Faits-divers

Fraude électorale à l'Etang-Salé : Des fonctionnaires et des chefs d'entreprise devant la justice


Le volet pénal des élections municipales de 2020 à l'Etang-Salé devait se jouer ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Saint-Pierre. Un premier procès a été renvoyé au 19 mars 2024. Cinq autres prévenus ont quant à eux été avisés des réquisitions prises à leur encontre dans l'attente du délibéré.

Par - Publié le Jeudi 6 Juillet 2023 à 08:22

Dès l'annonce des résultats des municipales de 2020, Mathieu Hoarau, battu à une voix près, avait annoncé porter plainte pour de nombreuses irrégularités constatées durant le scrutin. Sur le volet administratif, le Conseil d'Etat avait finalement annulé l'élection qui s'était rejouée en février 2022 avec la victoire de Mathieu Hoarau. Au terme de l'enquête pénale, l'implication de quatre fonctionnaires, le DGS de l'époque Alain Kichenapanaidou, l'ex DGA Joseph Dexport, la responsable du service des affaires électorales, un policier municipal, la conseillère municipale Laura Corré-Payet a été retenue. Tous sont jugés pour "atteinte à la sincérité d'un vote", l'enquête n'ayant pas démontrée les autres irrégularités visées par la plainte dont des problèmes dans l'acheminement des procurations.

Des plis électoraux non scellés déplacés

Ce soir du 28 juin 2020, la proclamation des résultats se déroule dans une ambiance tendue. Face au maire sortant, se dresse en effet un challenger qui depuis longtemps a le pouvoir de renverser la situation. Des manquements sont rapidement signalés dans le bureau 1. L'Etang-Salé est la dernière commune de l'île à proclamer les résultats. Et alors que les tensions dans et aux abords de l'hôtel de ville peinent à redescendre, les plis électoraux non scellés sont déplacés dans le bureau électoral de la responsable de service Jocelyne Moriscot. Un bureau fermé, à un moment à clé, à l'abri des regards de l'opposition mais aussi du public. La manoeuvre apparait d’autant plus suspecte qu' il y avait un différentiel de 7 signatures dans le bureau 1 entre le nombre d’enveloppes et le nombre de signatures sur la liste d’émargement (531 enveloppes pour 524 signatures).

Un différentiel qui interroge encore le prétoire ce jeudi. Ainsi, la sous-préfecture et le tribunal administratif ont bien comptabilisé un nombre de signatures sur la liste d'émargement qui correspond au nombre d'enveloppe. En revanche, à l'ouverture des scéllés en juin 2022, les magistrats, malgré de nombreux recomptages, ont retrouvé 524 signatures comme annoté dans un premier temps sur le procès verbal. le mystère reste donc entier. 

Le batônnier Normane Omarjee et Me Djalil Gangate conseils respectif de Laura Corré/Payet et Alain Kichenapanaidou
Mais alors qui a donné l'ordre de déplacer les plis électoraux ?

Les témoignages divergent sur la question. Finalement, le DGA, Joseph Dexport reconnait avoir lancé le mouvement, pour mettre les plis en sécurité assure-t-il à la barre du tribunal correctionnel. “Avez-vous reçu un ordre politique ?”, intervient le batônnier Me Normane Omarjee. “Non”, garantit le DGA. Les plis électoraux non scellés sont emmenés dans le bureau de la responsable des affaires électorales. Dans cet espace clos 10 à 30 personnes sont rassemblées dont les 5 prévenus. Une situation inédite reconnaissent les fonctionnaires. Et malgré les réticences voire les doutes du policier municipal Jean-Yves Lallemand, martèle-t-il, des photos des listes d'émargement sont prises.

Par ailleurs, en passant devant le bureau électoral, l'agent chargé de l'informatique s'étonne du monde présent à l'intérieur et a assuré avoir entendu : “zot lé sur zot y veux faire ça?"

