De l'antisémitisme, de l’antisionisme, d’Israël et de la Palestine
De l'antisémitisme, de l’antisionisme, d’Israël et de la Palestine
 

 
Avant propos

Pour des raisons notamment affectives (relevant d'une alliance familiale) je me vois mal pratiquer ou cultiver quelque antisémitisme que ce soit. En revanche, je n'en vois aucune qui m'interdirait d'évoquer en toute liberté la problématique du conflit israélo-palestinien.

Du conflit israélo-palestinien

S’il n’y a pas lieu de faire grief à l’État israélien d’invoquer ou d'évoquer les persécutions séculaires ou relativement récentes subies par le peuple juif, - plus particulièrement celles de la Shoah - pour légitimer sa création et son existence,  convient-il  pour autant d’absoudre son gouvernement actuel à propos du sort qu’il réserve au peuple palestinien ?
La colonisation rampante ou cynique de territoires en Cisjordanie, les dénis de droit dont sont victimes les populations palestiniennes, le blocus terrestre et maritime de  Gaza, le sort réservé à Jérusalem Est, constituent  autant de comportements du  gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens qui méritent d'être à tout le moins "interrogés".
Fort heureusement pour l'honneur du peuple juif, une  minorité israélienne pacifiste ou modérée ose, dans un contexte difficile,  dénoncer les dérives et les excès des actuels gouvernants d’Israël.
Dans le même temps, les partis politiques français dans leur grande majorité, de même que les media ("mainstream"), font preuve d'une indulgence étonnante à l'égard d’un pouvoir israélien qui ignore délibérément les décisions de l’O.N.U., qui poursuit implacablement  le "mitage" de la Cisjordanie  et pratique une politique particulièrement répressive à l’encontre des Arabes Israéliens et des Palestiniens demeurés sur leurs terres.
Je salue et j’admire les efforts déployés par ceux qui, en Israël même, en dépit d’un contexte de guerre, prônent la concorde et la paix plutôt que la violence, car il est toujours difficile de s'interposer entre ceux qui, dans des camps adverses, la légitiment au nom d’une cause qu’ils estiment juste.
J’en ai fait l’expérience lors de la guerre d’Algérie et plus récemment dans mon île maternelle, la Corse, durant la période paroxystique du mouvement autonomiste et indépendantiste.

Des formes actuelles de l'antisémitisme.

Pour revenir à notre sujet, force est de constater que toute manifestation dénonçant l'occupation israélienne et ses méthodes est volontiers présentée, dans les sphères du pouvoir et dans les médias dominants, comme l'expression d'un nouvel antisémitisme.
Les commentateurs patentés et les "experts" convoqués dans les media pour condamner la résurgence de l’antisémitisme omettent consciencieusement de dire que perdure dans l’élite française de droite et d'extrême droite "identitaire" un antisémitisme qui pour être "prudent", voire  caché, subsiste à l’état latent.
L’antisémitisme "élitiste" (et très français, voire "souchien") de jadis aurait donc totalement disparu et serait remplacé par un nouvel antisémitisme, à connotation islamiste, celui des "cités", des immigrés arabo-musulmans en général, et de leurs "alliés" baptisés islamo-gauchistes.
Cet antisémitisme là est volontiers dénoncé par une « bien pensance » officielle, relayée ou orchestrée par  "médiacratie"  empressée, qui, préférant uniquement incriminer une violence qui serait consubstantielle au Coran (1) oublie cependant d'en analyser toutes les causes et passe notamment sous silence :

- les facteurs historiques relevant de la colonisation et  les effets "boomerang" de cette dernière,
- les facteurs socio-économiques propres au contexte français actuel (entre autres ghettoïsation des cités),
- les répercussions du  conflit israélo-palestinien.
Or, contrairement à ce que proclame la doxa officielle ou médiatique, l'antisémitisme "historique", parfois connoté de christianisme intégriste (ou de fondamentalisme chrétien) n'a pas totalement disparu.
Simplement, depuis les compromissions honteuses du temps de l’occupation, il est devenu difficile à afficher.
De plus, tout en perdurant dans la société française, il est désormais devenu secondaire par rapport à un racisme massif en direction des populations immigrées, stigmatisées à leur tour et jouant le rôle, autrefois dévolu aux Juifs, de boucs émissaires privilégiés.
Récemment, les outrances verbales de quelques Gilets jaunes isolés ont pu également donner à penser que, parallèlement à l'antisémitisme élitiste, pouvait apparaître dans  les couches populaires un antisémitisme rémanent.
Enfin, on ne saurait nier qu'il existe  dans la sphère gauchiste influencée soit par l’indigénisme soit par la haine d’un capitalisme et d’une finance internationale qui seraient à dominante juive, un courant  à la fois antisioniste et antisémite.

Des  conséquences du conflit israélo-palestinien

S'agissant plus particulièrement du conflit israélo-palestinien,  il n’y a pas lieu de s’étonner que les sympathies des Musulmans de la planète, et plus particulièrement de la grande majorité des Musulmans vivant en France aillent plutôt aux Palestiniens qu’aux Juifs d’Israël.
Parallèlement, et selon la même logique, il n’y a pas lieu non plus de s’étonner que les sympathies agissantes des Juifs de France aillent à Israël.
Mais est-ce être antisémite que de soutenir le peuple palestinien et réclamer pour les territoires occupés paix, dignité et liberté ?
Comment peut-on parler d’antisémitisme à propos de la dénonciation de la politique menée à l’encontre des Palestiniens par l’État d’Israël lorsque des Juifs eux-mêmes se sont faits ou se font les défenseurs du peuple palestinien ?
Il suffit de citer à ce propos les membres éminents de la diaspora juive, des  Juifs de France, des Juifs israéliens qui prônent une politique différente de celle qui a été appliquée ou s'applique actuellement en terre israélo-palestinienne, et qui peuvent difficilement être taxés d'antisémitisme.
Noam Chomsky, Rony Brauman, Eyal Sivan, Gideon Levy, Norman G. Finkelstein, Shlomo Sand, David Grossman, Michel Warschawski,  Halimi (Monde Diplo), sans oublier Uri Avnery, sont (ou ont été) autant d'intellectuels, de journalistes, d'écrivains, qui, entre autres, ont  honoré ou honorent le peuple juif.
Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Elle est  rapidement dressée à partir des premiers noms qui me viennent à l'esprit lorsqu'il s'agit pour moi d'opérer une distinction idéologique parmi les membres de la communauté juive.
Je pense qu’il est inutile de citer a contrario les Juifs de France qui sont , par rapport aux précédents, largement mieux connus, et qui trustent les plateaux et les lucarnes en dénonçant pêle-mêle l’antisémitisme, l’antisionisme, voire pour certains l’invasion migratoire ou le "grand remplacement" en y ajoutant ce qu’ils appellent avec une certaine délectation l’islamo-gauchisme.
Faut-il enfin préciser que l'origine commune des peuples sémitiques - Hébreux et Arabes confondus –  relève d'une réalité difficilement contestable. Crier à l'antisémitisme  à propos des  Juifs seuls, relève donc en quelque sorte d'une supercherie sémantique.

Du sionisme


Du fait de mes origines paternelles, je me suis quelque peu attaché à examiner le bien-fondé des accusations d'antisémitisme portées contre les "chefs de guerre" ukrainiens Petlioura et Makhno durant la période 1919-1921.
Parallèlement, j'ai été amené à m'intéresser aux sources ukrainiennes du sionisme.

Il m'apparaît que l'un des objectifs initiaux de ses "pères fondateurs" était, en dehors de visées à caractère messianique, d'offrir une patrie sûre et sereine aux Juifs des pays de l'Est, victimes régulières (et séculaires) de pogroms et de persécutions. (2) 
Mais je considère que le sionisme actuel, assez éloigné du sionisme originel, et devenu lui-même expansionniste et dominateur, risque d’être perçu comme un mouvement politique doublé d’une idéologie extrémiste ou totalitaire s’il s’accompagne de discours, voire de pratiques violentes, en Israël comme en France.
La Judéité, en d’autres termes l’identité juive, née dans une région déterminée du Moyen Orient puis dispersée du fait des aléas de l’Histoire quasiment à travers la planète entière, ne saurait être confondue avec le sionisme, qui est une idéologie prônant le retour dans une patrie originelle réelle ou fantasmée pouvant s’orienter vers des comportements conquérants et dominateurs.

Enfin, ses détracteurs peuvent lui trouver quelques similitudes avec l'islamisme, autre idéologie religieuse "de combat".

Il  convient donc, à mon sens,  d'établir une distinction nette entre antisémitisme et antisionisme.



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(1) 
Lequel Coran se prête il est vrai à de multiples interprétations ou lectures, d'autant qu'il n'existe pas dans l'islam un clergé "organisé" et/ou hiérarchisé susceptible de fixer, "figer" ou uniformiser un  corpus dogmatique normatif

(2) 

Cf. à ce propos :
https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-319.htm
 
 
 
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En complément de ce propos personnel il me paraît opportun de reproduire ici une réflexion sur le sionisme dont je laisserai au lecteur le soin de juger de la pertinence. 
J.M
 
https://epoch-e.fr/
 
https://epoch-e.fr/2022/08/02/quelle-identite-israelienne-justice-et-nationalisme-a-travers-les-textes/
 
 
 
 
QUELLE IDENTITÉ ISRAÉLIENNE ? JUSTICE ET NATIONALISME A TRAVERS LES TEXTES
Jean-François Le Drian . 2 Août 2022
 
Les réseaux sociaux sont souvent le lieu de vifs débats qui parfois dégénèrent. Il y a quelques temps, j’ai pu échanger avec un interlocuteur tunisien très vindicatif à l’égard de l’état israélien.
Ce dernier se déclarant « antisioniste », je lui répondis qu’être antisioniste n’avait pas de sens puisque le projet sioniste tel que l’avait conçu Théodor Herzl s’était déjà concrétisé.
Je lui indiquai alors qu’il avait le droit de critiquer voire de militer contre le néosionisme et d’encourager le courant postsionisme, mais qu’il ne pouvait remettre en question l’existence d’Israël.
Confronté à cette terminologie non familière, il me sembla quelque peu décontenancé.
Comme lui, la plupart des français, n’est pas au fait de l’existence de cette dichotomie. Ceci est regrettable, d’autant que sans l’application des distinctions qui en résultent, il n’est pas possible de formuler de manière intelligible les problématiques auxquelles les israéliens juifs et arabes sont confrontés.
Partant de ce constat, j’ai entrepris la rédaction de ce court article visant à éclairer le lecteur sur les débats ayant cours en Israël.
Je passerai donc en revue plusieurs thématiques dans un cadre multidisciplinaire. J’aborderai les aspects religieux, politiques, juridiques ainsi que la question des croyances et des représentations, et ce, sans pratiquer le double standard ainsi que l’interprétation téléologique.
Mon seul objectif est de produire du sens et de la justesse.
 
I – LA CONCEPTION D’UNE IDENTITE ETHNO-RELIGIEUSE JUIVE ET SES CONSÉQUENCES
 
Selon Alain Dieckhoff, « avec l’avènement d’Israël, le sionisme a atteint son objectif principal », l’état d’Israël étant conçu comme l’instrument ayant permis « le rassemblement des exilés ».
Depuis l’acquisition de cette souveraineté, la question de l’identité d’Israël, de ses valeurs et de ses idéaux n’a cessé de se poser.
En France et dans la plupart des pays, ce qui fonde l’état nation c’est le sentiment de partager un système de valeurs et de principes, lesquels sont le plus souvent inscrit dans le bloc constitutionnel.
Quant au critère religieux, même si il est souvent employé dans les pays arabes qui l’incorporent dans leurs constitutions, il demeure incompatible avec le principe de neutralité.
Enfin, le critère ethno-culturel est connoté négativement car il établit des distinctions en fonction de la race, réelle ou fantasmée.
Il y a quelques années, j’échangeais avec une ancienne universitaire, spécialiste des araignées, avec laquelle j’avais sympathisé.
Lors de nos discussions, cette dernière évoquait parfois son ascendance juive. Elle m’expliquait se sentir troublée car elle n’était pas croyante, donc non juive au sens religieux du terme, et pourtant elle se sentait toujours rattrapée, malgré elle, par une identité juive qu’elle se représentait avec regret, comme engravée dans son être sans son consentement.
Pour les chrétiens et les musulmans, ce type de problème ne se pose pas. En application du principe de non contradiction d’Aristote, un chrétien ne peut pas être chrétien et non chrétien à la fois. Pourtant, il existe des juifs non juifs, l’identité juive prétendant parfois fusionner deux domaines, celui de l’ethnicité et celui du religieux.
Là encore, c’est le langage utilisé qui pose problème. Encore une fois, Wittgenstein a raison.
Un signifiant pour deux signifiés et la confusion s’installe.
La difficulté, c’est que la fusion entre l’ethno-culturel d’une part, et la religion juive proprement dite, d’autre part, est voulue par les néosionistes pour des raisons que nous aurons l’occasion d’expliciter dans un prochain article.
Aujourd’hui, il y a des arabes chrétiens, des arabes musulmans, des français musulmans, des belges juifs… Il y a des juifs arabes, c’est à dire des juifs qui vivent dans des aires culturelles arabo-musulmanes, mais existent-ils des arabes juifs ? Un arabe peut-il se convertir au judaïsme ? Imaginons que cela soit possible, appellerait-t-on cette personne un arabe juif ?
Ne faudrait-il pas créer un terme pour définir une personne adepte du judaïsme rabbinique indépendamment de ses origines ethnoculturelles ?
Imaginons par exemple un peul officiellement converti. Quels termes pourrait-on employer à la place de la locution « peul juif » ?
Finalement, l’association « français juif » ne pose pas de problème puisque le terme « français » renvoie à la nationalité et non à un caractère ethno-religieux qui dans cette association est attaché exclusivement au mot « juif ».
L’association « Arabe juif » est plus complexe puisque les deux mots composant cette locution ont chacun une connotation ethno-culturelle et/ou ethno-religieuse qui s’entrechoquent et ne s’assimilent pas.
Comme chacun le sait, la plupart des états accorde un statut fondé sur la nationalité à leurs ressortissants, mais selon la cour suprême israélienne, il n’y a pas de la nationalité israélienne. Seule la citoyenneté existe, étant précisé que les certificats de naissance différencient les citoyens juifs et les citoyens arabes.
Chacun comprendra aisément que le concept d’une nationalité israélienne est perçu par certains courants politiques et religieux comme un épouvantail car il serait de nature à fondre les communautés juives et arabes en une seule et même communauté israélienne.
Or l’ethno-religiosité juive est pour certains, en particulier pour la sphère néosioniste, le fondement principal de l’état d’Israël, lequel prévaut sur les idéaux démocratiques et de justice revendiqués par les courants postsionistes et par les arabes israéliens.
Question : Parler d’état juif est-il approprié, alors même qu’il existe des citoyens israéliens non juifs, athées, musulmans ou chrétiens ?
A ce stade, chacun aura compris pourquoi jusqu’à présent aucune constitution n’a pu voir le jour en Israël.
Il y a effectivement une absence de consensus sur la définition de l’état d’Israël puisque la dialectique entre les idéaux démocratiques et de justice chers aux postsionistes et le critère ethno-religieux endossé par les néosionistes n’a pu aboutir à une synthèse.
Selon nous, la recherche d’une conciliation entre ces deux visions de l’état d’Israël est vaine car intrinsèquement, elle n’est pas possible.
Seule l’inscription de la neutralité religieuse dans les lois fondamentales israéliennes serait de nature à porter l’idéal démocratique et la justice.
 
II – JUSTICE ET NATIONALISME A TRAVERS LES TEXTES
 
Je hais, je rejette vos fêtes, je n’agrée point le parfum offert dans vos assemblées.
Si vous m’offrez vos holocaustes et vos oblations, je n’y prends pas plaisir, et je ne regarde pas les bêtes grasses que vous sacrifiez.
Éloigne de moi le bruit de tes cantiques ; que je n’entende pas le son de tes harpes !
Que le jugement coule comme l’eau et la justice comme un ruisseau permanent !
(AMOS 5.21-24)
Ce texte très dur et exigeant s’inscrit parfaitement dans les grandes thématiques du prophétisme hébreux qui parcourent notamment les livres des prophètes (Neviim).
Que la justice coule « comme un ruisseau permanent ». Ainsi la quête de justice, est une mission sacrée, que Dieu, par la voix des prophètes, a confié à Israël.
Cette soif de justice se retrouvent dans les propos d’André Néher, écrivain, philosophe franco-israélien, Rabbin honoraire, spécialiste du prophétisme hébreu, lequel s’exprimait en ces termes : « Périsse la communauté juive… Périsse l’État d’Israël si cette communauté devait être injuste, si cet État devait être injuste ! Il m’est indifférent de savoir qu’il y a une survie du peuple juif si le peuple juif se fait l’acolyte et le complice de malfaiteurs, des criminels qui se sont répandus dans le monde ».
Après la guerre des 6 jours, lorsque qu’Emmanuel Lévinas lui rappellera ses propos, André Néher lui répondra : « Oui, je le maintiens, mais Israël est du côté de la justice. ».
A côté de cet idéal, coexiste un nationalisme juif qui parfois compromet cette justice exigée par Elohim.
De cette fierté nationaliste, l’évangile porte aussi la trace à travers les propos attribués par Matthieu à Jésus, « le plus juif d’entre les juifs, plus juif que Shimeon ben Shetah, plus juif même que Hillel », selon le grand historien juif et érudit Yossef Gedaliah Klauzner.
« Et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : “Nous avons pour père Abraham.” Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham. (Matthieu 3-9).
Lorsque l’on lit entre les lignes, on comprend que le rédacteur de ce texte semble aux prises à une forme de fierté fondée sur la prétendue primauté des liens du sang.
« Nous avons pour père Abraham » déclarent fièrement les pharisiens, ce à quoi, il leur est répondu de manière imagée que les liens du sang ne valent rien puisque même les pierres peuvent donner des enfants à Abraham et ainsi produire d’authentiques adeptes de la religion juive.
Ce qui détermine la judaïté ne serait donc pas le biologique, la descendance, mais plutôt l’état d’esprit et notamment l’attachement à la justice voulue par Dieu.
2000 ans plus tard, ce nationalisme fondé sur la filiation abrahamique n’a pas disparu puisque l’analyse du système juridique israélien et en particulier celle de la 14ème loi fondamentale confirme que le critère ethnique (les liens du sang) et le critère religieux demeurent dans un état fusionnel.

