sur la part prise par des Corses dans la conquête de l'Algérie (notamment lors de la prise d'Alger).
Des estimations précises sur le nombre de Corses composant la population française du territoire algérien à la veille de la guerre d'indépendance (Toussaint 1954) n'ont jamais semble-t-il été établies. Les deux petits villages de Grarem et Sidi Merouan étaient par exemple peuplés exclusivement de Corses.  Mais des natifs de Corse (puis leurs familles) étaient disséminés à travers toute l'Algérie française. Il en allait de même pour les protectorats du Maroc et de la Tunisie.
Pour prendre un exemple bien connu de moi, puisque familial, je citerai le cas de ma propre mère et de ses deux sœurs, ainsi que celui de l'un de mes oncles, devenu sous-officier  au 7ème RTA grâce, notamment,  aux "bons offices" de notre cousin le colonel Juin, 
En effet , celui qui devait devenir plus tard le maréchal Juin, était un "Pied-noir" né à Bône, mais il avait une ascendance corse.  Il  nous était apparenté  par sa mère (Preziosa Salini), laquelle avait épousé un gendarme ayant  effectué un séjour en Corse.
Avant de mener des campagnes qui firent sa gloire, notamment celle d'Italie, il participa à la "pacification" du RIF au Maroc, pacification  qui, soit dit en passant,  vit le vainqueur de Verdun, Pétain, utiliser d'abondance l'arme du gaz pour réduire la révolte.
De manière générale, et sans entrer dans des détails concernant les motifs de l'émigration corse vers le Maghreb, l'Afrique noire et l'Indochine, où un autre oncle connut une courte expérience militaire,  nous retiendrons que les Corses ont largement servi la France à travers les services de nombreux insulaires de toutes catégories. Ces derniers ont en effet alimenté ses armées, son administration et sa police tout au long de l'expansion coloniale française.
J.M

 





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https://umrlisa.univ-corse.fr/actualite/colloque-colonisations-appel-a-contributions/
28 April 2022 par Catherine Walch
28 et 29 septembre 2022 à Corte

 
Le caractère incertain du pluriel permet d’ouvrir la réflexion tant sur la nature profonde de la démarche coloniale que sur les formes, diverses, qu’elle a prises. Cette thématique fait aujourd’hui, notamment en Europe, l’objet de nombreux débats. Au moment où l’on commémore le soixantième anniversaire de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, parfois sur fond de polémique, il paraît intéressant de revenir à nouveaux frais sur une question qui continue à susciter nombre de discours politiques et de travaux universitaires.

– La conférence inaugurale du colloque sera prononcée par Benjamin Stora.
– La première journée sera organisée autour de la thématique « La colonisation, fille illégitime des Lumières ». Elle sera consacrée aux travaux sur la genèse, les justifications, les motivations réelles, l’histoire, l’imaginaire et les mémoires de la colonisation européenne à l’époque contemporaine (de la fin du XVIIIe siècle à la décolonisation).

– La thématique de la seconde journée, « Les Corses dans l’empire colonial », sera l’occasion d’opérer un focus et de faire un point scientifique sur une question ayant déjà donné lieu à un colloque, il y a une vingtaine d’année (Corse colonies).

Première journée : « La colonisation, fille illégitime des Lumières »

Fille illégitime, car si l’on croyait les Lumières mariées avec l’esprit de justice, seul leur compromission avec celui de lucre et de prédation a pu engendrer le phénomène colonial. Comment l’ère des déclarations des droits humains (« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ) a-t-elle pu produire une situation aussi inégalitaire que le système colonial ? Les mécanismes qui ont conduit de l’une à l’autre doivent continuer à faire l’objet d’études et d’analyses toujours plus précises, à un moment où l’on voit d’une part ressurgir des discours de justification ou de déni, et d’autre part apparaître des exigences de repentance toujours plus pressantes, adressées aux générations actuelles qui ne peuvent se sentir responsables de fautes – fussent-elles singulièrement graves – commises il y a un si grand nombre de décennies.

Au centre de la problématique, on trouve naturellement la question politique de la concurrence entre nationalismes européens en pleine expansion. Le sujet est connu et a déjà été abondamment traité.

