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Assassinat des deux journalistes français: une magistrale leçon de machiavélisme

05/11/2013 - 01:22

PARIS (SIWEL) — Le trouble, la confusion, la manipulation, les sous-entendus et les non dits entourent le meurtre des deux journalistes français que certains voudraient reporter sur la responsabilité du MNLA. Or cet étrange assassinat qui intervient 4 jours après la libération de quatre otages français, à la suite de tractation avec les terroristes islamistes et au versement d’une rançon soulève bien des interrogations. Même André Bourgeot que l’on ne peut décemment pas qualifier d’ami des touaregs a reconnu l’absurdité d’une responsabilité du MNLA et regarde plutôt du côté des interlocuteurs de la France auprès de qui ont été négociée la libération des 4 otages français: « Est ce que la répartition des rançons versées a été équitable ? Il n’est pas impossible que certains au sein d’Aqmi se soient sentis grugés », déclare-t-il à l’AFP. De son côté, Pierre Boilley, directeur du Centre d’études des Mondes africains reconnait qu’il ne voit « aucun intérêt » pour le MNLA à enlever ou tuer des journalistes français. C’est effectivement le moins que l’on puisse en dire parce que la vérité consisterait plutôt à dire que l’assassinat de ces deux journaliste n’est que la conséquence directe de la politique française au Sahel.


Les touaregs, éternels boucs émissaires des intérêts occidentaux (PH/DR)
Les touaregs, éternels boucs émissaires des intérêts occidentaux (PH/DR)
L’assassinat des deux journalistes de RFI est marqué par de bien curieuses coïncidences. C’est en effet à la suite de la libération de 4 otages français annoncé comme une grande victoire contre le terrorisme que les deux journalistes sont « exécutés ». Par ailleurs, le meurtre a eu lieu dans des circonstances pour le moins suspectes, les deux français ayant été assassinés à Kidal, fief des touaregs du MNLA et enlevé par deux ravisseurs qui comme par hasard parlaient touareg et précisément au sortir d’une interview avec un responsable touareg du MNLA…de quoi faire d’une pierre deux coup : faire passer un message terroriste à leur interlocuteurs français, sans doute que la rançon payée n’était pas suffisante ou qu’elle ait été peut-être mal répartie entre les différentes organisations terroristes et puis par la même occasion faire du MNLA le parfait bouc émissaire d’une situation dont lui seul n’avait aucun intérêt à ce qu’elle se produise.

Ainsi, la presse française fait état de l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, « tués samedi à Kidal après avoir été enlevés par des hommes armés devant le domicile d'un des représentant du Mouvement national de libération de l'Azawad». Et Kidal, que tout le monde s’accordait à qualifier de ville malienne redevient subitement, et de manière quasi unanime « le berceau de la communauté touareg et de la rébellion du MNLA »...Oui, il s’agit bien de ce même MNLA à qui tout le monde conteste l’existence d’un quelconque berceau et encore moins une légitimité dans l’Azawad, les touaregs ayant été présentés comme étant ultra minoritaires dans l’Azawad.

Seulement voilà, maintenant qu’un double meurtre a été commis dans « leur berceau », il n’y a plus d’arabes, plus de peuls, plus de songhaï, plus de bambara, il n’y a que des touaregs. Il n’y en a que pour le MNLA alors-même qu’on lui contestait encore hier toute légitimité politique en dehors d’une « coopération avec les autres groupes armés », c'est-à-dire le HCUA et le MAA dont tout le monde sait qu’ils ne sont que les scandaleux recyclages d’Ansar Dine et du Mujao. Mais aujourd’hui, en la circonstance, il n’y a ni HCUA, ni MAA, il n’y a que le MNLA et il n’y a que des touaregs. Et c’est ainsi que de fil en aiguille, Europe1 rapporte que « cinq suspects auraient été "interpellés dimanche soir dans des camps où sont maintenus les anciens rebelles du MNLA »…oui dans un camp du MNLA, pas dans l’antre d’Ansar Dine, chez Alghabass Ag intall, ancien lieutenant d’Iyad Ag Ghaly, le chef terroriste avec qui a été négociée la libération des 4 otages…Mais NON, c’est dans un campement du MNLA que l’on va chercher non pas le coupable mais le bouc émissaire. Car, forcement, une telle information oriente l’opinion publique sur le MNLA et met en avant sa « probable » responsabilité dans l’assassinat des deux journalistes.

Au vu de ce scénario totalement grotesque, il est clair que seul le MNLA est visé. D’ailleurs la France a annoncé dimanche soir que la « sécurisation de l'ensemble de la zone" de Kidal "et des zones voisines" allait être accrue » Kidal, étant présentée comme une « zone de non-droit » du fait de la présence du MNLA qui empêche le déploiement de l’armée malienne, comme si l’armée malienne avait un seul jour combattu l’islamisme et le terrorisme.