Quelques textes  complémentaires.


2008
Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem   
 
https://journals.openedition.org/bcrfj/5921
 
 
19 | 2008
 
Des « mouvements pacifistes » aux « mouvements anti-occupation » israéliens
Matériau pour une réflexion sur les mobilisations contre l’occupation de 1967 à nos jours

Karine Lamarche

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Résumé

Dès les années suivant la conquête des territoires palestiniens par Israël lors de la guerre des Six jours de 1967, des groupes militants ont commencé à se mobiliser, dans ce pays, pour mettre en garde contre les dangers de l’occupation sur le long terme et pour appeler à échanger les territoires nouvellement conquis contre des frontières sûres. Parmi eux, le plus connu est probablement Shalom Ah’shav (« La paix maintenant »), fondé en 1978 par des officiers réservistes pour influencer les négociations de paix entre l’Egypte et Israël. Souvent présenté comme le représentant le plus légitime du « camp de la paix » israélien, ce mouvement est pourtant loin de recueillir l’adhésion de tous ceux qui se mobilisent contre l’occupation, notamment depuis le déclenchement de la seconde Intifada. Cette période a en effet constitué, comme cet article le montrera, un moment de rupture dans l’histoire des mouvements pacifistes israéliens, amenant des formes de protestation plus subversives à se développer au sein de nouveaux groupes militants, tandis que le mouvement de masse qui avait existé jusqu’alors se disloquait. Elle a par ailleurs contribué à raviver l’opposition modérés/radicaux, souvent présentée comme principale ligne de fracture d’un camp de la paix qui serait divisé entre d’un côté des pacifistes patriotes, inquiets du risque de corruption morale lié à l’occupation et de l’autre des militants non- voire antisionistes préoccupés principalement par le sort des Palestiniens. Nous verrons ici que cette dichotomie modérés/radicaux présente des limites de taille et qu’elle ne peut s’envisager que dans une perspective structurelle et dynamique. Ainsi, nous montrerons que la radicalisation prêtée à de nombreux militants et initiatives de la seconde Intifada est avant tout le fait d’un travail de labellisation mené par les autorités étatiques et par les médias, ainsi que le produit d’un rapport de force sur le terrain de plus en plus difficile avec les représentants de l’ordre, contribuant à rendre les répertoires d’actions d’autant plus transgressifs.
Cet article présentera divers groupes et organisations qui ont contribué à écrire l’histoire du mouvement pacifiste israélien, de manière non-exhaustive et suivant un développement chronologique. La première partie sera consacrée aux années succédant la conquête des territoires palestiniens, caractérisées par des mobilisations pacifistes à caractère sécuritaire (« le Mouvement pour la paix et la sécurité », Oz Ve’Shalom, « la Paix Maintenant », etc.) mais aussi par la première initiative de protestation israélo-palestinienne conjointe (le « Comité de solidarité avec l’Université Bir Zeit »). Dans un second temps, nous examinerons la période des années 80 marquée par la guerre du Liban puis par la première Intifada, et qui vit l’émergence d’un mouvement pacifiste de masse. Celui-ci se caractérisa notamment par l’apparition de nombreuses organisations créées dans le but de défendre les droits de l’homme (HaMoked, les « Rabbins pour les droits de l’homme », ICAHD, B’Tselem, etc.), mais aussi de groupes dénonçant, de manière plus ou moins subversive, l’occupation et ses conséquences sur la société israélienne (Daï La’KibushThe 21st Year, les « Femmes en Noir », etc.). Oslo constitue évidemment un moment charnière pour le camp de la paix israélien puisque le projet pour lequel celui-ci s’était mobilisé sembla sur le point d’aboutir pour finalement échouer radicalement. Suite à l’espoir suscité par les négociations entre le gouvernement israélien et l’OLP, la dégradation très rapide de la situation sur le terrain (assassinat d’Yitzhak Rabin, massacre commis par Baruch Goldstein à Hébron, intensification de la colonisation, bouclages répétés en Cisjordanie, reprise des attentats-suicides, etc.) provoqua une déception amère des deux côtés. Lorsque, en juillet 2000, Ehud Barak revint de Camp David en déclarant qu’Arafat avait rejeté la paix qui lui était proposée puis lorsqu’éclata la seconde Intifada quelques mois plus tard, le mouvement pacifiste acheva de s’effondrer. Il fallut attendre quelques mois pour qu’apparaissent de nouveaux groupes dénonçant la violence de la répression israélienne. Nous aborderons cette dernière partie à travers la présentation de certains d’entre eux (Ta’ayushMachsom Watch, les « Anarchistes contre le mur », Shovrim Shtika, les « Combattants pour la paix », Bnei Avraham) qui, au-delà de leurs différences, ont comme caractéristique de s’être heurtés, ces dernières années, à l’hostilité croissante d’une majorité de la population israélienne. Nous montrerons également que la disparition du mouvement de masse a contribué au développement de répertoires d’actions mettant en avant la coopération de terrain avec des partenaires palestiniens, et amenant ainsi plus fréquemment les militants engagés à des confrontations avec les détenteurs du monopole de la violence légitime.


Plan

Shalom Ah’shav et le « Comité de solidarité avec Bir Zeit », deux approches de l’engagement pour la paix
La première Intifada et le développement du militantisme anti-occupation
Oslo, l’amer passage du militantisme au dialogue
La seconde Intifada, de nouvelles formes d’engagement ?
Conclusion

Texte intégral

1   Fin août 2008, les journaux du monde entier annonçaient la mort d’Abie Nathan, usant pour le décrire de qualificatifs aussi élogieux que « père du pacifisme israélien », « militant infatigable du rapprochement israélo-arabe », « pionnier », « champion » ou encore « héros de la paix ». L’homme, né en Perse en 1927, s’était rendu célèbre par sa tentative de visite au président égyptien Nasser en 1966, par ses rencontres avec Yasser Arafat à une époque où celles-ci étaient prohibées et surtout par la création d’une radio pirate « La voix de la paix » qui avait émis depuis les eaux internationales pendant une vingtaine d’années. Un hommage quasi-unanime lui fut rendu par les dirigeants israéliens de même que par le représentant de l’Autorité palestinienne. Mais dans le « camp de la paix », très peu fut dit ou écrit sur celui que l’on présentait pourtant volontiers comme le père du pacifisme israélien. Ce décalage entre l’hommage politique rendu à Abie Nathan et l’apparente indifférence de ceux qui constituent aujourd’hui la force vive de l’opposition à l’occupation peut s’expliquer assez facilement, semble-t-il, par l’individualisme de son engagement qui apparut souvent plus romantique que politique et auquel il mit fin avec Oslo, convaincu que son rêve de paix avait enfin abouti. Or les mobilisations qui émergèrent à partir des années 2000 se distinguent des précédentes et témoignent - comme nous le verrons dans les pages à venir - d’un nouvel âge du militantisme israélien qui de « pacifiste » est devenu « anti-occupation ».
2     La plupart des recherches académiques sur la question datent des années 90 1  et on trouve de ce fait peu de matériau scientifique portant sur la période post-2000, à l’exception de quelques articles 2. L’un des points communs de ces travaux est d’analyser le « mouvement pour la paix » israélien au prisme d’une opposition modérés/radicaux. Les premiers, soucieux pour la sécurité à long terme de leur pays et inquiets du risque de corruption morale lié à l’occupation, défendraient la paix dans l’intérêt d’Israël. Les seconds, préoccupés principalement par le sort des Palestiniens, s’opposeraient à l’occupation en tant que telle, sans nécessairement chercher à convaincre leurs compatriotes que l’évacuation des territoires leur apportera la sécurité qu’ils espèrent. Dans le premier cas, l’engagement se présente donc comme une preuve de patriotisme et les références au sionisme sont souvent mobilisées alors que dans le second, il s’inscrit dans une tradition plus internationaliste de défense des droits de l’homme, d’opposition au colonialisme, de solidarité avec les peuples en lutte pour leur auto-détermination, et véhicule potentiellement un message post- voire antisioniste. Cette dichotomie présente, selon nous, plusieurs limites notamment dues au fait qu’elle occulte souvent l’importance du travail d’étiquetage mis en place par les différents acteurs en jeu (alliés, opposants, etc.) et fait de la radicalité - ou de la modération - une caractéristique essentielle et absolue de certains groupes. Il nous semble donc important de la replacer dans une perspective dynamique à même de rendre compte des ressorts à l’œuvre dans la structuration du « camp de la paix » et dans les processus d’étiquetage de ses différents acteurs. Cet article suivra un déroulement chronologique et aura à cœur de montrer, à travers une présentation non-exhaustive d’organisations et de groupes opposés à l’occupation, que s’il existait un mouvement de masse susceptible d’influencer l’opinion publique et de faire pression sur les instances décisionnelles jusqu’à la période d’Oslo, celui-ci s’est totalement effondré en 2000, laissant place à un ensemble de groupes pour le moins hétérogène. Cette caractéristique n’est pas inédite et Tamar Hermann notait déjà à propos des années 90 que le « mouvement pacifiste » était « un agrégat fortement décentralisé d’organisations de tailles différentes, [ayant des] vues sur le monde, et des buts assez divers, qui ont habituellement développé des programmes idéologiques et stratégiques indépendamment les uns des autres » 3. Mais avec la seconde Intifada, il devient d’autant plus vrai que c’est « en fonction de projets, de définitions de la situation et de visées tactiques disparates que des individus convergent vers ce qu’ils se représentent plus ou moins à tort comme une ‘même’ cause » pour reprendre les critiques que Lilian Mathieu formule à propos de l’idée que les actions collectives seraient le résultat de fins partagées 4. Nous verrons que si le mouvement Shalom Ah’shav (« La paix maintenant » 5), peut servir en quelques sortes de baromètre pour mesurer la santé du mouvement de masse, cela ne suffit pas à prouver la pertinence de cette opposition modérés/radicaux.
3     La première partie sera consacrée aux années succédant la conquête des territoires palestiniens, caractérisées par des mobilisations pacifistes à caractère sécuritaire mais aussi par la première initiative de protestation israélo-palestinienne conjointe. Dans un second temps, nous examinerons la période clé de la première Intifada qui fut marquée par l’émergence de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ainsi que par des initiatives plus subversives de questionnement autour de l’impact de l’occupation sur la société israélienne. Oslo sera présenté comme un moment charnière puisque le projet de paix pour lequel s’était battu le camp pacifiste sembla sur le point d’aboutir pour finalement échouer radicalement et marquer l’effondrement du mouvement pacifiste de masse. Enfin, nous aborderons la seconde Intifada, en s’interrogeant sur ce qu’il reste de l’opposition modérés/radicaux et plus précisément sur ce qui est souvent annoncé, à cette période, comme une radicalisation des mobilisations contre l’occupation.

Shalom Ah’shav et le « Comité de solidarité avec Bir Zeit », deux approches de l’engagement pour la paix

 
4   Bien qu’il ait existé des initiatives de rapprochement judéo-arabe ainsi que des organisations pacifistes de nombreuses années avant la guerre des Six Jours, notamment l’association Brit Shalom (« Alliance de la paix ») qui prônait, dans les années 20, la création d’un État binational, nous avons fait le choix de commencer notre exploration après 1967 puisque ce sont les mobilisations contre l’occupation qui nous intéressent plus particulièrement ici. Cette date, qui marqua la victoire d’Israël sur les pays arabes, constitua un tournant sans précédent dans l’histoire du pays, puisqu’elle lui permit de multiplier par quatre sa superficie 6  mais le rendit également responsable de plus d’un million de civils supplémentaires, pour la plupart palestiniens. L’espoir et la joie suscités dans la population israélienne par cette conquête furent énormes, certains y voyant une possible réalisation du Grand Israël 7, et d’autres, une majorité à l’époque, l’appréhendant comme un moyen de négocier la paix avec des voisins hostiles. Rapidement, les premiers, poussés par l’idéologie messianique, entreprirent de peupler les territoires de colonies juives, encouragés à partir de 1977 par le gouvernement Likoud tandis que les seconds s’organisaient pour demander un échange des territoires contre la paix et dénoncer les entreprises de colonisation mettant en danger cette solution. Parmi ces initiatives, on trouve notamment le « Mouvement pour la Paix et la Sécurité » (Hatnoua Leshalom vebitah’on), que Mordechai Bar On identifie comme le premier mouvement pacifiste du pays 8Oz VeShalom (« Force et Paix ») groupe d’universitaires religieux, ou encore le « Conseil Israélien pour la Paix israélo-palestinienne », sorte de think-tank, dont les fondateurs développèrent des relations avec des leaders de l’OLP.
5     Mais l’âge d’or du mouvement pacifiste israélien commença véritablement en 1978, lorsqu’un groupe de trois cent quarante-huit officiers réservistes adressa une lettre au gouvernement pour lui demander de cesser l’occupation des territoires. Cette initiative se voulait, dans le contexte des négociations israélo-égyptiennes, un avertissement au gouvernement Begin : « une politique gouvernementale qui conduirait à la domination de plus d’un million d’Arabes affaiblirait probablement le caractère démocratique juif de l’État et rendrait difficile notre identification avec la voie [choisie par] l’État d’Israël » 9. La campagne qui suivit permit de récolter près de dix mille signatures et marqua la naissance de ce qui devint l’un des plus importants mouvements pacifistes israéliens, en terme d’effectifs et d’impact : Shalom Ah’chav. En septembre de la même année, à la veille de la visite de Begin à Camp David, environ cent mille Israéliens défilèrent sous cette bannière et l’influence que ce mouvement extra-parlementaire eut sur l’aboutissement des négociations fut une première dans l’histoire politique d’Israël. Il est intéressant de noter que ce premier succès de Shalom Ah’chav, qui l’encouragea à se maintenir sur la scène politique, avait bien peu à voir avec la question palestinienne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le groupe décida de recentrer son action sur la question de la colonisation et si son premier engagement après les Accords de Camp David fut contre le Gush Emunim (« Bloc de la Foi » 10). Contrairement à des formations politiques de l’extrême-gauche telles que le Parti communiste israélien, le Matzpen (« Boussole ») 11  ou le petit parti SHELI (acronyme de Shalom le’Israel, « Paix pour Israël ») qui insistaient sur la centralité de la question palestinienne dans la résolution du conflit et sur la nécessité de parler avec l’OLP, Shalom Ah’shav parlait surtout de paix avec les pays arabes voisins et évitait ainsi de se pencher sur des aspects plus controversés de la situation 12.
6   En novembre 1981, l’Université Bir Zeit située près de Ramallah fut le théâtre de manifestations contre la création de l’Administration Civile 13. En réponse à cette vague de protestations, l’armée décida de fermer l’université pendant deux mois. Des contacts existaient depuis une dizaine d’années entre certains enseignants palestiniens et des militants israéliens de gauche, qui formèrent un comité de soutien avec Bir Zeit et s’introduisirent, trois jours après la fermeture, dans l’enceinte de l’université pour y tenir une cérémonie symbolique de réouverture. Une lutte conjointe s’organisa progressivement entre Israéliens et Palestiniens avec notamment des manifestations à Ramallah, où l’armée utilisa des gaz lacrymogènes – une première à l’encontre de manifestants juifs – et où des dizaines de participants furent arrêtés. L’attention des médias se révéla importante principalement en raison du caractère totalement nouveau des protestations. Jamais auparavant Palestiniens et Israéliens n’avaient manifesté sous une même bannière et les contacts entre les deux populations étaient restés extrêmement limités. Pendant les quatre années qui suivirent, le comité organisa des dizaines d’autres manifestations et actions de sensibilisation en Israël.
7     Bien qu’aucun parti ne fut officiellement lié au comité, celui-ci comptait de nombreux membres du parti communiste, du parti SHELI, certains sionistes de gauche, ainsi que des militants du Matzpen, ce qui en fit, pendant un temps, « la combinaison la plus large et la plus unifiée de forces jamais rassemblées à gauche de Shalom Ah’shav » 14. Daniel Amit, figure centrale du comité, aurait déclaré un jour à ce propos : « Nous avons besoin des communistes pour leur nombre, des antisionistes pour leur activisme, et des sionistes de gauche pour leur légitimité » 15. Cette mixité politique constitua, il semble, une des caractéristiques les plus surprenantes du comité, et un de ses atouts majeurs pour mobiliser des militants venus d’horizons différents. Pour la première fois, la dénonciation de l’occupation et des conditions humanitaires qu’elle engendrait en Cisjordanie et à Gaza n’était plus la seule affaire des anti- ou des non sionistes. Shalom Ah’shav et le « Comité de solidarité avec Bir Zeit » joignirent leurs efforts à certaines périodes, notamment suite aux confrontations sanglantes de février et mars 1982. Il semble que le premier ne pouvait plus se contenter, en tant que mouvement pacifiste, de demander un retrait des territoires sans prêter attention aux initiatives nouvelles établissant une résistance sur le terrain avec des Palestiniens. Les liens établis entre Bir Zeit et certains sionistes de gauche proches ou membres de Shalom Ah’shav contribuèrent sûrement à pousser l’organisation vers ce qui peut être considéré comme une radicalisation.
8      Le 5 juin 1982, Israël lança l’opération « Paix en Galilée » et envahit le Liban dans le but d’éradiquer l’OLP qui y avait trouvé refuge. Le « Comité de solidarité avec Bir Zeit » décida de se transformer en « Comité contre la guerre au Liban » et lança le 26 juin 1982, un appel à une mobilisation nationale contre la guerre. Les vingt mille Israéliens qui répondirent présent montrèrent à quel point l’opposition avait dépassé les cercles de militants dévoués qui se mobilisaient régulièrement autour de Bir Zeit. Shalom Ah’shav prit également position contre la guerre et lança, début juillet, un appel à manifester qui rassembla plus de cent mille participants. Mais, pour garder sa popularité, le mouvement continua, selon Tamar Hermann à « manifester son allégeance aux valeurs collectives centrales et [à] conserver un caractère légal » 16. Cela passait par exemple par un désaccord de principe avec l’objection de conscience et avec le fait de critiquer ouvertement l’armée comme le faisait alors le mouvement Yesh Gvul (« Il y a une frontière/limite »), créé pour soutenir les soldats refusant de servir au Liban, puis plus tard dans les territoires occupés. Ce mouvement devint d’ailleurs à cette période l’un des principaux « concurrents » de Shalom Ah’shav.
9      La guerre du Liban fut une période de mobilisation sans précédent en Israël 17  qui marqua de façon décisive l’histoire militante du pays et cela pour plusieurs raisons. C’était tout d’abord la première fois qu’un réel mouvement de masse émergeait. En septembre 1982, le massacre perpétré par les Phalangistes à Sabra et Chatila avec le soutien de l’armée israélienne amena une foule de quatre cent mille personnes dans la rue, ce qui représentait à l’époque presque 10 % de la population du pays. Parmi les manifestants, un large nombre n’avait jamais participé à une telle protestation. Cette affluence s’explique tout d’abord par le fait que la guerre du Liban constituant la première guerre « choisie » 18  d’Israël, elle ne recueillit pas de consensus national et fut d’emblée plus critiquée que les précédentes. De plus, c’était la première fois depuis la guerre d’Indépendance que des soldats, appelés et réservistes, étaient confrontés à la population civile « ennemie », pour une large part des femmes et des enfants. L’empreinte de cette guerre sur l’histoire du militantisme israélien s’explique également par le rôle qu’elle joua dans la prise de conscience, par les Palestiniens, de l’existence d’un « camp de la paix » en Israël. Bien qu’ils aient pu être irrités de constater le pouvoir de mobilisation de cette guerre comparé à celui de leur propre occupation qui durait pourtant depuis plus de quinze ans, ils découvrirent que les Israéliens opposés à leur gouvernement étaient potentiellement nombreux, ce qui contribua certainement à faciliter les collaborations qui virent le jour pendant la première Intifada.

