Société

Général Pierre Poty aux Réunionnais : "Franchement, quelle population formidable"


À l'aube de son départ pour une nouvelle mission au sein du commandement des Outre-mer, le général Pierre Poty, commandant la gendarmerie de La Réunion, nous a accordé un entretien où nous avons pu aborder les sujets brulants du microcosme réunionnais tels que les violences intra-familiales et l'augmentation permanente des trafics de stupéfiants. Bientôt promu général de division, il va rejoindre Paris en qualité de commandant en second du commandement des Outre-mer.

Par - Publié le Samedi 29 Juillet 2023 à 17:06

Le général Pierre Poty aura passé trois ans et demi à la tête gendarmerie de La Réunion. Dès sa prise de poste en 2020, il avait fait part de sa volonté de faire de la lutte contre les violences intra-familiales (VIF) une priorité. Quel regard porte-t-il sur son bilan à l'aube de son départ ? 

Les violences intra-familiales 

"Les violences intra-familiales sont particulières car c'est une chose sur laquelle nous n'avons pas de prise, nous ne pouvons que constater. C'est très frustrant car la courbe d'évolution des VIF ne tarit pas et est en constante augmentation. En 2022, c'est presque 30% d'augmentation à La Réunion. Ce n'est plus une augmentation, c'est presque un raz-de-marée ! C'est une hausse constante alors qu'au regard des chiffres de ces dernières années, il y a par exemple une baisse de moitié des atteintes aux biens". 

Alors que cette thématique est considérée comme une priorité quels que soient les différents corps concernés - police, gendarmerie et justice - le général Poty explique les initiatives qui ont été mises en place lors de son commandement pour lutter contre ces VIF :

"Il y a beaucoup d'initiatives et je voudrais saluer cela. Nous sommes dans une île où les gens ne restent pas sans rien faire. Il y a beaucoup d'associations qui se bougent à nos côtés, qui nous aident et qui nous secouent quand il y a quelque chose que l'on fait mal, il faut aussi le dire. Ce qui est certain, c'est que nous avons vraiment développé la formation de nos enquêteurs pour l'accueil de ces victimes. Nous avons également créé des groupes dédiés aux VIF mais ils sont parfois submergés par la masse. Concrètement, nous avons formé tous les enquêteurs de brigades, soit plus de 400 gendarmes et nous formons tous les trois mois les escadrons de gendarmerie mobile car ce sont souvent eux les primo-intervenants".  

Afin de lutter contre les VIF,  le travail avec les associations apparait donc primordial. À ce titre, il a été développé le concept de maison de protection des familles qui est vraiment orienté sur cette problématique. Si elles ne sont pas armées par des effectifs de la gendarmerie en raison du manque de personnel, souligne le général Poty, pour autant, il note la création du poste d'une psychologue clinicienne au sein d'une maison de protection des familles financée par le département et la préfecture :

"C'est la première fois qu'il y aura une psychologue dans une maison de protection des familles et c'est une première nationale. C'est une nécessité en zone gendarmerie car La Réunion se situe à la troisième place nationale en volume de VIF. Rapporté au nombres de victimes par rapport à la population, nous ne sommes pas troisièmes, nous sommes premiers et il y a un vrai sujet dans ce domaine". 

Le général Pierre Poty aura marqué de son empreinte la gendarmerie de La Réunion en obtenant la création de quatre nouvelles brigades dont trois seront exclusivement dédiées aux violences intra-familiales, soit une par compagnie. La quatrième aura la fonction de brigade de proximité et sera située à Bras Fusil à Saint-Benoit afin de mieux appréhender les problématiques de délinquances souvent connues par ce quartier. 



Les trafics de stupéfiants

Nous avons abordé ensuite la problématique des trafics de stupéfiants. Le commandant de la gendarmerie de La Réunion note, ici aussi, des avancées majeures en matière de collaboration entre services de l'Etat. Le matin de notre entretien, un nouveau speed boat était retrouvé échoué sur la côte est de l'île, probablement un go-fast en provenance de l'île Maurice : 

"Il y a des choses que ne voit pas la population, mais j'en vois le résultat, comme la création d'une cellule qui s'appelle la CROSS (Cellule du Renseignement Opérationnelle sur les Stupéfiants). Avant, la gendarmerie, la police, les douanes travaillaient pour elles. On a créé cette structure qui fédère l'ensemble du renseignement sur l'île. Cela a permis une meilleure efficacité inter-services. De plus, il y a la création de l'antenne OFAST (Office Anti Stupéfiants) à La Réunion qui a été confiée à la gendarmerie et qui permet de mobiliser des effectifs dédiés dans cette lutte.