Drapeau de l'Azawad en main, des jeunes femmes de l'Azawad face à un soldat de Serval à Kidal le 15 septembre 2013 (PH/DR)
Drapeau de l'Azawad en main, des jeunes femmes de l'Azawad face à un soldat de Serval à Kidal le 15 septembre 2013 (PH/DR)
De leur côté les maliens, résolument hostiles au MNLA, bien plus qu’au HCUA pourtant issus du groupe djihadiste Ansar Dine, ruent dans les brancards et accablent le MNLA qu’ils rendent de facto responsables de terrorisme au moment où ils amnistient les chefs terroristes et leur ouvrent la porte à la députation en les faisant, de surcroit, passer pour des chefs rebelles touaregs.

Il est tout de même étrange qu’aucune arrestation n’ait été faite du côté du HCUA et du MAA dont les liens avec l’AQMI sont parfaitement connus de Serval. Mais peut-être est-ce du à la probabilité d’éventuelles représailles sur d’autres ressortissants français. Alors, il faut bien un coupable et autant sacrifier celui qui a la morale de croire en la justice et en la parole donné, celui qui a la morale de ne pas tuer des innocents et autant ménager l’Aqmi, Ansar Dine et le Mujao qui se font respecter en terrorisant, assassinant, kidnappant, et en rançonnant. Et quand ils ne sont pas satisfaits par la valeur de la monnaie d’échange, ils le font savoir en assassinant un ou deux journalistes.

Cependant, la ficelle d’un « piste MNLA » étant bien trop grosse, même la presse française présente tout de même la « piste Aqmi », comme étant « la plus probable ». Les propos de Pierre Boilley, directeur du Centre d’études des Mondes africains (CEMAF) sont ainsi rapportés par la presse française, son intervention ayant été reprise par la quasi totalité des titres et des chaines de Tv françaises. Pierre Boilley précisé qu’il ne voit « aucun intérêt » pour le MNLA à enlever ou tuer des journalistes français. Ce qui relève par ailleurs de l’évidence. D’autre part, la presse française évoque un possible différend sur la répartition de la rançon. C ’est ainsi que Oust-France écrit « Après le retour des quatre otages français cette semaine, la presse évoque également l’hypothèse d’un différend financier autour de la rançon qui aurait été versée --20 millions d’euros selon certaines sources-- pour obtenir leur libération. » Et même André Bourgeot, un antroplogue que l’on ne peut pas qualifier d’ami des touaregs et encore moins du MNLA, déclare à l’AFP : « Est ce que la répartition des rançons versées a été équitable ? Il n’est pas impossible que certains au sein d’Aqmi se soient sentis grugés ».

Il faut espérer que la France cesse de se voiler la face et admette une fois pour toute que l’islamisme, quelle que soit sa forme, ne peut pas être un allié pour construire la paix et la sécurité. Elle vient, au dépend de deux journalistes, d’en apporter une nouvelle preuve. On ne négocie pas avec les terroristes et on ne s’allie pas avec les islamistes quelle que soit le masque qu’il porte pour la simple raison que l’islamisme n’a aucune autre logique que celle du meurtre et de la terreur. Si la France persiste dans sa politique de l’autruche et continue de faire mine de ne pas voir qui sont les terroristes et quels sont ceux qui les actionnent, elle commettra une grave faute; pas seulement envers les peuples sacrifiés à l’islamisme d’Etat pratiqué par bons nombres de ses richissimes « amis» mais aussi envers le peuple français dont elle compromet gravement l’avenir qui ne se trouve ni dans les gisements d’uranium ni dans les puits de pétrole mais bien dans la préservation de son patrimoine civilisationnel, incompatible avec l’islamisme.

D’autre part, si la France accepte de faire porter le chapeau au MNLA dans un grotesque et criminel scénario, au-delà du fait de sacrifier encore une fois les touaregs, elle donnera de nouveaux gages aux islamistes terroristes qui seront encore davantage confortés dans la garantie de leur impunité, quels que soient les crimes qu’ils auront commis.



Alghabass Ag Intalla à Ouagdougou comme chef de la délégation de l'organisation terroriste Ansar Dine. aujourd'hui, il est le chef de la même organisation rebaptisée HCUA (Photo AFP)
Alghabass Ag Intalla à Ouagdougou comme chef de la délégation de l'organisation terroriste Ansar Dine. aujourd'hui, il est le chef de la même organisation rebaptisée HCUA (Photo AFP)
Retours sur les derniers événements :

Quelques jours avant la libération des 4 otages français, les mandats d’arrêts internationaux émis contre les terroristes d’Ansar Dine ont été levés par Bamako. Deux lieutenants d’Iyad Ag Ghaly (chef de Ansar Dine), Hamada Ag Bibi et Alghabass Ag Intalla, redéployés dans le HCUA ( Ansar Dine), sont candidats à la députation malienne et participent ainsi à une échéance électorale qui ne faisait pas partie du calendrier des accords de Ouagadougou.

En début de semaine dernière, les 4 otages français sont libérés dans des conditions obscures. Officiellement, il n’y pas eu de versement de rançon aux terroristes mais très rapidement, à la suite de quelques indiscrétions nigériennes, la presse française évoque l’éventualité d’un versement de 20 millions d’euros aux terroristes. Le fait est, à demi-mots, admis lorsque Laurent Fabius précise dans une déclaration publique qu’il n’y a pas eu "d’argent public" versé aux terroristes.

