VALERIE

Mots à insérer : parfum, parasite, papillon, artiste, arôme, regard, rébus, facile, urine, uranus, ultime, momie, musique. Jokers : paradis, rose, vierge.

Mots à insérer : électrique, érotisme, sommeil, souci, satin, tambour, terre, tissu, visite, valise, valeur, irrésistible, insoumis, illico, imagination. Jokers : jaune, jour, rouge.

Mots à insérer : volcan, vertige, velours, ouragan, orage, lien, lumière, cuir, caprice, art, antenne, nirvana . Jokers : an, silence, nuit.

Mots à insérer : changer, curiosité, calice, hantise, humeur, attention, antérieur, nuée, nature, goujat, grelot, envie, écho, retour, rien. Jokers : jaune, sourire, oiseau.








J’ai déposé ma Mercedes cabriolet chez mon concessionnaire pour la révision des 50000 kms. On m’a dit qu’elle serait prête sous 48 heures et j’ai hélé, le cœur léger, un taxi pour me rendre chez Fauchon et y acheter quelques provisions de bouche ainsi qu’un coffret de chocolats fins que je déposerai demain chez la concierge de mon immeuble, sur l’Ile Saint Louis. Cette charmante jeune femme m ‘avait gentiment dépannée quelques jours plus tôt alors que j’avais oublié mes clés chez Sylvain. Elle avait ouvert la porte de mon duplex de 310 m2 dont elle dispose du double des clés. Ah, Sylvain ! Ses mains, sa bouche, son corps me rendent folle et je perds tout self-control lorsqu’ après une ou deux coupes de cuvée grand siècle de Don Pérignon, il se penche vers moi et m’embrasse dans le cou. Ce soir-là, c’est peut-être en raison de la guêpière Chantal Thomass qu’il m’avait offerte et demandé de porter lors de nos ébats plus fous qu’à l’accoutumée que j’ai oublié mon trousseau de clés chez lui avant de rentrer à mon domicile, et, sans Viviane, notre charmante concierge, j’aurais dû faire appel à un serrurier qui aurait dû intervenir un samedi à 4 heures du matin… Je ne vous parle pas des désagréments et surtout de la gène que cela n’aurait pas manqué d’occasionner pour moi. Monsieur de la Vigne Sainte Suzanne de Pomerand de Grand Val, notre voisin, aurait très certainement été réveillé et aurait tout aussi probablement, dès son retour, informé mon mari de ce fâcheux incident que j’aurais eu bien du mal à lui expliquer. Pauvre Charles Edouard, il est bien naïf et prêt à croire toutes les énormités que mon imagination débordante s’ingénue à lui distiller mais j’aurais eu scrupule à inventer une histoire saugrenue qu’il aurait cru et qui m’aurait définitivement fait perdre le peu d’estime que je lui porte encore…

Cette gentille Viviane que j’ai sortie de son lit à une heure indue aura bien mérité ses chocolats suisses. Certes, j’aurais pu lui faire livrer un joli bouquet ou lui glisser un billet dans la main mais les chocolats dureront plus longtemps… Ils se transformeront en bourrelets adipeux sur son ventre et en rondeurs disgracieuses sur ses hanches et ses cuisses, ravissantes par ailleurs, mais qui me rendent terriblement jalouse, moi qui, après 2 interventions chirurgicales dans une clinique réputée du XVI° ai un corps qui en fait se retourner plus d’un sur mon passage mais supporte de plus en plus mal la concurrence de jeunes petites écervelées qui ne font aucun effort pour conserver une taille de guêpe et des jambes de gazelles : fines et musclées, fermes et terriblement sexy… Heureusement que ses goûts et très certainement aussi ses moyens financiers, ne lui permettent pas de mettre son corps de rêve en avant et d’en tirer un parti avantageux…

