Soyez ravis par vos enfants!

Tu enfanteras dans la douleur...


Douleur et accouchement

C'est un des sujets qui m'interpelle beaucoup ... auquel je réfléchis souvent, sur lequel j'écris plus ou moins regulièrement ...
Il y a tant de facteurs à prendre en cause !!!

* l'époque historique où l'on accouche,
* la société où on accouche, l'endroit dans le monde,
* la culture "obstétricale" dont on est imprégnée,
* les "légendes familiales" autour de l'accouchement
* l'histoire personnelle de sa mère, de son père,
* la façon dont ils sont nés eux, et leur place dans leur famille
respective, à mettre en rapport avec la place de cet enfant-là dont
on accouche (je sais pas si je suis bien claire là ... je veux dire
que si l'on est l'aînée, l'accouchement de son "aînée" risque de
réveiller pas mal de choses ...),
* la façon dont on est soi-même née (je me souviens d'une maman qui se disait terrorisée par l'idée de son prochain accouchement ... quand je lui demandais comment elle etait née, elle m'a répondu texto "tout s'est bien passé, ma mère a juste failli mourir d'une hémorragie, mais je ne vois pas le rapport avec mes angoisses" !!)
* son histoire intime personnelle : un viol dans l'enfance ou dans l'adolescence peut par exemple rendre le travail plus difficile par ce qu'il réactualise de "soumission à plus fort", de "souffrances liées au sexe et à son corps de femme ... et de ses rapports avec ses parents et sa mère surtout ... et de ce qu'elle a elle meme dit de son/ses accouchements, et de la naissance de cette femme-là qui est sa fille et qui devient mère ...
* son rapport à son corps, à son sexe, à la douleur en général, et à
cette douleur-là bien particulière ...

Liste non exhaustive, j'ai du sans doute en oublier au passage ...


Vous mélangez bien, vous secouez vigoureusement, et vous n'oubliez pas bien sûr d'ajouter les problématiques personnelles, professionnelles, familiales, (etc.) des personnes qui sont là pour votre accouchement... le contexte (hospitalier ou domicile ou maison de naissance), le moment de l'accouchement (jour/nuit, semaine/jours feriés...) et vous aurez une petite idée de la quantité de facteurs qui peuvent inférer dans chaque accouchement ... sans compter ceux que j'ai oubliés !

Transmission de l'influx douloureux


Attention, les connaissances sont en constante evolution, et ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera pas forcément demain. Autrement dit, dans l'état actuel des connaissance, ce texte est proche de la réalite.
Je vais essayer d'expliquer ce que j'ai compris de mes différentes lectures sur ce sujet (et surtout ce dont je me souviens !!!). Attention, je sens que je sens que c'est parti pour un cours ... prenez votre temps, mettez vos ceintures, et... décollage immediat !

La douleur peut être transmise selon plusieurs voies, selon son urgence :
1- si tu as ta main sur la plaque électrique rouge, il faut que la transmission soit ultra rapide : c'est un peu comme une voie expresse prioritaire qui court circuite toutes les autres sensations (faim, fatigue ...)
2 - par contre, une douleur moins "urgente" (courbatures, mal de tête, douleurs ponctuelles pas vraiment violentes) suit je vais dire l'autoroute usitée. S'il y a une autre sensation qui s'impose (faim, désir physique violent... ou un massage par exemple, ou une autre douleur etc.) cela sature plus ou moins les circuits et bloque la première sensation. Cette douleur-là peut être également supprimée quand l'attention se focalise brutalement sur autre chose (le mari dont la femme accouche peut en oublier sa migraine par ex).

Si j'ai bien compris, la sensibilité personnelle intervient au niveau de la transmission et de son décodage par le cerveau, non au niveau du ressenti lui-même.
Ce n'est pas évident à expliquer, parce que pour nous, les trois sont quasi simultanés : la stimulation douloureuse à l'endroit x, la transmission de cette stimulation par l'influx nerveux et la prise de conscience de cette stimulation (et la réaction qu'elle entraine). Mais cette simultanéité est biologiquement fausse; il y a quelque chose comme des fractions de secondes entre chacune à tel point que cela paraît idiot même de différencier les trois, mais je vais tenter d'expliquer.
Quand on se brûle, les terminaisons nerveuses sont stimulées et envoient l'influx nerveux. Selon l'importance et la gravité de cette brûlure, l'influx empruntera soit la voie expresse, soit l'autoroute (qui peut être plus ou moins encombrée par d'autres sensations).
Ensuite, cela est traité par le cerveau qui selon la voie utilisée (expresse ou autoroute) va réagir différemment : - en cas de voie expresse, c'est un "réflexe" (pilote automatique) qui va réagir, parce qu'il est plus rapide (cela se joue je l'ai dit en fractions de secondes, mais une vie peut basculer à cause de cela ...) et renvoie l'ordre immédiat avant tout de suite, de retirer sa main de la plaque brûlante (ces circuits sont pas encore activés quand l'enfant est tout petit (moins de deux ans - ou un an ? - je crois) et c'est pour cela qu'ils peuvent avoir des brûlures gravissimes aux mains notamment).
- si la sensation est véhiculée par l'autoroute, quand elle va "arriver", le cerveau va "prendre le temps" (quelques fractions de secondes aussi, hein) d'évaluer la situation et de transmettre les conclusions de cette évaluation, sous forme "d'ordres", et c'est cela qui nous arrive "instantanément" en tête, en réponse "immédiate" (en fait, biologiquement differee) à la sensation.

