Marjorie Rafécas
Au mois sonnant des vœux, nul n’arrête la progression du temps. Les années se succèdent et le passé paraît irréversible. Pourtant, 2020, ce chiffre miroir donne l’impression de créer une boucle. Le temps est-il vraiment linéaire ?
Einstein n’a pas réussi à remodeler notre vision du temps avec sa théorie de la relativité. Et pourtant...
Je viens de finir Se souvenir du futur de Romulald Leterrier et Jocelin Morisson, qui explique la rétrocausalité du temps : le futur pourrait, selon eux, changer le présent. Les synchronicités seraient des signes provenant du futur. Alors, les machines à remonter le temps, ne seraient-elles pas de la pure fiction ?
Notre notion du temps reste intuitive (au sens philosophique du terme). L’imaginer autrement sera peut-être la prochaine révolution.
Penser le temps est un vrai casse-tête chinois…
Einstein écrivait « les gens comme nous qui croient à la physique, savent que la distinction entre le passé, le présent et l’avenir n’est qu’une illusion obstinément persistante ». Pour Eckhart Tolle, avec son best seller Le pouvoir du moment présent, le temps est lié au mental. Le temps est une illusion. Le présent est en dehors du temps. L’instant présent est éternel et est la vraie existence.
Nietzsche, par son intuition, pressent cette non linéarité du temps. Il évoque l’éternel retour et la nécessité d’oublier. Le concept d’éternel retour est hérité d’Héraclite et des stoïciens. L’éternel retour est une réfutation d’une idée de progrès linéaire. L’humain ne progresse pas. Le surhomme est celui qui dit oui à l’éternel retour. « Tout s’en va, tout revient ». Dans l’éternel retour, il est donc possible de connaître l’avenir, car il rejoint le passé, et vice-versa.
Dans cette boucle de l’éternel retour, on peut aussi imaginer un ordre inversé à celui de la chronologie, où l’avenir peut influencer le passé. Dans le livre Se souvenir du futur, les auteurs reprennent une théorie de Philippe Guillemant, physicien : « Le futur, sans nécessairement être totalement réalisé, pourrait l’être suffisamment pour contenir des conditions finales ». Et ces « conditions finales » peuvent jouer un rôle d’attracteur sur le présent. L’univers serait une création mentale et la conscience humaine existe en dehors des limites de l’espace et du temps selon Bernardo Kastrup.
Mais attention le futur n’est pas figé, il est « modulé en permanence par la conscience collective » (Philippe Guillemant).
« le hasard c’est le purgatoire de la causalité » écrivait Jean Baudrillard.
Lors de mes études de droit, cette histoire de causalité me rappelle un cours sur la responsabilité délictuelle, où le professeur avait expliqué que la cause d’un dommage pouvait être indirecte et lointaine dans le temps, de sorte que l’on n’identifie plus la cause et que l’on attribue ce dommage au hasard. Or il existe bien une cause, mais le problème est de la prouver. Or ce n’est pas parce que l’on ne perçoit pas ou que l’on ne comprend pas la cause d’un phénomène, qu’elle n’existe pas. Le doute cartésien devrait être de rigueur. Ce que nous appelons le hasard, désigne peut-être juste des causes qui ne sont pas visibles.
Par ailleurs, les auteurs de l’ouvrage Se souvenir du futur nous font douter de l’ordre chronologique du temps « passé-présent-futur ». Est-ce que les évènements se déclenchent vraiment de façon chronologique ? Le futur peut-il causer des effets dans le présent ? ce qui retirerait le côté irréversible du passé...
Si notre conscience appréhende le temps, il en est probablement différemment pour notre inconscient qui ne connaît pas l’écoulement du temps. L’inconscient est peut-être immuable. Ainsi, nous portons dans nos vies cette dualité : celle de notre conscience et celle de notre inconscient qui se manifeste dans nos rêves et nos actes manqués… et qui pourquoi pas, interagit avec le futur en créant des synchronicités. C’est très jungien comme approche.
Finalement, si on réfléchit bien à l’utilité du temps, c’est celle de permettre des rencontres à un instant T. C’est le temps/l’instant qui permet les rencontres, ce fameux hasard des croisées des chemins. L’heure nous permet de vivre en harmonie avec la société et la nature, et peut-être aussi en symbiose avec le futur ou le passé...
Le temps, conjugué à l’espace, reste la joie des rencontres, de toute sorte, dont la succession joue une belle mélodie.
C’est le temps qui nous sort de notre solitude.
Mais il demeure un profond mystère…
Se souvenir du futur, Romulald Leterrier et Jocelin Morisson, Guy Trédaniel éditeur, 2019