Ce matin, Charles Edouard est parti très tôt. Un avion à prendre à 8 heures pour l’Afrique du Sud où on lui propose un lot de diamants d’une pureté exceptionnelle, m’a-t-il dit. Comme tous ces détails réalistes me tuent ! J’aurais dû épouser un artiste, un poète qui m’aurait fait voyager avec lui en m’épargnant les décalages horaires, la fatigue, les ridules et les cernes que cela occasionne toujours.
J’avais prévu un après midi shopping après un brunch préparé par notre bonne Annie et quelques soins en institut, mais lorsque je demande à Annie de m’appeler un taxi (je vous rappelle que ma Mercedes est au garage et que la BMW de Charles Edouard est à Roissy), elle m’apprend que les taxis sont exceptionnellement en grève pour une raison qui m’échappe. J’accepte à contre cœur de tirer un trait sur les boutiques Hermès, Chanel, Dior et Yves Saint Laurent, mais je me refuse à passer la soirée seule ici alors que Jean-Marc m’avait conviée chez lui pour un bain de minuit dans son jacuzzi. J’étais sensée le retrouver à 21 heures chez lui. Comment faire ? Il faut que je m’organise. Je ne vais tout de même pas emprunter le scooter de Michel-Antoine, le fils de Charles Edouard, actuellement au Canada pour un stage dans une compagnie de commerce international. D’ailleurs, avec un casque sur la tête, mon brushing serait de toutes façons fichu ! J’abandonne cette première idée. Je téléphone chez Hertz pour louer un véhicule de remplacement… trop tard, il ne leur reste que des Kangoos et ça, non merci… c’est au dessus de mes forces ! Je ne peux demander à Jean-Marc de venir me chercher : il déteste conduire dans Paris… Je me contrains à l’idée qu’il va me falloir prendre le métro, pour la première fois de ma vie ! Annie me prête son plan de la RATP en ouvrant des yeux comme des soucoupes et avec un sourire qui me paraît un peu narquois. Je n’ai pas le temps de relever ni de lui décocher une remarque cinglante pour la remettre à sa place. Pour la première fois, j’ai besoin d’elle pour autre chose que de passer la serpillière, de faire du repassage, préparer mes repas ou cirer mes chaussures et elle me fait sentir que je suis bien mal armée pour prendre le métro seule, un jour où l’affluence sera très certainement exceptionnelle, eu égard à la grève dont j’ai parlé plus haut. Ce n’est pas une raison pour essayer de copiner avec moi… Voyez-vous, Annie, on ne mélange pas les torchons et les serviettes, chez moi. Merci pour votre plan. Vous pouvez disposer et retourner à vos occupations. Vous serez aimable de bien vouloir sortir ma montre Gucci et ma parure Cartier. Oui… boucles d’oreilles, bague, collier et bracelet. Vous êtes gentille… Me voilà seule. Je vais pouvoir mettre ma stratégie au point. J’étudie le trajet : 6 stations. Un changement. 2 autres stations. Combien de temps cela pourra-t-il me prendre ? Tablons sur ½ heure. Tout se passe parfaitement bien. Je fais venir ma coiffeuse et mon esthéticienne à domicile . Elles sont simples, jeunes et débrouillardes. Une grève des chauffeurs de taxi ne les affecte en aucune façon. Annie me rapporte la robe Givenchy que j’avais déposée au pressing la semaine dernière et que j’envisage de porter ce soir. Je suis fin prête. Mon reflet dans le psyché de ma chambre me plaît. Je donne congé à Annie qui me regarde comme si elle me découvrait pour la première fois. Il me semble que ma tenue lui plaît à elle aussi et que son regard exprime une jalousie à peine dissimulée. Je m’en fous un peu : pourvu que je plaise à Jean-Marc, le reste du monde peut bien s’écrouler…

Je prends mes clés, ferme l’appartement. Descends dans l’ascenseur feutré de l’immeuble et me retrouve dehors. Il est 20H30. Dans une ½ heure, je me vautrerai dans les bulles du jacuzzi de Jean-Marc et me laisserai aller dans ses bras, sous ses caresses. Je marche vite, en direction de la station de métro la plus proche. Ce doit être ça : cette longue enfilade de marches grises s’enfonçant dans la terre. De chaque côté, des gens me doublent en courant presque, menaçant de me faire perdre l’équilibre et de me faire vaciller. Le monsieur devant moi ne prend pas la peine de maintenir la porte pour me permettre d’entrer derrière lui. Elle se referme brutalement et je ne parviens pas à l’ouvrir à nouveau : elle fait un poids terrible. A côté de moi, les gens continuent à s’engouffrer dans la bouche de métro qui semble les avaler sans difficulté. J’en arrive à me demander s’il n’y a pas une formule magique à prononcer ou un billet magnétique à porter sur soi pour déclencher l’ouverture qui se verrouille lorsqu’on ne porte pas son titre de transport. J’entends bougonner derrière moi : c’est un homme qui a manifestement hâte de rentrer chez lui. C’est bien sa veine : il tombe toujours sur des illuminées de service qui mettent une plombe à pousser une putain de porte. Il se demande si j’ai les mains palmées ou si j’envisage de lui faire passer la nuit ici. Finalement, écoeuré par tant de maladresses, il décide de passer par la porte d’à côté, me laissant batailler encore quelques secondes…

Avant que la porte qu’il a réussi a ouvrir par je ne sais quel miracle ne se referme, je me faufile derrière lui. Il doit disposer d’une force titanesque. Enfin, je suis entrée !!! Un courrant d’air d’une force inouïe semble vouloir me recracher. Je lutte et suis soudain saisie par une forte odeur d’urine qui me saute à la gorge et me fait suffoquer. Ca sent la sueur et la crasse. C’est affreux !!!! Ici, l’expression « nettoyage de printemps » ne semble avoir aucun sens. « nettoyage de la décennie ou du siècle » serait plus approprié. De part et d’autre du couloir interminable, je découvre des publicités immenses vantant les vertus d’un parfum pour hommes. Les affiches sont comme des messages présentant les différentes étapes d’une rencontre un peu magique. L’homme , viril, qui porte cette fragrance voit une belle femme, fine et sensuelle se retourner sur son passage, le dévorer du regard et se jeter dans ses bras. Quelques mètres et une affiche plus loin, les deux protagonistes sont mariés, épanouis et entourés de deux charmants bambins. Le résumé est rapide, percutant, efficace. Il ne me convainc toutefois pas. Je suis persuadée que ce parfum de pacotille, cette eau de toilette vendue en grande surface, me donnerait la nausée, comme cette femme que je découvre un peu plus loin, avachie par terre, une petite fille de 4 ans environ à ses côtés et un bébé qu’elle allaite encore dans les bras. Elle tend vers moi une main décharnée, sale et me jette un regard de chien battu. Je n’ai pas de monnaie sur moi. Et même si j’en avais eu, je n’aurais rien donné de peur d’attraper une micro bactérie qui aurait pu me refiler la lèpre ou des parasites dermatologiques source de mycoses et autres problèmes cutanés peu ragoûtants. Je ne peux m’empêcher d’adopter un rictus de dégoût en la dépassant. Elle baragouine un truc que bien sûr je ne comprends pas. Elle doit être tchétchène ou roumaine ou peut-être marocaine ? Je n’ai jamais été très forte en physionomie et tout cela ne m’intéresse pas…

