II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus

C'est ce que l'on peut découvrir dans une interview de Marjorie Poeydomenge, auteure de Descartes n'était pas Vierge, à propos du lien entre l'astrologie et la philosophie, réalisée par L'action littéraire (Jean-Christophe Grellety). La philosophie grecque a été bien plus puissante que l'on le soupçonne...


La philosophie grecque serait-elle responsable du développement de l'astrologie en Occident ?
Action Littéraire (AL) : Vous avez suivi des études de philosophie. Vous savez que dans cet espace de sens, il y a, depuis les Grecs, une division entre ce qui relève de la «Raison» et de ce qui est hors de, l'opposition, rationnel/irrationnel, et que depuis longtemps l'astrologie est réputée appartenir à l'irrationnel. Comment expliquez-vous ce cheminement intellectuel qui vous a conduit à valider à priori les principes de sens de l'astrologie, puisque vous avez publié cet ouvrage qui fait le portrait des principales figures de l'histoire de la philosophie à l'aune des principes de l'astrologie ?

Marjorie Poeydomenge (MP) : Il est vrai qu’avoir pris la décision de décrire les philosophes par leur signe astrologique est un cheminement intellectuel assez étrange pour une personne attachée à la discipline philosophique et je comprends que cela puisse surprendre ! D’autant plus que je ne suis pas du tout astrologue. En fait, cette idée est née d’un pari que j’avais hasardeusement pris avec un collègue. Il m’avait mis au défi que puisque j’accordais un peu de crédit aux portraits zodiacaux de l’astrologie et que je m’intéressais énormément à la philosophie, de deviner le signe astrologique (solaire) de Kant, Rousseau, Nietzsche etc. D’un point de vue purement statistique, j’avais donc 1 chance sur 12 de « tomber juste ». Et ce fut le cas pour Rousseau (Cancer) et Kant (Taureau). Comment expliquer ce hasard ? Je ne saurais vraiment l’élucider. Mais du coup, cela m’a donné envie d’écrire un livre sur les philosophes et leur signe astrologique. Je me suis dit : pourquoi pas tenter ce pari insolent ?! Certes, complètement en contre-pied du rationalisme pur et dur, mais pouvant également susciter des nouvelles interrogations et proposer des portraits innovants en adéquation avec les portraits zodiacaux connus du grand public. Le projet était stimulant, mais il a fallu énormément d’énergie et de travail pour arriver au bout ! Car il y a très peu de littérature sérieuse sur l’astrologie (mais j’en ai tout de même trouvé, notamment les écrits de Suzel Fuzeau-Braesch) et surtout, il a fallu que j’analyse les théories les plus connues des philosophes pour vérifier si ces dernières coïncidaient avec leur signe astrologique et que je parcoure leur biographie pour tenter de déceler dans leur personnalité des « signes » de leur portrait zodiacal… Au cours de ce travail, même si dans mon livre je n’évoque pas les philosophes grecs (pour la raison toute simple qu’il m’était difficile de m’assurer de leur date de naissance), j’ai été très étonnée de l’influence de la philosophie grecque sur l’astrologie que nous utilisons aujourd’hui. Ainsi pour en revenir à votre question de départ, sur l’opposition entre rationnel et irrationnel, si l’on respecte vraiment l’histoire des idées philosophiques, on devrait connaître (et admettre) le rôle de la philosophie grecque dans la rationalisation de l’astrologie et sa propagation. La philosophie grecque et l’astrologie n’étaient pas à l’époque en opposition. C’est la philosophie grecque qui a contribué à l’idée que l’astrologie pouvait être une « science ». Même les maîtres des mathématiques et de la géométrie comme Pythagore lui ont accordé du crédit et ont favorisé son essor. C’est également Empédocle avec sa théorie des 4 éléments (eau, terre, feu et air) qui a influencé les 4 éléments utilisés en astrologie, et notamment ceux utilisés dans la médecine d’Hippocrate. Mieux encore, c’est Philippe d’Oponte, un disciple de Platon, qui a associé les planètes avec les noms des dieux de la mythologie. Enfin, autre point que j’ai découvert et qui m’a surprise : c’est sous l’influence des stoïciens que les planètes sont devenues des divinités, car l’astrologie allait dans le sens de leur conception de la rigidité du destin. Par conséquent on devrait être sensible à la conclusion de S. Fuzeau-Braesch dans le Que sais-je sur L’astrologie de 1989 : « c’est tout le génie grec scientifique et rationnel qui va induire une nouvelle naissance à la tradition séculaire de l’astrologie chaldéo-babylonienne ». Comment alors prétendre que l’astrologie est à l’origine irrationnelle ? Elle n’est peut-être pas scientifique, mais elle peut être tout à fait rationnelle.

AL : Qu'est-ce que pour vous l'astrologie ?

