Corinne Morel Darleux, conseillère régionale (Rhône-Alpes) du Parti de Gauche, s'entretient avec la Fondation Manu Robles-Arangiz et Bizi! en vue de son débat organisé par Bizi! avec Karima Delli à Bayonne le 26 avril, publié dans la revue Enbata.
Qu'est-ce que le Revenu Maximum Autorisé / Acceptable ?
C'est une mesure qui consiste à dire que l'hyper-richesse n'est pas légitime, et qu'il n'est pas acceptable que le total des revenus d'une personne dépasse une certaine somme, le revenu maximum autorisé (RMA). Concrètement, pour toucher l'ensemble des revenus, ceux du capital comme ceux du travail, nous proposons la création d'une tranche supérieure de l'impôt sur le revenu taxée à 100 %. Pour nous le RMA se situe à 360.000 euros, ce qui laisse donc tout de même un revenu de 30.000 euros par mois...
En quoi est-ce une urgence écologique.. et une mesure sociale par excellence ?
C'est une urgence écologique dans la mesure où l'idéologie dominante (médias, publicité) fait du mode de vie des riches le modèle à suivre. Or ce mode de vie hyper-consumériste n'est pas généralisable au vu de la crise climatique, de celle de la biodiversité, et de la finitude des ressources, notamment énergétiques. Et franchement, à quoi sert de posséder 3, 4, 10 maisons quand chaque nuit on ne peut dormir que dans un lit ? Et c'est une mesure sociale, car la création d'une telle tranche oblige à renforcer la progressivité de l'impôt par la création de nouvelles tranches, ce qui relève d'une justice sociale élémentaire. Enfin elle permet de dégager des ressources pour défendre les services publics, le patrimoine de ceux qui n'en n'ont pas.
Est-ce qu'il y a des exemples (pays, époque, etc. ) concrets où le RMA a été mis en place... et quelles conséquences est-ce que cela a pu avoir ?
L'exemple le plus marquant est celui... des États-Unis ! Une des mesures prises par Roosevelt après la crise de 1929 est en effet la création d'une tranche supérieure à l'impôt sur le revenu de 91 %. Cela n'a pas nui au dynamisme de l'économie américaine et les inégalités ont été fortement réduites pendant 40 ans, avant le retour des politiques libérales.
Qu'est-ce qui peut être fait pour que ce concept soit mieux connu par et plus utilisé/revendiqué par la population ?
L'aspiration à l'égalité n'a pas disparu dans notre pays. Or les inégalités se sont accrues à des niveaux qui dépassent l'entendement. Les scandales financiers et autres parachutes dorés ont marqué les esprits. Il faut déconstruire l'imaginaire de la pression fiscale qui amputerait le niveau de vie du grand nombre : c'est l'inverse. Le RMA fait partie d'un ensemble de revendications pour un meilleur partage des richesses, pour en finir avec le mythe de la croissance qu'il faudrait attendre pour améliorer le sort des plus pauvres. Pourquoi attendre, les richesses existent ! La véritable pression sur le niveau de vie des ouvriers et employés, c'est celle du capital, des actionnaires.
Ce discours commence à être entendu par une partie croissante de la population. En témoigne le dynamisme de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon qui l'a porté haut et fort, et l'empressement du PS à promettre et bricoler l'instauration d'une taxe à 75 %, mal ficelée et bien éloignée en réalité du concept de RMA, mais conçue pour essayer de capter le mouvement naissant autour de cette revendication.
A votre niveau quelle initiative avez-vous pu prendre pour lutter contre la démesure ou faire de la sensibilisation sur le thème du RMA ?
Venant de l'écologie politique, à mon arrivée au PG j'ai activement porté le RMA, en organisant par exemple un débat à la Fête de l'Huma dès 2009 avec Hervé Kempf. Cette proposition a ensuite été intégrée dans le programme du Front de Gauche "L'humain d'abord". Mais ce n'est pas notre seule proposition pour lutter contre la démesure. Notre proposition de loi sur la fiscalité écologique, l'écart maximum de salaires de 1 à 20, la réduction drastique de la publicité dans l'espace public, vont aussi dans ce sens.