J’arrive enfin au bout du couloir. Au guichet, j’achète un ticket que j’introduis dans la machine qui l’avale et le recrache, affranchi. Je passe le tourniquet et pousse un hurlement : un homme qui lui non plus n’a pas le faciès français se colle à moi brutalement pour passer en même temps que moi. Il disparaît en courant. Je me tourne vers l’homme qui m’a vendu mon billet et devant qui la scène vient de se dérouler. Je pensais qu’il allait sortir de son échoppe pour arrêter le contrebandier, lui demander de lui présenter son titre de transport et lui dresser un procès verbal. J’imaginais qu’il allait lancer un avis de recherche auprès de ses collègues pour que ce voleur soit arrêté. Il n’en fait rien. Il ne lève même pas les yeux du journal qu’il vient d’ouvrir et se fout manifestement magistralement de l’agression que je viens de subir. Un peu secouée, je reprends un couloir, monte et descends quelques escaliers. L’odeur pestilentielle me poursuit. Enfin, je me retrouve sur le quai. Un métro arrive, s’arrête. Les portes s’ouvrent. Je laisse descendre un groupe d’enfants qui me bousculent en sortant. Je les observent partir en courant. Ils rient bruyamment. Je m’assieds sur le seul strapontin libre. J’ai rarement vécu des moments aussi pénibles. Il ne s’est écoulé que 10 minutes depuis que j’ai quitté mon domicile. J’ai pourtant l’impression d’avoir passé 3 heures dans cette atmosphère chaude, humide et nauséabonde. Je sens mon maquillage couler et la transpiration perler sous mes aisselles. J’ai le sentiment d’avoir changé de planète, d’avoir perdu tous mes repères. On doit être arrivé sur Uranus ? Non, ce n’est que la station des Halles. Plusieurs dizaines de personnes montent dans notre wagon. Je me lève, mon siège se rabat et des gens se pressent contre moi de tous les côtés. Je peux à peine respirer. Je sens leur souffle contre ma joue, leur haleine fétide me fait tourner de l’œil . J’ai l’impression d’être une momie qu’on aurait ficelée comme une paupiette. Je suis arrivée. Je sors. Je dois changer de direction et me retrouve dans une rame plus vétuste que la première. Des graffiti partout, des sièges éventrés. A la station suivante, un jeune homme aux cheveux crasseux nous rejoint. Il se présente comme un artiste dans le besoin. Il nous fait subir une musique déjantée. Sa vois éraillée est un vrai supplice pour des oreilles non initiées. Il me reste un ultime arrêt. Le wagon est presque désert. Je m’assieds , ouvre mon Vuitton et prends une pastille Valda arôme citron pour essayer de me ressaisir. Merde ! Mon porte feuilles a disparu… Ce cauchemar ne finira donc jamais…

Exténuée, je me mets à pleurer. Mon rimmel coule, mon nez aussi et pas de kleenex ! Enfin, je suis arrivée !!! Je sors en courant : j’ai besoin de me retrouver à l’air libre, j’étouffe. Dans ma précipitation, mon talon se coince dans la grille de la bouche d’aération. Je me tords le pied. Je tombe… J’ai cassé ma chaussure et deux de mes ongles si joliment manucurés , mon collant est filé. Les paumes de mes mains et mes genoux saignent. J’ai trop d’amour propre pour appeler Jean-Marc. Je ne veux pas qu’il me voit dans cet état là. Je sors mon portable et j’appelle Annie pour qu’elle vienne à mon secours. Je tombe sur sa messagerie. Elle doit être en train de torcher ses mioches. Je raccroche, sans laisser de message. Je ne connais personne à part Monsieur de la Vigne Sainte Suzanne…
Ce n’est pas facile, mais je compose son numéro . Je hoquète comme une enfant, il comprend à peine ce que je lui demande. Pourtant, il arrive, rapidement, et me fait monter dans sa Jaguar, d’un air suspicieux et réprobateur. Sur le trajet, il essaie de me rassurer, il dédramatise les épisodes pénibles que je viens de vivre et me propose un rébus, pour me faire sourire et me redonner le moral, me dit-il. Lui qui aime tant me voir gaie et épanouie. Si cela pouvait lui permettre de ne plus me poser de questions trop personnelles auxquelles je ne peux me résoudre à répondre, malgré l’empathie qu’il semble éprouver pour moi… Il a vu que je n’étais pas très à l’aise et que j’avais du mal à expliquer ma présence à cet endroit, à cette heure-là, seule.

-« Mon 1er est le synonyme affectueux de grand-père
et mon 2° est un atome porteur d’une charge électrique positive ou négative.

