Le blog de Pierre PASCALLON
LE BLOG de Pierre PASCALLON
29/05/2008 - 21:47

IV- Réflexions et activités récentes

par
Pierre PASCALLON
Professeur Agrégé de Faculté
et
Pascal HORTEFEUX
Professeur Groupe ESC Clermont


On sait que le Gouvernement a décidé de faire évaluer les 71 pôles de compétitivité existants, fin 2007, par un consortium de cabinets d’audit qui doit rendre son rapport à l’été 2008.
On vaudrait s’autoriser, ici, à juger cette démarche initiée par les Pouvoirs Publics en 2005 afin - face aux phénomènes de désindustrialisation et de délocalisations liés à la mondialisation - de favoriser au mieux, chez nous, l’innovation technologique dans les secteurs à très forte valeur ajoutée.
● Tout le monde s’accorde d’abord à reconnaître un certain nombre de mérites à ces pôles de compétitivité.
Dans les aspects positifs, il faut mentionner, notamment, la très forte mobilisation qui s’est manifestée partout dans l’hexagone dès que cette démarche a pris corps. Il est vrai que l’idée de relancer la France dans la course à l’innovation en facilitant, dans tous les territoires, la mise en commun des entreprises, des universités, des unités de recherche publiques et privées,…
a provoqué un élan incroyable dans les régions. On se souvient - preuve de cet accueil chaleureux - que l’appel à projet initial visant à identifier les pôles de compétitivité a remporté un plein succès : 105 candidatures ont été enregistrées sur tout le territoire conduisant les Pouvoirs Publics à labelliser (juillet 2005) 67 pôles - 66, au vrai, suite à la fusion de deux pôles -, dont 6 pôles mondiaux, 9 pôles à forte visibilité internationale et 52 pôles régionaux ou nationaux.
Il est vrai que cette « démarche » pôles de compétitivité a servi « d’électrochoc » à nos régions. Elle a été un formidable catalyseur des énergies territoriales vouées à se muer en synergie - par l’alchimie de ces pôles - pour stimuler l’innovation. Il y a bien eu, en effet - avec cette
« démarche » pôles - une prise de conscience, par tous les acteurs, de la réalité économique de leur territoire et des besoins des entreprises. Les protagonistes (entreprises, laboratoires, universités,…) - qui, jusqu’alors, s’ignoraient, travaillant chacun de son côté - ont été amenés, dans le cadre de ces « clusters à la française », à se connaître, à se rapprocher, à échanger. Il y a bien eu un « décloisonnement » ; des rapports nouveaux se sont établis entre les acteurs de la recherche, de la formation et de l’industrie, mais aussi entre les industriels eux-mêmes qui n’avaient, finalement, que peu de contacts. Les collectivités territoriales - d’abord méfiantes sur le montant de ces nouvelles dépenses… en vue - ont fortement adhéré, comprenant que, de ces pôles, vont dépendre leur vitalité économique, leur attractivité, leur capacité à attirer de nouvelles entreprises, à empêcher les délocalisations et, in fine, à créer ou à maintenir des emplois. Bref, incontestablement, les pôles ont montré une certaine capacité… à faire travailler ensemble toutes celles et tous ceux qui auraient dû, de longtemps, dans les régions,… travailler ensemble ; les pôles ont accéléré « l’effet réseau » et ont renforcé les relations entre tous les acteurs du territoire : chefs d’entreprise, formateurs, chercheurs, élus, Etat,… Et, après un démarrage parfois difficile, la « machine » pôles a pu ainsi monter en puissance et des projets vont voir le jour.
On n’oubliera pas, en effet, que la raison d’être des pôles de compétitivité est de faire émerger des projets collaboratifs innovants. Nos pays occidentaux - la France, bien sûr - ont du mal à rivaliser avec les pays émergents à bas coût de main d’œuvre. Il faut donc « sortir » au mieux d’une compétitivité « prix » - c’est l’ambition des pôles d’y aider - pour passer à une compétitivité « hors prix » basée principalement sur l’innovation dans les secteurs de pointe. Par ailleurs, on sait que la France invente mais a du mal à concrétiser ses inventions en innovations opérationnelles, sources de retour sur investissement. Les pôles de compétitivité doivent aider, en ce sens, à passer au mieux de l’invention à l’innovation - qu’il s’agisse d’innovation incrémentale ou de rupture -, à susciter des projets industriels innovants grâce au partenariat d’entreprises, d’institutions de formation, de centres de recherche, « mixant » recherche privée et recherche publique, recherche fondamentale et recherche appliquée,… Et force est de reconnaître - soutient-on - qu’on a eu un vrai succès opérationnel, en ce sens, des pôles de compétitivité, avec des projets réellement collaboratifs qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans les pôles ; ces pôles ont bien rempli avec brio leur mission première « d’usines à projets de recherche et développement ». Les appels à projets, en effet - lancés maintenant par le Fond Unique Interministériel (FUI) - ont été un vrai succès : on a eu plus de projets que prévu initialement à la naissance des pôles. En cumulé - on n’a pas, dans ces chiffres, la prise en compte du 6ème appel à projet qui se terminait le 30 avril 2008 -, l’ensemble des 5 appels à projet a permis de soutenir 455 projets depuis 2005. Ils représentent des budgets de recherche-développement de 2,8 milliards d’euros, mettent en jeu plus de 10.000 chercheurs, avec un financement public de 929 millions d’euros (dont 620 millions d’euros par l’Etat).


