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Sakhaline : jeux et enjeux autour du plus grand projet d’exploitation gazière et pétrolière du monde



Sakhaline : jeux et enjeux autour du plus grand projet d’exploitation gazière et pétrolière du monde
Au cours des années 1920, le Japon, alors détenteur de la partie Sud de l’île Sakhaline (territoire russe situé dans le nord-ouest de l’océan Pacifique), s’est efforcé de développer la péninsule, y compris le côté Nord de l’île resté sous contrôle russe. En 1926, les entrepreneurs japonais ont érigé la première compagnie pétrolière russo-japonaise, afin d’exploiter les réserves d’hydrocarbure du Nord de Sakhaline. La crise énergétique qui a sévi dans le courant des années 1970, ont amené Tokyo à reconsidérer ses sources d’approvisionnement en or noir. Le Japon s’est rapidement tourné vers les ressources inexploitées de son voisin soviétique, alors dans l’incapacité de fournir les financements indispensables à l’exploitation de ses réserves. Des accords ont été conclus entre les deux Etats, aux termes desquels le gouvernement japonais avançait les fonds nécessaires à l’achat de nouveaux équipements, tandis que l’Union soviétique s’engageait à rembourser ses dettes avec les bénéfices de l’exportation. Afin d’exploiter les gisements de pétrole et gaz naturel de Sakhaline, la Russie post-soviétique a sollicité, dans les années 1990, les compagnies occidentales, qui ont su tirer profit de la situation chaotique de l’ancien empire communiste pour négocier des contrats avantageux. Ceux-ci offraient aux compagnies occidentales la totalité des bénéfices de la production jusqu’au remboursement total des investissements, tandis que la Russie devait se satisfaire d’une redevance de 6% à 8% sur les ventes et d’un engagement de ces dernières à n’utiliser que l’équipement et la main d’œuvre russe.

A l’heure actuelle six projets concernant la mise en valeur des ressources énergétiques de l’île Sakhaline sont à l’étude, dont deux en cours de réalisation. Le projet Sakhaline-1 concerne la mise en valeur des gisements Tchaïvo, d’Odoptou et d’Arkoutoun-Dagui situés dans le secteur nord-est du plateau continental de l’île. Leurs réserves extractibles sont évaluées à 307 millions de tonnes de brut et à 485 milliards de m³ de gaz. Sous l’égide de la compagnie américaine ExxonMobil (30%), société affiliée à Exxon Neftegaz, les compagnies japonaise Sodeco (30%), russe Rosneft (20%) et indienne ONGC (20%) participent à ce projet, dont le coût total est estimé à $12 milliards. Le projet prévoyait la construction d’un pipeline traversant l’île du nord au sud, jusqu’à la ville de Korsakov, d’où serait acheminé le gaz vers l’île principale du Japon, Honshu. Cependant le transport par les actuels pipelines vers le port de Dekastri, au Khabarovskii krai, a été préféré au projet initial plus coûteux, d’autant que la Rosneft bénéficie d’une aide de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), afin de moderniser les infrastructures existantes. Le 29 octobre 2001 la société ExxonMobil a déclaré le projet Sakhaline-1 rentable et annoncé que la compagnie comptait investir $30 milliards d’ici 2030. Ce projet d’exploitation entre dans le cadre d’accords de partage de production, Production Sharing Agreements (PSAs), impliquant un transfert de technologie contre ressources, qui devaient être approuvés par la Douma d’Etat. Malgré l’opposition que ces accords ont rencontrée à Moscou, le PSA a finalement été adopté en décembre de la même année, entérinant le développement du programme de partage de production pour 20 ans. L’exploitation commerciale de la production du gisement de Tchaïvo, première phase du projet Sakhaline-1, a débutée le 1er octobre 2005 pour le marché intérieur et en août 2006 pour le marché international.