La première Intifada et le développement du militantisme anti-occupation

 
10     Avec le déclenchement de la première Intifada, en décembre 1987, de nombreuses organisations firent leur apparition en Israël pour exprimer le refus des violences commises par l’armée et manifester la solidarité avec les Palestiniens, ce que se refusait à faire clairement Shalom Ah’shav. Kaminer estime à une trentaine le nombre d’organisations qui, deux mois après le début du soulèvement, avaient pris un rôle actif dans la protestation contre la répression de l’Intifada 19. Avishai Margalit affirme de son côté que quarante-six groupes pouvaient, en 1988, « être considérés comme plus radicaux que Shalom Ah’shav » 20  et Naomi Chazan avance, elle, le chiffre de cent soixante-dix groupes distincts en 1989 dans le camp de la paix 21. Mordechai Bar-On, dans son étude sur le mouvement Shalom Ah’shav, critique ces estimations et précise que la plupart des organisations de paix existant pendant la décennie 80 étaient des groupes de coexistence dont le but était d’améliorer les relations entre Israéliens juifs et arabes 22. Quoi qu’il en soit, la première Intifada a constitué un tournant incontestable dans l’histoire du mouvement anti-occupation en Israël et s’est caractérisée d’une part par l’apparition de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme que nous ne détaillerons pas ici 23  et par celle de groupes de protestation tels que ceux que nous allons évoquer à présent.
11     Les groupes Daï La’Kibush (« Halte à l’occupation ») et The 21st Year (« La 21e année ») furent probablement parmi les plus représentatifs de cette catégorie. Le premier apparut en juin 1987, à l’initiative d’intellectuels de la gauche non- ou antisioniste (parti communiste, SHASI – Gauche socialiste israélienne, ligue communiste révolutionnaire, etc.). Il fut le groupe le plus dynamique pendant la première année de l’Intifada malgré des effectifs restreints et le fait qu’il ne devint jamais une organisation formelle. Son répertoire d’actions allait de l’organisation de veillées devant la résidence du Premier Ministre à celle de visites en territoires palestiniens, en passant par la distribution de brochures politiques, l’écriture de pétitions, et des manifestations en Israël. L’une des caractéristiques les plus marquantes du groupe fut de permettre le développement de contacts des deux côtés de la ligne verte grâce aux visites dans les villages et aux rencontres avec des militants palestiniens. Chaque semaine, un à deux bus d’Israéliens se rendaient dans les territoires pour visiter villages et camps de réfugiés. Des rencontres étaient également organisées au domicile de militants, et des Palestiniens étaient invités à parler de leur vie sous occupation. Kaminer note que « la taille et la profondeur des contacts israélo-palestiniens étaient sans précédent et devinrent une nouvelle caractéristique remarquable de l’activité de protestation » 24.
12     Le 4 juin 1988, lors d’une manifestation à l’occasion du vingt et unième anniversaire de l’occupation plusieurs centaines de manifestants défilèrent sous la bannière d’une nouvelle organisation, The 21st Year. Celle-ci se distinguait particulièrement par la publication d’un manifeste intitulé « Convention pour la lutte contre l’occupation » (Amanah leMa’avak neged ha’Kibush), principalement rédigé par Hanan Hever, et Adi Ophir, destiné à montrer que l’occupation avait de sérieuses conséquences sur la société israélienne et sur divers aspects de la vie en Israël parmi lesquels l’économie, le droit, la culture, la manière de parler, l’éducation, etc. Il rejetait les formes traditionnelles de protestation arguant qu’elles aussi étaient entachées par l’occupation : « Les modèles de protestation acceptables contre l’occupation sont circonscrits par le consensus et les moyens sont limités aux frontières dans lesquels les enferme le ‘système d’occupation’… le bel Israélien tire, pleure, proteste et continue à collaborer avec le système d’occupation » 25. Cette phrase visait assez clairement Shalom Ah’shav (dont Adi Ophir avait, pendant un temps, fait partie) qui, tout en rejetant fermement l’objection de conscience ou même le refus sélectif 26, critiquait en effet les actions menées par l’armée dans les territoires palestiniens. Ses militants étaient souvent raillés, dans les rangs des autres groupes, pour être des soldats loyaux pendant leurs périodes de réserve et manifester ensuite, une fois revenus à la vie civile, contre le type d’actions qu’ils avaient été amenés à conduire dans les territoires. Les partisans de la « Convention » appelaient au contraire à ce que les Israéliens opposés à l’occupation soient prêts à « payer un prix personnel » pour leur engagement. Ils reçurent des soutiens étonnamment nombreux de la part d’intellectuels, d’académiciens et d’étudiants, et au printemps 1988, ils annoncèrent dans un tract avoir recueilli mille deux cent cinquante signatures. Ses membres s’employèrent alors à proposer des applications pratiques aux engagements énoncés dans le document de départ. Par exemple, le 25 mai 1989, The 21st Year organisa un rassemblement de solidarité avec des Palestiniens dont les maisons devaient être démolies, près de Qalqilya. Vingt-sept militants furent arrêtés pour « incitation à la rébellion » et l’un des policiers qui témoigna devant la cour déclara : « De nombreux Israéliens de tous bords politiques ont pris l’habitude d’entrer dans les territoires et de prendre la loi entre leurs mains. (…) Le fait que des Juifs d’Israël viennent assister l’Intifada et contribuent à la détérioration rapide de la situation en Samarie constitue un crime grave » 27. Ces paroles témoignent du défi que constituait la protestation conjointe à l’époque. Néanmoins, le groupe qui se proposait de développer la désobéissance civile et de « payer un prix personnel » cessa ses activités assez vite après cette action qui avait pourtant constitué un indéniable succès médiatique.
13     Shalom Ah’shav critiqua à cette époque la tendance de la gauche à organiser des activités qui visaient surtout à « défouler » les militants mais qui, de par leur taille, ne pouvaient pas influencer le public israélien. Il organisa sa première manifestation à peine deux semaines après le début de l’Intifada et celle-ci rassembla environ mille cinq cents participants, bien peu en comparaison aux protestations liées à la guerre du Liban mais beaucoup plus que ce que les petits groupes étaient capables de faire en joignant leurs efforts. Reuven Kaminer rapporte que l’une des tactiques de ces derniers pour concurrencer Shalom Ah’shav était d’organiser des manifestations indépendantes avant celles du grand mouvement et de le rejoindre ensuite sous une bannière et avec des slogans spécifiques. C’était là une occasion de distribuer des tracts pour tenter d’attirer de nouvelles recrues, ce qui ne plaisait pas toujours aux organisateurs mais ne provoqua jamais de réels affrontements 28Daï La’Kibush et The 21st Year, malgré leur marginalité politique et leur public restreint, ont ainsi contribué à remettre en question l’hégémonie de Shalom Ah’shav dans le mouvement pacifiste israélien. Bien que le message de celui-ci resta à peu de choses près le même avant et après la seconde Intifada, le mouvement commença en effet à lier des contacts avec des Palestiniens 29  et à organiser des visites en Cisjordanie, chose qui aurait été inenvisageable quelques années plus tôt.
14     La première Intifada fut donc une période de changements notables dans les mobilisations israéliennes contre l'occupation. À la différence des années succédant la conquête des territoires, principalement caractérisées par des initiatives visant à l'instauration de frontières sûres, et à celles de la guerre du Liban orientée vers le retrait des troupes israéliennes de ce pays, la protestation désignait clairement l'occupation, et critiquait le gouvernement pour les actes commis dans la répression de la révolte palestinienne. Fin 1992, les mesures coercitives menées par Yizhak Rabin, alors Premier Ministre, contre la population des territoires occupés, amenèrent des militants israéliens à installer une « tente de protestation » devant le bureau de ce dernier, à Jérusalem. Ils critiquaient les groupes pacifistes de l’époque pour leur manque d’opposition au gouvernement et ils décidèrent de former, sous l’impulsion du militant de longue date Uri Avnery 30Gush Shalom (« Bloc de la Paix ») qu’ils voulaient « peacer than Peace Now » 31.

Oslo, l’amer passage du militantisme au dialogue

 
15     La signature de la Déclaration de principes de reconnaissance mutuelle Israël/OLP en 1993 marqua l’entrée du mouvement anti-occupation israélien dans une nouvelle phase qui allait, en quelques années, bouleverser sa structuration toute entière. La poignée de mains entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin devant la Maison Blanche suscita un espoir immense chez un grand nombre d’Israéliens et de Palestiniens. Après des années d’affrontements, l’établissement d’une paix durable entre les deux peuples n’avait jamais semblé aussi proche et soudainement, et pendant quelques mois, une atmosphère propice au dialogue s’installa véhiculant l’idée que les deux côtés devaient apprendre à vivre ensemble. On assista ainsi à une explosion de ce que Rabinowitz nomme ironiquement « l’industrie du dialogue » 32  et des sommes d’argent énormes données par les  gouvernements étrangers servirent à financer ce genre d’initiatives.
16      Les militants qui avaient été engagés avant Oslo dans la dénonciation de la répression à l'Intifada, dans les groupes de défense des droits de l'homme, ou même dans les manifestations de Shalom Ah'shav, furent les grands invisibles de cette période, ce qui témoigne des efforts faits, au niveau étatique, pour marginaliser le « mouvement pour la paix » et le dissocier du « processus de paix ». Tamar Hermann relate qu'en juillet 1994, lorsqu’Yitzhak Rabin alla signer la déclaration à Washington, il emmena douze Israéliens avec lui rappelant les douze tribus d’Israël et censés symboliser la diversité israélienne. Il y avait parmi eux une mère endeuillée, un ancien soldat combattant, une victime d’attentat, etc. mais aucun représentant du camp de la paix, ce qui selon elle, « illustre la situation intensément frustrante dans laquelle le mouvement s’est trouvé après le lancement du processus d’Oslo : les décideurs israéliens officiels avaient adopté exactement l’agenda pour lequel le mouvement s’était battu pendant des années (…). Or, ils n’ont donné au mouvement aucun rôle dans ce processus » 33. Cela peut contribuer à expliquer l’inertie dans laquelle se sont trouvés nombre d’initiatives militantes à cette période.
17     Par ailleurs, bien peu de ceux qui avaient participé à des protestations contre l'occupation ou à des actions de solidarité avec les Palestiniens se retrouvaient dans l'esprit des projets de coexistence valorisés à l’époque, qui étaient fortement empreints de sionisme, se voulaient « apolitiques » et laissaient pour cela de côté toutes les sources potentielles de tensions – en fait les questions de fond susceptibles de faire échouer les accords (question des réfugiés, statut de Jérusalem, etc.) – pour ne s’intéresser qu’à la vie quotidienne, la culture, les traditions, etc. 34  L’engagement « pacifiste » était donc passé, entre la première Intifada et la période d’Oslo, d'un militantisme dénonçant la situation politique et les problèmes spécifiques rencontrés par la population arabe des territoires occupés (la torture ; la destruction de maisons ; la difficulté d’accès aux soins, etc.) à des initiatives visant à promouvoir la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens dans la perspective d’un avenir commun, sous-entendant ainsi que les injustices précédemment combattues avaient été abolies. Or, les années qui suivirent les accords d’Oslo furent très difficiles, particulièrement pour les Palestiniens vivant dans les territoires occupés. La Cisjordanie et Gaza furent divisés en zones, des checkpoints militaires apparurent et un système de permis fut mis en place pour contrôler les déplacements de millions de civils palestiniens35. On fit venir des centaines de milliers de travailleurs étrangers en Israël pour remplacer progressivement les Palestiniens employés dans le bâtiment, dans les champs, dans les services, ce qui provoqua une augmentation sans précédent du chômage dans les territoires occupés.
18     De plus, des événements dramatiques vinrent dégrader encore la situation. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon de Kyriat Arba, entra dans le caveau des Patriarches à Hébron et massacra vingt-neuf musulmans en prière. Cette tragédie aurait pu être l'occasion pour le gouvernement israélien d’évacuer les colons de Hébron, chose qu’il cherchait à faire depuis leur installation, mais au lieu de cela Yitzhak Rabin, alors Premier Ministre, prit la décision de mettre la population palestinienne sous couvre-feu « pour éviter les représailles ». Cette décision ne fit que renforcer l’ambiguïté israélienne sur la question de la colonisation, dont l’abandon n’était certes pas stipulé comme condition dans les accords d’Oslo mais qui aurait pu sembler un préalable nécessaire à l’instauration d’une « paix juste, durable et globale ». Au contraire, entre 1993 et 2001, la population juive dans les territoires (hors Jérusalem) passa de 110 000 à 213 000 36. Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin fut assassiné par un militant d’extrême-droite religieux et en 1996, Benyamin Netanyahou fut élu Premier Ministre sur le slogan « Bibi 37  est bon pour les Juifs ». Le nombre d’attentats contre la population juive augmenta à cette période considérablement, de même que la répression israélienne dans les territoires 38. Trois ans après la signature des accords d'Oslo, la paix s'effritait de jour en jour et avec elle le mouvement pacifiste. Le sommet de Camp David en juillet acheva d’enterrer tout espoir. En adoptant le discours de Barak désignant Arafat comme seul responsable de l’échec des négociations, la majorité des Israéliens tint ce dernier coupable d’avoir préféré la guerre à la paix. Plusieurs témoignages, notamment ceux de personnalités ayant participé au sommet, ont depuis remis en question la vision des « offres généreuses » rejetées par le leader palestinien 39  mais celle-ci est demeurée solidement ancrée parmi la population israélienne. Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que le soulèvement populaire palestinien qui débuta à l’automne 2000 fut vécu par nombre d’entre eux comme une trahison, comme un rejet de la paix et même comme une remise en question du droit d’Israël à exister. La gauche jusque-là favorable aux compromis et au dialogue ne fut pas épargnée par cette tendance et sa déception vis-à-vis des Palestiniens sembla d’autant plus forte que ses espoirs de parvenir enfin à la paix avaient été grands au moment d’Oslo. Du côté palestinien, la rancune due au sentiment d’être désignés comme uniques responsables de l'échec du processus, ne cessa d'augmenter à l'égard de ceux qui leur avaient fait croire en la paix. Ce n'est qu'avec la seconde Intifada que les mobilisations contre l’occupation reprirent mais le mouvement de masse, celui qui avait été capable de mobiliser des centaines de milliers d'Israéliens une quinzaine d’années plus tôt, était mort et enterré.