Au total, du côté des Pouvoirs Publics, des défenseurs « historiques » de ce type de démarche (Pierre LAFITTE, Président de la Fondation Sophia Antipolis,…), on croit donc possible de saluer le bilan « globalement positif » de cette nouvelle approche territoriale de la politique d’aide à l’innovation et à sa valorisation portée par les pôles de compétitivité. Oui, ces pôles sont bien - s’il faut en croire François Fillon - un « outil formidable » (5 juillet 2007) pour soutenir l’innovation et redonner un nouveau souffle à notre industrie confrontée aux défis que l’on sait ; ces pôles ont incontestablement réussi à enclencher une vraie dynamique de partenariat permettant de générer des projets innovateurs collaboratifs.

● Mais, ce satisfecit d’ensemble - on s’en doute - n’est pas partagé par tous les acteurs et tous les observateurs. Ainsi, à titre d’illustration des réserves suscitées par ces pôles, les propos de cet industriel, début 2007 : « Nous restons très circonspects sur les pôles de compétitivité… Je n’entends que du scepticisme » .
Il est vrai que, pour certains, le bilan de ces pôles serait plutôt négatif dès lors que, à leurs yeux, on veut bien ne pas occulter les difficultés de ces pôles de compétitivité tenant tant à leur fondement qu’aux modalités de leur démarche.
- Difficultés tenant au fondement de la démarche en termes de pôles de compétitivité ?
→ Il y a d’abord, ici, les interrogations sur la réalité supposée de la coopération entre tous les acteurs de ces pôles. On sait quelle est la philosophie de ces pôles de compétitivité. A leur cœur, il y a le pari d’une dynamique possible collective « gagnant-gagnant » pour tous les acteurs considérés dans le cadre de projets de recherche et de développement innovants collaboratifs : il s’agit bien de permettre aux entreprises, aux centres de recherche, aux organismes de formation, réunis en réseau sur un même territoire, de faire fructifier leurs atouts, en mutualisant des ressources humaines, matérielles, financières sur des desseins et des réalisations communs.
On sait aussi les soubassements théoriques qui accréditent a priori - ainsi que l’on vient de le faire à l’instant - les avantages à attendre d’une démarche coopérative, partenariale, du type pôle de compétitivité - on pense, en particulier, à la « théorie de la polarisation », à la « théorie de proximité » - sous l’angle territorial… permettant de dégager, nous dit-on, un « nouveau modèle productif ». On s’inscrit bien, en effet - présupposés bénéfiques de la démarche « pôle de compétitivité » - dans le prolongement d’une vaste et ancienne réflexion théorique, depuis PERROUX, sur les mérites, en terme spatial, de la polarisation jusqu’aux analyses, pour les firmes, de KRUGMAN, PORTER,… En bref, le rapprochement, la proximité, la territorialité, ouvrent l’opportunité de réseaux, de synergies, d’externalités et d’avantages… compétitifs.

