LE FN ENTRE CANAL HISTORIQUE ET CANAL HABITUEL
Entrée des croisés à Constantinople - Delacroix.
 
Le FN entre « Canal historique » et « Canal habituel »
 
 
« Mieux vaut voir le turban turc dans la ville que la mitre romaine ! »
 
 
On ne saurait prêter au Français moyen une sympathie débordante pour tout ce qui est "Turc" ou approchant. Aussi me paraît-il opportun de justifier une telle "mise en exergue".
Cette exclamation est prêtée au grand amiral byzantin Loukas Notaras au moment où les Turcs assiégeaient Constantinople en 1453. Le souvenir du pillage, de la mise à sac, des exactions, des atrocités commises en 1204 lors de la 4ème croisade par les catholiques latins contre les Chrétiens orthodoxes orientaux était, plus de deux siècles après, assez vivace dans la mémoire des Byzantins, pour légitimer l'exhortation du grand amiral.
Mais pourquoi une telle référence ?
En la paraphrasant et en l'attribuant à ceux qui votent pour Le Front National, nous pourrions leur faire dire ceci : 
"Mieux vaut le béret bleu de Marine Le Pen que  le bonnet rose de François Hollande ! " 
Marine Le Pen a déjà conquis, en effet, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en afflige, une large fraction de l'électorat français.
Mais au lieu de s'employer à "effrayer" l'électeur basique en criant désespérément au loup, en affirmant trembler de peur, et en invoquant les mânes de dame République à seule fin de jeter l'homme de gauche "en perdition" dans les bras des sociaux-libéraux-démocrates qui nous gouvernent, ne serait-il pas plus opportun de voir, ou tenter de voir, ce qu'il en est aujourd'hui du Front National ?
 
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I. Le FN est-il monolithique ?
 
Le F.N est composé d'une part de Frontistes "résiduels" (ce terme n'est pas ici employé péjorativement, mais vise à exprimer un fait), et de Frontistes "nouvelle donne" (on n'ose employer le terme de "new deal", vu l'amour très modéré que portent à la fois les "anciens" et les "modernes" du FN aux États-Unis).
La direction actuelle du FN a évacué le langage des pères fondateurs, mais elle conserve tout de même les principaux éléments de pensée qui caractérisaient le "corpus idéologique" historique de l'extrême droite française.
 
II. Le FN est-il toujours antisémite ?
 
Il faut, en la matière, noter un changement de paradigme assez évident. Pour le FN "canal historique" le bouc émissaire, ou le responsable de toutes les calamités françaises, voire mondiales, était le Juif national ou international. Pour le FN "canal habituel" c'est devenu l'Arabo-musulman. Nous observerons que cette évolution vaut au FN actuel la bienveillance, voire la sympathie et même l'adhésion d'une partie de la communauté israélite de France, "communautariste" elle-aussi à sa manière, et surtout inconditionnellement proche des faucons israéliens, donc peu suspecte de sympathie envers le monde arabe.
Cukierman, président du CRIF, qui trouve Marine Le PEN "irréprochable" avant sans doute de la trouver fréquentable, traduit somme toute une opinion partagée par nombre de ses "administrés".
Nous préciserons que l'état-major de MLP se situe dans une ligne qui reflète cet "aggiornamento" tandis que la vieille garde conserve à l'encontre des Juifs des "sentiments" proches de ceux qui animaient les théoriciens antisémites d'avant guerre ou les activistes du temps de l'occupation. Cette vieille garde ou ces antisémites irréductibles sont priés, semble-t-il, de se faire discrets et de ne pas trop s'abandonner, sur ce chapitre, à quelque forme de libre expression que ce soit. Cependant, un parcours des blogs ou des forums qui véhiculent la pensée frontiste, donne à penser que l'adhérent moyen n'a abandonné ni la terminologie "historique" ni même la dénonciation du "pouvoir juif". En toute justice, il nous faut admettre qu'un parcours de certains sites se réclamant de l'extrême gauche ou de la gauche radicale révèle un langage assez voisin.
 