La seconde Intifada, de nouvelles formes d’engagement ?
19     La seconde Intifada se caractérisa plus qu’aucune autre période du conflit israélo-palestinien par des transgressions mutuelles : attentats suicide de terroristes palestiniens sur le sol israélien et répression (invasions de villes, couvre-feux, bouclages, etc.) menés par Tsahal dans les territoires occupés. L’une des conséquences les plus immédiates de cette situation fut le développement, côté israélien, d’une peur sans précédent : emmener les enfants à l’école, aller faire les courses, ou sortir au restaurant devinrent des activités génératrices d’angoisses car parfois il ne se passait pas une semaine sans qu’une bombe n’explose. Un autre des effets de cette situation fut de réduire quasiment à néant le peu de contacts qui existait jusque là entre Arabes et Juifs : parmi les seconds, ceux qui avaient l’habitude de se rendre dans les territoires cessèrent leurs visites ; les employés palestiniens se virent restreindre voire enlever les possibilités de passage en Israël et la plupart des projets de coexistence sombrèrent dans l’oubli. Shalom Ah’shav, pour sa part, resta longtemps silencieux. Au fil des années, l’organisation était devenue, plus qu’un mouvement militant, un organe d’expertise d’une colonisation qui n’avait eu de cesse de gagner du terrain pendant toute la décennie précédente 40. Ses activités sur le terrain se sont faites de plus en plus restreintes que ce soit en Israël, où la dernière mobilisation de masse remonte aux manifestations pour le désengagement de Gaza en 2005, ou dans les territoires où le groupe n’organise plus guère que quelques visites.
20     Devant l’étanchéité de la frontière mentale qui s’érigeait entre Palestiniens et Israéliens, des militants juifs et arabes israéliens décidèrent de créer le groupe Ta’ayush (« coopération » en arabe) pour apporter une réponse politique à une situation humanitaire qui se détériorait de jour en jour. Les habitants des territoires occupés subissaient à cette période couvre-feux, bouclages et incursions de l'armée à répétition, et le groupe organisa ainsi des convois de nourriture, de vêtements, de couvertures ou de médicaments, auxquels participèrent régulièrement des centaines d'Israéliens. Chaque activité nécessitait une coordination de plusieurs semaines avec les représentants des villages concernés de manière à assurer la sécurité des volontaires. En ce début de seconde Intifada, en effet, il n’était absolument pas évident pour des militants juifs de se rendre en Cisjordanie et le véritable aboutissement de Ta’ayush fut de permettre ces passages vers un autre côté que tout désignait à l’époque comme le mal absolu et de politiser ainsi par ce biais des personnes au départ plus sensibles à l'aspect humanitaire des actions proposées qu’à leur dimension politique. Les confrontations avec l'armée, qui tentait souvent d'empêcher l'arrivée des militants jusqu'au village, ainsi que la simple rencontre avec des Palestiniens désireux de les accueillir, furent en effet à l'origine de questionnements idéologiques profonds chez de nombreux participants qui s’en trouvèrent radicalisés par rapport à leurs positions initiales.
21     Lorsque l’idée de construire une barrière destinée à séparer physiquement Israël des Palestiniens fut mise en application 41  par le gouvernement Sharon en 2003, peu de militants mesuraient encore l’impact qu’aurait cet ouvrage sur la configuration de la région et la place qu’il prendrait dans le champ anti-occupation. Le tracé resta inconnu plusieurs mois après l’annonce de la construction, puisque le gouvernement israélien ne le publia officiellement qu’en 2004, et il leur fut longtemps difficile d’appréhender mentalement un tel bouleversement écologique mais surtout politique. En avril 2003, alors que le village de Mash’a faisait face à la confiscation progressive de ses terres par la construction de la barrière, deux tentes furent installées pour permettre à ceux qui le désiraient (Palestiniens, Israéliens et internationaux) de venir s’informer sur le mur et de préparer ensemble les futures actions de protestation. À partir de juillet 2003, les premières manifestations conjointes furent menées dans ce même village puis elles se propagèrent à d’autres, touchés eux aussi par la barrière. Les Israéliens y participant furent rapidement appelés les « Anarchistes contre le mur » par les médias en raison de l’appartenance de certains d’entre eux, les plus remarquables, au milieu alternatif punk, queer, et antispéciste de Tel-Aviv. Ce groupe est l’un des plus petits qu’ait jamais compté la scène militante israélienne mais il est aussi aujourd’hui l’un des plus actifs et celui qui attire l’attention régulière des médias. En plus de prendre part aux manifestations organisées par les Palestiniens 42, les Anarchistes se joignent en effet parfois à eux pour des actions directes non-violentes (blocage de routes interdites aux habitants arabes des territoires occupés ; démontages de structures de bétons placées par l’armée à l’entrée d’un village et destinés à en bloquer l’accès, etc.) et organisent également des activités à l’intérieur d’Israël, destinées à sensibiliser, souvent de manière provocante, le public sur la question de l’occupation (collages d’affiches de nuit ; distribution de documents politiques ; véloruptions 43, etc.). Ils donnent donc de nombreuses occasions de faire parler d’eux, la plupart du temps sur un mode hostile qui n’est pas pour leur déplaire, contrairement à d’autres groupes à la recherche permanente de légitimité.
22       Leur répertoire d’actions a par ailleurs un potentiel de visibilité d’autant plus élevé qu’il donne lieu à des confrontations souvent violentes avec l’armée et la police israéliennes. L’une des raisons d’être de la présence d’Israéliens dans les manifestations contre la barrière est en effet aussi de servir de boucliers humains pour éviter que les forces de l’ordre n’utilisent les moyens de répression destinés aux seuls Palestiniens (notamment les balles réelles). Ils sont néanmoins confrontés à des tirs de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc, les dernières ayant déjà causé de nombreuses blessures sérieuses, ainsi qu’au risque d’arrestation et de condamnation pénale. Les manifestants utilisent donc leur corps comme un instrument de lutte pour résister physiquement, enfreindre des interdictions mais aussi comme un outil dénonciation de la violence légitime exercée par l’adversaire, qui est ici l’armée israélienne : le nombre de blessés, la gravité des blessures, la violence de la répression sont autant de preuves de la brutalité du régime d’occupation que les manifestants brandissent.
23     La dépacification qui a caractérisé les mobilisations des « Anarchistes » et, dans une moindre mesure, de Ta’ayush, est souvent analysée comme la preuve d’une radicalisation des militants de la seconde Intifada qui seraient de moins en moins nombreux mais de plus en plus déterminés et violents. Si le fait que les effectifs soient en diminution constante semble difficilement contestable, il m’apparaît néanmoins important de nuancer la seconde affirmation. Tout d’abord parce que les deux éléments sont liés : moins il y a de protestations, plus celles-ci se doivent de prendre un caractère sensationnel pour espérer trouver un écho. La disparition du mouvement de masse et l’inertie dans laquelle s’est trouvé le camp de la paix ont ainsi contribué au développement de modes d’action plus subversifs et plus transgressifs. De plus, le degré de provocation et de combativité des actions menées est à replacer dans le contexte des années 2000, lui-même caractérisé par une forte militarisation du conflit et par une tendance à la criminalisation des initiatives de résistances conjointes, non plus sur un plan légal comme ce fut le cas entre 1986 et 1993, mais sur un plan stratégique 44. Sans aller jusqu’à affirmer que la radicalité des protestations et des acteurs mobilisés est proportionnelle à la violence de la répression, on peut tout de même supposer qu’une dynamique de réciprocité n’est pas à négliger dans l’analyse de l’évolution du militantisme israélien.
24     Par ailleurs, toutes les initiatives militantes de la seconde Intifada – et elles furent relativement nombreuses – n’ont pas développé ces formes de protestation inspirées des registres de l’action directe non-violente et de la désobéissance civile. Certains groupes ont même tenté de maintenir une position relativement consensuelle, en s’appuyant sur des cadres culturellement résonants pour reprendre la terminologie de Snow et Benford 45. Ainsi Machsom Watch (mélange de l’hébreu machsom : barrage et de l’anglais watch : observer), créé par des femmes pour surveiller le comportement des soldats aux checkpoints, mobilise un discours sur la défense des droits de l’homme susceptible d’être entendu d’un point de vue plus humanitaire que politique. Ha’Ometz Lesarev (« Le courage de refuser ») groupe de Refuzniks qui, de 2002 à 2005, se chargea de collecter les signatures d’Israéliens refusant de servir dans les territoires occupés, insistait sur le profond sionisme de ses membres, sur leur attachement à l’armée israélienne et leur croyance dans sa moralité. Enfin Shovrim Shtika (« Briser le silence ») est une organisation qui recueille, depuis 2005, des témoignages de soldats ayant servi pendant la seconde Intifada dans les territoires occupés sans toutefois appeler au refus et qui tente d’alerter, par le biais de tours, sur la situation humanitaire catastrophique des Palestiniens vivant dans le secteur H2 46  d’Hébron. Ces trois groupes ont fait l’objet de critiques de la part d’autres militants anti-occupation qui leur reprochaient souvent leur manque de coopération avec les Palestiniens, ainsi qu’un certain machisme et un attachement aux valeurs militaires pour les deux derniers. Quand à Machsom Watch, composé exclusivement de femmes, on lui reprocha de chercher à « humaniser les checkpoints » au lieu d’en combattre l’existence.
25      Il semble intéressant de noter que ces trois organisations donnèrent chacune naissance à de nouvelles initiatives militantes. D’anciens membres d’Ha’Ometz Lesarev s’associèrent à des Palestiniens qui avaient lutté pour leur libération nationale pour créer en 2005 le groupe des « Combattants pour la paix ». Proches au départ d’un groupe de dialogue, ils ont rapidement participé et même organisé des activités de solidarité dans les territoires occupés. Du côté de Shovrim Shtika, on a pu constater la création, par quelques membres, d’un petit groupe ad hoc, Bnei Avraham (« Les fils d’Abraham ») dans le but d’organiser des actions de terrain avec les Palestiniens. Celui-ci est extrêmement restreint dans ses effectifs comme dans ses activités mais il témoigne encore une fois d’une volonté de dépasser la séparation imposée entre Israéliens et Palestiniens. Enfin, Machsom Watch a connu un développement inverse puisque certaines de ses militantes furent à l’origine de la naissance d’une organisation institutionnalisée : Yesh Din (« Il y a une justice »). Comprenant des volontaires mais aussi une équipe de professionnels spécialisés, cette ONG se charge d’aider les Palestiniens des territoires à lutter sur le plan légal contre les injustices et les violations des droits de l’homme dont ils sont victimes. Bien que la coopération ne soit pas aussi horizontale que dans le cas des « Combattants pour la paix » par exemple, le grand changement entre Machsom Watch et Yesh Din a été de passer des checkpoints où les volontaires sont en position d’observatrices aux villages, où ils/elles sont accueillis en hôtes par les Palestiniens dont ils viennent recueillir les témoignages. C’est donc à la période où la volonté de séparation atteint son paroxysme avec la construction d’un mur/barrière que les contacts entre Israéliens et Palestiniens engagés à des degrés divers contre l’occupation semblent être devenus l’un des éléments centraux de la lutte.

Conclusion

 
26      Début novembre 2008, on pouvait lire dans un article du quotidien Ha’aretz que l’armée israélienne avait demandé à la police et au ShinBet  47  de lui fournir des informations sur les militants de gauche se rendant dans les territoires occupés et accusés de « perturber la paix de la région en menant des activités violentes ». Jusqu’à présent, parmi les Juifs israéliens, seuls les activistes d’extrême-droite suspectés de planifier des attentats avaient été l’objet de telles mesures. Le parallèle est intéressant en cela que la violence dont on accuse les opposants à l’occupation n’a rien de comparable avec celle dont se sont montrés capables leurs rivaux, mais surtout car celle-ci ne porte pas nécessairement sur leurs actions les plus génératrices de violence 48. Des activités comme les récoltes d’olive en territoires occupés ou les tours à Hébron sont aussi désignées comme subversives et dangereuses. Au mois de mai dernier, un officier de police de cette ville avait ainsi décrit les militants de Bnei Avraham et de Shovrim Shtika comme « plus dangereux que leurs opposants de droite » ajoutant qu’il s’agissait de « loups déguisés en brebis ». Ces exemples sont révélateurs de la manière dont les activités d’opposition à l’occupation et la coopération avec les Palestiniens ont pu être criminalisées ces dernières années. Cela nous amène à dire que la radicalisation prêtée à ces groupes est avant tout le fait d’un travail de labellisation mené par les autorités étatiques ainsi que le produit d’un rapport de force de plus en plus difficile avec l’armée et la police, rendant les répertoires d’actions d’autant plus transgressifs.
27      Par ailleurs, force est de constater que les revendications des militants anti-occupation se sont heurtées, ces dernières années, à une hostilité croissante qu’il serait intéressant d’analyser plus que nous n’avons pu le faire ici à la lumière de ce que Koopmans et Statham nomment la « structure des opportunités discursive » 49. Cette expression, inspirée des travaux sur la « structure des opportunités politiques » 50, désigne les représentations culturelles dominantes avec lesquelles les revendications d’un mouvement social doivent entrer en résonance pour espérer gagner visibilité et légitimité dans l’espace public. Ainsi, à une période comme la seconde Intifada où presque tous les Israéliens ont été touchés de près ou de loin par le terrorisme, ont vécu dans la peur pour eux-mêmes ou pour leurs proches, puis ont constaté avec soulagement une baisse significative des attentats suicide, coïncidant avec la construction de la barrière de séparation 51, la structure des opportunités discursives était très peu favorable à des cadrages évacuant la question de la sécurité au profit d’une opposition de principe avec l’idée de séparation. Ce facteur doit donc être pris en considération pour comprendre la radicalisation dont ont été accusés les militants de gauche....)
28      Le mouvement anti-occupation pourrait être schématisé sous la forme de trois cercles concentriques, le premier représentant le petit noyau de militants très actifs (ceux qui se mobilisent chaque semaine), le second celui des militants potentiellement mobilisables pour des occasions ponctuelles et le troisième celui des sympathisants à la cause qui ne militent pas ou plus activement sauf de manière exceptionnelle (ex : pendant la seconde guerre du Liban ou pour les commémorations de l’occupation). Les effectifs de ces trois cercles sont difficiles à chiffrer, d’autant que beaucoup de militants sont multipositionnés  52, c’est-à-dire qu’ils gravitent autour de plusieurs groupes et que leurs degrés d’engagement ne sont pas forcément comparables. Ce qui semble néanmoins clair c’est qu’ils ont considérablement diminué pendant et après la période d’Oslo, en particulier dans les deux cercles des « occasionnellement » et « exceptionnellement mobilisables ». En effet, là où les mobilisations contre la première guerre du Liban étaient parvenues à rassembler jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes, celles qui ont accompagné la seconde à l’été 2006 atteignirent difficilement les quelques milliers de manifestants. Parallèlement, les militants appartenant au petit noyau le plus actif sont plus mobilisés aujourd’hui que jamais. Si les manifestations contre le mur amènent rarement plus de quelques dizaines d’Israéliens, elles se renouvellent néanmoins toutes les semaines, parfois plusieurs fois et en différents lieux. L’« évaporation » du mouvement pacifiste de masse a ainsi donné d’autant plus de visibilité aux mobilisations ayant une dimension subversives et provocatrices de part leurs revendications, leurs répertoires d’actions, mais aussi et surtout de part une coopération de terrain affichée et revendiquée avec des partenaires palestiniens.