La question économique mérite certainement d’être encore explorée, les Lumières ayant engendré la révolution industrielle, laquelle joua une rôle conséquent dans le développement des projets coloniaux : « …rêve du marché idéal, moteur de l’économie et explication des évolutions géopolitiques. Mais ce rêve est rationnalisé, organisé, rien n’est laissé au hasard. (…) L’Âge d’or semble tendre les bras à une Europe qui se sent capable de changer la face du monde… »

Il est également étonnant de voir que des responsables politiques comme Jules Ferry, engagés dans le projet d’émancipation par l’éducation et le savoir promu par les Lumières, ont pu justifier la démarche coloniale au nom du devoir, pour les « races supérieures », de « civiliser les races inférieures », ce qui – par-delà une rhétorique qui nous paraît aujourd’hui insoutenable – conduisait à l’exact contraire de l’émancipation…

On peut également s’interroger sur le passage d’une soi-disant supériorité de civilisation à une prétendue supériorité raciale. Dans l’un et l’autre cas, l’objectif est naturellement de justifier la présence coloniale, le colonisé étant supposé – par essence – incapable, fainéant et violent, dans l’impossibilité d’organiser une société harmonieuse. Albert Memmi note, parmi les traits mythiques du colonisé, sa méchanceté, sa brutalité , accusation classique également relevée – s’agissant du nord-africain – par Frantz Fanon . Autre phénomène analysé par ces écrivains : l’intégration par le colonisé de l’idée de sa propre infériorité, et ce jusqu’à « la haine de soi » (Albert Memmi).

Toujours dans le registre des motivations – ou des justifications – de la colonisation, rappelons la place, dans l’imaginaire des pays de la rive nord de la Méditerranée, des représentations relatives au supposé despotisme oriental, lequel était lié aux razzias et à l’esclavage de Chrétiens dans les Etats barbaresques. En Corse, on trouve notamment des témoignages de ce traumatisme dans les locutions idiomatiques (« Razza macumetana ! ») et dans l’art pictural, avec la thématique du « Maure bourreau » très présente dans le baroque insulaire . Le souvenir de ces événements, transmis par la tradition orale, a certainement joué un rôle dans l’engagement colonial des Corses.

S’agissant des Lumières et de leur postérité paradoxale, on relèvera aussi la coexistence au XIXe siècle, au sein des mêmes milieux et parfois chez les mêmes personnes, d’un engagement antiesclavagiste et d’un soutien à la colonisation. Victor Schœlcher en est l’exemple le plus saisissant. Rappelons que le décret d’abolition de l’esclavage (1848) est intervenu quelques mois après que la conquête française de l’Algérie a été accomplie avec la reddition de l’Emir Abd el-Kader. Mais déjà au XVIIIe siècle, les discours sur l’esclavage et la colonisation étaient loin d’être exempts de complexité et d’ambiguïté. Les travaux d’Yves Benot sur les fondements intellectuels de l’antiesclavagisme et de l’anticolonialisme au siècle des Lumières ont apporté une contribution déterminante à la compréhension de la question. S’agissant de la colonisation, l’abbé Raynal, figure marquante de l’antiesclavagisme, défendait lui-même une idée largement répandue au sein des Lumières : « Si la contrée est en partie déserte, en partie occupée, la partie déserte est à moi. J’en puis prendre possession par mon travail. » Rappelons du reste que Napoléon Bonaparte, qui avait été un lecteur passionné de l’abbé Raynal et qui avait entretenu des relations épistolaires avec ce dernier, rétablit néanmoins l’esclavage qui avait été aboli par la Convention. Par ailleurs, sa campagne d’Egypte avait constitué une opération de nature à la fois militaire et coloniale.

De la colonisation française, un angle de vue complémentaire nous est donné par la littérature, qu’il s’agisse des écrivains qui en ont dénoncé les méfaits (Maupassant, Gide, Albert Londres) ou des chantres de cette même colonisation, de ceux que l’on appelait auteurs « colonistes », un qualificatif oublié de nos jours.
Comme on le voit, la thématique de cette première journée de colloque justifie la mise en œuvre d’une approche pleinement transdisciplinaire.


Deuxième journée : « Les Corses dans l’empire colonial »

« Vingt ans après… »
En 2002, le Musée de la Corse organisait une exposition et un colloque sur le thème « Corse Colonies », ceci afin d’analyser les rapports entre la Corse, les Corses et les peuples et territoires de l’ex-empire français, quarante ans après les indépendances. Loin de l’hagiographie des temps coloniaux, ces manifestations permirent de faire un premier point scientifique sur ces rapports complexes.

Aujourd’hui, une vingtaine d’années plus tard, le temps semble venu de faire un nouveau point sur l’état de la question, d’autant que le champ scientifique général s’est considérablement élargi. Entre-temps, en effet, de nombreux travaux ont été menés à bien sur la période coloniale. Aux recherches classiques sur les aspects économiques et politiques, se sont ajoutées les questions plus sensibles de genre, de castes, de sexe mais aussi celles de la dynamique des sociétés locales, de leurs résistances, de leurs stratégies d’évitement, etc. Le temps est également aux analyses comparatives entre empires ou parties de ceux-ci, dépassant ainsi les clivages historiographiques traditionnels, à l’étude des relations entre métropoles et empire, mais également à l’intérieur de l’empire, voire avec des régions d’autres puissances coloniales.