Dans le contre-budget présenté par le PG, nous proposons une augmentation de la TVA sur les produits de luxe, et à titre personnel je suis assez attachée au symbole des yachts ou des golfs comme cas flagrants d'indécence sociale et de gabegie de ressources. Nous revendiquons d'ailleurs une tarification progressive sur l'énergie et l'eau, avec la gratuité des premières tranches indispensables à la vie, le renchérissement du mésusage, et la distinction entre usages professionnels et particuliers. C'est possible : nous l'avons mis en place aux Lacs de l’Essonne avec le retour en régie publique de l'eau grâce à notre élu Gabriel Amard. Nous travaillons beaucoup ensemble aussi avec Paul Ariès sur la gratuité des services publics en lien avec le débat sur la dotation inconditionnelle d'autonomie.
Par ailleurs, en tant que conseillère régionale Rhône-Alpes, je suis particulièrement impliquée dans la lutte contre l'extraction des gaz de schiste et le soutien à l'initiative équatorienne Yasuni-ITT, pour sensibiliser à la nécessité d'aller vers une société non extractiviste, vers l'écosocialisme et le buen vivir.
Pour aller plus loin, auriez-vous d'autres contacts/références à recommander aux lecteurs ?
"Comment les riches détruisent la planète" d'Hervé Kempf, les deux tomes de mon ouvrage "Nos colères fleuriront", "La règle verte" de Jean Luc Mélenchon, une lecture régulière du Sarkophage et bien sûr le "Premier Manifeste pour l'écosocialisme" qui vient de sortir chez Bruno Leprince !
Corinne Morel Darleux, 10 avril 2013
C'est une mesure qui consiste à dire que l'hyper-richesse n'est pas légitime, et qu'il n'est pas acceptable que le total des revenus d'une personne dépasse une certaine somme, le revenu maximum autorisé (RMA). Concrètement, pour toucher l'ensemble des revenus, ceux du capital comme ceux du travail, nous proposons la création d'une tranche supérieure de l'impôt sur le revenu taxée à 100 %. Pour nous le RMA se situe à 360.000 euros, ce qui laisse donc tout de même un revenu de 30.000 euros par mois...
En quoi est-ce une urgence écologique.. et une mesure sociale par excellence ?
C'est une urgence écologique dans la mesure où l'idéologie dominante (médias, publicité) fait du mode de vie des riches le modèle à suivre. Or ce mode de vie hyper-consumériste n'est pas généralisable au vu de la crise climatique, de celle de la biodiversité, et de la finitude des ressources, notamment énergétiques. Et franchement, à quoi sert de posséder 3, 4, 10 maisons quand chaque nuit on ne peut dormir que dans un lit ? Et c'est une mesure sociale, car la création d'une telle tranche oblige à renforcer la progressivité de l'impôt par la création de nouvelles tranches, ce qui relève d'une justice sociale élémentaire. Enfin elle permet de dégager des ressources pour défendre les services publics, le patrimoine de ceux qui n'en n'ont pas.
Est-ce qu'il y a des exemples (pays, époque, etc. ) concrets où le RMA a été mis en place... et quelles conséquences est-ce que cela a pu avoir ?
L'exemple le plus marquant est celui... des États-Unis ! Une des mesures prises par Roosevelt après la crise de 1929 est en effet la création d'une tranche supérieure à l'impôt sur le revenu de 91 %. Cela n'a pas nui au dynamisme de l'économie américaine et les inégalités ont été fortement réduites pendant 40 ans, avant le retour des politiques libérales.
Qu'est-ce qui peut être fait pour que ce concept soit mieux connu par et plus utilisé/revendiqué par la population ?
L'aspiration à l'égalité n'a pas disparu dans notre pays. Or les inégalités se sont accrues à des niveaux qui dépassent l'entendement. Les scandales financiers et autres parachutes dorés ont marqué les esprits. Il faut déconstruire l'imaginaire de la pression fiscale qui amputerait le niveau de vie du grand nombre : c'est l'inverse. Le RMA fait partie d'un ensemble de revendications pour un meilleur partage des richesses, pour en finir avec le mythe de la croissance qu'il faudrait attendre pour améliorer le sort des plus pauvres. Pourquoi attendre, les richesses existent ! La véritable pression sur le niveau de vie des ouvriers et employés, c'est celle du capital, des actionnaires.