Notes

1   Notamment Reuven Kaminer. 1996. The Politics of Protest. The Israeli Peace Movement and the Palestinian Intifada. Brighton: Sussex Academic Press – Mordechai Bar-On. 1996. In pursuit of Peace. A history of the Israeli peace movement. Washington DC: United States Institute of Peace Press ; ainsi que les travaux de Tamar Hermann.
2   On peut citer par exemple : Daniel Dor. “Is there anything we might call dissent in Israel? And if there is, why isn’t there?” Critical Inquiry. Vol. 32. N° 2. Winter 2006 - Neve Gordon. « The Israeli Peace Camp in Dark Times ». Peace Review. Vol 15. N° 1. Mars 2003 – Paul Kessler « The Ongoing struggle of the Israeli Peace Camp » European Judaism. Vol. 35. 2002 – Ofira Seliktar. “Tenured Radicals” in Israel: From New Zionism to Political Activism”. Israel Affairs. Vol. 11, Issue 4. Oct. 2005.
3   Tamar Hermann. « The Sour Taste of Success. The Israeli Peace Movement. 1967-1998 ». In Benjamin Gidron, Stanley Katz, Yeheskel Hasenfeld. (Ed.) 2002. Mobilizing for Peace. Conflict Resolution in Northern Ireland, South Africa and Israel/Palestine. New York: Oxford University Press. p. 96.
4   Lilian Mathieu. 2004. Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux. Paris : Textuel. p. 19.
5   Nous avons pris le parti de donner les noms des groupes et mouvements dans leur langue originale (l’hébreu sauf précision contraire) avec traduction entre parenthèses, sauf lorsqu’ils désignent les militants eux-mêmes (ex : les « Rabbins pour les droits de l’homme » ; les « Anarchistes contre le mur »), ou l’organisation (ex : « Le Mouvement pour la Paix et la Sécurité » ; « Le comité public contre la torture », etc.) auquel cas on utilisera des guillemets.
6   Israël conquit la Cisjordanie, la bande de Gaza, Jérusalem est, le Sinaï ainsi que le plateau du Golan. Le Sinaï fut rendu à l’Egypte suite à un traité de paix signé en 1979 et la bande de Gaza évacuée en août 2005.
7   C’est-à-dire la terre d’Israël dans ses frontières bibliques, comprenant toute la Palestine mandataire et même au-delà.
8   Mordechai Bar-On. 1996.Op. cit, p. 60.
9   Lettre des Officiers publiée en mars 1978 et consultée sur le site de Shalom Ah’shav le 20 août 2008. URL: http://www.peacenow.org.il/site/he/peace.asp?pi=43&docid=62
10   Ce mouvement est apparu suite à la conquête des territoires palestiniens (bien qu’il n’ait été fondé formellement qu’en 1974 par  le rabbin Kook) pour promouvoir l’établissement de colonies juives sur tout le territoire contrôlé par Israël.  Pour plus de précisions, se reporter à Ian S. Lustick 1988. For the Land and the Lord. Jewish Fundamentalism in Israel.Council of Foreign Relations Press.
11   Petit parti israélien antisioniste apparu dans les années 70 d’une scission avec le parti Communiste.
12   Dans un document non daté cité par Reuven Kaminer que l’auteur identifie comme écrit aux alentours de mars 1980, on peut même lire : « La Paix Maintenant n’a jamais demandé un retour aux frontières de 67 ni la création d’un État palestinien. Le principal intérêt du mouvement est la sécurité de l’État d’Israël ». Reuven Kaminer. 1996. Op. cit., p. 24.
13   Une nouvelle division de l’armée israélienne chargée de s’occuper de certains aspects administratifs de l’occupation.
14   Reuven Kaminer. Op. cit., p. 34.
15   Propos rapportés par Michel Warschawski dans un texte paru à l’occasion du décès de Daniel Amit : « Architect of Unity: Daniel Amit (1938-2007) ». 7 novembre 2007.
16   Tamar Hermann. 2002. Op. cit., p. 101.
17   Nous ne détaillerons pas les mouvements formés à l’occasion de la guerre du Liban, les revendications concernant un retrait des troupes israéliennes de ce pays et non pas des territoires occupés bien que, souvent, les deux furent liées.
18   Par opposition aux guerres dans lesquelles Israël fut attaquée et pour lesquelles on a coutume d’utiliser l’expression Ein Breh’a (« Il n’y a pas le choix »).
19   Reuven Kaminer. 1996. Op. cit., p. 47.
20   Avishai Margalit. 1998. Views in Review: Politics and Culture in the State of the Jews. New York : Farrar, Straus and Giroux. p. 157.
21   Naomi Chazan. 1991. Op. cit., p. 153.
22   Mordechai Bar-On. 1996. Op. cit., p. 183.
23   Il s’agit notamment de Ha’Moked (« Le centre d’appel ») organisation de défense des droits de l’homme fondée en 1988 pour venir en aide aux Palestiniens victimes de violation des droits de l’homme ; B’Tselem, créée en 1989 pour devenir le « Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés » ; les « Médecins pour les droits de l’homme » (1989) ; ICAHD (« Comité israélien contre la démolition de maisons ») ; ou encore les « Rabbins pour les droits de l’homme » (1988). Notons que ces deux derniers groupes, classés ici parmi les organisations de défense des droits de l’homme se distinguent par le fait qu’elles organisent également des actions de désobéissance civile faisant appel à des volontaires de l’extérieur.
24   Reuven Kaminer. Op. cit., p. 52.
25   Traduction de la version en hébreu de la « Convention ».
26   Le refus sélectif renvoie au fait d’accepter de servir uniquement à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël (et non au-delà de la Ligne verte ou au sud Liban).
27   Michael Rotem. « In Jail. Anti-occupation protesters stay in custody ». Article paru le 29 mai 1989 dans un journal anglophone non-identifié (archives scannées sur www.israeli-left-archive.org).
28   Reuven Kaminer. 1996. Op. cit., p. 224. Note n° 1.
29   Notamment Fayçal Husseini, qui fut placé suite à cette rencontre en détention administrative ce qui poussa Shalom Ah’shav à se mobiliser en faveur de sa libération. En général, Shalom Ah'shav se lia avec des leaders politiques palestiniens, du Fatah principalement mais développa peu d’autres contacts.
30   Éditorialiste de l’hebdomadaire HaOlam HaZeh (« Ce monde-ci ») de 1953 à 1993, et député à la Knesset de 1965 à 1973 puis de 1979 à 1981.
31   Site internet du Gush Shalom. URL : http://zope.gush-shalom.org/home/en/about/general_info. Consultée le 28 août 2008.
32   Dany Rabinowitz. “Natives with jackets and degrees: Othering, objectification and the role of Palestinians in the co-existence field in Israel”. Social Anthropology. 2000. Vol. 9. No 1, p. 65-80.
33   Tamar Hermann. Op. cit., p. 94-95.
34   Dany Rabinowitz. 2001. Op. cit., p. 77.
35   Cf. Blandine Destremau. « Fragmentation territoriale et problème d’intégration : le cas palestinien ». In Luc Cambrezy, Joël Bonnemaison et Laurence Quinty-Bourgeois. 1999. La nation et le territoire. Paris : L’Harmattan.
36   Alain Dieckhoff et Rémy Leveau. 2003. Israéliens et Palestiniens. La guerre en partage. Paris : Balland. p. 9.
37   Surnom de Benyamin Netanyahou en Israël.
38   Entre 1993 et 2000, 171 civils israéliens furent victimes d’attentats. Pendant la même période, 385 civils palestiniens furent tués par l’armée israélienne. Cf. Sylvain Cypel. Op. cit., p. 233.
39   Notamment Robert Malley qui était à l’époque l’un des organisateurs américains du sommet. Celui-ci a publié plusieurs articles dénonçant l’unilatéralité des accusations. Voir notamment un article écrit avec Hussein Agha. « Camp David : the Tragedy of Errors ». The New York Review of Books. August 2001. Vol. 48. N° 13. Voir également les analyses de Charles Enderlin décrivant le déroulement des négociations : Charles Enderlin. 2002. Le rêve brisé : Histoire de l’échec du processus de paix, 1995-2002. Paris : Fayard.
40   Il a ainsi mis en place un « projet de surveillance des colonies » pour recenser les colonies existantes, en expansion et les avant-postes illégaux.
41   Cette idée avait été évoquée en premier lieu par les travaillistes dans les années 90.
42   À certaines périodes, ce sont deux voire trois manifestations palestiniennes par semaine auxquelles se joignent des « Anarchistes contre le mur » (parfois une poignée d'entre eux) et cela sans compter les autres activités militantes. Cette capacité de mobilisation s’explique par le fait que ces militants appartiennent souvent à des milieux à fort « potentiel de temps libre », comparables à ceux décrits par Mac Carthy et Zald pour « les professionnels de la contestation ».  John D.  McCarthy et Mayer N. Zald. “Resource Mobilization and Social Movements: A Partial Theory”. American Journal of Sociology. 1977. Vol. 82. N° 6. p. 1212-1241.
43   Traduction française de l’expression anglaise « critical mass », qui désigne un rassemblement important de cyclistes en centre ville, destiné à ralentir fortement la circulation et véhiculant parfois un message politique.
44   L’usage de la « zone militaire fermée » pour interdire la présence d’une certaine catégorie de personnes dans une zone donnée date certes des années 50 mais il a été fortement répandu pendant la seconde Intifada pour contrôler et tenter d’empêcher les actions rassemblant des Israéliens et des Palestiniens.
45   David A. Snow et Robert D. Benford. 1988. “Ideology, Frame Resonance and Participant Mobilization”. International Social Movement Research. Vol. 1. p. 197-217.
46   La plus grande partie d’Hébron (H1) est sous administration palestinienne, comme toutes les autres villes de Cisjordanie depuis Oslo. La seconde partie (H2) où vivent environ huit cents colons protégés par l’armée et la police ainsi que près de trente mille Palestinien est sous contrôle israélien.
47   Les services secrets intérieurs.
48   Comme les manifestations contre la barrière, violentes du point de vue de la répression de Tsahal mais également des incidents survenant en aval comme les jets de pierre auxquels se livrent souvent les jeunes des villages.
49   Ruud Koopmans et Paul Statham. 2000. Challenging Immigration and Ethnic Relation Politics: Comparative European Perspective. Oxford: Oxford University Press.
50   Cf. les travaux de Sydney Tarrow (1994) et de Hanspeter Kriesi (1995).
51   Nous ne postulons pas ici un rapport de causalité direct entre la baisse des attentats suicides et la construction de la barrière. Nous constatons juste que pour la plupart des Israéliens les deux phénomènes sont liés.
52   Pour reprendre une expression utilisée notamment dans une étude sur les militants alter-mondialistes. Cf. Olivier Fillieule et. alii. « L’altermondialisme en réseaux. Trajectoires militantes, multipositionnalité et formes de l’engagement ; les participants du contre-sommet du G8 d’Evian » In Politix. Dossier « Militants de l’altermondialisation ». 2004. Vol 17, p. 68.

Pour citer cet article
Référence électronique
Karine Lamarche, « Des « mouvements pacifistes » aux « mouvements anti-occupation » israéliens », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 19 | 2008, mis en ligne le 18 août 2010, Consulté le 01 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/bcrfj/5921

Auteur
Karine Lamarche
Karine Lamarche est doctorante en sciences sociales à l’École Normale Supérieure et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, et membre du Centre Maurice Halbwachs. Elle prépare une thèse sous la direction de Michel Offerlé, portant sur les mobilisations d’Israéliens contre l’occupation pendant la seconde Intifada. Elle a reçu une bourse de trois mois au CRFJ en 2006 et elle est actuellement ATER à l’Université Lille III.
Droits d’auteur
© Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem
 
 
 
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2014


 
Les véritables enjeux géostratégiques et économiques de l’attaque militaire d’Israël contre Gaza 
Dr Abderrahmane MEBTOUL*, Maghreb Emergent, 2 août 2014

Les guerres modernes cachent souvent des raisons économiques dont l’ énergie constitue le poumon de la sécurité des Etats à travers la volonté de s’approprier les ressources (pétrole, gaz,…). Me limitant aux mutations énergétiques mondiales, existant certainement d’autres raisons, je pense pourtant que l’offensive militaire israélienne sur Gaza mériterait d’être analysée selon cette grille de lecture, souvent occultée par les médias.

1.-Des découvertes de gaz qui bouleversent la carte énergétique méditerranéenne

C’est British Gaz (BG) qui avait fait, en l’an 2000, la découverte de gaz naturel au large de Gaza et, ensuite dans les zones offshore israélienne et chypriote. Selon l’US Department of the Interior, “Assessment of Undiscovered Oil and Gas Ressources of the Levant Basin Province, Eastern Mediterrnean” de mars-avril 2010 , le bassin de Sibérie occidentale recèlerait 18 200 milliards de mètres cubes de gaz, le Proche-Orient et l’Afrique du Nord comprenant le bassin du Rub Al-Khali (12 062 milliards de mètres cubes de gaz) dans le Sud-Ouest de l’Arabie saoudite et le Yémen du Nord ; autours de Ghawar (Great Ghawar Uplift) dans l’Est de l’Arabie saoudite (6 427 milliards de mètres cubes) et dans la chaine plissée du Zagros (6 003 milliards de mètres cubes) le long du Golfe persique en Irak et en Iran. L’USGS, en s’appuyant sur les données des forages antérieurs et des études géologiques dans la région a conclu que « les ressources pétrolières et gazières du bassin du Levant étaient estimées à 1,68 milliards de barils de pétrole, et 3 450 milliards de mètres cubes de gaz ». En outre, selon ses estimations, « les ressources non découvertes de pétrole et de gaz de la province du bassin du Nil (délimité par le cône du Nil à l’ouest, par Strabon, au nord, par les failles de Pytheus et de Chypre à l’est et par le bassin du Levant au sud) sont estimés à environ 1,76 milliards de barils de pétrole et 6 850 milliards de mètres cubes de gaz naturel. L’USGS a évalué le total pour la Méditerranée orientale, dans son ensemble, à 9 700 milliards de mètres cubes de gaz et à 3,4 milliards de barils de pétrole. Face à ces découvertes, la région est confrontée à de tous nouveaux conflits potentiels et défis géopolitiques et pourraient entraîner de profonds bouleversements géopolitiques pour l’accès aux ressources pétrolières et gazières de la Méditerranée orientale, du bassin du Levant et de la mer Egée.

2.-Israël exportateur de gaz horizon 2017?

En Israël, un débat a été lancé sur l’utilisation de la nouvelle ressource. Une commission a statué que 47 % du gaz découvert sera consacré à la consommation intérieure, tandis que les 53 % restants pourront être exportés. Première économie du Moyen-Orient, l’Etat hébreu a été, jusqu’à aujourd’hui, un grand importateur de pétrole et de gaz. Cependant, ces découvertes bouleversent la donne énergétique du pays, Israël envisageant la possibilité de devenir un pays exportateur de gaz. Cela modifie la donne géopolitique à toutes les échelles. Au niveau national, des conflits émergent avec les pays riverains quant à la délimitation des frontières maritimes. Au niveau transnational, l’arrivée de l’offre israélienne sur le marché change les équilibres (notamment en Europe, où le gaz russe est actuellement dominant) et pose la question de l’acheminement de la ressource. Le transport par pipelines est plus économique. A ce sujet, Israël pourrait profiter d’infrastructures déjà existantes. Le gazoduc BTR (Bakou-Tbilissi-Erzurum) achemine déjà le gaz du Caucase et de l’Iran vers la Turquie. A partir de là, le projet « Nabucco », dont l’idée a été lancée en 2002, prévoit de construire un pipeline d’Erzurum en Turquie jusqu’à Vienne en Autriche, permettant ainsi d’approvisionner l’Europe Occidentale. Israël pourrait alors se connecter à ce réseau pour accéder au marché européen. Dès lors, on pourrait entrevoir à l’avenir une entente entre Israël et la Turquie tant pour son approvisionnement avec ses gisements Tamar et Léviathan, Israël avec une part significative de la consommation énergétique de l’Europe. Le coût d'un tel pipeline sous-marin serait bien moindre que l'investissement pour construire une usine de liquéfaction de gaz à Chypre, autre point d'entrée vers les marchés européens, passant par une normalisation pour le dossier chypriote avec la Turquie. Cependant, les tensions portent sur la délimitation des zones maritimes contenant les champs gaziers. Les frontières maritimes sont floues et contestées ; la question de la souveraineté sur le plancher océanique de la Méditerranée se pose également. Et se posent les tensions diplomatiques devant aplanir également les divergences notamment avec la Turquie, la Syrie et le Liban. Ces ressources soulèvent évidemment un certain nombre de questions d’ordre sécuritaire quant à leur exploitation, puis à leur exportation. Pour l’exploration, toutefois, la plupart des pays riverains de la zone se sont entendus sur la délimitation de leur ZEE. Chypre s’est ainsi entendue avec l’Egypte dès 2003, avec le Liban en 2007 et avec Israël en 2010. Il subsiste néanmoins des différends entre certains Etats, le plus important étant celui entre Chypre et la Turquie sur fond de non-règlement de la question chypriote. Ces découvertes vont aussi de pair avec la militarisation de la zone au cours de ces dernières années.

3.-les véritables raisons de l’attaque d’Israël contre Gaza

Et c’est là que se pose la question stratégique du gaz et la question palestinienne et notamment de la bande intérieure et côtière de Gaza où se trouvent les gisements en hydrocarbures. En 1999, l’Autorité palestinienne signe un accord avec la compagnie British Gas pour la prospection du gaz et du pétrole sur une durée de 25 ans. En février 2013, Gazprom et Israël ont signé un accord portant sur l’achat par le géant russe pour une durée de 20 ans de GNL israélien provenant du champ de Tamar. Les infrastructures seraient financées par Gazprom, qui chercherait aussi à acquérir des parts pour l’exploitation à venir de Léviathan. Fin 2013, une entreprise russe, SoyuzNeftGaz, a signé avec Damas un accord portant sur l’octroi d’une licence d’exploration gazière et pétrolière pour une période de 25 ans pour les réserves situées offshore. Récemment, en janvier 2014, lors d’une visite à Moscou du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, celui-ci aurait manifesté sa volonté d’impliquer Gazprom dans l’exploitation du gisement gazier de Gaza. Mais c’est le Hamas qui détient le pouvoir à Gaza, pas Abbas. Il y a eu des tentatives d’accord entre Israéliens et Palestiniens au sujet du gaz, mais les autorités israéliennes ont posé des exigences. Il fallait que le gaz palestinien soit acheminé à terre par le pipeline d’Ashkelon. Enfin, Israël devait être le principal client de ce gaz et bénéficier de prix inférieurs à ceux du marché. La Palestine a contesté ces exigences, ce qui a entraîné l’échec des négociations. Or, depuis 2006, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza et ne reconnaît pas la souveraineté de l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah en Cisjordanie. Selon certains experts, ce que l’on oublie c’est que l’attaque israélienne dans la bande de Gaza de décembre 2008-janvier 200 a fait plus d’un millier de morts. Celle depuis le début juillet 2014 approche malheureusement le 02 août 2014 plus de 1500 morts sans compter les nombreux blessés femmes et enfants. Ces attaques pour Israël, officiellement, c’est pour mettre fin aux tirs de roquettes du Hamas et à son approvisionnement en armes (notamment par des tunnels creusés sous la frontière). En réalité, la guerre de Gaza ne cache-t-elle pas donc, derrière un alibi militaire, la volonté israélienne de reprendre une zone géographique permettant à l’Etat hébreu de revendiquer les gisements gaziers? N’oublions pas que les Israéliens auraient engagé des négociations avec British Gas pour l’exploitation à leur compte des gisements. La seule certitude est que depuis la découverte en 2000 de ces ressources gazières, la guerre de l’énergie donne un nouveau visage au conflit dans un contexte où les besoins énergétiques d’Israël sont en croissance. Selon le Guardian, le siège de Gaza s’explique par l’ambition d’Israël d’éliminer la puissance du Hamas dans la bande de Gaza afin de "générer un climat politique permettant de mener à un accord sur le gaz". Le ministre israélien de la défense a confirmé que l’opération militaire pour "éradiquer le Hamas" a comme objectif de prendre le contrôle des réserves de gaz de Gaza. Mais les transactions portants sur le gaz avec l'Autorité palestinienne, impliqueront forcément par définition le Hamas affaibli qui se verrait bénéficier des redevances afin d’éviter de saboter le projet. Bien entendu rentre des calculs de court terme, sous la pression des milieux extrémistes dont le groupe Libermann, comme la conservation et l’extension des colonies en Cisjordanie, le contrôle des approvisionnements en eau, via le Jourdain et donc de repousser la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 posant le statut futur de Jérusalem. Les courants extrémistes se nourrissent et n'existent que par la haine, et la crise mondiale actuelle les encourage, afin d'occulter les véritables enjeux qui sont à la fois une crise morale et économiques des relations internationales et veulent opposer les juifs aux musulmans, créer un conflit de civilisations entre l'Orient et l'Occident alors que le dialogue des civilisations est la seule voie pour la prospérité de l'humanité. L'Islam autant que le judaïsme et le christianisme pour m'en tenir aux religions monothéistes, est une religion de tolérance et de paix. Tous les israéliens conscients ne partagent pas le point de vu extrémiste, défendant la création d’Un Etat palestinien qui est la condition de la survie de l’Etat d’Israël, ou juifs et arabes cohabiteraient pacifiquement grâce à un renouveau économique pour une prospérité partagée. En résumé, comme on le constate, l’attaque israélienne sur Gaza dépasse largement l’alibi militaire, autant de ce qui se passe au Sahel. Cela rentre dans le cadre d’une large reconfiguration géostratégique tant du Moyen Orient que de l’Afrique, continent à enjeu économique du XXIème siècle .

