Ennemis publics de M. Houellebecq et B-H Lévy : et si Houellebecq troquait enfin son Schopenhauer pour Spinoza ?!
Marjorie Rafécas
Tout comme Schopenhauer, Michel Houellebecq n'a pas mérité sa mère. Est-ce par le ricochet de ce point commun que l'auteur des Particules élémentaires est manifestement touché par le philosophe Allemand le plus pessimiste de l'histoire ? Nul ne peut l'affirmer sans risquer de faire de la psychologie de comptoir. Mais, pourquoi préférer Schopenhauer à Nietzsche ? Probablement parce que Houellebecq, bien que romancier, n'aime pas se raconter des histoires. Il est finalement trop "pur" et un inconditionnel de la vérité.
En dehors de ces digressions sur Schopenhauer, j'ai trouvé très intéressant l'échange de Houellebecq et de BHL sur les effets de la célébrité, qui attise la "meute" et sa vengeance terrible. Houellebecq évoque ses ennemis dans la métaphore de la meute. "Dans nos sociétés occidentales, un individu peut parfaitement se mettre à l'écart du groupe. Mais tôt ou tard, la meute se réveille, se met en chasse, et finit par le rattraper." La meute est "composée d'individus médiocres, conscients et honteux de l'être". BHL se montre moins pessimiste, il rappelle que la meute est avant tout peureuse et faible. Pour mieux illustrer ses propos, il utilise Spinoza à bon escient. Pourquoi la meute est-elle faible ? Parce qu'elle se nourrit de passions négatives. "Elle est animée par l'envie, la raillerie, le ressentiment, la haine, la rancune, la méchanceté, la colère, la dérision, le mépris, tout ce que Spinoza appelle les passions tristes et dont il a établi, de manière définitive, qu'elles ne donnent pas de la force mais de la faiblesse". BHL en profite pour faire un clin d'œil à la campagne électorale de Nicolas Sarkozy "il a fait une campagne typiquement "passions tristes" et qu'avec des passions tristes, dit Spinoza, vous réussissez sur le court terme, mais vous échouez forcément sur le long terme". Rappelons au passage que Nietzsche s'est également toujours méfié de la foule, qu'il appelait "canaille", et a constamment mis en garde contre les effets du ressentiment.
Enfin, Michel, il faut que vous vous ressaisissiez ! Même si les passions vraies et tristes sont plus honnêtes que les passions fausses et gaies, il est temps de troquer Schopenhauer pour Spinoza !
Pour terminer plus précisément sur ce livre épistolaire entre BHL et Houellebecq, "Ennemis publics", j'avoue avoir été agréablement surprise par ces échanges plutôt profonds et sincères. Je n'avais pas du tout aimé la promotion et le marketing utilisés pour le lancement de ce livre, principalement fondés sur la "peopolisation". Que les éditeurs jouent le rôle de la meute est certes regrettable, que l'économie de marché leur sert souvent d'excuse pour masquer leur manque de créativité… Tout ceci est vrai, mais ne doit pas faire oublier l'essentiel : le contenu d'un livre. J'ai appris à mieux connaître Houellebecq, et ai fait connaissance avec BHL, car j'avoue n'avoir jamais eu la force de lire un de ces livres, à cause de son style trop alambiqué. D'ailleurs, en matière de style, on peut même être surpris dans ce livre par BHL, lorsqu'il décrit sa rencontre avec Aragon, il oublie ses hésitations philosophiques et décrit avec verve et humour cette rencontre très surréaliste.
Autre et dernier point positif du livre : il ne donne pas envie d'être célèbre ! Finalement, on se sent mieux, loin de la meute de foin…