"Le président américain Barack Obama souhaite un plafond de 500 000 dollars (390 000 euros) de salaire maximum pour les patrons des banques aidées par l'Etat. Outre-Rhin, le débat est ouvert pour le situer à 1 million d'euros dans toute entreprise."
L'exigence du président de la République de suspendre les bonus des dirigeants des banques refinancées par l'Etat n'a guère provoqué de remous au sein du patronat. De fait, elle est un habile service rendu aux grands capitaines de l'économie privée française : en affirmant que face à de mauvais résultats, les dirigeants doivent perdre leurs bonus, elle valide, par effet de miroir, les rémunérations mirobolantes des périodes de vaches grasses. Les patrons des grandes entreprises seraient ainsi des salariés comme les autres dont les primes doivent être des incitations à la performance.
Pourtant, une importante littérature économique récente a démontré que la rémunération des grands dirigeants n'obéit justement pas à des mécanismes classiques. Si ces grands patrons répondaient à des incitations financières alors que leur revenu de base est déjà stratosphérique, leur préférence pour le risque devrait être extrêmement élevée. Pas impossible ? Mais ils bénéficient en même temps de parachutes dorés conséquents, censés les protéger contre le risque... de perdre leur poste ; pour les justifier, il faudrait, cette fois, qu'ils aient une exceptionnelle... aversion au risque. C'est incohérent !
Il fait désormais quasi-consensus que le panier de revenus et de protections des dirigeants d'entreprise obéit à des phénomènes alternatifs dits de "stars". Deux économistes français basés aux Etats-Unis - Xavier Gabaix et Augustin Landier - en ont proposé un modèle générique. Les entreprises ne cherchent pas à motiver ou à compenser les efforts ou les prises de risque du dirigeant. Elles se battent pour obtenir un meilleur manager. Ainsi, le PDG de la plus grande firme américaine apporterait de l'ordre de 0,1 % de plus de performance à son entreprise que le patron de la 250e. Cela peut paraître très faible, mais compte tenu des tailles de ces groupes, cela peut représenter des dizaines de millions de dollars en plus. Pour attirer un meilleur manager, il suffit donc de verser un salaire supérieur à celui offert par les autres entreprises. La référence n'est donc plus la performance absolue du dirigeant mais la rémunération à laquelle il peut prétendre ailleurs.
Ce système est instable et asymétrique. Pour que la rémunération des grands patrons baisse significativement, il faudrait que l'ensemble des groupes qu'ils dirigent se coordonnent pour la diminuer simultanément. A l'inverse, si quelques entreprises jouent la carte de la surenchère, les autres s'aligneront. Ainsi, alors que les décisions des agents économiques sont rationnelles, on peut observer une hausse rapide des rémunérations sans que cela corresponde à un effort supérieur des dirigeants et donc à des performances accrues de leur entreprise. C'est ce que l'on connaît depuis une bonne décennie dans de nombreux pays.
La machine devient viciée lorsque ce sont des stars qui, au sein des conseils d'administration, fixent les rémunérations d'autres stars : faire augmenter celle du dirigeant d'une autre firme entraîne une hausse de ses propres revenus, pour s'aligner ! Les patrons peuvent alors accaparer une bonne partie de la rente supplémentaire qu'ils génèrent pour leur société ; celle-ci manque pour investir ou rémunérer les actionnaires. Sans parler des aspects moraux de telles rémunérations.
Que peut faire la puissance publique ? Interdire dans les conseils d'administration la présence de dirigeants d'autres grandes sociétés casserait l'inflation, sans changer le mécanisme. D'où, l'idée d'établir un salaire maximum. Ce dernier peut être national car le "marché" des dirigeants reste étonnamment local : les firmes américaines ne cherchent pas de managers français et, inversement, les sociétés de l'Hexagone sont presque exclusivement dirigées par des nationaux.
Le président américain Barack Obama souhaite un plafond de 500 000 dollars (390 000 euros) de salaire maximum pour les patrons des banques aidées par l'Etat. Outre-Rhin, le débat est ouvert pour le situer à 1 million d'euros dans toute entreprise.
Un article d'une doctorante de la Sorbonne, Fabienne Llense, à paraître en mai dans la Revue économique, étudie l'effet théorique d'un "salaire" maximum, ou plus précisément d'une rémunération totale maximale. Celle-ci, écrit l'auteur, permet à de plus petites firmes d'avoir une chance d'attirer un meilleur manager. Pour les plus grosses, la perte de performance est en partie compensée par le coût moindre des dirigeants. Au total, les actionnaires pourraient y gagner. La simulation sur le cas français montre le réalisme de ce scénario. Voilà un résultat plus gênant pour les patrons qu'une renonciation temporaire aux bonus.