Mon tout est un animal sans défense auquel vous me faites penser ce soir, Madame ! Un papillon fragile qui s’est brûlé les ailes à vouloir approcher le plaisir et la futilité de trop près. »
Il a tout compris. Va-t-il parler à Charles Edouard ? Ce vieux con me regarde d’un air entendu et pose une main sur ma cuisse comme pour sceller notre nouvelle complicité. Puis il remonte ma jupe et écarte mes jambes pour y glisser ses doigts. Je saisis son poignet fermement, le fixe avec insistance, comme pour lui faire entendre raison :
-« Vous vous égarez, Monsieur de la Vigne Sainte…
-Nullement, chère Madame. Je suppose que votre mari serait contrarié d’apprendre que sa douce et tendre épouse le trompe régulièrement avec des hommes qu’elle rejoint en fin de soirée dès qu’il a le dos tourné. Je m’engage à ne lui révéler aucun de vos écarts extra conjugaux à condition de me laisser profiter moi aussi de votre peau douce et délicatement parfumée. »
Je ferme les yeux pour tenter de retenir le flot de larmes, de contenir la vague de dégoût qui me submerge, en vain. Mes mâchoires se crispent lorsqu’elles sentent sa langue dure heurter mes lèvres et les obliger à desserrer leur étreinte. Cette langue maladroite, rapide, me fait l’effet d’un tsunami : elle ravage tout en moi. Ma fierté s’envole, mon amour propre est englouti, ma dignité, détruite. Et moi, je ne peux rien contre cet élan ravageur, alors je m’abandonne en l’entendant me traiter de sale pute, de garce, de salope et je l’observe, sans pouvoir réagir, déchirer mes vêtements et s’introduire brusquement en moi . Mes poings se ferment pour lutter. Mais à quoi bon ? Tenter de me défendre, pourquoi donc ? Il est plus grand, il est plus fort et ça ne ferait que retarder la fin du calvaire que j’espère au contraire la plus proche possible… Et puis, ça ne ferait qu’attiser son appétit qui semble s’accroître à mesure que je me débats, que je lui crie, que je le supplie, que je l’implore d’arrêter… Après quelques mouvements de va et vient douloureux qui ne semblent jamais vouloir s’arrêter, il pousse un râle effrayant qui me signifie que c’est fini, qu’il a enfin éjaculé et que mon enfer est terminé. Pendant qu’il se rhabille, je sors de son véhicule, rajuste mes vêtements et me dirige vers l’entrée de service de notre immeuble. En passant la main sur ma jupe entre mes jambes, je tente d’essuyer le liquide visqueux qui glisse entre mes cuisses. Je referme mon imper et monte jusqu’à mon appartement. Je me sens sale et laide. Pourtant, en fermant la porte derrière moi, je réalise que dans ce havre de paix, dans ce paradis rose, vierge de toute saleté, de toute misère, de toute souffrance, de tout problème, je vais déjà mieux. Je ne veux plus te quitter, Charles Edouard. La vie que tu me proposes est certes un peu monotone et sans surprise, mais elle est belle, éclatante, confortable. Et c’est la seule que j’aime. C ‘est celle dont j »ai toujours rêvée. Les autres ne sont pas capables de me protéger et je ne veux plus te quitter Charles Edouard, même un jour, même une heure. C’est toi que j’aime et que je considère comme mon héros. Vivement que tu rentres. Ton absence me tue, elle me ronge, elle me détruit. Je me fais couler un bain et j’attends ton retour. Nous déménagerons, tu m’emmèneras loin de cette grisaille ambiante, loin de tous les périls qui me guettent ici.
Le téléphone sonne. Ce doit être Jean-Marc qui s’inquiète de mon retard. Je ne décroche pas.


Le répondeur n’est pas branché. Après neuf sonneries, le calme revient dans l’appartement.
Je me glisse dans mon bain. La caresse voluptueuse de l’eau et la douceur de la mousse sur mon corps me détendent, me délassent. Je ferme les yeux. Et si tout cela n’était qu’un mauvais rêve ? Au même moment, j’entends la porte de l’appartement du dessous claquer bruyamment. C’est Monsieur « de la Pine… » comme j’aurais envie de l’appeler maintenant qui rentre. Le seul souvenir de sa brutalité perverse me glace, me fait l’effet d’une décharge électrique. Mon cœur se met à battre la chamade. Il résonne dans ma tête au point de la faire exploser. Telle une automate, je me dirige vers l’armoire à pharmacie pour y prendre un calmant. J’avale deux Lexomil et, exténuée, me glisse dans de jolis draps en soie jaune. Mais le sommeil ne vient pas. Lorsqu’il m’emporte enfin, il me semble apercevoir le jour qui pointe déjà.

J’ignore l’heure qu’il est quand je me réveille en sursaut. On tambourine à ma porte avec insistance. Mon Dieu ! Et si c’était de la Vigne qui me rendait visite pour réclamer son dû. Et s’il prenait l’habitude de monter tous les jours sans que je ne puisse rien faire, rien dire, ni offrir aucune résistance ? Les pilules que j’ai avalées la veille m’ont ensuquée. J’ouvre les yeux avec difficulté et me lève en titubant.

- Qui est là ? dis-je d’une voix terrorisée.
- Et bien, mais c’est moi, ma chérie ! Qui veux-tu donc que ça soit ?