MP : C’est avant tout une grille de portraits psychologiques, représentée par les 12 signes du Zodiaque. Je ne suis pas du tout intéressée par son côté prédictif et n’apprécie pas le concept de « voyance » qui ne fait qu’aliéner notre liberté et nous donner des mauvaises excuses pour ne pas agir ou ne pas se remettre en question. Ce sont les prédictions qui ont le plus desservi l’astrologie. Prédire le futur dérange car il remet en cause l’idée d’un libre-arbitre. Maintenant, nous pouvons admettre qu’il y ait des influences, mais ces influences ne déterminent pas, là est la nuance, pour couper avec le côté sectaire de l’ésotérisme fataliste. L’astrologie est plus proche d’une météorologie que d’une boule de cristal. D’ailleurs, c’est ainsi que la majorité des gens la conçoivent, à travers l’horoscope du journal, qui est né au départ dans la presse américaine et qui a été popularisé en France dans les années 30. L’horoscope est alors entré dans les mythologies de Roland Barthes. L’horoscope n’est pas du tout perçu comme une science, mais les portraits zodiacaux intriguent et suscitent des interrogations. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’au cours d’un dîner ou d’une conversation professionnelle, votre interlocuteur puisse vous demander votre signe astrologique. En dehors de cette vulgarisation des horoscopes qui est certes amusante et légère mais qui n’a au fond aucune crédibilité, j’ai pu découvrir dans mes recherches un univers de l’astrologie bien plus subtil que les caricatures populaires que nous en avons. Rappelons que l’astrologie est née de l’émerveillement des Hommes face au ciel nocturne. Et l’émerveillement, n’est-il pas le point de départ de toute démarche philosophique ? Si l’on réfléchit bien à l’apport de l’astrologie, celle-ci a créé un ordre du temps. Notre calendrier est lié à cette conception du temps. D’ailleurs, il est important pour tout être humain de domestiquer le temps. Notre calendrier est divisé en 12 mois (chiffre 12 qui rappelle le nombre des signes du Zodiaque), qui sont eux-mêmes découpés en semaine de 7 jours, correspondant à une phase de lune. Ainsi, la notion de semaine est liée aux phases lunaires. Les noms des jours de nos semaines tirent leur origine d’un dieu planétaire (Lundi-Lune, Mardi-Mars, Mercredi-Mercure etc.). L’astrologie occidentale (qui dérive en fait de l’astrologie grecque) se fonde uniquement sur le système solaire, appelée « le zodiaque tropical ». Du reste, j’en profite pour faire un petit clin d’œil à l’actualité de ces derniers mois qui a bien « buzzé » dans la presse, depuis l’article de Robert Roy Britt dans Live Science, que tous les signes du Zodiaque seraient faux à cause de la précession des équinoxes. Sans entrer dans le débat de savoir si l’astrologie sidérale (qui définit les signes du zodiaque par rapport à la position des vraies constellations) est plus authentique que l’astrologie tropicale (celle que nous utilisons en Occident, 12 signes égaux de 30°), cette soi-disant découverte est loin d’être une nouveauté ! La précession des équinoxes qui fait bouger la position des constellations avait déjà été découverte II siècles avant J-C par Hipparque, astronome grec ! Il est vrai que l’astrologie a dû mal à gagner en crédibilité, mais si en plus la presse scientifique fait passer pour des découvertes des phénomènes qui ont été découverts des siècles avant J-C, on ne peut pas dire que nous soyons complètement objectifs et neutres vis à vis de cette discipline qui date de 5000 ans ! Un peu de sérieux ne ferait pas de mal, même chez les plus rationnels d’entre nous. Et comme dirait Claude Levi-Strauss, « L’astrologie a été un grand système, car elle a aidé l’homme à penser pendant des millénaires ». Ainsi, un peu de respect pour nos ancêtres n’est pas complètement à proscrire.



(Pour information et les astrophiles, c’est bel et bien l’astrologie tropicale que j’ai utilisée dans mon livre comme grille de référence ainsi que le signe solaire, n’en déplaise à Françoise Hardy… Car ce que me reproche F. Hardy, le fait de n’avoir utilisé que le signe solaire comme grille de classification des philosophes, notre chanteuse-astrologue ne se l’est pas appliqué à elle-même, notamment dans son livre Les rythmes du Zodiaque où elle utilise surtout le signe solaire de personnes célèbres. Ainsi, nul n’est parfait…)



AL : Depuis la Renaissance, les intellectuels européens ont construit l'idée de l'identité d'un sujet humain qui est, en son cœur même, «libre». Depuis, des études dans des disciplines diverses ont révélé des couches de conditionnement et de détermination, à des degrés divers. Bref, le sujet humain, «libre», est sous influence, multiple. C'est bien ce que vous nous expliquez à propos de ces «philosophes» que vous dépossédez d'une part de leur volonté et intelligence, puisqu'ils veulent s'attribuer tout. Placer la pensée sous la domination d'influences cosmiques comme physiques, est-ce que vous pensez que les professeurs de philosophie peuvent vous entendre et vous comprendre ?

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Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 5 Avril 2011 à 08:32 | Commentaires (0)

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Marjorie Rafécas
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.




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