(*) Dr Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des Universités Expert international.



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RONY BRAUMAN : VERS LA FIN DE L'IMPUNITÉ POLITIQUE D'ISRAËL ?

Mercredi 6 Août 2014 - MARIANNE2
 
PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN MASSA
 
Un cessez-le-feu de 72 heures a été accepté hier par le Hamas. Cette trêve signe un peu de répit dans le rythme effréné des affrontements sanglants. La France à l'image des grands pays occidentaux s'est fait d'une grande discrétion sur le sujet. Rony Brauman, ancien Président de MSF, critique la position « pro-israélienne » de la diplomatie française et envisage la fin de l'impunité pour les agissements de l’État hébreu.

Marianne: Après un long silence, François Hollande, Laurent Fabius et Arnaud Montebourg ont exprimé, ce lundi, des propos très virulents pour qualifier l'opération menée par Israël dans la bande de Gaza. Comment expliquez-vous une prise de conscience si tardive de la part de la diplomatie française ? 
Rony Brauman: D’après mes informations, huit jours avant leurs déclarations François Hollande et Laurent Fabius ont rencontré des représentants d’ONG présentes à Gaza. Suite à cet entretien où il a été question des crimes et de la violence de l’armée israélienne, le président de la République et le ministre des Affaires étrangères, ont fait part à ces associations de leur indignation. Ils se sont estimés « baladés » par le discours du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Je ne sais pas pourquoi il leur a fallu autant de temps pour s’exprimer sur le sujet mais leurs dernières déclarations ne sont pas le fruit d’un revirement idéologique mais d’une prise de conscience progressive à la tête de l’État. 
La première réaction de François Hollande après le début du conflit a été l'apport de son soutien à Israël. Depuis il a tempéré sa position mais il semble très lié à cet État, quelles en sont les raisons ?
 
François Hollande est issu de la SFIO de la IVème République. Celle qui était favorable à l'Algérie Française. Et ça ne vous aura pas échapper mais Israël mène une politique très agressive sur ce plan-là. Alors le Président Hollande n'est pas un néocolonial mais il doit garder au fond de lui un sentiment particulier pour cette période. L'Etat hébreu symbolisait à l'époque pour la gauche la démocratie et la liberté. François Hollande en bon atlantiste entretient ce lien avec l’État hébreu mais quand il trinque et chante avec Benjamin Netanyahou, une personnalité très à droite de notre extrême droite, c'est plus un réflexe qu'une réflexion. En clair : on soutient Israël parce qu'on l'a toujours fait. Sans distinction.
Les agissements d’Israël dans la bande de Gaza avec des tirs dans des écoles, hôpitaux ou sur des enfants n'ont pas fait sourciller les grands dirigeants occidentaux, plus occupés à prendre des sanctions contre la Russie. Cette inaction est-elle un signe pour Israël qu'il peut agir en toute impunité ?  
Oui,tant qu’il n’y aura aucune sanction, ni mesures de contrainte, ça ne pourra pas être autrement. On sait très bien qu'il n'y aura aucune enquête, ni saisie de la Cour Pénale Internationale. En dépit des violentes attaques de Netanyahou et de la presse israélienne contre Obama dans le passé, celui-ci a été incapable d'élever la voix depuis le début du conflit. En revanche, je pense que ces agissements ne resteront pas sans conséquence. La fréquentation d’Israël devrait diminuer et le mouvement de boycott né après 2009 gagnera sans doute de l'ampleur avec les dernières actions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Je n’étais personnellement pas favorable à cela, mais il est très difficile de le critiquer aujourd’hui. L'Espagne a aussi suspendu ses livraisons d’armes vers Israël. C’est insignifiant en terme de quantité mais très symbolique. On peut noter aussi le cas de la Grande Bretagne où le Parlement a été très dur contre la complaisance de Cameron. Ce sont des petites choses mais qui sonnent le glas de l’impunité politique d’Israël. A mesure que les États ferment les yeux sur la politique d’Israël, les populations ou/et parlementaires de l'opposition secouent les dirigeants face à cette inaction. Il n'est pas impossible d'assister à des sanctions internationales à terme. Une chose est sûre ce mouvement ne viendra pas des États-Unis, un pays paralysé par un Congrès d'une sympathie quasi-hystérique à l'égard d’Israël. Sans parler du poids de l'AIPAC (Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes), le lobby israélien qui est bien plus puissant que ce que l'on connaît en France par exemple. On peut très bien envisager la rupture des accords d'association entre Bruxelles et Tel Aviv.
 
D'une manière plus générale, quel regard portez-vous sur la diplomatie française depuis le début du conflit au Proche-Orient ? 
Elle a été très largement pro-Israélienne, les termes employés par les Français reprenaient les codes de la communication israélienne comme : « Israël doit assurer sa sécurité ». Les dirigeants français se sont efforcés de renvoyer le Hamas et Israël dos à dos comme si nous assistions à un combat à armes égales. Jamais, la situation antérieure à celle du conflit et entre autres le blocus imposé par Israël n'a été évoqué. Les Français ont préféré ignorer les revendications légitimes du peuple palestinien tout en portant une adhésion à la politique israélienne. Quand Hollande s’est rendu en Israël devant la Knesset en novembre dernier, il a réussi l’exploit de ne jamais prononcer l’expression « droit international ». C’est navrant et tellement contradictoire avec notre histoire où l’on revendiquait le droit des palestiniens. La seule chose positive à tirer de cette boucherie c’est peut être le redressement de la diplomatie française !



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Gideon Levy, journaliste critique d'une société israélienne « malade »


Le Monde.fr | 
07.08.2014 à 11h27  Par Hélène Sallon     (Tel-Aviv, envoyée spéciale)

 
 
Des insultes et des menaces, le journaliste israélien d'Haaretz, Gideon Levy, en a reçu beaucoup en trente ans d'une carrière consacrée à la couverture de la politique  israélienne dans les territoires palestiniens. Jamais comme durant l'opération « Bordure protectrice ».
Le 14 juillet, interviewé par une télévision dans les rues d'Ashkelon, ville méridionale d'Israël, le journaliste de 61 ans est pris à partie par un habitant : « Traître, va vivre  avec le Hamas ! », lui hurle l'homme, lui jetant un billet à la figure. L'article qu'il a écrit le matin même, « Le mal que font les pilotes », lui a valu une pluie de menaces par téléphone et sur les réseaux sociaux. « Ils sont la crème de la jeunesse israélienne, (…) ils perpètrent les actes les plus mauvais, les plus brutaux et les plus méprisables. (…) Ils sont assis dans leur cockpit et appuient sur le bouton de leur joystick, jeu de guerre », a-t-il écrit. Dans la rue, où tous reconnaissent son imposante carrure et son visage tanné par le soleil, les regards se font mauvais et les insultes pleuvent.
« J'ai écrit le même article pendant l'opération "Plomb durci" (2008-2009), cela a suscité beaucoup de colère, mais rien comparé à ce que je vis en ce moment. L'armée  et la sécurité sont la véritable religion de ce pays. Les gens voudraient qu'on ne critique qu'une fois que l'opération est finie », souligne-t-il. Il ne se déplace plus sans un garde du corps. Certains lui prédisent le même sort qu'Itzhak Rabin, tué le 4 novembre 1995 lors d'un discours public à Tel-Aviv par Yigal Amir, un extrémiste de droite, opposé aux accords d'Oslo qu'il avait signés avec les Palestiniens en 1993.
 
« LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE EST MALADE »
 
Gideon Levy n'est pas le seul à subir  des menaces, à la limite de l'agression physique. « Les gens de gauche ont peur d'aller  aux manifestations, d'être frappés. Le mot smolani ("gauchiste") est devenu la pire des insultes. On ne peut exprimer  aucune sympathie ou empathie pour les Palestiniens sans être  menacé. Les vrais racistes eux ne se cachent plus. » Le symptôme, selon lui, d'années d'expansion de l'extrême droite, du racisme et de l'incitation à la haine en Israël. « La société israélienne est malade. Du sud du pays à Tel-Aviv, les images de Gaza sont reçues avec indifférence, voire par des expressions de joie. Il suffit de regarder  les réseaux sociaux et les appels à "les brûler  tous". Je n'avais jamais vu ça », explique-t-il. « Finalement, le mot "fascisme", que j'essaie d'utiliser  le moins possible, a mérité sa place dans la société israélienne », écrivait-il, le 19 juillet.
Mais l'homme est décidé à ne pas se taire. Le soutien que lui apporte la direction de son journal, malgré le désabonnement de lecteurs outrés et la colère de certains collègues, est inestimable à ses  yeux. « Je crois sincèrement en ce que je pense, parfois je me trouve même trop modéré. Je regarde Al-Jazira en anglais et je deviens plus radical encore », confie-t-il. Celui qui fut pendant quatre ans à la fin des années soixante-dix, le conseiller  et porte-parole de Shimon Pérès, alors au parti travailliste, n'était pas mû par l'idéologie, le jour où il a été envoyé par le quotidien Haaretz couvrir  la première intifada (1987-1993). « J'ai peu à peu réalisé que l'occupation est le plus grand drame d'Israël et que personne ou presque ne la couvre », dit-il.
 
CONDAMNÉ À OBSERVER  LA GUERRE DEPUIS SON SALON
 
 
Beaucoup le comparent à sa collègue, Amira Hass, qui vit à Ramallah. « Nous sommes très différents. Elle est très courageuse. Moi, je vis dans ma bulle à Tel-Aviv. » Depuis son salon, où il est condamné à observer  la guerre, interdit comme tous les journalistes israéliens d'entrer  à Gaza depuis huit ans, il zappe entre les chaînes nationales et internationales, édifié par la couverture des médias israéliens. « Ce sont deux mondes parallèles ! Les médias ici ont tellement déshumanisé les Palestiniens. »
Il fustige cette opération « plus brutale encore que "Plomb durci" ». « C'est horrible, ça n'a mené à rien. Le gouvernement n'avait aucune stratégie, aucun objectif clair. Il nous parle de tunnels au lieu de désenclaver  Gaza. Ils ont bombardé des écoles, un marché, la station électrique. Il y a 400 000 réfugiés, dont certains pour la deuxième ou troisième fois. Ils admettent que plus de 70 % des victimes sont des civils : quelle excuse peut-on trouver  à cela ? Ça ressemble à Damas. »
Le véritable contexte  de cette guerre, dit-il, a été la fin des négociations de paix en avril, la mise sens dessus dessous de la Cisjordanie après l'enlèvement de trois jeunes Israéliens  le 12 juin, les obstacles mis à l'accord de réconciliation interpalestinien et surtout sept ans de siège à Gaza. « Si les Palestiniens ne lancent pas de roquettes, personne ne parle de Gaza et ne s'en préoccupe. C'est une cage. Même lors des négociations de paix, ils ne parlent que de la Cisjordanie », pointe-t-il. « Vraiment, je n'aime pas le Hamas, mais tout ce qu'il demande c'est que le siège soit levé. »
Pour lui, seules les pressions de la communauté internationale pourront faire changer  la politique d'Israël. Il n'y a plus personne en face. Le camp de la paix s'est délité depuis la seconde Intifada et « le mensonge d'Ehoud Barak ». « Il a dit qu'il n'y avait pas de partenaire pour la paix. Israël a perdu l'espoir et la gauche a perdu l'espoir. » 
Gideon Levy lui continue, soutenu par les lettres de ceux qui le remercient d'être  une «lumière dans la pénombre » ou même de ceux qui, en désaccord avec ses idées, promettent de « se battre  » pour qu'il puisse toujours s'exprimer.



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2015
 
 
Charles Enderlin quitte France 2 : un « juste » prend sa retraite.

par Serge ULESKI - AGORAVOX   - mardi 28 juillet 2015
 
Commentaire " u zinu"

Ce titre se suffit à lui-même. Pour avoir connu en d’autres lieux ce genre de cycle (domination ou occupation - violence réactionnelle - répression) je dirai que faute de choisir un camp déterminé, tout individu « neutre » plongé dans une situation de conflit entre deux adversaires est considéré comme un ennemi et par l’un et par l’autre. Pour peu qu’il refuse de prendre parti ou de s’engager, et qu’il tente de prôner la concorde ou le "juste milieu" il est soit accusé de trahir sa cause ou les siens, soit rangé, malgré son équité, dans le camp des « terroristes » à condamner, voire à éradiquer.
Ce fut, je pense, le sort d’Enderlin. Je respecte son obstination et son courage.




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2016

 
Qui se souvient de la Palestine ?


chems eddine Chitour -  AGORAVOX
samedi 26 mars 2016

« La Bible n'est pas un cadastre ! »
Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien
 