Charles Edouard ! Enfin ! J’ouvre la porte rapidement. Il est là, irrésistible dans le costume de lin Hugo Boss vert kaki que je lui ai offert dernièrement et qui lui va si bien. Il sourit avec amour et assurance, sa valise à ses pieds, un énorme bouquet de fleurs dans les bras : des roses rouges, mes préférées ! Mon amour !
Je fais un pas vers lui mais le sol se dérobe sous mes pieds et je tombe à terre, inanimée. Quand je reprends mes esprits, il est là et me sourit, malgré son air soucieux. Il m’interroge. Il m’embrasse. Il m’enlace. Ses gestes sont naturellement empreints d’érotisme : il est attentionné, appliqué, amoureux. Et soudain, une évidence m’apparaît. Comme c’est beau un homme amoureux ! Pourquoi ai-je jusqu’à présent considéré Charles Edouard comme un type bedonnant, peu séduisant, presque ridicule ? Pourquoi lui ai-je toujours préféré des hommes insoumis, libres, rebelles ? Des hommes jeunes et beaux comme on en voit dans tous les magasines féminins (je ne dois donc pas être la seule à réagir comme cela…) mais tellement superficiels et égoïstes qu’ils ne m’ont offert qu’un plaisir fugace qu’ils m’ont par ailleurs chèrement fait payer en me faisant souffrir –sans même probablement s’en rendre compte- parce que j’attendais d’eux quelque chose qu’ils étaient incapables de me donner : un peu d’amour, d’attention et un minimum de respect –3 valeurs dont ils n’avaient très certainement jamais entendu parlé… ou plutôt si, dans les contes de fées qu’ils trouvaient déjà ringards à l’âge de 5 ans !!!

- Charles Edouard, il faut que nous partions…
- Siffle moi, je te suivrais illico jusqu’en enfer, ma douce ! dit-il en dégrafant ma nuisette en satin et en faisant glisser le tissu sur mon épaule.
- Je suis sérieuse…
- T’ai-je jamais refusé quelque chose ?
Non, Charles Edouard. C’est pourquoi je t’ai trouvé grotesque un moment mais c’est pourquoi je t’aime tant aujourd’hui !

Dès le lendemain, notre appartement était mis en vente dans une agence immobilière de l’Ile Saint Louis et nous prospections sur internet pour trouver un moulin en Sologne.
Je ne pouvais bien sûr pas imaginer que certaines personnes se comportent comme des fauves et refusent d’abandonner leur proie aussi facilement. Je ne pouvais pas prévoir que Monsieur de la Vigne Sainte Suzanne de Pomerand de Grand Val serait de celles-là et que les quelques 150 kms que j’allais mettre entre lui et moi ne seraient pas suffisants pour me protéger de cet animal qui allait muter en hyène pour arriver à ses fins, lui qui avait décider de m’achever.


Il n’y eu pas de moulin en Sologne. Ceux que nous avons visités étaient trop humides, trop bruyants ou trop vétustes. Charles Edouard proposa que nous nous installâmes en Auvergne pour nous rapprocher de sa maman qui avait fui Paris en raison de ses problèmes d’asthme récurrent. Depuis une dizaine d’années, elle vivait à Vichy et passait plusieurs week-ends par an aux Monts d’Or ou dans le parc régional des volcans où elle participait à des randonnées pédestres avec le club des retraités de sa ville. Elle prenait des photos de cratères époustouflantes à l’aide de son téléphone portable et nous envoyait par mail en direct ou presque les clichés qu’elle avait pris accompagnés de commentaires enrichissants pour moi qui n’avais jamais mis les pieds ni en Haute Loire, ni dans le Puy de Dôme. De là à aller la rejoindre… La région ne me semblait pas présenter beaucoup d’autres attraits. Mais l’objectif n’était-il pas de mettre le plus de distance possible entre de la Vigne Sainte Suzanne et moi ? De rompre tout lien, toute relation avec ce bonhomme dont le nom seul me donnait la chair de poule, la nausée, le vertige, dont le son de la voix déclenchait en moi un ouragan de colère et dont la vue occasionnait un trouble, une agitation et une perturbation tels que si la foudre m’était tombée dessus ou si j’avais été prise au milieu d’un orage, mon corps n’aurait pas été plus secoué, ni, paradoxalement, plus paralysé. Ce n’était donc pas le moment de faire des caprices parce que j’aurais préféré Nice, Cannes ou même Biarritz à Vichy. Belle maman me donnait la possibilité de m’échapper de Paris et de la menace que représentait mon plus proche voisin et je lui en étais infiniment reconnaissante.

Charles Edouard s’occupa de tout. Comme à l’accoutumée, il agissait avec efficacité, autorité même, mais paraissait toujours aussi affable, bienveillant, courtois, aimable, disponible : « une main de fer dans un gant de velours ! » Un vrai héros. Le boss. Le diamantaire dont j’étais tombée amoureuse et qui m’époustouflait dix ans après notre mariage. Dix ans !? Notre union, je m’en rendais compte aujourd’hui, avait correspondu avec le départ de belle maman vers le centre de la France. J’espère que les allergies qu’elle avait évoquées pour expliquer son brusque déménagement n’étaient pas dues à mon installation récente chez son fils… Je paniquais un peu à l’idée de devoir soudain la côtoyer de si près alors qu’en une décennie, nous avions à peine échangé quelques mots et n’avions pas eu l’occasion de développer une réelle relation ni, a fortiori, d’atomes crochus. Charles Edouard me rassura et m’installa dans une belle maison de maître à Vichy –lumineuse, calme et spacieuse- et il m’offrit de la décorer et de la meubler selon mes désirs. Je fis tout d’abord installer à l’arrière de la propriété une antenne parabolique –oh ! pas parce que je regarde énormément la télévision, non, mais parce que c’était le moyen le plus aisé pour moi de caser le mot « antenne » qu’il fallait bien que j’insère quelque part !! De son côté, il fit deux ou trois déplacements pour régler la vente de l’appartement et organiser le déménagement des meubles que nous ne souhaitions pas conserver et déposer les autres à Drouot pour qu’ils soient vendus aux enchères en même temps que d’autres objets d’art dont je désirais me séparer.