Ce discours commence à être entendu par une partie croissante de la population. En témoigne le dynamisme de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon qui l'a porté haut et fort, et l'empressement du PS à promettre et bricoler l'instauration d'une taxe à 75 %, mal ficelée et bien éloignée en réalité du concept de RMA, mais conçue pour essayer de capter le mouvement naissant autour de cette revendication.
A votre niveau quelle initiative avez-vous pu prendre pour lutter contre la démesure ou faire de la sensibilisation sur le thème du RMA ?
Venant de l'écologie politique, à mon arrivée au PG j'ai activement porté le RMA, en organisant par exemple un débat à la Fête de l'Huma dès 2009 avec Hervé Kempf. Cette proposition a ensuite été intégrée dans le programme du Front de Gauche "L'humain d'abord". Mais ce n'est pas notre seule proposition pour lutter contre la démesure. Notre proposition de loi sur la fiscalité écologique, l'écart maximum de salaires de 1 à 20, la réduction drastique de la publicité dans l'espace public, vont aussi dans ce sens.
Dans le contre-budget présenté par le PG, nous proposons une augmentation de la TVA sur les produits de luxe, et à titre personnel je suis assez attachée au symbole des yachts ou des golfs comme cas flagrants d'indécence sociale et de gabegie de ressources. Nous revendiquons d'ailleurs une tarification progressive sur l'énergie et l'eau, avec la gratuité des premières tranches indispensables à la vie, le renchérissement du mésusage, et la distinction entre usages professionnels et particuliers. C'est possible : nous l'avons mis en place aux Lacs de l’Essonne avec le retour en régie publique de l'eau grâce à notre élu Gabriel Amard. Nous travaillons beaucoup ensemble aussi avec Paul Ariès sur la gratuité des services publics en lien avec le débat sur la dotation inconditionnelle d'autonomie.
Par ailleurs, en tant que conseillère régionale Rhône-Alpes, je suis particulièrement impliquée dans la lutte contre l'extraction des gaz de schiste et le soutien à l'initiative équatorienne Yasuni-ITT, pour sensibiliser à la nécessité d'aller vers une société non extractiviste, vers l'écosocialisme et le buen vivir.
Pour aller plus loin, auriez-vous d'autres contacts/références à recommander aux lecteurs ?
"Comment les riches détruisent la planète" d'Hervé Kempf, les deux tomes de mon ouvrage "Nos colères fleuriront", "La règle verte" de Jean Luc Mélenchon, une lecture régulière du Sarkophage et bien sûr le "Premier Manifeste pour l'écosocialisme" qui vient de sortir chez Bruno Leprince !
Corinne Morel Darleux, 10 avril 2013
Et si les revenus n’étaient pas condamnés à creuser les inégalités ? Et si le scandale de ces patrons de multinationales ou de ces traders de plus en plus riches, contre partie de la misère des précaires et de salaires en berne n’était pas une fatalité ? De toute évidence, la machine néo-libérale est grippée. Après s’être imposé durant plusieurs décennies, le diktat du plus riche n’a plus la côte.
L’offensive menée contre les rémunérations exubérantes est un signe de l’époque. Un dossier du Monde Diplomatique du mois de février titré « Plafonner les revenus » en souligne la dimension historique. L’appropriation du revenu issu du travail a toujours été l’objet d’une lutte acharnée, plus ou moins favorable aux salariés. La redistribution par l’impôt y a joué un rôle fondamental.
L’histoire de l’impôt aux Etats-Unis, expliquée par Sam Pizzigati, met en évidence l’impact des rapports de force sociaux dans la redistribution.
Le taux supérieur d’imposition sur les revenus dépassant le million de dollars passe de 7% en 1914 à 77% en 1918.