Cette semaine encore, un gros réseau a été démantelé avec une saisie importante de produits réalisée. Sur les stupéfiants, il faut être réaliste, nous avons une augmentation extrêmement importante de l'utilisation des stupéfiants à La Réunion. Non pas l'utilisation de zamal mais de drogues beaucoup plus inquiétantes. Il y a trois ans et demi quand je suis arrivé, l'ecstasy était déjà présente, mais la cocaïne ne l'était pas. Il y a une arrivée importante, parce qu'il y a un marché et naturellement, nos regards se portent sur l'ouest du département, la zone festive où il y a une forte consommation de cocaïne mais pas seulement.

On constate aujourd'hui une consommation dans toutes les communes du département et parfois même les plus reculées. C'est inquiétant car cela génère des profits importants et derrière, la mise en place de structures de délinquance organisées avec des armes et des moyens financiers qui risquent de poser problème à l'avenir. L'enjeu majeur est d'être capable de faire encore plus d'efforts dans cette lutte. Il n'est pas trop tard, nous ne sommes pas dans une situation comme la Guyane par exemple
". 


Quels seront les défis de La Réunion pour les années à venir ? 

Selon le général, "le premier défi reste la lutte contre les stupéfiants. Me concernant, c'est un vrai sujet d'inquiétude car je vois une accélération vraiment rapide avec tout ce que cela génère. Nous l'avons vu, il y a eu des homicides et des tentatives d'homicides, ce n'est pas quelque chose que l'on voyait auparavant à La réunion. La question est : comment traiter cette délinquance organisée qui en train de se mettre en place ? Nous avons de bonnes idées là-dessus et nous allons obtenir des résultats"

En second lieu, le général Poty place l'axe Réunion-Mayotte comme un défi sociologique majeur pour notre île : "Comment on gère l'attelage entre Mayotte et La Réunion ? Ce qui se passe à Mayotte est globalement dramatique et nous ne sommes pas loin d'affrontements entre les communautés mahoraises et comoriennes qui ont parfois du mal à vivre ensemble compte tenu de la situation économique. Officiellement, il y a 250.000 habitants sur ce petit bout de terre mais dont on pense qu'ils sont plutôt 400.000 avec une grande partie de la population qui est en situation irrégulière, avec 80% des enfants qui naissent chaque année d'une maman étrangère, soit plus ou moins 7 à 8.000 naissances, et donc, que va-t-on offrir comme avenir à ses jeunes, quel emploi, quelle éducation dans une île qui est complètement saturée ? 

Forcément, nous sommes le département français le plus proche et nous avons des liens avec Mayotte depuis tous temps, donc je pense que le défi dans les années à venir est comment politiquement, sociologiquement, nous allons être capable de gérer cette attelage entre Mayotte et La Réunion et faire ne sorte de maintenir la cohésion sociale, le vire-ensemble et la paix que l'on connait à La Réunion.

Les gens ne s'en rendent pas forcément compte mais La Réunion est un département où le taux de délinquance est extrêmement faible. C'est le plus bas de tous les Outre-mer c'est certain et par rapport à la métropole le ratio délinquance par habitant est très en dessous de ce que l'on connait là-bas. C'est la réalité et il faut réussir à maintenir ça, cette société apaisée, bienveillante et ouverte
". 


Tout au long de son commandement, le général Poty a montré une proximité certaine avec ses hommes. Tous les ans, pour le 31 décembre, le général était sur le terrain afin d'accompagner et de soutenir chaque membre de la gendarmerie pour les festivités du réveillon. Sa devise est simple : "En avant derrière moi", même s'il reconnait que sa fonction ne lui permet pas d'être aussi présent sur le terrain qu'il le souhaiterait. 

Pour conclure, un mot pour les Réunionnais ?

"Je voudrais leur dire un truc, ils ne s'en rendent pas compte mais : 'vous êtes formidables'". Et d'ajouter : "Je suis tombé amoureux de La Réunion comme beaucoup de 'zoreils' qui débarquent ici. J'ai bien conscience que ce n'est pas mon île, je repartirai et je pars dans quelques jours, mais franchement, quelle population formidable. J'ai vécu des affectations et j'ai été sur d'autres îles, attachantes parfois, la Corse est attachante par certains côtés de sa population mais pas comme La Réunion. 

Ce n'est pas possible de trouver un endroit aussi paradisiaque grâce à la population qui réside ici. Je ne retiendrai pas la beauté des montagnes qui sont à couper le souffle, des paysages extraordinaires, je pense que nous pouvons en trouver ailleurs, mais une population comme il y a à La Réunion, ça va être compliqué. Je suis plus attaché aux valeurs humaines qu'aux choses matérielles et c'est ça qui va être le plus dur pour moi, quitter cette population qui est bienveillante
". 


Faits-diversier Passionné par tout ce qui vole, j'ai eu la chance de pouvoir effectuer une longue… En savoir plus sur cet auteur