Pendant ces quelques mois, je vécus un bonheur intense, parfait, total : j’étais dans un état de joie constante, absolue. Je baignais dans le nirvana le plus complet. Ce furent, sans aucun doute, les moments les plus heureux de ma vie ! Il me semblait avoir rajeuni. Je retrouvais les sensations que j’avais éprouvées, lorsqu’à 26 ans, je bâtissais notre nid douillet à Paris. Je savourais ces instants précieux qui nous rapprochaient l’un de l’autre, nous faisaient échanger nos points de vue et partager nos opinions. Notre couple en sortit grandi, mûri, épanoui intellectuellement et, étrangement, sexuellement aussi. Dans le silence de la nuit, nos corps s’appelaient, nos mains se rapprochaient, nos peaux se frôlaient, nos bouches se cherchaient, nos souffles se répondaient. Je gémissais sous les caresses exquises que ses doigts m’offraient. Il disparaissait dans mon sexe qui l’aspirait. Mes jambes le retenaient et nous jouissions souvent, sans retenue. Sous mon corps, la terre tremblait, elle se dérobait. Je m’accrochais au sien pour reprendre pied, ou pour simplement reprendre ma respiration.

Je n’avais plus besoin ni de cuir, ni de dentelle, comme avec Sylvain pour faire monter le désir. Je n’avais pas besoin de simuler pour crier, comme avec Jean-Marc. Là. Il touchait simplement le point sensible, en douceur et je m’évadais dans les méandres du plaisir où il me rejoignait bientôt.

Belle maman était inscrite au Rotary, elle participait à des tournois de bridge, faisait du golf et partait régulièrement en randonnée avec ses amis. Elle ne semblait pas rechercher notre compagnie trop souvent… Tout se passait donc magnifiquement bien. Ca a duré un peu moins d’un an.

Jusqu’à ce matin humide et triste de mars où, grelottant de froid, j’étais sortie dans le jardin pour y cueillir quelques fleurs qui auraient pu égayer la grisaille ambiante de la maison ce jour-là : une fois mises en vase, elles auraient été comme des oasis de vie, de joie et de bonne humeur dans la morosité des pièces sans vie parce qu’oubliées par le soleil pendant des mois. Je me dirigeais vers un tapis jaune de jonquilles et de narcisses, quand le facteur, qui passait par là au même moment, me remit une enveloppe volumineuse. Je l’ouvris avec curiosité. Mon anniversaire approchait et je m’imaginais que quelqu’un, quelque part avait pensé à moi.

Elle avait été postée de Paris ; déjà, je souriais, attendrie en imaginant que c’était Michel-Antoine, tout juste rentré d’Allemagne où il venait d’achever sa première mission depuis l’obtention de son diplôme, qui avait eu cette délicate attention. Mon sourire se figea et se mua en rictus lorsque je vis que le courrier que je venais de recevoir contenait en fait des photos compromettantes pour moi : des chambres d’hôtel et des hommes –j’ai reconnu Sylvain, Jean-Marc et quelques autres- m’embrassant , me caressant alors que mon visage exprimait clairement l’extase… Il y avait aussi une lettre dactylographiée me demandant d’envoyer 50,000 E à une adresse en poste restante.

Qu’auriez-vous fait à ma place ? Fallait-il avouer en précisant qu’il s’agissait d ‘ «accidents » ? Fallait-il justifier ces erreurs en reprochant ses nombreuses absences de l’époque à Charles Edouard ? J’ai décidé de me taire et de payer en vendant des bijoux. Les miens, d’abord –enfin, les cadeaux que Charles Edouard m’avait faits. Après tout, il ne s’agissait que d’objets qui méritaient bien d’être sacrifiés sur l’autel de notre bonheur actuel, pour épargner la période de félicité que nous traversions et que j’aurais voulue éternelle. Les miens, donc, et ceux que je parvenais à subtiliser à belle maman lorsque nous allions lui rendre visite. J’en tirais un bon prix en échange des clichés que je récupérais et que je m’empressais de détruire.

Mais je sombrais petit à petit dans la déprime. Comment ce salaud, ce goujat, ce mufle, car j’étais sûre qu’il s’agissait bien de lui, de la Vigne, avait-il pu se procurer ces photos ? Comment avait-il obtenu notre nouvelle adresse ? Comment se permettait-il de venir gâcher notre nouveau bonheur ?