A la lumière de ces travaux, l’intérêt d’un nouveau colloque sur les relations « impériales » de la Corse et des Corses ne peut qu’être profitable, tant d’un point de scientifique – en faisant l’état du savoir concernant l’île, mais également des champs d’études à explorer – que sociétal, en permettant d’aborder certaines problématiques de la société insulaire au prisme colonial, en évitant les simplifications abusives. Les interventions porteraient sur une triple problématique :
• Tout d’abord celle de l’importance et de la durée de l’investissement des Corses dans l’empire français ; cela d’un double point de vue, humain et économique – à travers des exemples de « carrières » –, mais aussi culturel – dans le sens de représentations du monde, autrement dit comment l’empire a modifié la perception que les Corses avaient de la France et d’eux-mêmes.
• Ensuite, une analyse des relations inter-diasporique, ou comment les Corses vivent-ils l’empire, les liens qu’ils établissent entre eux au-delà des territoires. Cet aspect relationnel doit être étendu aux colonisés afin, d’une part, d’analyser la vision des Corses vis-à-vis de ceux-ci, mais également la vision que ces derniers se font des insulaires parmi les colonisateurs.
• Enfin, il s’agira de s’intéresser aux « mémoires d’empire » : qu’est-ce que la vision coloniale du monde et des hommes a laissé dans les représentations que se font les Corses d’aujourd’hui des personnes issus de cet empire, pour le meilleur et pour le pire ? A contrario, existe-t-il de nos jours, par exemple dans la littérature des pays d’Afrique du Nord ex-colonisés, une vision particulière des Corses ? On sait que c’est le cas dans quelques œuvres d’écrivains algériens de langue française des années 1950-1960, mais qu’en est-il aujourd’hui ?


Comité scientifique du colloque


– Eugène Gherardi, Professeur des universités, Directeur de l’UMR LISA 6240 CNRS, Université de Corse
– Dominique Verdoni, Professeur des universités, Université de Corse
– Didier Rey, Professeur des universités, Université de Corse
– Jean-Paul Pellegrinetti, Professeur des universités, Université de Nice
– Antoine-Marie Graziani, Professeur des Universités, Université de Corse
– Wanda Mastor, Professeur des universités, Université de Toulouse
– Christophe Luzi, Ingénieur de recherche CNRS, HDR, Université de Corse
– Sébastien Quenot, Maître de conférences, Université de Corse
– Denis Jouffroy, Maître de conférences, Université de Corse
– Laetizia Castellani, Professeur certifiée, Université de Corse
– Jean-Guy Talamoni, Maître de conférences associé HDR, Université de Corse

 
 

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https://www.mairie corte.fr/Agenda_du_mois_de_Septembre__Ville_de_Corte_actu_643.htm

 
Centre Culturel Universitaire : Conférence "Colonisation(s)"
 

Date : Mercredi 28 et jeudi 29 septembre 2022 de 14h00 à 18h00
Lieu : Spaziu Universitariu Natale Luciani
Colloque : Collectif Conférence inaugurale de Benjamin Stora



 
 Colonisation(s)


Le caractère incertain du pluriel permet d’ouvrir la réflexion tant sur la nature profonde de la démarche coloniale que sur les formes, diverses, qu’elle a prises. Au moment où l’on commémore l’accession de l’Algérie à l’indépendance, il paraît intéressant de revenir à nouveaux frais sur une question qui continue à susciter nombre de discours politiques et de travaux universitaires.
La première journée sera organisée autour de la thématique « La colonisation, fille illégitime des Lumières ».
Elle sera consacrée aux travaux sur la colonisation européenne à l’époque contemporaine.