Le monde occidental (Europe) vit depuis quelque temps au rythme des bombes humaines. On découvre avec horreur ce que c'est que la mort, le deuil, le traumatisme, le sang et les larmes. Et les médias reprennent en boucle les mêmes informations. Tout est fait pour désigner d'une façon invisible ce pelé, ce galeux, d'où viennent tous leurs maux. Oubliant du même coup que c'est l'Occident qui a ouvert la boîte de Pandore de la désespérance des peuples humiliés et il s'étonne ensuite que les monstres qu'il a créés lui échappent.
S'agissant justement de l'horreur du sang et des larmes, il nous faut inclure dans cette tragédie le sort fait aux Palestiniens dont le devenir paraît scellé au vu de la technique du rouleau compresseur suivie par le régime israélien pour grignoter par différents procédés tout aussi répréhensibles et justiciables, notamment par la faim, la soif, les arrestations arbitraires, les meurtres de sang-froid de jeunes Palestiniens qui ayant fait le deuil de leurs dirigeants prennent leur destin et qui avec des canifs qui avec des pierres qui avec des ciseaux protestent contre l'ordre établi d'une colonisation inhumaine sous les regards complices d'une communauté internationale qui non seulement ne fait rien, mais encourage par son laxisme le régime israélien à arriver à l'irréversibilité : rayer l'identité palestinienne pour en faire des colonisés ?
« Souvenons-nous : 15 mai 1948, une étape importante dans la chaîne des malheurs des Palestiniens. Ce jour-là, des autochtones qui vivaient là depuis la nuit des temps furent brutalement considérés par le fer et par le feu comme des apatrides. Les Nations unies, par la reconnaissance quelques jours plus tôt de l'Etat d'Israël, venaient de livrer du même coup des hommes, des enfants, des femmes pour l'immense majorité sans défense, aux mains d'une organisation terroriste qui mit en oeuvre une épuration ethnique au nom de la religion. Il fallait une Terre pour un peuple sans Terre au nom de la Bible. » (1)
La Nekba : un nettoyage ethnique
En novembre 1947, au moment du vote du plan de partage, la Palestine mandataire compte environ 600.000 juifs pour 1200.000 Arabes. David Ben Gourion a confié à Yigaël Yadin le soin d'étudier un plan militaire permettant de préparer le Yichouv à l'intervention annoncée des États arabes. Comment bouter les Arabes du maximum de terres pour l'espace vital juif ? Il s'agit du plan Daleth qui est mis en application dès le début du mois d'avril. Le plan Daleth ou plan D, est le plan établi par la Haganah en mars 1948 pendant la guerre de Palestine de 1948. Il fut rédigé par Israël Ber et Moshe Pasternak, sous la supervision de Yigal Yadin, chef des opérations de la Haganah. Ilan Pappé y voit un plan mis au point par les sionistes pour spolier les Arabes palestiniens de leur terre en les chassant de leur terre. » (1)
Rappelons que la résolution 194 de l'ONU dispose que « les réfugiés qui désirent rentrer dans leurs foyers et vivre en paix avec leurs voisins devraient y être autorisés le plus vite possible ». Tous les gouvernements israéliens se sont opposés à l'application du droit au retour, au nom du caractère juif de l'Etat. Dans un ouvrage courageux : « Le Nettoyage ethnique de la Palestine », l'historien israélien, Ilan Pappé, professeur à l'université de Haïfa, démolit le mythe selon lequel les Arabes auraient attaqué Israël au moment de sa fondation. En fait, le nettoyage ethnique de la population palestinienne (massacres, terreur et expulsions forcées à grande échelle) était prévu dès la première heure. Ilan Pappé montre qu'il était déjà ce qu'il est aujourd'hui : cynisme et chutzpah, mensonges permanents, (...) crimes de guerre et crimes contre l'humanité.(...) Dès le départ, l'armée « la plus morale de tous les temps », s'est distinguée par sa brutalité, son sadisme et sa cupidité : pillages, destructions systématiques, viols, exactions en tous genres, assassinats. » (1)
On le voit : La Nekba n'est pas tombée du ciel, elle a été minutieusement préparée. Dès juin 1938, Ben Gourion déclare devant l'Exécutif de l'Agence juive : « Je suis pour le transfert forcé [l'expulsion des Arabes palestiniens]. Je ne vois rien là d'immoral. » Dix ans plus tard, le 24 mai 1948, il écrit dans son Journal : « Nous allons créer un Etat chrétien au Liban, dont la frontière sud sera le Litani. Nous allons briser la Transjordanie, bombarder Amman et détruire son armée, et alors la Syrie tombera. Après quoi, si l'Egypte veut continuer à se battre, nous bombarderons Port Saïd, Alexandrie et Le Caire. Ce sera notre vengeance pour ce que les Egyptiens, les Araméens et les Assyriens ont fait à nos aïeux à l'époque biblique. Indépendamment du fait que la prétendue oppression des juifs par les Egyptiens, les Araméens et les Assyriens est dénuée de tout fondement historique, et que les ancêtres du « père » de l'Etat juif étaient très probablement des Khazars sans le moindre lien avec la Palestine. » (1)
Ces mots résonnent à nos oreilles et d'une certaine façon nous y voyons l'application dans les faits. La volonté israélienne de faire d'Israël un Etat juif va, par la force des choses, amener les Arabes Israéliens à quitter leur pays. Ce sera l'accomplissement définitif de la Nekba. L'historien Schlomo Sand dans son ouvrage : « Comment le peuple juif fut inventé » et deux autres auteurs israéliens, Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, ont montré justement que nous avons affaire à un même peuple : les Cananéens. » « Il n'existe aucune preuve, écrivent-ils, d'une invasion de Canâan par les enfants d'Israël commandés par Josué... L'archéologie révèle que les habitants de ces villages n'étaient autres que les peuplades indigènes de Canâan qui, petit à petit, ont fini par développer une identité ethnique que l'on peut qualifier d'israélite. » En définitive, seul un Etat de tous les citoyens avec une égale dignité permettra le retour de la paix dans cette région du monde qui a vu l'avènement du monothéisme. » (2)
Jonathan Cook va plus loin, il avance qu'à la Knesset le nettoyage ethnique continue. On veut aseptiser l'assemblée des députés arabes israéliens : « Une commission parlementaire d'éthique'' composée des principaux partis juifs a suspendu les trois députés pour une durée de plusieurs mois. Maintenant, ils risquent de perdre leur siège. (...)Il était plus que probable que Balad, qui dénonce le statut d'Etat juif d'Israël et mène une campagne véhémente pour des réformes démocratiques, fût le premier de sa liste. (...) L'objectif était de vider le Parlement de ses représentants palestiniens. Mais ces formations ont mis de côté leurs divergences historiques pour créer la Liste unifiée. (...) En exilant 80 pour cent des Palestiniens de leur patrie, Israël a de fait trafiqué son collège électoral national pour s'assurer qu'il ait une énorme majorité juive à perpétuité. Un député palestinien, Ahmed Tibi, a très bien résumé la question. « Israël, a-t-il dit, est un état démocratique pour les juifs, et un état juif pour ses citoyens palestiniens ». » (3)
Le quotidien des Palestiniens : enfants de l'occupation
Restriction d'accès à l'eau, interdiction de construire ni même de réparer. Pour couronner le tout : « Shir Hever, un économiste israélien a publié un rapport où il a assemblé les pièces du puzzle économique de l'occupation, il croit que l'aide internationale a permis à Israël d'éviter d'acquitter la facture de son occupation. Mais il va plus loin. Sa conclusion - qui pourrait surprendre les colons israéliens - c'est que 78% au moins de l'aide humanitaire destinée aux Palestiniens se retrouvent dans les caisses d'Israël (4). »
 
Les enfants palestiniens n'en peuvent plus ils luttent avec des moyens dérisoires pour une vie décente. Il se trouve des intellectuels israéliens révoltés par le sort fait aux enfants. Ilan Pappé en parle : « Alors qu'une vidéo a montré au monde comment un enfant de 12 ans a échappé de manière incroyable aux griffes d'un soldat israélien, des centaines d'autres sont beaucoup moins chanceux, au point d'en mourir. C'est un truisme depuis l'avènement du théâtre : les enfants éclipsent tout le monde. « Vengeance [...] du sang d'un enfant, Satan ne l'a point encore inventée », s'exclame le poète national israélien Haïm Nahman Bialik dans son poème Tuerie. Des milliers de rapports sur les crimes de l'occupation feront toujours pâle figure à côté de la photo d'un petit enfant mort, prisonnier, maltraité ou blessé. (...) De larges pans de la droite israélienne ont trop soif de sang pour accepter la moindre retenue de la part des soldats israéliens, même lorsqu'il s'agit d'un enfant palestinien, et auraient préféré que le soldat le tue. (...) À ce jour, Ahmed Dawabsha, âgé de 4 ans, se bat encore pour sa survie, son rétablissement et sa rééducation dans un hôpital israélien. Son père, sa mère et son petit frère sont morts dans l'incendie de leur maison à Duma déclenché par quatre extrémistes israéliens, lesquels n'ont pas encore été arrêtés. Le petit Ahmed Dawabsha, gravement brûlé et enveloppé dans des bandages de la tête aux pieds, pleure sa mère, son père et son petit frère, qui ne reviendront jamais. (5) »
Quand tuer est devenu la norme
C'est par ces mots que l’écrivain israélien Gédeon Levy qualifie la politique actuelle du régime israélien : « Il n'y a pas d'autre façon de décrire la politique d'Israël vis-à-vis des agresseurs présumés que comme des exécutions sommaires. (...)Ce qui était inacceptable hier, et même inimaginable, devient la routine d'aujourd'hui et la norme de demain. (...) Ils savent que leurs chances de survie sont minces et comprennent que l'impact sera négligeable le cas échéant ; pourtant, ils décident de prendre leur destin en main et d'exprimer leur résistance violemment, (...) Les jeunes Palestiniens, hommes et femmes, garçons et filles, qui brandissaient simplement une paire de ciseaux, ont été condamnés à mort sur place. (...) Il est difficile de croire que Mahdiyya Hammad, une mère de quatre enfants de 40 ans, avait l'intention de renverser des policiers postés sur la route de son village, à Silwad. Elle rentrait chez elle pour allaiter son nourrisson. Ils ont tiré plusieurs dizaines de coups et ont continué de tirer, même lorsqu'elle était déjà morte. (...) Ashraqat Qatanani ne devait pas non plus être tuée. Cette jeune fille âgée de 16 ans a sorti une paire de ciseaux. Est-ce que tuer était le seul moyen de contrôler une fille de 16 ans en uniforme scolaire ? Avec des balles réelles, en tirant dans le but de tuer ? Le groupe de soldats autour d'elle n'aurait-il pas pu la retenir et l'empêcher de faire quoi que ce soit ? Ou du moins lui tirer dans les jambes ? Mais non, ils l'ont tuée. » (6)
La société israélienne est gangrénée par le racisme qui est décliné, de mille façons toutes plus honteuses les unes que les autres : « Près de la moitié des Israéliens juifs poursuit l’auteur, pensent que les Palestiniens arabes avec la citoyenneté Israélienne devraient être « expulsés ou transférés » d'Israël, selon un sondage publié mardi et faisant autorité. (...) Le centre de recherche a constaté que les Israéliens juifs religieux étaient plus susceptibles de favoriser l'expulsion des Palestiniens - dont 71% des juifs orthodoxes modernes - alors que la majorité des juifs israéliens se disant laïques étaient opposés à l'idée. Cependant, même parmi les juifs laïques, plus d'un tiers, soit 36%, soutiennent la position de l'expulsion, laquelle serait totalement illégale au regard du droit international. (...) Les conclusions duPew Research Center a révélé d'autres marqueurs de profondes divisions à travers la société israélienne, avec une écrasante majorité de 79% des juifs israéliens acceptant l'idée que « les juifs méritent un traitement préférentiel en Israël », et 85% des colons de Cisjordanie adoptant cette même position. Toujours selon l'enquête, bien que la majorité des Israéliens juifs, soit 76%, croit qu'Israël peut être à la fois une démocratie et un État juif, 64% des Palestiniens, y compris les musulmans, les chrétiens et les Druzes, estiment qu'un État juif est « incompatible avec les principes de la démocratie ».(7)
Que font les Nations Unies ?
Un scoop qui va changer la face du Monde. On apprend que L’ONU va établir une liste noire d’entreprises israéliennes. L’ONU tétanisée par le refus de régler le vrai problème qui est celui de la décolonisation fait dans la diversion avec les complicités de chacun faisant comme on le dit : « le minimum syndical » Chacun y trouve son compte avec une conscience peu exigeante s’agissant des droits des Palestiniens. Dans cette comédie humaine à la Balzac chacun joue son rôle à la perfection même Israêl a pour instruction de s’indigner pour un artefact qui ne va lui couter pratiquement rien. L’ONU va établir une liste noire d’entreprises israéliennes
Conne nous le lisons sur le journal le Monde : « La colonisation est illégale au regard des lois internationales. Le Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies a donc décidé jeudi 24 mars de dresser    une liste des entreprises    opérant dans les territoires occupés par Israël. L’organe des Nations unies a adopté au cours de sa session achevée jeudi quatre résolutions relatives à l’occupation par Israël des territoires palestiniens, à la colonisation israélienne, au droit des Palestiniens à l’autodétermination et au respect du droit international    dans ces territoires. (…) 
 Israël comme prévu dans ce scénario tacite et diabolique insulte : « De son côté, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s’est indigné face à un CDH qui, selon lui, « est devenu un cirque anti-israélien ». Le porte-parole des affaires étrangères    Emmanuel Nahshon a même twitté : le Conseil a « un besoin urgent de se faire soigner    mentalement ».Le Conseil des droits de l’homme est l’une des bêtes noires d’Israël, qui l’accuse de parti pris permanent. La veille de ces résolutions, le CDH a nommé l’expert juridique canadien Stanley Michael Lynk nouveau rapporteur spécial de l’ONU « sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés ». Il succède à l’Indonésien Makarim Wibisono, qui a présenté sa démission au début de janvier, parce qu’Israël ne l’a jamais autorisé à pénétrer    dans les territoires palestiniens, tout comme son prédécesseur ».
 Ban Ki Moon se réveille sur le tard. En deux mandats (ce dernier termine à la fin de l’année) , d’une façon courageuse il supplie Israël de ne pas coloniser à outrance : « Face à « une intensification de la colonisation », lit on sur le Monde, c’est aussi le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui a demandé la semaine dernière à Israël de revenir    sur sa décision de confisquer    des hectares de terres dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée. Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967. La saisie de terres, et plus largement la colonisation, qui s’est poursuivie sans relâche sous les gouvernements israéliens de droite comme de gauche, sont dénoncées par les Palestiniens et la communauté internationale comme rognant un futur Etat palestinien et compliquant toujours davantage la paix. Israël a pris possession de 234 hectares de terres au début de mars ; ce qui correspond à la plus importante prise de possession de terres depuis des années dans la stratégique vallée du Jourdain, qui marque la frontière avec la Jordanie    à l’est de la Cisjordanie, selon l’organisation israélienne opposée à la colonisation La Paix maintenant ». (8)
Que font les Arabes ? Que font les occidentaux ?
C’est un fait, les Palestiniens ont fait le deuil de leurs dirigeants qui sont de fait de connivence avec l'autorité d'occupation. Les rêves d'un Etat palestinien ont été enterrés avec Arafat et le monde occidental accepte le fait accompli. S'agissant des Arabes, ils ont une position abjecte au-delà des mots creux de solidarité avec la cause palestinienne, ils ne s'arrêtent pas d'en faire une variable d'ajustement. A cet égard la position d'Al Sissi vaut mieux que cent discours.
Saleh al-Naâmi nous en parle dans une contribution intitulée « Pourquoi le dictateur égyptien hait les Palestiniens : « Selon l'orientaliste sioniste Reuven Berko, Al-Sissi montre son hostilité envers le Hamas afin d'affirmer à Israël et aux Occidentaux qu'ils peuvent compter sur lui pour faire face au « terrorisme islamique » (Israel HaYom, le 27 Juin 2014). (...) A-t-on besoin de rappeler le message de la diplomate sioniste Ruth Landau à Al-Sissi, publié par le Yedioth Ahranoth, le 13 octobre 2013 sous le titre « Marche Al-Sisi et le peuple israélien marchera derrière toi ! » ? (...) Al-Sissi a assuré, plus d'une fois, que le déploiement des forces égyptiennes dans le Sinaï a aussi pour but d'améliorer la situation sécuritaire israélienne. (...)Ayelet Shahar, la correspondante pour la radio de l'armée israélienne, a cité des sources du bureau de Netanyahu confirmant qu'Al-Sissi lui avait offert d'établir un État palestinien au nord du Sinaï et qu'il n'avait pas besoin de vider les colonies juives de Cisjordanie. » (9)
Cela va plus loin nous dit René Naba, de nouvelles alliances se font et l'adversaire d'hier est devenu l'ami privilégié d'aujourd'hui. Pour : « Walid Ben Talal, le plus médiatique des princes saoudiens, (...) : « Les Arabes doivent renoncer à leur acrimonie à l'égard de la nation juive et à oeuvrer en vue d'un Moyen-Orient prospère », a-t-il déclaré annonçant au quotidien saoudien Oukaze son intention d'effectuer un pèlerinage à la Mosquée Al Aqsa, 3e Haut Lieu saint de l'Islam, sous occupation israélienne, pour une visite de 7 jours. « Tous mes frères et soeurs musulmans doivent comprendre qu'il est un impératif moral pour les Arabes de renoncer à leur hostilité envers le peuple juif ». (...) »(10).
 En expulsant les Palestiniens à Ghaza, Israël admettrait officiellement, pour la première fois, que la bande assiégée est une prison, la plus grande au monde. À une heure de route de Tel-Aviv : un ghetto. La plupart des commentateurs sur le Moyen-Orient se rendent maintenant compte que le chaos au Moyen-Orient a beaucoup à voir avec Israël et ses groupes de pression sionistes dans le monde entier. Cependant, grâce aux archives des courriels nouvellement publiés de Clinton nous pouvons avoir un document qui fournit la confirmation que le Plan Yinon était, de facto, une stratégie israélienne pour créer le chaos sectaire au Moyen-Orient. Pour Ilan Pappé : « Cette situation n'est pas temporaire, elle représente le « futur » Netanyahou, qui est bien décidé à garder le contrôle de la Palestine historique dans sa totalité et approuve la restauration des régimes arabes autoritaires » (11).
Pour ce qui est des pays occidentaux, avec le double mandat d’Obama, les Etats Unis ont définitivement pris parti pour le statut quo dont on sait qu’il arrange Israël qui s’arête pas de construire en cis-Jordanie en dépit d la quarantaine de résolutions toutes bafouées en dépit de l’arrêt de l’arrêt d La Cour Pénale Internationale concernant le mur de la honte . Les pays européens tétanisés doublement à la fois au nom de la dette éternelle qui interdit toute critique et résolution contraignante mais aussi par le suivisme de la politique américaine elle-même bien prise en main par les différents lobbys de par le monde.
Les pays occidentaux sont occupés à défaire les Etats arabes avec bien entendu l’assentiment voire l’aide directe et indirecte d’Israël et des pays du Golfe qui pensent qu’ils vont échapper à leur sort, ne sachant pas que leur tour va arriver et un Plan américain existe pour démanteler même l’Arabie Saoudite quand le pétrole n’est plus déterminant dans la stratégie américaine. Les Palestiniens disparaitront en tant que nation ils resteront comme un peuple vaincu dans un statut de deuxième collège en pire avec toute la politique raciste dont ont tant souffert les Juifs de par le monde occidental et qu’ils appliquent cette fois en tant que bourreaux à des hommes des femmes et des enfants sans défense .Ainsi va le Monde.

