CHARLIE
Article modifié octobre 2020
ETRE OU N'ETRE PAS CHARLIE


A PROPOS DES RÉCENTS ÉVÉNEMENTS 
RÉFLEXIONS ÉPARSES.
24/01/2015

 
 
 
Dans le contexte ambiant, il est difficile de faire entendre une voix dissonante ou discordante.
Par ces temps de large consensus, où une doxa dominante déferle à travers le pays, certains points de vue peuvent paraître iconoclastes, voire subversifs.
Aussi préciserai, au préalable, "le lieu d'où je parle".
Comment me définirai-je ?
Je suis agnostique plutôt qu'athée, et je m'efforce d'être pacifiquement libertaire.
Cela me condamne-t-il à pratiquer une laïcité de combat ? Je ne m'y résous pas.
- Je pense que l'on a le droit d’être agnostique, ou athée, mais qu'on a le droit de ne pas l'être.
- Je pense que les rabbins, les imams, les curés, ne sont pas des maîtres à penser …. sauf pour ceux qui les jugent ou les prennent comme tels.
- Je pense que la liberté, c’est de ne pas croire, mais que c'est aussi celle de croire.
 
Je tenterai, en conséquence, un modeste "discours alternatif" :
 
N'importe quel citoyen français innocent peut, dans la banalité de son quotidien, et je me place moi-même dans cette catégorie, faire l'objet d'une agression commise par un "loup solitaire" animé d'une haine aveugle et cruelle, ou être la victime d'un attentat perpétré par un fanatique commandité.
Mais cela ne légitime pas le fait de hurler à l'unisson avec ceux qui crient actuellement à la barbarie "intrinsèque" de la religion musulmane, condamnent toute une communauté, préconisent sa stigmatisation ou, pire encore, appellent à une vengeance individuelle ou collective à son encontre.
Les cités seraient une pépinière de djihadistes ? Le constat est amer, mais il n'est hélas pas dénué de fondement.
La République a-t-elle fait le nécessaire pour que ces "enfants perdus" se sentent totalement partie intégrante de la nation française ? Cela n'est pas évident.
Ils faisaient déjà l'objet, avant les tragiques événements de ces jours derniers, d'une vindicte étayée par le propos ordinaire de quelques auteurs " à grand tirage".
Et voilà que dans l'émotion suscitée par les assassinats de ces jours derniers, les antennes et les forums bruissent d'analyses et de commentaires qui soutiennent quasiment qu'ils sont un corps étranger que l'on doit extirper de la communauté nationale.
Étonnez vous après cela qu'ils aillent davantage encore chercher dans un Islam fanatique autant que dévoyé, ou à tout le moins dans la tentation du repli communautaire, des raisons d'être et de se comporter.
 
S'agissant du blasphème, je ne l'ai jamais approuvé, à l'encontre d'aucune religion, et je m'étonne que l'on puisse revendiquer un tel droit. Je ne suis pas croyant mais je respecte ceux qui le sont, et je ne vois pas ce qui m'autoriserait à leur interdire de l'être.
En revanche, je leur dénie le droit de m'imposer de manière ou d'une autre leurs dogmes et leurs pratiques.
Quel besoin aurais-je de dessiner, ou pire, de caricaturer le Prophète, sachant que cela contrarie mon voisin ou que cela heurte ses convictions?
Lorsque le Christ de Serrano suscite l'émoi de certains Chrétiens, sans partager le moins du monde leur fondamentalisme, je comprends parfaitement qu'ils puissent être choqués et prennent cette exposition pour une insoutenable provocation.
 
Le style, le ton, le contenu de CHARLIE Hebdo n'ayant jamais correspondu à mes affinités, je ne l'avais jamais lu.
Je condamne absolument, et sans restriction aucune, l'horrible assassinat de ses rédacteurs, caricaturistes et collaborateurs, et j'exprime ma sympathie (au sens très littéral du terme) à la famille, aux proches, aux amis, de ces victimes d'une foi déviée.
Je ne me sens pas pour autant obligé de courir acheter le numéro spécial que tout le monde s'arrache.
Est-ce un crime ?
Ne puis-je demander que l'on respecte ma liberté de penser, de m'indigner, de m'exprimer, même si dans le contexte ambiant elle est minoritaire ?
 
CHARLIE hebdo, qui n'était pas de mes lectures, avait éveillé mon attention lors de l'affaire Val-Siné, qui avait à l'époque fait quelque bruit dans la presse.
J'ai donc lu ces jours ci, non pas ce que disait Val, mais ce qu'a dit Siné du crime commis à l'encontre des ses anciens amis et collaborateurs.
Aucune commune mesure, certes, entre le sort de Siné, viré de Charlie Hebdo par un Val très pointilleux sur l'offense faite à autrui ou à une communauté, et les victimes de CHARLIE Hebdo, tragiquement assassinées par des illuminés.
Il est permis toutefois de rappeler que l'émotion n'avait pas été très grande dans le monde médiatique et politique, ni le soutien très massif après que Siné eût été ostracisé et réduit à élaborer péniblement, dans une quasi solitude, un journal devant lui permettre d'exercer sa libre expression et sa libre caricature.
 