 
COLONISATIONS. COLLOQUE  A L'UNIVERSITE DE CORSE

 
Depuis l'antiquité des peuples colonisés sont souvent devenus les auxiliaires de leurs propres colonisateurs.
Pour nous en tenir au Maghreb, ce fut le cas des Berbères qui, après avoir donné à Rome légions et dignitaires  se firent les auxiliaires de la conquête arabe en al-Andalus.
En a-t-il été de même pour les Corses ?
Sans remonter aux Corses enlevés par les Barbaresques et n'ayant jamais pu revoir leur patrie d'origine, certains d'ailleurs étant devenus de parfaits serviteurs de la régence turque, il semblerait qu'aucune étude exhaustive n'ait été réalisée à ce propos, mis à part de brèves considérations sur la part prise par des Corses dans la conquête de l'Algérie (notamment lors de la prise d'Alger).
Des estimations précises sur le nombre de Corses composant la population française du territoire algérien à la veille de la guerre d'indépendance (Toussaint 1954) n'ont jamais semble-t-il été établies. Les deux petits villages de Grarem et Sidi Merouan étaient par exemple peuplés exclusivement de Corses.  Mais des natifs de Corse (puis leurs familles) étaient disséminés à travers toute l'Algérie française. Il en allait de même pour les protectorats du Maroc et de la Tunisie.
Pour prendre un exemple bien connu de moi, puisque familial, je citerai le cas de ma propre mère et de ses deux sœurs, ainsi que celui de l'un de mes oncles, devenu sous-officier  au 7ème RTA grâce, notamment,  aux "bons offices" de notre "cousin" le colonel Juin, 
En effet , celui qui devait devenir plus tard le maréchal Juin, était un "Pied-noir" né à Bône mais ayant une ascendance corse.  Il  nous était apparenté  par sa mère (Preziosa Salini).
Avant de mener des campagnes qui firent sa gloire, notamment celle d'Italie, il participa à la "pacification" du RIF au Maroc, pacification  qui, soit dit en passant,  vit le vainqueur de Verdun, Pétain, utiliser d'abondance l'arme du gaz pour réduire la révolte.
De manière générale, et sans entrer dans des détails concernant les motifs de l'émigration corse vers le Maghreb, l'Afrique noire et l'Indochine, où un autre oncle connut une courte expérience militaire,  nous retiendrons que les Corses ont largement servi la France à travers les services de nombreux insulaires de toutes catégories. Ces derniers ont en effet alimenté ses armées, son administration et sa police tout au long de l'expansion coloniale française.
J.M



 
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https://m3c.universita.corsica/lumi/numero-2/
 
La colonisation, fille illégitime des Lumières ?