Philippe Askenazy, directeur de recherches CNRS, Ecole d'économie de Paris
Article paru dans l'édition du MONDE ECONOMIE du 17.03.09
Pourtant, une importante littérature économique récente a démontré que la rémunération des grands dirigeants n'obéit justement pas à des mécanismes classiques. Si ces grands patrons répondaient à des incitations financières alors que leur revenu de base est déjà stratosphérique, leur préférence pour le risque devrait être extrêmement élevée. Pas impossible ? Mais ils bénéficient en même temps de parachutes dorés conséquents, censés les protéger contre le risque... de perdre leur poste ; pour les justifier, il faudrait, cette fois, qu'ils aient une exceptionnelle... aversion au risque. C'est incohérent !
Il fait désormais quasi-consensus que le panier de revenus et de protections des dirigeants d'entreprise obéit à des phénomènes alternatifs dits de "stars". Deux économistes français basés aux Etats-Unis - Xavier Gabaix et Augustin Landier - en ont proposé un modèle générique. Les entreprises ne cherchent pas à motiver ou à compenser les efforts ou les prises de risque du dirigeant. Elles se battent pour obtenir un meilleur manager. Ainsi, le PDG de la plus grande firme américaine apporterait de l'ordre de 0,1 % de plus de performance à son entreprise que le patron de la 250e. Cela peut paraître très faible, mais compte tenu des tailles de ces groupes, cela peut représenter des dizaines de millions de dollars en plus. Pour attirer un meilleur manager, il suffit donc de verser un salaire supérieur à celui offert par les autres entreprises. La référence n'est donc plus la performance absolue du dirigeant mais la rémunération à laquelle il peut prétendre ailleurs.
Ce système est instable et asymétrique. Pour que la rémunération des grands patrons baisse significativement, il faudrait que l'ensemble des groupes qu'ils dirigent se coordonnent pour la diminuer simultanément. A l'inverse, si quelques entreprises jouent la carte de la surenchère, les autres s'aligneront. Ainsi, alors que les décisions des agents économiques sont rationnelles, on peut observer une hausse rapide des rémunérations sans que cela corresponde à un effort supérieur des dirigeants et donc à des performances accrues de leur entreprise. C'est ce que l'on connaît depuis une bonne décennie dans de nombreux pays.
La machine devient viciée lorsque ce sont des stars qui, au sein des conseils d'administration, fixent les rémunérations d'autres stars : faire augmenter celle du dirigeant d'une autre firme entraîne une hausse de ses propres revenus, pour s'aligner ! Les patrons peuvent alors accaparer une bonne partie de la rente supplémentaire qu'ils génèrent pour leur société ; celle-ci manque pour investir ou rémunérer les actionnaires. Sans parler des aspects moraux de telles rémunérations.
Que peut faire la puissance publique ? Interdire dans les conseils d'administration la présence de dirigeants d'autres grandes sociétés casserait l'inflation, sans changer le mécanisme. D'où, l'idée d'établir un salaire maximum. Ce dernier peut être national car le "marché" des dirigeants reste étonnamment local : les firmes américaines ne cherchent pas de managers français et, inversement, les sociétés de l'Hexagone sont presque exclusivement dirigées par des nationaux.
Le président américain Barack Obama souhaite un plafond de 500 000 dollars (390 000 euros) de salaire maximum pour les patrons des banques aidées par l'Etat. Outre-Rhin, le débat est ouvert pour le situer à 1 million d'euros dans toute entreprise.
Un article d'une doctorante de la Sorbonne, Fabienne Llense, à paraître en mai dans la Revue économique, étudie l'effet théorique d'un "salaire" maximum, ou plus précisément d'une rémunération totale maximale. Celle-ci, écrit l'auteur, permet à de plus petites firmes d'avoir une chance d'attirer un meilleur manager. Pour les plus grosses, la perte de performance est en partie compensée par le coût moindre des dirigeants. Au total, les actionnaires pourraient y gagner. La simulation sur le cas français montre le réalisme de ce scénario. Voilà un résultat plus gênant pour les patrons qu'une renonciation temporaire aux bonus.
Philippe Askenazy, directeur de recherches CNRS, Ecole d'économie de Paris
Article paru dans l'édition du MONDE ECONOMIE du 17.03.09
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