La présence de près de 5 ou 6 millions de Musulmans en France est non seulement la conséquence d'une politique qui a consisté, il fut un temps, à aller les chercher à travers tout le Maghreb pour les besoins en main d'œuvre de notre économie, mais elle est due aussi aux effets induits de la colonisation de ce même Maghreb et des pays d'Afrique noire. Certains diraient que cela en est une sorte de rançon.
Ce petit rappel devrait normalement calmer l'ardeur de ceux qui envisagent allègrement, voire prêchent sur les forums ou dans la vie civile une confrontation ethnique ou religieuse.
 
Il paraît opportun de rappeler que le nombre de musulmans victimes de la barbarie islamiste s'élève à plusieurs dizaines de milliers (Moyen Orient, Maghreb, Afrique noire...).
Dans ces conditions, sommer les Musulmans de France de se justifier d'être musulmans ou pire, les condamner de l'être, rend pour le moins saugrenue une telle injonction.
 
Nous connûmes aussi, en Occident, les excès du fanatisme et de l'intégrisme.
Les guerres de religion en témoignent.
Si l'un des exemples les plus marquants reste le procès de Galilée, il me plaît de rappeler que du côté de Florence sévit durant quelques années un certain Savonarole*. 
https://www.wmaker.net/u-zinu/Ce-bon-Savonarole-ou-les-vertus-de-l-integrisme_a824.html
Toutes ces abominations appartiennent à un passé révolu, mais cela ne devrait pas nous empêcher de relire de temps à autre les "minutes" de la "Controverse de Valladolid" où de doctes théologiens catholiques se demandaient si les Indiens avaient une âme.

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* Rubrique : RELIGIONS ET AUTRES - article "Ce bon Savonarole ou les vertus de l'intégrisme".



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CHARLIE
Qui est Charlie ? : Sociologie d'une crise religieuse
Emmanuel Todd



Note éditeur :

Qui sommes-nous vraiment, nous qui avons affiché une telle détermination dans le refus de ta violence aveugle et notre foi dans la République le 11 janvier dernier ? La cartographie et la sociologie des trois à quatre millions de marcheurs parisiens et provinciaux réservent bien des surprises. Car si Chartie revendique des valeurs libérales et républicaines, les classes moyennes réelles qui marchèrent en ce jour d'indignation avaient aussi en tête un tout autre programme, bien éloigné de l'idéal proclamé. Leurs valeurs profondes évoquaient plutôt les moments tristes de notre histoire nationale : conservatisme, égoïsme, domination, inégalité. La France doit-elle vraiment continuer de maltraiter sa jeunesse, rejeter à ta périphérie de ses villes les enfants d'immigrés, reléguer au fond de ses départements ses classes populaires, diaboliser l'islam, nourrir un antisémitisme de plus en plus menaçant ? Identifier les forces anthropologiques, religieuses, économiques et politiques qui nous ont menés au bord du gouffre, indiquer tes voies difficiles, incertaines, mais possibles d'un retour à la véritable République, telle est l'ambition qui anime ce livre.

 
Manuel Valls dénonce "les impostures" d'Emmanuel Todd


U zinu :

Question philosophique posée au petit Manu à propos de François Hollande: 
"N'y a-t-il pas plutôt quelque imposture à ne pas tenir les promesses que l'on avait faites" ? 
  
L'homme révolté : "Hé ! Manu ! Jusques à quand vas-tu instrumentaliser les événements de Janvier pour nous inciter à chanter ta gloire et celle de ton maître Puntila Hollande" ? 

Ne peut-on dans le même temps condamner les attentats et dénoncer l'exploitation qui en est faite à des fins diverses et variées ? 
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La liberté d'expression est un concept à géométrie fort variable : celle que l'on s'octroie est généralement plus généreuse que celle que l'on accorde à autrui. 





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L'honneur du peuple juif

Tiré de : http://www.ujfp.org/spip.php?article3768

Schlomo Sand : « Je ne suis pas Charlie »
 
mardi 13 janvier 2015 par Shlomo Sand
 
Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?
Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !
On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».
En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie,Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral.
Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. Si, du sein de la civilisation judéo-musulmane : en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe s’élevaient aujourd’hui des protestations et des mises en gardes contre la religion dominante qui opprime des travailleurs par milliers, et des millions de femmes, nous aurions le devoir de soutenir les protestataires persécutés. Or, comme l’on sait, les dirigeants occidentaux, loin d’encourager les « voltairiens et les rousseauistes » au Moyen-Orient, apportent tout leur soutien aux régimes religieux les plus répressifs.
En revanche, en France ou au Danemark, en Allemagne ou en Espagne où vivent des millions de travailleurs musulmans, le plus souvent affectés aux tâches les plus pénibles, au bas de l’échelle sociale, il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l’islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement. Aujourd’hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher. Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres et des non instruits.
De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.
Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.
C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.
Shlomo Sand
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)
 


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