FRANCOISE C.*

05/05/2008

Mots à insérer : amitié : ardeur, allumer; moiteur, moralité; indice, ironique; travail, télévision; institut, invisible; éphémère, étude.
jokers : pluie, au, avec.




Quel pays émergent? Quelle ville de ce pays? Le sait-il seulement , Alexandro, où est installée la zone dans laquelle il vit?
Etudes brillantes dans un institut international, uniforme classique qu'il porte avec désinvolture, une belle maison, tous les accessoires nécessaires pour travailler, jouer sur des claviers virtuels, et aussi une mère prévenante et affectueuse, un père qui essaie de tenir son rôle, pas de fausse note à dénoncer seulement un malaise indéfinissable entre eux, mais encore une poignées de camarades pour amitié, jeux et sorties à l'abri des murs et des caméras de surveillance, des gardiens qui patrouillent, se font discrets croient-ils, de telle sorte qu'on ne voit qu'eux et leur façon de poser les limites, de les refouler s'ils s'aventurent aux limites de la zone.
Il a l'air de trouver sa vie réussie mais comment interpréter le regard soudain fixe, sourire ébauché qu'il porte sur son environnement?
Une pluie torrentielle s'est abattue sur le secteur, on a l'impression qu'il faut se frayer un chemin à travers la moiteur d'un rideau épais et pourtant impalpable. Le ciel se déchaîne, des gouttes épaisses cinglent les passants de la zone qui se hâtent vers leurs foyers. Des rafales de vent indice sept à huit s'engouffrent dans les jardins les plus impeccables , secouent le vieil autobus arrêté juste derrière le mur et éteignent quelques secondes ou de plus longues minutes les caméras au dessus du mur d'enceinte et de sa couronne de barbelés. Une bourrasque plus violente et les supports d'un lourd panneau sont arrachés du sol et tombent à l'intérieur du mur d'enceinte, déactivant le circuit de surveillance. Branle bas de part et d'autre; trois jeunes adolescents du bidonville se ruent hors du bus et, avec une ardeur décuplée par l'impulsion désespérée qui les a poussés à se lancer dans cette folle aventure, courent le long des supports couchés au dessus du mur, sautent dans un jardin, cherchent à crocheter une première porte, s'introduisent de jardins en jardins, de vérandas en vérandas à la recherche d'une entrée à forcer; les vigiles ont tôt fait de rétablir les circuits, d'appeler les hommes les plus influents de la zone; ceux-ci se précipitent fusils et pistolets aux poings. Deux des jeunes adolescents tombent mortellement atteints, sans sommation, le troisième reste introuvable malgré toutes les caméras réactivées et les patrouilles avec chiens qui sillonnent la zone. Les copains d'Alexandro proposent d'organiser leur propre circuit de chasse mais son père le contraint à rentrer avec lui. Sous la pression de son épouse, lui-même restera dans la cuisine, relié par téléphone au groupe des poursuivants. L'atmosphère s'alourdit de tout ce qui plombe chaque instant de leur vie actuelle. Alexandro éteint la télévision qu'il n'avait allumée que pour s'en évader fusse pour un temps éphémère. Porter un regard distancié, ironique ou réprobateur sur cette chasse à l'homme inconcevable, sur le refus de ces hommes de prévenir les forces de police et la décision de faire justice eux-mêmes, citoyens aux plus hautes responsabilités sociales, à la moralité imaginée sans faille,quel désarroi! Quelle nécessité aussi pour comprendre comment lui, en son âme et conscience, doit réagir pour lui-même, pour la relation à ses parents, à ses amis, à l'ensemble des êtres humains auxquels il n'avait guère pensé avant cette tragique soirée. Il a besoin d'être seul. Il descend au garage par l'escalier intérieur, veut mettre de l'ordre dans le fatras de son matériel sportif et découvre le troisième garçon accroupi derrière les étagères. Un garçon comme lui, certes plus brun, plus sale, plus mal habillé mais fierté et appréhension muette soutiennent son regard, ne quémandent rien.
« Tu as faim? » s'entend-il demander. L'autre répond d'un battement de paupières. Alexandro remonte, Julio n'est pas inquiet, il a lu dans les yeux d'Alexandro qu'il ne dirait rien là-haut. Il faudra s'expliquer, se parler, se convaincre mutuellement, chercher uns solution qui confirme à chacun sa dignité d'homme. Ni l'école de la rue, ni l'école supérieure, ni les préceptes éducatifs ni les exemples parentaux ne les aideront dans cette recherche. Pourtant dès ce premier instant, ils savent l'un comme l'autre qu'ils doivent mener à bien cette tâche pour devenir les adultes qu'ils veulent être.


Françoise pour le 5 mai 2008...




Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 05/05/2008 à 19:49