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Cause amazighe : Le lourd prix carcéral et post-carcéral à payer / Par Smaïl Medjeber

14/08/2013 - 15:44

KABYLIE (SIWEL) — Une condamnation à mort, onze années et demie d’incarcération dans des conditions horribles, inhumaines, en plus des sévices et tortures que j’ai subis, causes et conditions déjà handicapantes, invalidantes et à vie : voilà, déjà, le lourd prix que j’ai payé pour mon militantisme pour la cause amazighe et mon incorruptibilité.
Le responsable, à juger et à condamner pour ce grave préjudice, c’est bien sûr le pouvoir criminel, dictatorial et illégitime algérien qui sévit encore en Algérie.
Mais que sera le prix à payer, post-carcéral aussi ? Difficile à répondre, à exprimer : un calvaire !


Le militant Smaïl Medjber. PH/DR
Le militant Smaïl Medjber. PH/DR
Par : Smaïl Medjber


Côté famille, ce que je craignais le plus, mon profond pressentiment pour mon après-libération, arriva. Déjà mon mariage, en 1988, a failli être bâclé malgré toutes les promesses qui m’ont été faites. Ce fut mon premier grand choc, même si je m’y attendais.
La présence à mon mariage de Me Abdenour Ali-Yahia, le grand défenseur des droits de l’homme que j’ai côtoyé en prison, ainsi que de mon grand maître, Feu Mouloud Mammeri, accompagné de son honorable épouse et de sa très sympathique fille, fut, pour moi, un baume au cœur.
Sans oublier la présence de Me Hocine Zehouane, co-fondateur de la première Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme, qui me servira gentiment de conducteur de mon cortège nuptial.

Voici, entre autres, les textes de messages que j’ai, récemment, adressés à l’un des membres de ma famille, sans le nommer : « Si, toi, les frères et sœurs et notre mère, avec les moyens que vous avez, m’aidiez, depuis ma sortie de prison jusqu’à aujourd’hui, je ne serais pas dans la situation de vie ou plutôt de survie où je souffre» ; « Est-ce qu’il te reste quelques sous à me donner après ton voyage ? » Sans suite, d’où mon dernier message : « Afus deg fus (la main dans la main) a disparu ? » Cette non-solidarité familiale pressentie, perdure jusqu’à aujourd’hui.

Je comprends pourquoi c’est dur d’être seul (e), abandonné (e) ou, pire, orphelin (e)!
Côté pouvoir algérien, une semaine après ma libération qui eut lieu le 5 juillet 1987, suite aux interventions d’organisations internationales de défense des droits de l’homme (la FIDH, Amnesty International, la Commission des droits de l’homme de l’ONU…) et Sa Sainteté, le défunt Pape Jean-Paul II, après avoir échappé à une opération de kidnapping et de disparition programmées avant même ma libération, ce pouvoir dictatorial et corrupteur me proposa argent et logement, en contrepartie de ma soumission et de ma collaboration. Refus catégorique de ma part. J’avais eu la même proposition de la part de l’ancien dictateur Houari Boumediene. Ce que j’avais refusé bien sûr, préférant y être exécuté plutôt que d’accepter ladite proposition.

Afin de me permettre de vivre, je voulais retrouver mon emploi, comme responsable d’un service administratif, au sein de la Pharmacie Centrale Algérienne, société sous tutelle du ministère algérien de la santé, lequel ministère était occupé, à l’époque, par Kasdi Merbah mon ancien tortionnaire. Demande, évidemment, restée sans suite. D’autres demandes d’emplois à d’autres organismes, pareillement. D’où la situation de précarité dont laquelle je tombais.

Côté militants, j’ai cru avoir leur adhésion et soutien en fondant une maison d’édition consacrée à la connaissance et à la promotion de la langue et culture amazighe : Tizrigin Yuba Wissin. Certes, c’était aussi une revanche vis-à-vis du pouvoir dictatorial. Mais un autre sacrifice et deux grandes déceptions en plus.
Première déception : ce projet, j’allais le réaliser en association avec un commerçant aisé qui me promit d’y investir les fonds nécessaires. Il m’abandonna la veille même de la concrétisation légale dudit projet.
Je dus le faire seul, même sans moyens aucuns. D’ailleurs un minable magistrat du tribunal de Tizi-Ouzou voulait me priver de mon droit d’exercer une activité commerciale. Ce sera Me Hocine Zehouane et une très gentille jeune dame exerçant au sein de l’Administration du Registre de Commerce National, qui m’y aideront généreusement.

Seconde déception : l’absence de lectorat suffisant pour faire survivre au moins une petite et modeste revue ayant pour titre Amazigh Bulletin de Communication, (en abrégé Abc Amazigh). Une revue trilingue : en amazigh, en français et en arabe. Revue qui rendra l’âme en 2001, après 42 numéros. Malgré mes appels au secours, mes SOS désespérés, mon souhait et défi d’avoir au moins un millier de lecteurs pour assurer sa survie. En plus du fait que ce pénible travail, fait seul, de rédaction, d’édition et distribution a épuisé mes dernières forces et aggravé mon état de santé. Ce que me reprocha un ancien militant, par cette remarque : «Tu es fou, Smaïl ! Tu continues encore !».