Sakhaline : jeux et enjeux autour du plus grand projet d’exploitation gazière et pétrolière du monde
Les champs pétrolifère de Piltun-Astokhski et gazier de Lunski, gisements concernés par le projet Sakhaline-2, le plus avancé des plans d’exploitation des ressources de l’île, sont également situés dans le Nord-Est de Sakhaline. Les réserves de Sakhaline-2 sont évaluées à 182 millions de tonnes de pétrole et à 633 milliards de m³ de gaz naturel et son exploitation commerciale a commencée à l’été 1999. Ce projet également inclus dans le PSA, est administré par le consortium Sakhaline Energy Investment Company (SEIC), créée en 1998 par la compagnie Royal Dutch Shell (55%), avec les firmes japonaises Mitsui (25%) et Mitsubishi (20%). Sakhaline-2 ne comptait initialement aucune participation russe, jusqu’à ce que Gazprom ne signe le 7 juillet 2005 un accord avec la société Shell, aux termes duquel, la compagnie russe acquiert 55% des parts de cette dernière dans ce projet, tandis que Shell devient partenaire à 50% de la firme russe dans les projets d’exploitation des gisements de Zapolyarnoye Neocomian en Sibérie occidentale.
La première phase du projet Sakhaline-2, plus ambitieux que le précédant, s’est achevée début 2009 avec l’installation de deux pipelines souterrains de 800 km, acheminant les hydrocarbures issus des plate-formes de forage du nord de l’île jusqu’au sud de la péninsule, l’ouverture de la première usine de liquéfaction de gaz de Russie (GNL) et la construction d’un port dans la baie Aniva, près du chef-lieu de Iuzhno-Sakhalin, d’où le gaz liquéfié est exporté, en partie sur terre et en partie sur la mer, vers le Japon, la Corée du Sud et l’Amérique du Nord.
D’un coût global estimé par la société Shell à $20 milliards, les financements de ce projet, qui devrait être mené à son terme en 2014, sont soutenus par la Corporation nord-américaine privée d’investissements outre-mer (OPIC), la banque japonaise pour la coopération internationale (JBIC) et de la BERD. Celle-ci, ayant participé au financement de la première phase d’exploitation à hauteur de €102 millions, a reconsidéré son engagement dans le projet Sakhaline-2, suite à une requête déposée par l’organisation mondiale pour la protection de la nature (WWF), qui accuse Royal Dutch Shell, la principale compagnie engagée dans le projet Sakhaline-2, de contrevenir aux règles environnementales internationales. Malgré l’apport financier que le projet Sakhalin-2 concède au fond de développement de la région ($100 millions en cinq ans), la population locale s’est inquiétée des dommages potentiels que ces nouvelles infrastructures pourraient causer à leur environnement et a fait part de ses craintes lors de manifestations pacifiques. Les îliens ont ainsi, en janvier et juillet 2005, bloqué les routes d’accès aux sites de forage et se sont réunis en janvier 2006 à l’entrée de l’usine de liquéfaction, enjoignant les autorités fédérales, locales et la direction du SEIC à mesurer les risques d’une telle installation pour les populations sous-marines. Les habitants de Sakhaline ont également exigé que soit élargie à trois kilomètres et demi la zone de protection autour de l’usine et l’évacuation d’un entrepôt de munitions désaffecté situé à proximité. Avec le soutien du gouverneur, I. Malakhov, la population locale a invité la BERD à interrompre ses investissements à Sakhaline-2. Après plusieurs mois de réflexion, le Président de la Banque européenne a finalement annoncé à la presse l’intention de la BERD d’apporter des fonds pour la modernisation des réseaux énergétiques en Russie et de soutenir le projet à hauteur de $300 millions.
Selon toute vraisemblance, l’argument écologique a par ailleurs fortement servi les intérêts russes dans le jeu de négociation pour le contrôle du projet Sakhaline-2. Suite à de multiples menaces du gouvernement russe de retirer à la compagnie Shell ses licences d’exploitation, Moscou s’est déclaré, en novembre 2006, prêt à engager des poursuites auprès de la Cour d’arbitrage internationale de Stockholm contre la société anglo-néerlandaise. Un mois plus tard, la société semi-publique Gazprom se félicitait de devenir l’actionnaire majoritaire de la société Sakhaline Energy, Shell ne détenant plus que 27,5% des parts, Mitsui 12,5% et Mitsubishi 10%. Les scandales écologiques entourant les projets d’exploitation de Sakhaline-2 ont pris fin le 3 juillet dernier suite à la signature d’un accord entre l’agence russe pour la protection de l’environnement (Rosprirodnasor) et la compagnie mixte Sakhaline Energy, au terme duquel cette dernière se voit dans l’obligation de verser 647 millions de roubles (€15 millions) de dommages et intérêts. Le Rosprirodnasor avait déposé une plainte en 2006 contre la société d’exploitation pour les dégâts écologiques causés par la construction du pipeline Nord-sud et avait initialement réclamé entre 30 et 50 millions de dollars d’intérêts.