Dans la presse française, analystes et spécialistes des questions du Sahel se succèdent et évoquent le rôle décisif du chef d’Ansar Dine dans la libération des otages. Celui-ci aurait monnayé son impunité contre la libération des quatre otages français et contre la remise d’une coquette somme de 20 millions d’euros.

4 jours après la libération des 4 otages français, les deux journalistes de RFI sont enlevés avant d’êtres assassinés. Visiblement, il ne s’agissait nullement d’un nouvel enlèvement mais bien d’une exécution. Le lieu :Kidal, fief des touaregs du MNLA, et le moment : au sortir d’une interview avec un responsable du MNLA ne sont pas fortuits et visent semble-t-il à faire du MNLA le bouc émissaire d’une situation dont les conséquences, à coup sur, ne pouvaient que se reporter contre lui. C’est que le MNLA a la singulière particularité d’être l’ennemi commun des groupes islamo-terroristes, des Etats du Mali, du Niger et de l’Algérie, qui ne veulent pas entendre parler d’une entité touarègue dans l’Azawad. Mais le MNLA a aussi le fâcheux défaut de gêner la France qui elle non plus ne veut pas entendre parler d’un Etat de l’Azawad et qui tient mordicus à son Mali, tel qu’il l’a crée en 1960 au mépris de la réalité des peuples en présence sur ces territoires et en dépit de l’impossible cohabitation entre les Touaregs et les Bambaras.

N’ayant rien à se reprocher, Ambéry Ag Rhissa, le représentant du MNLA interviewé par les 2 journalistes juste avant qu’ils ne soient enlevés devant sa porte, a témoigné du fait que les agresseurs parlaient tamashek. Sautant sur l’occasion, les maliens qui s’accommodent de la candidature des compagnons de Iyad Ag Ghaly, mais demeurent allergiques au MNLA, ont immédiatement tenté d’imputer l’assassinat des deux journalistes directement au MNLA, et à défaut, indirectement en leur faisant porter la responsabilité de l’insécurité à Kidal. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil sur la presse malienne qui en profite pour exiger un total démantèlement du MNLA alors-même qu’à aucun moment le démantèlement du HCUA ou du MAA n'a été évoqué, alors qu'ils sont tous deux issus des groupes djihadistes et que tous le monde le sait.

Iyad Ag Ghaly, le chef terroriste de l'organisation Ansar Dine, recyclée en HCUA (PH/DR)
Iyad Ag Ghaly, le chef terroriste de l'organisation Ansar Dine, recyclée en HCUA (PH/DR)
Petit rappel sur Ansar Dine: Il s’agit d’un groupe terroriste islamiste, composé de touaregs ralliés par Iyad Ag Ghaly à l’islamisme. Groupe allié à l’Aqmi et au Mujao, il a été le principal artisan de l’échec du MNLA dans la libération de l’Azawad.
Ansar Dine reprochait au MNLA de vouloir créer un Etat laïc dont il ne voulait pas entendre parler. Son objectif, publiquement déclaré, était d’appliquer la loi divine (charia) dans tout le Mali et pas seulement dans l’Azawad. Avec l’Aqmi et le Mujao, il a combattu le MNLA et l’a chassé des trois grandes villes de Gao, Tinbouctou et Kidal que le MNLA avait repris aux soldats maliens.

C’est Ansar Dine qui a mis en pratique la Charia, coupant les mains et les pieds des contrevenants à la loi islamique et lapidant les couples touaregs non mariés. C’est encore Ansar Dine qui a mené l’attaque contre la ville malienne de Kona, déclenchant ainsi l’opération française Serval.

Mais malgré tout cela, les lieutenants de Ansar Dine, suite à une simple déclaration de "refus du terrorisme" après l’avoir mis en pratique contre les civils touaregs, sont autorisés à se reconstituer librement en MIA (Mouvement islamique de l’Azawad) avant de former le Haut Conseil à l’Unité de l’Azawad (HCUA), au grand damne du MNLA qui a été mis en demeure de les accepter et de partager avec eux la table des négociation alors-même qu’ils étaient à l’origine de tous leurs déboires. Aujourd’hui, ce sont les hommes de Ansar Dine qui se présentent à la députation malienne, tandis que le Mali se félicite d’être sur la voie de la réconciliation, notamment en réhabilitant les terroristes mais tout en ne voulant absolument pas entendre parler de l’autonomie revendiquée par le MNLA.

Quand à la France, elle négocie avec les groupes terroristes la libération de 4 de ses otages avec comme monnaie d’échange 20 millions d’euros et l’impunité pour le chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghaly et la mise en scelle de ses lieutenants préalablement reconvertis en MIA puis HCUA. Puis finalement deux journalistes sont exécutés à Kidal et tous ce beau monde voudrait en faire porter la responsabilité au MNLA. Il est bien difficile d'imaginer un scénario plus immoral que ça...

zp,
SIWEL050122 NOV 13




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