III. Le FN est-il républicain ?
 
Marine Le Pen et Florian Philippot se défendent d'être d'extrême droite, et ils insistent volontiers sur l'aspect "républicain" de leur combat. Le problème est que leur conception de la République se fonde sur des valeurs fort différentes de celles communément admises.
- Certes, ils affirment être attachés aux idéaux et aux principes républicains hérités de la révolution française et "actualisés" par la Constitution de 1958, mais ils ont de la Liberté, de l'Égalité et de la Fraternité une conception restrictive et "personnalisée" qui prête à interrogation.
- Certes, ils clament et proclament que pour eux comme pour les autres partis, la République est indivisible, laïque, démocratique, voire sociale ; mais ils mettent derrière chacun de ces termes un contenu qui leur est propre et qu'il conviendrait de décrypter en le confrontant à la réalité des pratiques qu'ils mettent en œuvre dans les instances où ils exercent leurs mandats électoraux.
 
IV. Le FN et le discours "sécuritaire"
 
Qu'on le veuille ou non, qu'on le cache ou qu'on le dise clairement, les éléments de langage "sécuritaires", les diatribes anti- musulmanes, et la dénonciation permanente d'une invasion rampante et massive "islamo-arabe" constituent la source essentielle du succès dont bénéficie le FN, tant auprès des classes populaires qu'auprès des classes moyennes, et davantage encore auprès d'une "classe ouvrière" autrefois acquise au P.C.
Il faut bien admettre que les incivilités (le mot est faible) qui perturbent le "vivre ensemble" des "cités", l'excès de certaines "exigences' communautaristes, et les dérives d'un islam dévoyé facilitent son discours.
Disons le sans ambages, les actes abominables commis par les extrémistes islamistes de tout poil (nous aurions pu dire de toutes obédiences) lui donnent un "grain à moudre" abondant et quasi permanent.
En face, la déshérence, voire la ghettoïsation des cités, et les conditions socio-économiques qui en sont la marque, invoquées par ceux qui sont soucieux - à juste titre - de rechercher, au-delà des dérives religieuses volontiers mises en avant, les raisons d'une révolte plus ou moins "réactionnelle", ou le produit d'un ressentiment, ne rencontrent  pas une très large audience dans l'opinion publique.
Jean D'Ormesson, peu suspect de sympathies "gauchistes" et moins encore "islamo-gauchistes" n'est pas mieux entendu lorsqu'il déclare : "Il faut lutter chez nous contre les conditions qui expédient au djihad tant de jeunes gens et même des femmes et des enfants"
 