-Où en est donc la solidarité et le militantisme pour tamazight, la langue amazighe ? Je me pose la question.
J’ai consacré, pour cette revue, deux ouvrages : Abc Amazigh, une expérience éditoriale en Algérie (1996-2001), parus à Paris, aux éditions L’Harmattan.
Quelques bons et mauvais souvenirs :
-Un chanteur que je ne nommerais pas, me voyant marcher à pied, un jour, à Tizi-Ouzou, me dit : « Comment se fait-il que toi, Smaïl Medjeber, tu n’as pas de voiture ? Non seulement, je n’ai pas de voiture, mais je n’ai pas de quoi payer un petit café si je croise quelqu’un qui me reconnaitrait !
-Pareillement et contrairement, le grand cinéaste et militant amazigh, Feu Abderrahmane Bouguermouh, me voyant marcher à pied, après la cérémonie de la projection de son film « Tawrirt Ittwatun », à Tizi-Ouzou, me dit : « Toi, Smaïl Medjeber et ton épouse, je vous laisserais aller à pied à la gare ? Pas question ! » Il dit à son fils de nous y emmener en voiture.

- Le patron d’une société d’Akbou, me croisant dans la rue, mit discrètement de l’argent dans ma poche ; un autre jeune patron d’Akbou aussi, m’offrit de l’argent pour me permettre de m’acheter mon premier ordinateur qui me servit à la rédaction de la revue Abc Amazigh ; d’autres généreuses sociétés m’ont permis, par la publicité, de faire vivre, un tant soit peu cette revue; quelques quotidiens de la presse nationale aussi, par l’information qu’ils relataient à chaque parution ; quelques fidèles abonnés (ées) tels que ce commissaire de police qui s’abonnera et qui me promit d’obliger ses subordonnés à s’y abonner ! Ou encore ce haut officier de l’armée nationale venu à mon bureau pour s’y abonner et qui me dit, en réponse à mes excuses quant à l’étroitesse du lieu et le manque de mobiliers (une seule chaise !) : « Ce n’est pas ça qui est important, Mr Medjeber. Ce qui est important, c’est ce que vous faîtes ! » Par contre, un membre du Congrès Mondial Amazigh que je ne nommerais pas, me dira le contraire, critiquera mon lieu de travail et ne s’abonnera même pas.

Je ne peux ne pas citer de bons souvenirs : mon activité bénévole, en France, comme président d’associations de parents d’élèves (école, collège et lycées) ; ma participation à un congrès mondial contre la peine de mort ; ma rencontre avec l’ancien ministre de la justice, Me Robert Badinter, l’abolitionniste de la peine de mort ; ma participation à la libération du médecin palestinien et des infirmières bulgares détenus injustement et arbitrairement en Lybie par l’ancien dictateur Kadhafi.
Autre bon souvenir : le concert de solidarité organisé par BRTV, le 4 mars 2007, à Paris.
Enfin, l’autre prix carcéral et post-carcéral, lourdement payé et que je paie toujours, c’est la détérioration de mon état de santé. Je suis gravement malade, mais je ne peux donner les détails.

Avant ma libération, à la demande des organisations internationales de défense des droits de l’homme suscitées, le pouvoir algérien, par l’intermédiaire de la direction du pénitencier de Berrouaghia, ordonna au médecin y exerçant, de leur fournir un certificat médical certifiant mon «bon état de santé ». Et ce, pour justifier le prolongement de ma détention. Le médecin céda à la pression et établi ledit faux certificat. Après lui avoir exprimé ma révolte et ma menace de le dénoncer auprès des instances internationales suscitées, quant à sa complicité avec le pouvoir dictatorial, complicité contraire à la déontologie de sa profession, le médecin déchira ledit document préétabli. (A lire le détail dans mon livre La Grande Poubelle, Journal d’un ancien détenu politique en Algérie, paru à Paris, aux éditions L’Harmattan.)
Une fois libre, Me Hocine Zehouane, me posera, un jour, cette question :
-Comment as-tu pu conserver toute ta tête après tout ce que tu as enduré ? Moi, par contre, après seulement les quelques mois que j’avais passé en prison, je m’en étais sorti, déboussolé. »

Certes moralement, j’allais bien mais physiquement, non.