Alors où interfèrent les sensibilités personnelles ?
Pas au niveau de la sensation brute, sauf en cas d'atteinte par une "maladie" extrêmement rare qui fait que la sensation n'est pas enregistrée (pas de terminaisons nerveuses de la douleur dans le corps). Les personnes atteintes de cette anomalie meurent généralement très jeunes, puisqu'elles peuvent "souffrir" de n'importe quoi : crise d'appendicite, hémorragie interne, coupure d'un membre sans rien sentir du tout.
Donc ces sensibilités sont sur les d'autres niveaux : transmission de l'influx "douleur", décodage dans le cerveau et réaction a ce decodage...
Il faut savoir que plus une sensation emprunte une voie, plus la transmission est rapide (tout comme l'eau qui ravine un sol ... elle va suivre les mêmes "faiblesses de terrain", qu'elle va creuser peu à peu ...) et plus la sensation aura de facilité d'emprunter cette voie au détriment des autres (au détriment des autres voies, et au detriment des autres sensations) et plus également le "décodage" va devenir automatique et s'apparenter de plus en plus a la voie "expresse", sans réflexion ni recul.
Autrement dit... si on est sensibilisé jeune voire très jeune à la douleur (prématurité, problème de sante à la naissance, maladie chronique, hospitalisation, ou maltraitance parentale ultérieure...) et bien les "voies" vont se raviner très vite et très profondement.
C'est ainsi qu'une petite fille hospitalisée à la naissance (pour je ne sais plus quoi) et qui avait une perfusion attachée et scotchée sur sa main, et ce durant des semaines, ne supportait toujours pas a 6 ans qu'on lui touche le dos de la main, parce que le contact même non douloureux renvoyait immédiatement à une experience douloureuse, inévitable et interminable, à cet endroit du corps.
Une fois les voies "creusées", il est difficile d'en faire emprunter d'autres... puisque cela échappe completement à la conscience... c'est pourquoi traiter quelqu'un de "douillet", "femmelette" et autres gentillesses est complement stupide et inadapté ... la personne réagit avec tout son vécu à chaque nouvelle stimulation douloureuse, et c'est ce vécu entier qui peut aider à comprendre ces réactions...
Il y a la facon aussi dont est accueillie la douleur du bébé, dès sa naissance fut-il prématuré ... là, c'est une dimension "psychologique" sur laquelle on peut avoir plus de prise ; en effet, si le bébé est prévenu qu'il va avoir mal, mais que c'est pour lui donner un soin, que c'est pour qu'il aille mieux ultérieurement, et qu'on lui offre tout en meme temps un contenant avant, pendant et ensuite qu'il puisse exprimer sa colère, sa souffrance, sa peur ... et ce, à chaque fois qu'une douleur atteint l'enfant (quand c'est lors d'une chute, le discours n'est pas le même mais l'accueil si ...) ... l'important étant de rester dans le ressenti manifeste par l'enfant, sans minimiser (mais non tu sens rien) ou au contraire exagerer (par exemple, inutile de se précipiter systématiquement sur un enfant qui chute, paniqué, en disant "oh mon pov' bb, il s'est fait tres tres mal, mais c'est fini ...") et ne pas poser des sensations/emotions qui appartiennent en propre au parent, à ses propres peurs et angoisses, qu'il projette sur l'enfant - ... ...il semblerait que cette attitude, contenante et "reconnaissante" du vécu de l'enfant limite (mais dans quelle mesure ?) le risque que se creusent des voies "automatiques d'acces" qui rendent les réactions à toute douleur stéréotypées et disproportionnées (pour nous, mais pas pour la personne qui le vit, meme si intellectuellement par ex, elle est d'accord pour dire que tourner de l'oeil pour une petit piqure, c'est exageré ....) ...

Donc ... c'est ce qu'on a vecu après la naissance,et même peut-être avant, qui modèle nos reactions intimes profondes face à la douleur et qui explique tout en meme temps pourquoi il peut y avoir une telle palette de réactions, de la plus excessive (toujours pour nous) à la plus stoïque, l'une ne valant pas mieux que l'autre.
un autre facteur peut egalement intervenir : la concentration / motivation.
Quelques ex pour me faire comprendre : un soldat qui monte au front, persuadé du bien fondé de son combat, ne se rendra pas forcément compte dans le feu de l'action qu'il a été blessé, parfois grièvement. C'est quand sa concentration sur le combat va cesser que tout ce qui avait court-circuité les sensations douloureuses va disparaître et qu'il va prendre de plein fouet ces douleurs qu'il avait occultées.
Je me souviens encore de l'histoire de cette femme qui voit son enfant jouer sous la camionnette de son mari, surélevée par un cric (roue crevée), le cric cède, elle se précipite. Et bien elle peut bloquer la chute de la camionnette et permettre à son fils de se dégager, même si cela lui entaille profondément les mains ou lui déchire le dos ... (de par l'effort monumental pour empêcher plusieurs centaines kilos de ferrailles de tomber ...) ; elle ne lachera et ressentira la douleur qu'une fois son enfant en sécurité.
Et puis pour parler de quelque chose que j'ai vécu, quand je suis partie à Sarlat pour donner la vie, j'étais quasiment sûre de vivre la douleur que j'avais deja vécue deux fois, et cette fois sans aucune échappatoire chimique ... mais c'etait MON choix, et je l'ai acceptée et traversée, cette douleur intense, parce que je savais que la vivre ouvrait la voie à mon enfant à un accueil dans la paix et la sérénité, et que cela comptait plus que ma propre douleur ...

Voilà quelques pistes de réflexion...
Vous pouvez ranger vos cahiers et stylos, rabattre vos pupitres et sortir en silence : le cours est fini pour aujourd'hui ... ; - )))))))))))))))))))

Rédigé par Blandine le Lundi 25 Octobre 2004 à 00:00 | Lu 4602 fois