FRANCOISE C.*

Insertion de quelques mots à intervalles réguliers soit
1/ l'enfant avait les yeux si clairs
2/
3/ c'était bizarre




L’enfant aux yeux clairs


Cinquième étage, deux fenêtres ; l’une donne sur le Sacré Cœur, de l’autre on aperçoit la tour Eiffel. Si on choisit bien sa place, ces deux emblèmes de Paris, là, sous vos yeux.
Cet après-midi, le paysage importe peu. La mère vient de rentrer et s’immobilise devant le porte vêtements mi-incrédule, mi-décontenancée :
-« Je perds les eaux ! »
La petite fille la regarde, complètement interloquée. L’enfant avait les yeux si clairs que tout ce qu’elle éprouvait semblait se refléter dans ses prunelles : un iris d’un bleu si pâle qu’il semblait plus un miroir tendu aux autres qu’un reflet de ses propres sentiments.
Comment avait-elle compris la moindre bribe de cette scène ? Elle savait que son petit frère allait naître ; le berceau tendu de plumetis bleu était préparé derrière le paravent de la chambre de ses parents. Sa grand-mère avait déjà amené ses vêtements de nuit et sa mère préparé les deux valises : la petite noire à roulettes avec le nécessaire pour quelques jours et les trois livres offerts pour l’occasion, la moyenne avec les affaires de bébé : bodies à manches longues, pyjamas de couleurs variées, le burnous bleu marine qui a été le sien quand elle était petite, deux paquets de couches, une petite trousse de toilette dans laquelle elle a rangé la brosse à cheveux de la famille aux poils si doux qu’elle se demande toujours comment elle a pu servir aux cheveux si drus de Yaya puis à la chevelure frisée serrée de sa mère.
Un bébé, ça, elle y était préparée, parfois ravie et impatiente, d’autres fois déjà jalouse de la place qu’il occupait avant même de naître.
Mais de l’eau…des eaux disait maman. On aurait dit qu’elle faisait pipi, habillée, immobilisée au milieu de l’entrée. Ce n’était pas la honte qui lui donnait cet air décontenancé mais un genre de stupéfaction qui ajoutait au désarroi de l’enfant.
Des éclats de rire, une cavalcade bruyante dans l’escalier des étages, tout un monde quotidien qui rappelait qu’elle ne rêvait pas, que maman ne savait que faire, qu’elle ne la voyait pas vraiment à elle, sa petite fille.
Des eaux pour un si petit bébé. Souvent ces dernières semaines, sa mère lui avait fait sentir le bébé à venir bouger dans son ventre ; elle avait pu caresser doucement sa tête sous la peau tendue et rire des coups de pieds annoncés. Etait-il noyé par une telle quantité de liquide ? ce n’était ni le chagrin ni la panique qu’elle sentait chez sa mère mais un sentiment qui l’emplissait de confusion, qui la faisait se sentir exclue.
Une telle immobilité comme si toutes les personnes présentes s’étaient brusquement transformées en automates, c’était vraiment bizarre.
Elle arriva enfin à détourner son regard de la mère en entendant sa grand-mère :
-Mais enfin, tu arrives juste de la visite chez le médecin ; tu as bien dû éprouver quelques symptômes ! pourquoi ne t’es-tu pas fait conduire à la maternité par le chauffeur de taxi, nous aurions amené tes affaires ! maintenant, il faut faire vite…
-maman ! répond seulement Jocelyne avec un spasme dans la voix qui lave encore plus le regard de l’enfant.
-eh bien ! heureusement que je suis là. Clémence, quand tu es née j’étais à Paris et je suis la première à t’avoir vue juste après ta maman et ton papa. Tu sais tous les bébés à naître sont des bébés nageurs. Ils grandissent, mangent, boivent, font pipi et dorment dans une eau qui leur convient parfaitement comme des dauphins. Ils savent faire partir l’eau quand leur heure d’arriver parmi nous est arrivée. Souvent ça ne se passe qu’au dernier moment mais quelques fois, ils ne préviennent pas. Ce Léandre sera un vrai coquin. Maman va partir avec yaya à la maternité, nous on téléphonera à papa puis nous irons promener au square pour voi roù les poussettes roulent le mieux.
Grand-mère est déjà au téléphone, maman change ses bas et ses chaussures, Clémence tourne son regard vers Marie. La vie revient dans ses yeux tandis qu’elle la fixe. Marie soutient son regard et lui insuffle tout ce qu’elle peut de tranquillité.
-Moi aussi, quand j’aurais un bébé dans le ventre, il nagera dans moi ?
-Bien sûr, comme tous les bébés.
-Marie, tu as vu, les lumières de la Tour Eiffel viennent de s’allumer…Si on allait plutôt à la piscine ?
Françoise, février , jeu du 18 février 2008.






Pascale Madame Martin-Debève
Rédigé par Pascale Madame Martin-Debève le 11/03/2008 à 07:54