Et, au vrai, l’expérience depuis 2005 - on y a fait écho plus haut - montre les résultats opérationnels a priori positifs des pôles de compétitivité en termes de projets. Ces projets n’auraient pas été proposés si les acteurs - dans le cadre de coopérations, de partenariats complémentaires - n’y avaient pas trouvé leur compte. Ce qui ne veut pas dire que - par « enchantement » - la démarche pôle de compétitivité fait disparaître les divergences, les oppositions d’intérêts entre les acteurs concernés. Ce sont les grandes firmes qui sont le plus souvent au centre du dispositif des pôles, ces pôles s’étant appuyés, en effet, sur les grands groupes industriels et sur les structures collaboratives préexistantes. Aussi, les PME sont assez naturellement réservées sur ces pôles - elles en ont été initialement, même si les choses paraissent s’améliorer, les « parents pauvres » -, pôles qu’elles croient percevoir comme des mécanismes au bénéfice des grandes sociétés qui se trouvent, elles aussi, parfois, en concurrence… entre elles… pour travailler sur des projets communs !!
Sans oublier les difficultés de « l’esprit partenarial » entre les entreprises et les acteurs de la « formation-recherche » alors que, pourtant, on le sait, il faut une implication sans réserve des trois éléments : entreprises, formation-recherche, pour assurer la solidité à long terme de la démarche pôle de compétitivité.
Il est clair que les synergies, les mutualisations - pour chercher à réduire les coûts unitaires - paraissent faciles, sinon aller de soi, pour un certain nombre de fonctions élémentaires et périphériques au cœur de métier. Mais il n’en va pas de même pour l’innovation, cœur du cœur de l’avantage compétitif. Et même si tous les acteurs ont perçu que, désormais, cette innovation technologique, survenant à la « frontière » entre les secteurs d’activité, nécessite la « mise en relation », on comprend bien - et c’est le cas - que les entreprises - grandes, mais aussi moyennes - aient réticence à l’ouverture, au partage des savoir-faire, tout cela soulevant l’épineuse question de la propriété intellectuelle sur les projets collaboratifs.
Bref, pour conclure cette première critique, il y a, certes - concèdent-ils - partenariat, synergie, coopération, mais il reste des divergences, des oppositions, de la compétition ; et les pôles de compétitivité ne pourront donc apporter, au mieux, que de la « coo-pétition », intermédiaire entre coopération et compétition.
Mais il y a aussi les interrogations sur les bienfaits affichés du volontarisme public dans ces pôles de compétitivité.
Il est sûr - c’est l’originalité par rapport à des démarches et à des expériences précédentes : on pense, notamment, aux technopoles -, que les Pouvoirs Publics ont un rôle central dans les pôles de compétitivité. Mieux, il n’est pas excessif, sans doute, de dire qu’ils en sont l’un des
« co-acteurs » dans le cadre de la « nouvelle politique industrielle nationale ».
Aussi bien, pour tous ceux - libéraux - qui pensent qu’il n’y a de légitime et d’efficace que les intérêts individuels ordonnés par la rationalité et les lois du marché, cette forme de colbertisme moderne que sont les pôles de compétitivité est une politique hérétique, irrationnelle, lorsqu’elle n’est pas nuisible, qui plus est dans le cadre d’une économie désormais complètement globalisée, qui a remis en cause la pertinence et la consistance de l’Etat-Nation. L’Etat ferait mieux, à leurs yeux - à la place de cet activisme inadapté qui est donc loin d’être la panacée - de s’attacher à améliorer l’environnement des entreprises (terrains, communications,…).

- Mais venons-en, maintenant - tout cela est, bien sûr, lié et distingué par simple commodité d’exposition - aux difficultés tenant aux modalités de la démarche de pôles compétitivité.; Il y a d’abord - et elles sont nombreuses - les questions touchant la « liste » et le « nombre » des pôles de compétitivité retenus.
Beaucoup assurent que les responsables n’ont pas été suffisamment sélectifs au départ - pour ne pas décourager les bonnes volontés - et qu’on se retrouve ainsi avec un nombre de pôles trop élevé (71 aujourd’hui). Rien à dire sur les pôles visant à construire des « champions » mondiaux sur des spécialités à haute valeur ajoutée. Mais il aurait fallu - poursuivent-ils - en rester là, soit une vingtaine de pôles. Au lieu de quoi, on a « saupoudré » le territoire de pôles manquant… parfois, d’envergure ; des pôles qui… parfois, se chevauchent en faisant quasiment la même chose (c’est l’impression que l’on a, notamment, pour les pôles dédiés aux questions de transport, les pôles ayant vocation à innover en matière de produits carnés,…) et encore des pôles trop banaux et trop étendus, pôles à vocation régionale montés hâtivement avec des partenaires peu habitués à travailler ensemble… parce qu’il fallait donner quelque chose à tous les territoires !! Et, dans le même temps, pourtant, des impasses avaient été faites, en particulier pour le secteur des services aux entreprises, impasses en partie corrigées avec la dernière labellisation d’un pôle « d’industrie financière ».; Il y aurait ensuite - poursuivent certains - à marquer les difficultés de la gouvernance et du fonctionnement de ces pôles dont le nombre et le contenu - on vient de le voir - posent problème. Et de souligner, ici - bien que des progrès aient été réalisés - la complexité, la lourdeur administrative de cette nouvelle « machine », de quoi décourager, en particulier - on a déjà fait écho à elles sous un autre angle - les PME à s’intégrer dans ces pôles.; > Il y aurait encore - tout ceci est déjà implicite dans les points précédents - à insister sur la dispersion et la modestie des moyens humains et financiers disponibles pour ces pôles, même si les crédits initiaux ont été augmentés. Nous manquerions plus spécialement, dans ces pôles, de « capitaux-risqueurs », localisés géographiquement - cela paraît être la clef de la réussite des démarches de même esprit aux Etats-Unis, en Israël,… - et de « nœuds-relais », de « zones humides » (Christian BLANC) de rencontres pour favoriser la fertilisation croisée.