A partir de ce jour-là, ma personnalité et mon tempérament changèrent. Je m’enfermais dans le silence et la morosité. Moi d’ordinaire si gaie, j’avais soudain toujours envie de pleurer. Charles Edouard fit mille efforts louables pour me rendre mon sourire et mon insouciance, en vain. Rien n’y faisait. J’avais mis le doigt dans un engrenage dont je savais qu’il me détruirait, qu’il me broierait. Je regrettais simplement d’entraîner Charles Edouard avec moi. Il n’avait pas mérité tout cela, pensais-je, jusqu’au jour où j’ouvris par inadvertance une enveloppe qui ne m’était pas destinée. Elle avait la même taille, la même épaisseur et la même couleur que celles que j’avais pris l’habitude de recevoir chaque mois ou presque. Elle avait également été postée à Paris, mais –et je m’en aperçu trop tard- elle ne m’était pas adressée. C’est en découvrant les photos qu’elle contenait que je me rendis compte de mon erreur. En retournant l’enveloppe, je vis que c’est Charles Edouard qui aurait du la recevoir, la décacheter et… ? Comment aurait-il réagi en trouvant à l’intérieur des photos de jeunes filles –très jeunes, sûrement pas majeures- et totalement nues : asiatiques, beurs ou blacks -je ne suis pas physionomiste, je crois vous l’avoir déjà dit, mais on voyait bien qu’elles venaient des quatre coins de la planète- subissant des assauts contre-nature de la part d’un Charles Edouard défiguré par une grimace perverse, les yeux injectés de haine, animé par la seule volonté de blesser ou de détruire la beauté et la pureté des corps qu’il avait devant lui. Aurait-il nié ? Ca paraissait difficile, vu la qualité des clichés qui étaient si nets que je réalisais qu’ils avaient été pris à notre ancien domicile de l’Ile Saint Louis probablement par de la Vigne, encore lui... Charles Edouard se serait-il effondré en demandant pardon, comme un enfant ? Aurait-il souri en se moquant de ma naïveté ? Comment, lui toujours absent et tellement amateur de sexe, comme tous les hommes, ne pas en avoir déduit ou même avoir simplement soupçonné qu’il avait des aventures extra-conjugales ? Aurait-il cherché à me consoler ? Aurais-je accepté qu’il me touche à nouveau ? qu’il m’approche ? qu’il me parle, avec cette bouche qui savait si bien mentir, qui m’avait bernée, ridiculisée, trahie ? Je pris un siège et observais avec hantise ces photos plus attentivement. Elles portaient toutes une indication concernant la date à laquelle elles avaient été prises -un magasine posé sur la table de nuit, la montre que portait Charles Edouard qui, dans la petite découpe remplaçant le chiffre trois, précisait le jour qu’il était… A l’aide d’une loupe, je réalisais que ces coups de couteau à notre engagement de fidélité avaient eu lieu lors de ses déplacements récents à Paris pour concrétiser la vente de notre appartement… Oui, pendant les seuls mois de mon existence au cours desquels j’avais connu un bonheur pur, je m’étais fourvoyée, j’avais été abusée, trompée… Cela faisait écho à tellement d’autres situations antérieures… Je me sentais brisée, anéantie, vidée. Mais il faut croire que j’en avais accepté plus que j’étais capable d’en supporter. J’avais bu le calice jusqu’à la lie et je me jurais que ça ne se reproduirait plus, jamais. A son retour, Charles Edouard me retrouverait suspendue à une corde, au cerisier, au fond du jardin, avec dans la poche cette lettre qui lui était destinée mais qu’il n’aurait peut-être pas le courage de lire ni d’accepter… Au moment où l’escabeau bascula, il me sembla voir une nuée d’oiseaux s’envoler dans le ciel. Je décidais de les suivre pour vivre enfin dans la paix.




Charles Edouard



Notre relation a toujours reposé sur rien ou pas grand chose. Ou plutôt si, sur des choses, mais des choses non essentielles, futiles, superficielles ne constituant pas un magma suffisamment solide pour nous rassembler, nous unir, nous souder.