Une attitude de "clan" dénoncée


En tout cas aucune modification n'a été faite sur les listes d'émargement, jurent l'un après l'autre les prévenus.
Le surlendemain de l'élection, c'est Laura Corré/Payet qui se rend en sous-préfecture pour recompter et finit par retrouver 531 signatures en expliquant que des pages ont dû être collées.

“C'est une bande de pieds nickelés qui a tenté de volé une élection”, tance l'avocat de la partie Civile Me Alain Antoine. Cette attitude de “ clan qui s'accroche au pouvoir parce qu'il en tire évidemment des avantages”, participe à “la relation de défiance avec nos institutions et nos élus”, analyse la robe noire qui demande solidairement aux 5 prévenus 5.000 euros pour le préjudice de la commune.

Si les prévenus ne sont pas poursuivis pour bourrage d'urnes, pour le parquet, l’infraction d’atteinte à la sincérité du scrutin est caractérisée. “Je peux comprendre les doutes mais il y a des certitudes”, avance la procureure de la République.

Ce sont ainsi 4 mois de sursis, un stage de citoyenneté à faire dans les 6 mois, 3 ans d’inéligibilité et de retrait du droit de vote qui sont requis contre les cinq prévenus. A cela s'ajoutent une amende de 750 euros pour l’ancien DGA Joseph Dexport, l’ancien DGS Kichenapanaidou et le policier municipal et une amende de 400 euros pour la directrice des affaires électorales et l’ancienne conseillère municipale de la majorité Laura Corré/Payet.


“Il y a eu pressions"

Pour le bâtonnier Me Normane Omarjee, conseil de l'élue Laura Corré/Payet, la plainte initiale a fait “pschitt  ”. “Il y a eu pressions de la part de l'équipe de Mathieu Hoarau”, plaide l'avocat qui remet également en cause l'opportunité des poursuites. Quant aux différentiels de signatures, il aurait fallu regarder et comparer avec les photos faites par les membres de la liste “la voix du citoyen”, pointe-t-il avant de demander la relaxe pour sa cliente à l'image de ses confrères qui ont également plaidé l'absence de textes de loi en lien direct avec l'infraction .

Si Me Gislain Chung To Sang pour la défense de Jocelyne Moriscot assure que “la montagne a accouché d'une souris”, Me Djalil Gangate voit dans cette audience “l'opportunité de reconnaitre la probité et l'honneur” que son client Alain Kicheninpanaidou n'aurait jamais dû perdre puisqu'il était sur le parvis de l'hôtel de ville quand les plis ont été déplacés.

Le jugement a été mis en délibéré au 14 août prochain. 


Deux chefs d'entreprise mis en cause

Deux chefs d'entreprises bien connus à l'Etang Salé sont également mis en cause. Joseph Cadet et Jean-Marie Calpétard devront s'expliquer à la barre pour avoir tenté d'influencer l'issue du vote par des promesses ou des dons. Jean-Marie Calpétard est un proche bien connu de l'ancien maire Jean-Claude Lacouture. L'homme a déjà été entendu pour des soupçons de malversation dans l'affaire immobilière "vent Ilet".   Ce procès a été renvoyé au 19 mars 2024.

Jean-Claude Lacouture devait comparaître aussi ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Saint-Pierre mais pas dans le cadre de la fraude électorale. Pourtant placé en garde à vue en juin  2021, l'ancien maire de l'Etang-Salé n'a pas été confondu dans cette affaire. Jean-Claude Lacouture doit en revanche répondre de prise illégale d'intérêts dans une affaire de 2018 pour laquelle Mathieu Hoarau et le CCAS se sont constitués parties civiles. 

En avril 2019, la justice avait condamné Jean-Claude Lacouture à 3 mois de prison avec sursis pour harcèlement moral.

En charge de la région sud de l'île, j'ai la main verte, le pied marin et la tête dans les… En savoir plus sur cet auteur