Reprendre le contrôle de l’exploitation de ses ressources naturelles constituait un enjeu capital pour le gouvernement russe au vu des nouveaux marchés potentiels que le projet Sakhaline-2 doit lui procurer. En effet, la Russie, qui cherche à diversifier les débouchés de ses exportations en hydrocarbures aujourd’hui orientées principalement vers une Europe de plus en plus inquiète de sa dépendance énergétique à l’égard de Moscou, regarde depuis peu ses voisins asiatiques comme des marchés prometteurs pour ses ventes de matières premières. En outre, la plupart de ses réserves se trouvant en Sibérie et en Extrême-Orient ces nouveaux débouchés permettrait à la Fédération de non seulement résoudre le problème d’approvisionnement énergétique de ses territoires extrême-orientaux, mais également de répondre à la demande croissante de la Chine, de l’Inde, du Japon ou encore de la Corée du Sud. Afin de réduire le rôle du Moyen-Orient dans ses approvisionnements, la Chine envisage également des solutions alternatives pour ses importations en hydrocarbures. Ces considérations ont incité le gouvernement de Beijing à développer ces dernières années la coopération énergétique avec Moscou. La République populaire a ainsi conclu plusieurs accords avec la compagnie pétrolière d’état russe, Rosneft, montrant ainsi tout l’intérêt qu’elle accorde à la fourniture constante et substantielle en hydrocarbures russes. Aux termes d’un accord, Beijing a concédé un crédit de $6 milliards à la société russe, afin que celle-ci puisse financer le rachat d’une autre compagnie pétrolière russe, YNG, contre la livraison de 48,4 millions de tonnes de brut jusqu’à 2010. La compagnie chinoise Sinopec, China National Petrochemical Corporation, a, d’autre part, signé un contrat avec Rosneft, prévoyant l’exploitation conjointe de gisements dans l’oblast de Magadan, en Sibérie orientale, ainsi que sur le plateau continental des mers arctiques russes. Toutefois le développement de la coopération énergétique sino-russe est altéré par le manque d’infrastructures de transport, l’acheminement des hydrocarbures se faisant actuellement par voie ferrée. Ce problème a été soulevé lors de la rencontre des chefs d’Etat russe et chinois en juillet 2001, au cours de laquelle un accord a été conclu, ouvrant ainsi la voie à une étude de marché pour la réalisation d’un pipeline de 24 000 km, reliant Angarsk (Sibérie orientale) à Daqing (dans le Nord-Est de la Chine), dont le coût reviendrait entre $1,7 et $3 milliards. Moscou et Beijing ont signé en 2003 un accord cadre entérinant la construction du pipeline Angarsk-Daqing, qui devrait acheminer vers la Chine 700 millions de tonnes de pétrole russe en 25 ans. Seulement ce projet a très vite été concurrencé par la proposition de Transneft, le monopole des réseaux énergétiques, d’un tracé alternatif reliant Taichet (Sibérie orientale) au port de Nakhodka (dans la région du Primorie en Extrême-orient). Vladimir Poutine, qui s’inquiète d’une trop grande dépendance de la Russie à l’égard de la Chine pour ses exportations d’hydrocarbures, a ainsi déclaré au début de l’année 2003 au Conseil de Sécurité que « la route via la Chine pourrait nuire aux intérêts nationaux russes, alors que l’acheminement par le port de Nakhodka potentialiserait les livraisons vers les côtes d’Extrême-Orient ». Le Premier ministre a cependant tenu à rassurer le gouvernement chinois en soulignant la possibilité d’une construction à moyen terme d’un pipeline reliant le port de Nakhodka à Daqing. Le gouvernement russe a finalement approuvé en janvier 2008 le projet d’oléoduc Taichet-Nakhodka soutenu par Tokyo, aux dépens du projet de Beijing. Ce nouveau tracé détient l’avantage de non seulement offrir un débouché sur la mer du Japon permettant de fournir l’ensemble des Etats du Pacifique, notamment la péninsule nippone, mais également d’être financé par Tokyo à hauteur de $14 milliards. La Chine a en outre discuté avec Moscou, au cours de ces cinq dernières années, de son approvisionnement en gaz naturel et des possibilités de construction d’un gazoduc reliant le réseau chinois au gisement de Kovykta, situé dans la région d’Irkoutsk en Sibérie orientale. Cependant ce projet a rencontré des objections de la part de Beijing, les experts chinois contestant les estimations russes des réserves de Kovykta. Par ailleurs Gazprom a élaboré deux tracés concurrents, l’un prévoit de relier la Chine par un pipeline traversant l’Altaï, l’autre l’Extrême-Orient, reposant sur la production des gisements de Sakhaline. La deuxième alternative a, en définitive, été privilégiée, depuis que les participants au projet Sakhaline-1 ont redirigé vers la Chine les productions de gaz sakhalinois, initialement destinées au marché japonais, via le port de Dekastri. Les travaux de construction du gazoduc reliant Sakhaline, Khabarovsk et Vladivostok ont été officiellement lancés en août dernier. Ce nouveau pipeline devrait être opérationnel en 2012 à l’occasion du forum de l’APEC (Coopération Economique de l’Asie Pacifique) qui se tiendra dans la capitale extrême-orientale de Vladivostok*, consacrant l’intégration de la Fédération russe au sein de l’économie de la zone pacifique.

*Sur le sujet voir « Vladivostok 2012 : les conséquences économiques d'une reprise en main politique », www.politiqueinternationale.over-blog.com

Sources principales:
- Bradshaw, M. ‘Sakhalin oblast’, in Herd,G.P & Aldis.A, Russian Regions and Regionalism : strength through weakness, Routledge Curzon, 2003
- Pardon Catherine, ‘rideco’
- Schleiter.P, ‘La Russie et la lumière de l’Est’, in www.polemia.com, 19 février 2006
- Troyakova.T & Wishnick.E, ‘Integration or desintegration ? Challenge for the Russian Far East in the Asia-Pacific region’2004
- www.france-cei.com
- www.sakhalin1.com/en
- www.sakhalinenergy.ru
- www.lenta.ru

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Rédigé par pirondeauchloe@hotmail.fr, le Samedi 12 Septembre 2009 | Lu 15388 fois.
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