Que faut-il retenir, au final, de ces pôles de compétitivité, après l’effort qui vient d’être fait pour présenter les arguments positifs et les aspects plus critiques de cette démarche ?
Il nous semble que l’on peut dire que, avec ces pôles, on a, sans aucun doute - à l’heure où notre industrie est confrontée aux énormes bouleversements planétaires que l’on sait -, l’outil de résistance, voire de reconquête, le plus significatif mis en place ces dernières décennies, sous l’impulsion des Pouvoirs Publics, pour soutenir, favoriser, l’innovation technologique, avec la place centrale et la complexité actuelle de ce processus d’innovation. En effet, grâce à la synergie forte engagée entre unités de production, centres de recherche, organismes de formation - avec l’appui de l’Etat et des collectivités locales -, il n’est pas exagéré de regarder les pôles de compétitivité comme des incubateurs géants, susceptibles de générer des projets collaboratifs innovants.
On souhaite donc voir se pérenniser cette démarche de pôles de compétitivité qui, avec ses nombreux atouts, est de nature - et ça a été au moins en partie le cas - d’enclencher, souvent, une dynamique territoriale favorable dans nombre de régions. Il n’y a donc pas lieu, à notre sens - comme le réclament, on l’a vu, les libéraux - de revenir sur le volontarisme public fort de cette démarche : si l’on veut bien y regarder de près, en effet, dans tous les pays, même et surtout ceux qui s’affichent contre les politiques volontaristes (Etats-Unis), l’innovation est soutenue par l’Etat. Il convient, en revanche, de prendre en considération un certain nombre d’autres critiques relevées plus haut à l’encontre de ces pôles de compétitivité - l’audit en cours ne manquera pas, aussi, de les mettre en avant -, et d’apporter, par la même, demain, des améliorations à la démarche « pôles de compétitivité », avec, sans doute :
- le resserrement du nombre des pôles ;
- la consolidation de l’ancrage et de la participation des PME à ces pôles ;
- « l’opérationnalité » plus forte encore de ces pôles qui doivent faire émerger - et se concrétiser - des projets de recherche et de développement, avec la présence de sociétés de capital risque ;
- …

Ces pôles de compétitivité pourront ainsi, toujours plus, à l’avenir, apparaître pour nous comme les pôles de l’espoir.


Bibliographie sommaire



BAS (C. Le) (coordonné par) : Innovation, région et connaissance, L’Harmattan, 2006
DURANTON (G.), MARTIN (P.), MAYER (T.), MAYNERIS (F.) : Les pôles de compétitivité. Que peut-on en attendre ?, Editions Rue d’Ulm, Cepremap, 2008
FORRAY (J-B.) (dossier coordonné par) : « Pôles de compétitivité : régions et agglos au secours des PME », La Gazette, 22 octobre 2007
JACQUET (N.) et DARMON (D.) : Les pôles de compétitivité. Le modèle français, La Documentation Française, 2005
LINTIGNAT (J.) et THEVENOT (M.) : Pôles de compétitivité en France : prometteurs mais des défauts de jeunesse à corriger, Rapport KPMG, décembre 2006
LANGLAIS (Y.) : « Pôles de compétitivité : les petites structures peinent à s’imposer », La Tribune, 13 décembre 2007
MANDRAUT (C.) : « Trop de pôles tue les pôles… de compétitivité », Air et Cosmos, n°2050, 27 octobre 2006
MENU (S.) : « Pôles de compétitivité : sortez couverts », La Lettre du Cadre Territorial, n°330, 15 janvier 2007
MOREAU (P.) : « Les pôles de compétitivité ont rapproché agglomérations et entreprises », Les Echos, 25 septembre 2007
NEMERY (J-L.) (sous la direction de) : Les pôles de compétitivité dans le système français et européen, L’Harmattan, 2006
RALLET (A.) et TORRE (A.) : Quelles proximités pour innover ?, L’Harmattan, 2007
ROUSSEAU (L.) (Interview) : « De 5 à 10 pôles sont en situation de demi-échec », Les Echos, 9-10 novembre 2007
WAELBROECK-ROCHAL (E.), MORIN (S.) et RODRIGUEZ (M.) : Avantages retirés par les entreprises de leur participation à un "cluster" (pôle de compétitivité, SPL), Etude exploratoire, Bipe-DATAR, janvier 2006






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