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1.Chems Eddine Chitour http://www.mondialisation.ca/    65-ans-de-deuil-de-sang-et-de-larmes-qui-se-souvient-de-la-nakba/5335817
2.Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman : La Bible dévoilée p.157.Ed Gallimard 2010.
3.Jonathan Cook http://www.mondialisation.ca/    nettoyage-ethnique-a-la-knesset/5514204
4.Jonathan Cook http://www.mondialisation.ca/    un-rapport-revele-que-lessentiel-de-laide-humanitaire-destinee-au-palestiniens-va-dans-les-caisses-disrael/5514187
5.Gideon Levy : les enfants de l'occupation Info Palestine11 octobre 2015
6.Gidéon Lévy http://www.info-palestine.eu/    spip.php ?article15926  samedi 5 mars 2016
7. Maan News http://www.info-palestine.eu/    spip.php ?article15946 le 16 mars 2016
8.http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/03/25/l-onu-va-etablir-une-liste-noire-d-entreprises-israeliennes_4890107_3218.html#rkUccWuhsVTTTBVQ.99
9.Saleh al-Naami http://www.info-palestine.eu/    spip.php ?article15396 27 mai 2015
10.René Naba http://www.mondialisation.ca/salmane-israel-33-walid-ben-talal-nouveau-poisson-pilote-de-la-normalisation-saoudo-israelienne/    5513720
11. http://arretsurinfo.ch/ilan-pappe-cette-situation-nest-pas-temporaire-elle-represente-le-futur/   

 


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​2017
​UNE LETTRE DE SHLOMO SAND A MACRON  
 
L’historien israélien Shlomo Sand interpelle Emmanuel Macron sur son discours, tenu en présence de Benjamin Netanyahou, pour la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv : « L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? »
En commençant à lire votre discours sur la commémoration de la rafle du Vel’d’hiv, j’ai éprouvé de la reconnaissance envers vous. En effet, au regard d’une longue tradition de dirigeants politiques, de droite, comme de gauche, qui, au passé et au présent, se sont défaussés quant à la participation et à la responsabilité de la France dans la déportation des personnes d’origine juive vers les camps de la mort, vous avez pris une position claire et dénuée d’ambiguïté : oui la France est responsable de la déportation, oui il y a bien eu un antisémitisme, en France, avant et après la seconde guerre mondiale. Oui, il faut continuer à combattre toutes les formes de racisme. J’ai vu ces positions comme étant en continuité avec votre courageuse déclaration faite en Algérie, selon laquelle le colonialisme constitue un crime contre l’humanité.
Pour être tout à fait franc, j’ai été plutôt agacé par le fait que vous ayez invité Benjamin Netanyahou, qui est incontestablement à ranger dans la catégorie des oppresseurs, et ne saurait donc s’afficher en représentant des victimes d’hier. Certes, je connais depuis longtemps l’impossibilité de séparer la mémoire de la politique. Peut-être déployez-vous une stratégie sophistiquée, encore non révélée, visant à contribuer à la réalisation d’un compromis équitable, au Proche-Orient ?
J’ai cessé de vous comprendre lorsqu’au cours de votre discours, vous avez déclaré que :
« L’antisionisme… est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité, ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique ? L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? Je fais ici référence à presque tous les anciens grands rabbins, mais aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain. J’ai également en mémoire des personnalités telles Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur : Pierre Vidal-Naquet, et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin. Enfin, je me demande si, sincèrement, vous attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes !
Je suppose, toutefois, que vous n’appréciez pas particulièrement les gens de gauche, ni, peut-être, les Palestiniens ; aussi, sachant que vous avez travaillé à la banque Rothschild, je livre ici une citation de Nathan Rothschild, président de l’union des synagogues en Grande-Bretagne, et premier juif à avoir été nommé Lord au Royaume Uni, dont il devint également la gouverneur de la banque. Dans une lettre adressée, en 1903, à Théodore Herzl, le talentueux banquier écrit : « Je vous le dis en toute franchise : je tremble à l’idée de la fondation d’une colonie juive au plein sens du terme. Une telle colonie deviendrait un ghetto, avec tous les préjugés d’un ghetto. Un petit, tout petit, État juif, dévot et non libéral, qui rejettera le Chrétien et l’étranger. » Rothschild s’est, peut-être, trompé dans sa prophétie, mais une chose est sûre, cependant : il n’était pas antisémite !
Il y a eu, et il y a, bien sûr, des antisionistes qui sont aussi des antisémites, mais je suis également certain que l’on trouve des antisémites parmi les thuriféraires du sionisme. Je puis aussi vous assurer que nombre de sionistes sont des racistes dont la structure mentale ne diffère pas de celle de parfaits judéophobes : ils recherchent sans relâche un ADN juif (ce, jusqu’à l’université où j’enseigne).
Pour clarifier ce qu’est un point de vue antisioniste, il importe, cependant, de commencer par convenir de la définition, ou, à tout le moins, d’une série de caractéristiques du concept : « sionisme » ; ce à quoi, je vais m’employer le plus brièvement possible.
Tout d’abord, le sionisme n’est pas le judaïsme, contre lequel il constitue même une révolte radicale. Tout au long des siècles, les juifs pieux ont nourri une profonde ferveur envers leur terre sainte, plus particulièrement pour Jérusalem, mais ils s’en sont tenus au précepte talmudique qui leur intimait de ne pas y émigrer collectivement, avant la venue du Messie. En effet, la terre n’appartient pas aux juifs mais à Dieu. Dieu a donné et Dieu a repris, et lorsqu’il le voudra, il enverra le Messie pour restituer. Quand le sionisme est apparu, il a enlevé de son siège le « Tout Puissant », pour lui substituer le sujet humain actif.
Chacun de nous peut se prononcer sur le point de savoir si le projet de créer un Etat juif exclusif sur un morceau de territoire ultra-majoritairement peuplé d’Arabes, est une idée morale. En 1917, la Palestine comptait 700.000 musulmans et chrétiens arabes et environ 60.000 juifs dont la moitié étaient opposés au sionisme. Jusqu’alors, les masses du peuple yiddish, voulant fuir les pogroms de l’empire Russe, avaient préféré émigrer vers le continent américain, que deux millions atteignirent effectivement, échappant ainsi aux persécutions nazies (et à celles du régime de Vichy).
En 1948, il y avait en Palestine : 650 000 juifs et 1,3 million de musulmans et chrétiens arabes dont 700.000 devinrent des réfugiés : c’est sur ces bases démographiques qu’est né l’Etat d’Israël. Malgré cela, et dans le contexte de l’extermination des juifs d’Europe, nombre d’antisionistes sont parvenus à la conclusion que si l’on ne veut pas créer de nouvelles tragédies, il convient de considérer l’État d’Israël comme un fait accompli irréversible. Un enfant né d’un viol a bien le droit de vivre, mais que se passe-t-il si cet enfant marche sur les traces de son père ?
Et vint l’année 1967 : depuis lors Israël règne sur 5,5 millions de Palestiniens, privés de droits civiques, politiques et sociaux. Ils sont assujettis par Israël à un contrôle militaire : pour une partie d’entre eux, dans une sorte de « réserve d’Indiens » en Cisjordanie, tandis que d’autres sont enfermés dans un « réserve de barbelés » à Gaza (70% de ceux-ci sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés). Israël, qui ne cesse de proclamer son désir de paix, considère les territoires conquis en 1967 comme faisant intégralement partie de « la terre d’Israël », et s’y comporte selon son bon vouloir : jusqu’à présent, 600 000 colons israéliens juifs y ont été installés…et cela n’est pas terminé !
Est-ce là le sionisme d’aujourd’hui ? Non ! Répondront mes amis de la gauche sioniste qui ne cesse de se rétrécir, et ils diront qu’il faut mettre fin à la dynamique de la colonisation sioniste, qu’un petit État palestinien étroit doit être constitué à côté de l’Etat d’Israël, que l’objectif du sionisme était de fonder un État où les juifs exerceront la souveraineté sur eux-mêmes, et non pas de conquérir dans sa totalité « l’antique patrie ». Et le plus dangereux dans tout cela, à leurs yeux : l’annexion des territoires occupé constitue une menace pour Israël en tant qu’Etat juif.
Voici précisément le moment de vous expliquer pourquoi je vous écris, et pourquoi, je me définis comme non-sioniste, ou antisioniste, sans pour autant devenir antijuif. Votre parti politique inscrit, dans son intitulé : « La République », c’est pourquoi je présume que vous êtes un fervent républicain. Et dussé-je vous étonner : c’est aussi mon cas. Donc, étant démocrate et républicain, je ne puis, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. Le Ministère de l’Intérieur israélien recense 75% de ses citoyens comme juifs, 21% comme musulmans et chrétiens arabes et 4% comme « autres » (sic). Or, selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier qui n’ont pas l’intention de venir y vivre. Ainsi, par exemple, Israël appartient beaucoup plus à Bernard Henry-Lévy et à Alain Finkielkraut qu’à mes étudiants palestino-israéliens qui s’expriment en hébreu, parfois mieux que moi-même ! Israël espère aussi qu’un jour viendra où tous les gens du CRIF, et leurs « supporters » y émigreront ! Je connais même des français antisémites que cette perspective enchante ! En revanche, on a pu entendre deux ministres israéliens, proches de Benjamin Nétanyahou, émettre l’idée selon laquelle il faut encourager le « transfert » des Israéliens arabes, sans que personne n’ait émis la demande qu’ils démissionnent de leurs fonctions.
Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne peux pas être sioniste. Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ?
Shlomo Sand, historien israélien.   (Traduit de l’hébreu par Michel Bilis) 

30/07/2017



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​2020
 
 

Entre la France et Israël

Imaginons qu’un jeune Français juif, né à Metz, émigre en Israël ; qu’il devienne le correspondant réputé d’une chaîne télévisée publique de France ; qu’il publie une dizaine de livres historico-politiques jamais traduits en hébreu ; qu’il subisse pendant vingt ans des procès, tous gagnés, pour falsification de la mort d’un enfant palestinien dans les bras de son père. C’est l’histoire du journaliste Charles Enderlin, qui publie une enquête historique avec Les Juifs de France entre République et sionisme.


Charles Enderlin, Les Juifs de France entre République et sionisme. Seuil.


Imaginons aussi qu’à l’occasion de son dernier ouvrage, en janvier 2020, aucune radio juive francophone n’invite Charles Enderlin ; qu’on jette des boules puantes dans une salle parisienne pour illustrer la « Résistance » juive ; qu’une partie des Juifs hexagonaux le haïsse avec ferveur comme ennemi du pays où il vit depuis cinquante ans, comme sioniste de gauche mué en pur antisémite.
Que faudrait-il en conclure ? Sans doute qu’il s’est passé quelque chose chez les Juifs de France, qui mérite une enquête historique. Pendant quatre années, Enderlin travaille donc sur cette hypothèse : lesdits Juifs ne seraient-ils pas passés d’une idéologie républicaine à une idéologie sioniste   ? Reste à déterminer quand, comment, pourquoi. Et à comprendre ce qui distingue le franco-judaïsme d’après 1789 du nouveau fidéisme pro-israélien. Cela demande 410 pages sans aucun pathos (à la Zemmour ou Finkielkraut), plus la bibliographie et la chronologie.
En douze chapitres clairs, nourris de citations et de références, d’anecdotes parlantes, d’incarnations biographiques, l’enquête suit un ordre chronologique, en commençant après 1870 (décret Crémieux sur les Israélites algériens), au fil des immigrations successives, des vagues antisémites, des conjonctures sociopolitiques (en 1872, un recensement dénombre à peine 50 000 Juifs en métropole, dont la moitié à Paris).
 
« Le mouvement sioniste fondé par Herzl n’était pas populaire parmi les Juifs de France. » Le 26 juin 1923, après des heurts sanglants en Palestine, l’Association des rabbins français rappelle, à l’unanimité moins une voix, « les droits du judaïsme dans le pays qui fut et qui reste sa Terre Promise », tout en ajoutant que « les doctrines morales et politiques du sionisme […] ne peuvent s’accorder avec les principes du judaïsme français ».
En 1928, cependant, Léon Blum fonde le Comité socialiste pour la Palestine. Reste que, entre 1923 et 1932, 79 Français juifs auront émigré en Terre promise. En revanche, un accord entre le pouvoir hitlérien et l’Agence juive permettra à près de 60 000 Juifs allemands de fuir vers la Palestine entre 1933 et 1939. On rappellera que plusieurs personnalités franco-juives, « et non des moindres », sont encartées chez les Croix-de-Feu, dans l’espoir sans doute de contrer l’antisémitisme croissant par le patriotisme le plus farouche. En 1936, le grand rabbin de Paris aurait proposé à Léon Blum de refuser la présidence du Conseil contre une pension à vie équivalente, pour ne pas alimenter la haine antijuive !
On passera sur Vichy, qui a trouvé sans peine le responsable de la défaite, la juiverie internationale, sans éteindre l’espoir d’un compromis avec Pétain : sauver les Juifs français contre les Juifs étrangers. C’est en 1944 qu’est créé le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), premier regroupement des Juifs de France qui ne repose plus sur le seul fondement religieux.
À la Libération, les mouvements de résistance juive réclament le procès des dirigeants de l’UGIF (Union générale des israélites de France), accusés de coupable passivité sous Vichy. La protestation contre une restitution des biens juifs s’organise, non sans efficacité, en Association nationale intercorporative du commerce, de l’industrie et de l’artisanat. Le combat sioniste a désormais, entre 1944 et 1948, de forts soutiens dans la classe politique, sinon au Quai d’Orsay. Jean-Paul Sartre publie en 1946 ses fameuses Réflexions sur la question juive : le Juif, c’est les autres…
Mais, au moment de la création de l’État d’Israël (1948), la majorité des Juifs de France n’est pas sioniste, tel Raymond Aron. « L’assimilation dans la République est toujours le dogme du franco-judaïsme. » À preuve : 640 émigrés en 1948, 1 965 en 1949, quelques centaines par an jusqu’en 1968. Cependant, la nomination de Pierre Mendès France à la présidence du Conseil (1954) suscite de forts échos antisémites (« Le Juif Mendès a gagné son pari contre la France », Pierre Boutang). Sans compromettre l’opération franco-anglo-israélienne de Suez (1956).
Charles Enderlin, Les Juifs de France entre République et sionisme
D’où vient alors le tournant sioniste ? De l’arrivée massive des Juifs d’Algérie : 100 000 s’installent en France, 20 000 partent en Israël (qui ne les considère pas comme des réfugiés occidentaux, plus avantagés !). « La judaïcité française, alors composée de 250 000 Juifs majoritairement ashkénazes », s’en trouve bouleversée. Car ces Juifs sont, comme la quasi-totalité des pieds-noirs, hostiles à l’Algérie algérienne, à De Gaulle, plus indifférents au séculaire franco-judaïsme d’intégration républicaine et patriotique.
C’est la guerre de 1967, annoncée comme génocidaire, qui va faire défiler des dizaines de milliers de Juifs au cri de « Israël vaincra », drapeau israélien déployé pour la première fois. Comme l’écrit alors Claude Lanzmann : « Sans Israël, je me sens nu et vulnérable » ; « Certes, je suis assimilé, mais je n’ai pas confiance » (Le Monde, 2 juin 1967). Raymond Aron sent monter en lui « une bouffée de judaïté dans [sa] conscience de Français » (Mémoires). Mais, après la victoire d’Israël, il se demande si un succès militaire assure le gain de la guerre, et si la sympathie de l’opinion française ne doit rien au sentiment anti-arabe lié à la guerre d’Algérie. (Les Israéliens, eux aussi, qualifient de « terroristes » leurs adversaires, note Enderlin.) En revanche, la célèbre formule gaullienne révulse Aron ; car on n’y parle pas d’une nation, d’un État, mais d’« un peuple sûr de lui et dominateur ». Dans une lettre privée à Aron, Claude Lévi-Strauss dénonce les « contre-vérités » de la presse française et sa manipulation de l’opinion : « Comme Juif j’en ai eu honte et aussi, par la suite, de cette impudence étalée au grand jour par des notables juifs osant prétendre parler au nom de tous. » (Raymond Aron, Mémoires)
Je l’avoue, cette impudence persistante me révolte aussi, en tant que Français, juif, athée, et anti-annexionniste. Une oppression, fût-elle israélienne, reste une oppression. Terre promise voici 3 000 ans ne signifie pas terre permise. La résistance à la tyrannie est aussi un droit, Locke l’a dit, les constitutions américaine et jacobine l’ont ratifié. Tout peuple mérite son droit d’exister dans les formes qui lui conviennent. Le judaïsme (?) n’excuse rien. Il faut choisir sa patrie. Un Français juif n’est pas en dette envers Israël, pas plus qu’il n’est un Juif incomplet, un patriote transitoire ou le membre d’une « communauté » aux coudes serrés par la peur. L’amalgame entre critique politique du gouvernement d’Israël et antisémitisme (moderne !) est une plaisanterie sémantique d’assez mauvais goût, n’en déplaise à certains grands esprits.
La guerre éclair de 1967 a impulsé l’émigration : 5 292 en 1969, dont 80 à 90 % de Juifs maghrébins. Elle retombe vite : 1 345 en 1974, 1 382 en 1975. En 1977, cependant, le CRIF révise la charte de 1944. On y apprend que « la communauté juive de France [reconnaît] en Israël l’expression privilégiée de l’Être juif », qu’elle exige le rejet de toute politique étrangère favorable aux ennemis d’Israël. Pour Enderlin, cela signe la mort du franco-judaïsme, dont le concept fondateur « définissait l’Israélite français comme un citoyen patriote dont la religion et les pratiques culturelles relevaient strictement de la sphère privée ». De fait, avec l’élection en 2001 de Roger Cukierman à la tête du CRIF, l’engagement en faveur d’Israël devient total. L’idée d’une insécurité croissante des Juifs en France se fait obsédante. « Plus de 30 % des jeunes Juifs » sont désormais scolarisés dans des écoles juives, soit 30 000 élèves. Voilà, on l’avouera, de quoi méditer.


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