Jean-Guy Talamoni
Avocat, enseignant-chercheur HDR à l’Université de Corse


Fille illégitime, car si l’on croyait les Lumières mariées avec l’esprit de justice, seul leur compromission avec celui de lucre et de prédation a pu engendrer le phénomène colonial. Comment l’ère des déclarations des droits humains (« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »[[1]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn1 ) a-t-elle pu produire une situation aussi inégalitaire que le système colonial ? Les mécanismes qui ont conduit de l’une à l’autre doivent continuer à faire l’objet d’études et d’analyses toujours plus précises, à un moment où l’on voit d’une part ressurgir des discours de justification ou de déni, et d’autre part apparaître des exigences de repentance toujours plus pressantes, adressées aux générations actuelles qui ne peuvent se sentir responsables de fautes – fussent-elles singulièrement graves – commises il y a un si grand nombre de décennies.
Au centre de la problématique, on trouve naturellement la question politique de la concurrence entre nationalismes européens en pleine expansion. Le sujet est connu et a déjà été abondamment traité.
La question économique mérite certainement d’être à nouveau explorée, les Lumières ayant engendré la révolution industrielle, laquelle joua un rôle conséquent dans le développement des projets coloniaux : « …rêve du marché idéal, moteur de l’économie et explication des évolutions géopolitiques. Mais ce rêve est rationnalisé, organisé, rien n’est laissé au hasard. (…) L’Âge d’or semble tendre les bras à une Europe qui se sent capable de changer la face du monde… »[[2]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn2
Il est également étonnant de voir que des responsables politiques comme Jules Ferry, engagés dans le projet d’émancipation par l’éducation et le savoir promu à travers les Lumières, ont pu justifier la démarche coloniale au nom du devoir, pour les « races supérieures », de « civiliser les races inférieures », ce qui – par-delà une rhétorique qui nous paraît aujourd’hui insoutenable – conduisait à l’exact contraire de l’émancipation…
On peut également s’interroger sur le passage d’une prétendue supériorité de civilisation à une présumée supériorité raciale. Dans l’un et l’autre cas, l’objectif est naturellement de justifier la présence coloniale, le colonisé étant supposé – par essence – incapable, fainéant et violent, dans l’impossibilité d’organiser une société harmonieuse. Albert Memmi relève, dans son portrait mythique, la brutalité du colonisé[[3]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn3 , tout comme le fera Frantz Fanon au sujet du Nord-Africain[[4]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn4 . Autre phénomène analysé par ces écrivains : l’intégration par le colonisé de l’idée de sa propre infériorité, et ce jusqu’à « la haine de soi » (Albert Memmi).
Toujours dans le registre des motivations – ou des justifications – de la colonisation, rappelons la place, dans l’imaginaire des pays de la rive nord de la Méditerranée, des représentations relatives à un « despotisme oriental » lié aux razzias et à l’esclavage de chrétiens dans les Etats barbaresques. En Corse, on trouve notamment des témoignages de ce traumatisme dans les locutions idiomatiques (« Razza macumetana ! »)[[5]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn5  et dans l’art pictural, avec la thématique du « Maure bourreau » très présente dans le baroque insulaire[[6]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn6 . Le souvenir de ces événements, transmis par la tradition orale, a certainement joué un rôle dans l’engagement colonial des Corses.
S’agissant des Lumières et de leur postérité paradoxale, on relèvera aussi la coexistence au XIXe siècle, au sein des mêmes milieux et parfois chez les mêmes personnes, d’un engagement antiesclavagiste et d’un soutien à la colonisation. Victor Schœlcher en est l’exemple le plus saisissant. Rappelons que le décret d’abolition de l’esclavage (1848) est intervenu quelques mois après que la conquête française de l’Algérie a été accomplie avec la reddition de l’Emir Abd el-Kader. Mais déjà au XVIIIe siècle, les discours sur l’esclavage et la colonisation étaient loin d’être exempts de complexité et d’ambiguïté. Les travaux d’Yves Benot sur les fondements intellectuels de l’antiesclavagisme et de l’anticolonialisme au siècle des Lumières ont apporté une contribution déterminante à la compréhension de la question. S’agissant de la colonisation, l’abbé Raynal, figure marquante de l’antiesclavagisme, défendait lui-même une idée largement répandue au sein des Lumières : « Si la contrée est en partie déserte, en partie occupée, la partie déserte est à moi. J’en puis prendre possession par mon travail. »[[7]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn7  Rappelons du reste que Napoléon Bonaparte, qui avait été un lecteur passionné de l’abbé Raynal, entretenant même des relations épistolaires avec ce dernier, rétablit néanmoins l’esclavage, aboli quelques années plus tôt par la Convention. Par ailleurs, sa campagne d’Egypte avait constitué une opération de nature à la fois militaire et coloniale.
De la colonisation française, un angle de vue complémentaire nous est donné par la littérature, qu’il s’agisse des écrivains qui en ont dénoncé les méfaits (Maupassant, Gide, Albert Londres) ou des chantres de cette même colonisation, ceux que l’on appelait auteurs « colonistes », un qualificatif oublié de nos jours. La littérature corse a aussi, naturellement, été marquée par l’expérience coloniale, et ce jusqu’à nos jours. Le romancier Jérôme Ferrari en est un exemple emblématique (Où j’ai laissé mon âme, 2010)[[8]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftn8 .
L’année dernière, au moment même où l’on commémorait le soixantième anniversaire de l’accession de l’Algérie à l’indépendance – parfois sur fond de polémique –, il nous avait paru intéressant de revenir à nouveaux frais sur une question qui continue à susciter nombre de discours politiques et de travaux universitaires. De fait, le colloque « Colonisation(s) » des 28 et 29 septembre 2022 à Corte permit non seulement de partager les travaux les plus récents, mais encore de confronter les spécialistes de diverses disciplines s’étant penchés sur cet objet toujours incandescent.  Il fut aussi l’occasion d’aborder une problématique sensible sur notre île : le rapport des Corses à la colonisation et leur statut passé – et parfois encore discuté – de « colonisé colonisateur ». Un paradoxe, une contradiction indépassable, si ce n’est dans l’acceptation inéluctable de la complexité propre aux choses humaines…



[[1]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref1  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
[[2]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref2  Jean-François Klein, « Réseaux d’influences et stratégie coloniale. Le cas des marchands de soie lyonnais en mer de Chine (1843-1906) », Outre-Mers, Revue d’histoire, année 2005, 346-347, pp. 221-256.
[[3]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref3  Portrait du colonisé, Payot, Paris, 1979 (1ère édition : 1957), p. 112-113.
[[4]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref4  Les damnés de la terre, Gallimard, Paris, 2001 (1ère édition : 1961), p. 355.
[[5]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref5  « Race de Mahomet ! », expression qui sera toujours prise en mauvaise part.
[[6]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref6  Voir à ce sujet les travaux de Frédérique Valery, enseignante-chercheuse à l’Université de Corse.
[[7]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref7  Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Tome second, Pellet, Genève, 1780, p. 250.
[[8]]url:https://m3c.universita.corsica/lumi/editorial2/la-colonisation-fille-illegitime-des-lumieres/#_ftnref8  Editions Actes Sud.



 


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