V. Le FN et l'anticapitalisme.
 
MLP renoue volontiers avec l'un des thèmes de l'extrême droite française traditionnelle : l'anticapitalisme. Cela se traduit, en actualisant la prose, par antilibéralisme et lutte contre la mondialisation.
Cet argumentaire de type national-socialiste n'est pas (pour l'instant) susceptible d'attirer vers elle les masses populaires, encore que ses propositions "sociales" et ses critiques d'une bureaucratie tatillonne, de la lourdeur des impôts, ainsi que ses propositions sur les retraites, etc.) puissent convenir à ce qui reste de classe ouvrière, à la partie "basse" de la classe moyenne, et à une petite paysannerie en voie de paupérisation.
S'il n'est pas le plus "porteur" en termes de gains électoraux, du moins ce discours populiste lui assure-t-il de substantiels ralliements : ceux des laissés pour compte de la crise et des politiques libérales menées par l'UMP, et depuis 2012, par un libéral-socialisme entièrement soumis à Bruxelles.
Ce faisant, le discours de MLP peut se trouver en concordance avec celui des doctrinaires d'extrême gauche, ce que ne manquent d'ailleurs pas de relever les détracteurs de ces derniers, à commencer par les caciques de l'UMP.
Le problème, si l'on évoque les précédents avatars du national-socialisme, c'est que la seconde partie du terme a vite disparu au profit de ce que l'on sait.
Soit dit en passant, le terme de "national socialisme" n'est pas destiné à diaboliser l'intéressée comme le ferait un quelconque hiérarque du PS, ou accessoirement de l'UMP. Cela relève simplement du respect du sens des mots ou des réalités qu'ils recouvrent.
Je pourrais, pour être dans la norme de la "bien-disance", employer il est vrai un vocabulaire moins sulfureux, et parler par exemple de "socialisme national" ; mais je ne pense pas que la troupe des adhérents basiques du FN approuve une telle terminologie ; elle "voit rouge" (façon de parler), en effet, dès que le mot "socialisme" est prononcé ou même évoqué.
Observons au passage que seul le discours économique, (voire "socio-économique") et anti-européen de Marine Le Pen la différencie de l'UMP, dont on peut prévoir un éclatement ultérieur. La frange droitière du "Mouvement" est en effet susceptible de pactiser avec Marine le Pen, ou même de rejoindre avec armes et bagages un F.N désormais capable de transformer n'importe quel candidat (même transfuge ou repenti) en .... élu local ou national.
Quant aux troupes de l'UMP, elles sont déjà, pour moitié, acquises aux thèses frontistes ; l'extrême droitisation de Sarkozy a d'ailleurs en ce domaine largement contribué à installer la "porosité" entre les sympathisants respectifs.
 
VI. Le FN et l'Europe
 
Le discours anti-européen de Marine Le Pen, ou du moins le distinguo qu'elle établit entre Europe des États et Europe des Nations est également source de "convergences" assez inattendues.
La défense de la souveraineté nationale contre une Europe des États (États déclarés "vendus" à l'imperium économique et militaro-expansionniste américain), lui procure la sympathie des souverainistes et même d'une partie de la Gauche radicale, qui dénonce à la fois l'assujettissement de l'Europe aux volontés américaines et la politique libérale qui la caractérise.
Observons que le discours d'un FN qui se dit ou se veut "protecteur" des "petits", et respectueux des acquis sociaux, le différencie de l'UMP, mais que son discours anti-européen et anti-euro constitue pour l'UMP, et davantage encore pour les Centristes, une ligne de fracture bien plus évidente.
 
VII. Le FN et la Russie de Poutine
 
Les sympathies avérées de Marine Le Pen et de l'extrême droite française pour la Russie, (qui, je le concède, ne m'affligent pas outre mesure) font pousser des cris d'effraie à ceux qui nous gouvernent, à la presse atlantiste qui domine le paysage français, et aux médias télévisuels ou radiophoniques qui distillent ou orchestrent grossièrement une russophobie cachée derrière le "village Potemkine" de la démocratie.
Ici encore l'extrême gauche, voire la gauche non assujettie à la doxa atlantiste, peuvent "rencontrer" Marine Le Pen dans sa "défense et illustration" du régime russe.
Quelles sont les raisons de l'indulgence manifestée par Marine Le Pen à l'égard de Poutine ?
Elles sont, à mon sens, alimentées à la fois par l'anti-américanisme traditionnel de l'extrême droite française et par les conceptions sociétales affichées par Poutine (préservation des valeurs de la Chrétienté, fût-elle orthodoxe, homophobie "d'État", etc.)
Ces sympathies de Marine Le Pen ne sont apparemment pas "contrariées" par le contexte ukrainien, qui voit, avec l'appui de l'OTAN et de l'Europe Merkelienne, s'installer à Kiev un régime dans lequel des groupes ouvertement nazis ont plus que leurs entrées. Cela constitue, là encore, un signe de "distanciation" par rapport aux thèses "anciennes" du FN.
Il est vrai que, par un renversement dialectique assez paradoxal, les nazis de Kiev sont encouragés et appuyés par les E.U et leurs valets atlantistes européens. Hollande, Fabius et compagnie ne sont d'ailleurs pas les moins dociles de ces "caniches" patentés.  

Publié dans AGORAVOX le 23/03/2015
Jean Maiboroda. 




 



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