Tu savais pertinemment lorsque je t’ai rencontré que j’avais avant tout été séduite par ta prestance, ton charisme, ton argent, ton train de vie, ta générosité à mon égard aussi…des choses qui, si elles avaient appartenu à n’importe lequel de tes copains, m’eussent fait le préférer à toi, des frivolités qui n’avaient rien de valeurs intrinsèques te concernant réellement : c’est de ton fric que je suis tombé amoureuse, lui qui a si violemment fait défaut dans ma famille et qui m’a tant manqué, enfant. J’aspirais à un bien être social et un confort financier et tu m’as permis d’évoluer dans un milieu aisé, ce dont je te suis gré.
Mais je n’étais pas dupe et tu conviendras avec moi que tu étais au moins aussi intéressé que moi dans cette union : tu as immédiatement vu en moi une mère de substitution pour Michel-Antoine, ton fils de 14 ans qui venait de perdre sa mère dans un terrible accident de la route. Et puis tu as été irrésistiblement attiré par ma jeunesse, mon insouciance, mon peu d’expérience de la vie, ma naïveté –que tu as probablement assimilé à de la bêtise-, ma beauté , aussi… Cette beauté qui t’a permis de te rassurer sur ta capacité à plaire, toi qui avais deux fois mon âge, des rides de plus en plus marquées sur le visage, un peu de ventre, les tempes grisonnantes ; toi qui avais laissé ta vie sexuelle s’engourdir avec ta précédente épouse, tu as pu réaliser que ton pouvoir de séduction n’avait pas disparu, je t’ai permis de chasser les doutes qui t’envahissaient et de booster ta confiance en toi.
Nous avons chacun à notre manière respecté notre contrat : tu m’offrais une vie de luxe, je m’occupais de ton fils et je te servais de faire-valoir, de façon à ce que nous trouvions l’un et l’autre un intérêt à cohabiter. Mais cette situation m’a rapidement déplue, pesée, frustrée. J’ai progressivement eu la désagréable impression de devenir un objet entre tes mains, un objet dont le seul but était de flatter et de développer ton égocentrisme. Cette sensation a commencé le jour même de notre mariage. Ce jour-là, j’étais éclatante au milieu des diamants de plusieurs carats dont tu m’avais parée, telle une princesse. Toi, tu pavanais, comme un paon : tu avais une femme plus jolie, plus jeune, plus élancée que celles de tes amis, de tous tes invités, même. Tu voyais dans leurs yeux des sentiments d’envie, de convoitise, de jalousie, tu lisais sur leurs visages la concupiscence ; et moi, j’étais ta fierté, ton vase Ming, ton Picasso, ta Ferrari : tout le monde pouvait m’observer ; personne n’avait l’autorisation de toucher. Mais beaucoup –tous tes amis salaces, obscènes, lubriques- imaginaient les pires saloperies en regardant mes cuisses que tu n’avais fait recouvrir que d’un voile transparent pour mieux montrer leur galbe parfait, leur fermeté musclée et leur longueur démesurée, époustouflante. Je n’avais tout d’abord pas saisi pourquoi tu avais tenu à choisir ma robe de mariée. Je t’avais laissé faire parce que tu semblais vraiment y tenir, je trouvais cela attendrissant de te voir t’occuper de détails qui en auraient rebuté plus d’un. J’aurais du réaliser que tes désirs étaient devenus des ordres, tes fantasmes, des lois et que, si tu étais un véritable seigneur à mes yeux, tu n’avais pas d’autre ambition que de devenir mon maître. Là où j’étais heureuse d’accepter tes choix, tu imposais avec délectation ton pouvoir, ta domination, ton autorité. En me couvrant d’or et de diamants, tu avais acheté ma liberté. Je n’ai pas compris à ce moment-là toutes les conséquences que ce vol aurait sur moi, ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que je n’étais qu’un trophée entre tes mains, un trophée que tu sortais pour le montrer lorsque tu recevais du monde et que tu rangeais sans plus y penser ensuite, quand tu partais travailler dans les régions diamantifères du monde. J’avais tout alors, tout sauf un compagnon pour partager mes joies, mes espoirs, mes déceptions, mes repas, mes conversations ou mon lit. Le sentiment d’abandon que j’ai alors ressenti m’a confirmé que pour toi, je n’étais rien de plus qu’un objet. Alors, après quelques années de ce régime sans vie, j’ai succombé aux avances de plusieurs hommes. Toi qui me privais de liberté, j’allais pouvoir exercer ma liberté de vivre, de choisir un amant et d’exister dans ses bras. Avec leurs corps d’athlètes, les adonis que j’ai rencontrés me renvoyaient l’image de la beauté que j’avais perdue en ne côtoyant que les tentures du salon, ils me donnaient l’amour dont tu me privais et me faisaient rire. Ensuite, quand ils étaient las de jouer le rôle du sauveur d’âme en détresse, du saint-bernard des cœurs brisés ou de la bouteille d’oxygène pour me ramener à la vie, ils disparaissaient et je passais dans les bras d’un autre qui me proposait de me consoler. C’était bon tout cet amour. Pourtant, à bien y repenser, il n’y a jamais eu d’amour que dans mon imagination pour tenter de regonfler mon cœur crevé. Pas même de tendresse. Je m’étourdissais dans les bras des hommes, comme je me serais changé les idées en buvant un verre de whisky. Non, il y a surtout eu des caresses érotiques et des jeux pervers. Et là encore, je me rends compte que j’ai été utilisée, manipulée et que personne n’a su me donner le peu d’attention, d’amour et de respect que j’attendais, que toute personne est en droit d’attendre pour vivre, pour survivre. Et puis, est arrivé Monsieur de la Vigne, l’ogre, le vorace, celui –le seul- qui n’a pas dissimulé sa vraie nature, ses réels objectifs, qui n’a pas mis de masque, mais qui n’a somme toute guère été différent de tous les autres. Celui qui m’a définitivement dégoûtée de la nature humaine, ou plus exactement masculine. Avec de la distance, j’ai réussi à gérer, mais toi, Charles Edouard, tu m’ écoeures plus encore, tu as continué à voir d’autres filles en me berçant d’illusions, en me faisant croire que nous avions retrouvé une vie de couple sereine, épanouie, en me trahissant. Qu’allais-tu donc chercher, toi qui avais tout, si ce n’est la souffrance de l’être aimé ? Aujourd’hui, je meurs en n’ayant qu’un regret : ne pas avoir rencontré une femme qui aurait eu, j’en suis sûre, une sensibilité et une douceur proches des miennes, une délicatesse qui l’aurait empêchée de me faire souffrir comme tous les hommes que j’ai croisés ont pris un malin plaisir à le faire, une humanité qui nous aurait rapprochées pour communiquer autrement que dans le mensonges ou les dialogues impersonnels. J’espère que là où je vais, je ne serai plus amenée à voir des gens aussi vils et égoïstes. Je te hais .
J’ en arrive à me demander si l’accident tragique de ta femme en était réellement un et si elle n’a pas volontairement oublié de freiner sur les routes de montagne sur lesquelles elle roulait pour terminer sa course au pied de la falaise où on l’a retrouvée.
C’est ça aussi exercer sa liberté à tout prix contre la domination dictatoriale que tu as voulu nous imposer…



Grâce











































Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 24/03/2006 à 08:10