Culture

Notes de lecture : "Fugue américaine" de Bruno Le Maire


Il paraît que le Macro(n) de l’Elysée n’a pas apprécié du tout la sortie du nouveau roman de son ministre des Finances. Parce que, sans doute, personne ne doit lui voler la vedette ? Ben… n’en déplaise à Jupiter, nous on aime pour la simple raison que ce roman est de très haute volée. D’ailleurs, ce n’est pas son premier…

Par Jules Bénard - Publié le Samedi 15 Juillet 2023 à 07:30

… Le ministre… Un éternel soleil… » et tant d’autres, ce ministre-là s’inscrit dans une glorieuse lignée, celle des gens de politique qui se mêlent d’écrire et il le fait bien. 

Au rang de ses glorieux devanciers, on peut citer le plus illustre des Français, De Gaulle, pour qui, paradoxalement, l’écriture n’était pas chose facile mais le résultat n’en était pas moins flamboyant. On sait moins qu’Edgar Faure était amateur et auteur à succès de polars publiés sous le pseudonyme transparent d’Edgar Sandet. Il y eut l’extraordinaire et inimitable Malraux dont presque tous les romans ont été portés à l’écran ; Bernard Debré dont le « Quand les carpes… » est un modèle du genre suspense ; François Baroin dont la somme monumentale « L’histoire de France par les villes et villages », laisse pantois tant c’est foisonnant et dont on se dit qu’il a dû en passer du temps, à se documenter ; ce qui ne l’a nullement empêché d’être un ministre et président (ex-) des maires de France, et plutôt un bon ministre !

Bruno Le Maire renoue donc avec une tradition bien française ; mais pas seulement française : Churchill a reçu le Nobel de Littérature ; Vàclav Havel fut écrivain et président de la république tchèque…

Dans sa « Fugue… », Bruno Le Maire nous entraîne dans un mix d’Amérique yankee et de Grandes Antilles d’avant la révolution castriste. Avec un souci admirable du détail, appuyé par une documentation énorme, il nous entraîne sur les traces de deux frères aussi dissemblables que possible, venus à La Havane juste pour assister à un concert du pianiste Vladimir Horowitz, avec les émerveillements et les déceptions collatérales.

Au fil des pages, nous croisons Arthur Rubinstein, se déplaçant dans cette fiction comme chez lui. Finalement, Horowitz sombre dans une profonde dépression dont l’auteur aura bien du mal à se dépêtrer car cet interne en médecine soigne tout ce qu’on veut sauf les maux de l’âme.

La phrase est très enlevée et je ne résiste pas au plaisir de vous en citer quelques-unes…

« Mozart, le génial Wolfgang Amadeus Mozart, a connu l’ennui… dès qu’il ne composait plus, sa vie sonnait aussi creux qu’un tambour…/…Au milieu de son visage ruisselant de fard, sa bouche accomplissait des mouvements de dilatation et de contraction comme une anémone de mer effleurée par les courants. Quel plancton verbal pouvait-elle avaler avec autant d’avidité ?…/…Les générations nouvelles oublient par paresse mais aussi par cruauté, elles veulent oublier ce dont elles sont issues pour ne rien devoir à personne, quand elles doivent tout à ce qui les a précédées. Les générations nouvelles sont injustes et cruelles pour se faire une place… »

Ainsi, autour des mésaventures (parfois salées) de ces deux frères, et bien qu’on soit au milieu du XXè siècle, par petites touches, l’auteur se livre à une analyse implacable de notre XXIè siècle déjà très chancelant.

A ne rater sous aucun prétexte !

« Fugue américaine »
Bruno Le Maire
Editions NRF/Gallimard