C’était pour ce motif, mon état de santé très grave le nécessitant, que je devais aller à l’étranger pour me faire soigner. Mais le ministère de l’Intérieur refusa de me délivrer mon passeport. En présentant au Chef de Cabinet dudit ministère, les courriers de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU et de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (l’OMCT) qui prirent en charge les frais de mes soins, il céda à ma demande, en me disant : « Vous êtes trop fort pour nous Monsieur Medjeber ».
Ici, en France, un jour, mon état de santé le nécessitant, je voulais consulter mon médecin traitant exerçant dans un hôpital à Paris. N’ayant pas rendez-vous, sa secrétaire me fit savoir que « cela n’est pas possible », que le docteur… « Refuse strictement de recevoir des patients sans rendez-vous ». Informé, à ma demande, de ma présence, le médecin en question, même en pleine consultation, sortit précipitamment de son cabinet et me dit, inquiet : « Qu’est-ce qui ne va pas Mr Medjeber ? Ne vous inquiétez pas, je vais vous recevoir tout de suite ! »

Mon état de santé nécessite des hospitalisations répétitives. Je viens d’en sortir d’une.
A tout cela, s’ajouteront l’obligation de m’exiler suite à l’agression dont j’ai été victime et la menace de mort qui m’a été adressée.
Et, des coups et blessures qui ne se voient pas, que je ne peux pas révéler, mais qui me font souffrir.

Être militant ne veut pas dire être aisé financièrement, ce que beaucoup de gens pensent de moi, et me regardent comme tel, comme si on me collait une sorte d’icone. Ma seule richesse, à moi, je le rappelle et le déclare haut et fort, ce sont mes convictions et mon engagement cœur corps et âme pour la cause amazighe.
Ce que vivent, pareillement ou presque, d’autres militants.
Les ex-prisonniers politiques rencontrent quoi qu’il en soit d’énormes difficultés, y compris à gérer leur propre image.
C’est pour cette raison que la solidarité de la famille joue un rôle capital, important, primordial, vital. D’où ma grande déception quant l’absence de solidarité de la part de la mienne. Ce que je révèle et dénonce.

Ceci n’est pas un cas particulier. Les dures et pesantes conditions de vie post-carcérales sont, hélas, quasiment universelles, notamment par la difficulté de retrouver un travail et des moyens de subsistance. A cela s’ajoutent le regard parfois méprisant et le désintérêt des autres. Surtout l’absence de lien social et affectif, à commencer de la part des proches.
Toutes mes pensées à veuves, orphelins et orphelines de mes anciens compagnons de combat décédés : Mohamed Haroun et Mokrane Roudjane. Egalement à tous mes autres anciens compagnons de combat et co-détenus qui ont partagé, ont vécu et vivent encore les mêmes souffrances (mise à part leur relation familiale particulière à chacun) : Hocine Cheradi, Lounès Kaci, Latamen Metref, Lehsène Bahbouh, Mokrane Yennek, Ahcène Chérifi, Ali Chérifi, Rachid Hammiche, Tahar Achab, Amrane Chami, Amrane Chihab, Saïd Imekhlef, Ali Hamadouche, Tahar Hammouche, Ali Chiramik, Salah Agag, Madjid Boumekla, Mohand Hamaz, Brahim Koli et Mouloud Mostephaï. … si oubli, je m’en excuse. Ainsi que, pareillement, à tous les anciens et actuellement détenus politiques d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, de Lybie, du Niger, du Mali, de Mauritanie, de l’Afrique et du Monde.

S M

P.S : Désolé pour la longueur de mon texte et si cela pourrait choquer certaines âmes sensibles.
Je remercie, encore une fois, le docteur et fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud, mon ex. compagnon moral de détention, de m’avoir appris comment me libérer de mon traumatisme, de mes traumatismes. Dont acte.
Voici, pour finir, mon testament, un poème, Dis ! Dis à ma Mère…, que j’ai écrit dans ma cellule, dans l’attente de mon exécution :

J’ai donné ma vie en sacrifice
En prison, ils m’ont enfermé
Je ne vois plus ni le soleil, ni la neige
Ma liberté est sous clefs
Dis ! Dis à ma Mère…

A outrance ils m’ont dénigré
Comme des chiens ils ont aboyé
Des calomnies et mensonges, ils ne se sont pas gênés
Dans une parodie de procès, ils m’ont condamné à mort
Dis ! Dis à ma Mère…

Quoique je souffre en prison
Ce que j’ai semé a donné des fruits
Notre langue s’est développée
Les enfants d’Amazigh se sont levés
Dis ! Dis à ma Mère…

Pour que tamazight soit
Pour que l’Amazighie soit
Pour qu’Amazigh soit
J’ai donné ma vie en sacrifice
Dis ! Dis à ma Mère…

Le mot Mère symbolise la Patrie ; tamazight, signifie la langue berbère ; l’Amazighie, c’est l’ensemble des pays berbères, l’Afrique du nord ; Amazigh, c’est le Berbère.
Testament, sentiments et convictions que je partage, avec mes valeureux et honorables camarades, mes co-détenus politiques.
(Ce poème est extrait de La Grande Poubelle, Journal d'un ancien détenu politique en Algérie.)

SIWEL 14 1544 AOÜT 13




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