En 1935, Franklin D. Roosevelt crée une taxe de 79% sur les revenus supérieurs à 5 millions de dollars (environ 78 millions de dollars en 2010).
En 1944, le Congrès fixe le taux d’imposition des revenus supérieurs à 200 000 dollars à un niveau inégalé de 94%.
Au cours des décennies suivantes, une période de grande prospérité pour la classe moyenne américaine, le taux d’imposition supérieur tourne autour de 90%, avant de tomber à moins de 70% pendant la présidence de Lyndon Johnson (1963-1969). Sous Ronald Reagan ce taux fond pour atteindre 50% en 1981, puis 28% en 1988. Aujourd’hui il s élève à 35%.
En quelques chiffres et dates historiques, Sam Pizzigati résume le rôle déterminant du contexte historique et des rapports de force dans la société pour expliquer une répartition plus ou moins inégalitaire de la richesse dans une société.
Le chercheur associé à l’Institue for Policy Studies de Washington souligne dans son article un autre phénomène. « Le débat sur la répartition de la richesse, indique-t-il, s’est, aujourd’hui, déplacé des individus aux entreprises. Désormais, certains secteurs progressistes aux Etats-Unis pose la question d’un vrai salaire maximum, indexé sur le salaire minimum. Le maximum serait défini comme un multiple du minimum et tout revenu supérieur à dix ou vingt fois ce minimum serait frappé d’un impôt à 100%. Cette disposition, estime Sam Pizzigati, encouragerait et nourrirait presque immédiatement une forme d’économie solidaire : pour la première fois, les plus riches auraient un intérêt personnel et direct au bien être des moins riches ».
Ainsi, « le salaire porterait bien un enjeu qui dépasse la feuille de paie, comme le note, dans ce dossier, Bernard Friot, sociologue. Car, estime-t-il, le salaire représente un outil de transformation sociale et d’émancipation.
Une analyse qui nous porte à nous interroger sur le rôle que pourrait jouer l’économie sociale et solidaire à travers la politique salariale qu’elle met en œuvre. Une récente enquête de l’INSEE souligne, que dans l’économie sociale, l’échelle des salaires est plus resserrée que dans le secteur capitaliste. Par une plus juste répartition des revenus, l’économie sociale semble bien indiquer la voie d’une meilleure répartition des richesses.
Jean-Paul BIOLLUZ, 5 mars 2012
L’histoire de l’impôt aux Etats-Unis, expliquée par Sam Pizzigati, met en évidence l’impact des rapports de force sociaux dans la redistribution.
Le taux supérieur d’imposition sur les revenus dépassant le million de dollars passe de 7% en 1914 à 77% en 1918.
En 1935, Franklin D. Roosevelt crée une taxe de 79% sur les revenus supérieurs à 5 millions de dollars (environ 78 millions de dollars en 2010).
En 1944, le Congrès fixe le taux d’imposition des revenus supérieurs à 200 000 dollars à un niveau inégalé de 94%.
Au cours des décennies suivantes, une période de grande prospérité pour la classe moyenne américaine, le taux d’imposition supérieur tourne autour de 90%, avant de tomber à moins de 70% pendant la présidence de Lyndon Johnson (1963-1969). Sous Ronald Reagan ce taux fond pour atteindre 50% en 1981, puis 28% en 1988. Aujourd’hui il s élève à 35%.
En quelques chiffres et dates historiques, Sam Pizzigati résume le rôle déterminant du contexte historique et des rapports de force dans la société pour expliquer une répartition plus ou moins inégalitaire de la richesse dans une société.
Le chercheur associé à l’Institue for Policy Studies de Washington souligne dans son article un autre phénomène. « Le débat sur la répartition de la richesse, indique-t-il, s’est, aujourd’hui, déplacé des individus aux entreprises. Désormais, certains secteurs progressistes aux Etats-Unis pose la question d’un vrai salaire maximum, indexé sur le salaire minimum. Le maximum serait défini comme un multiple du minimum et tout revenu supérieur à dix ou vingt fois ce minimum serait frappé d’un impôt à 100%. Cette disposition, estime Sam Pizzigati, encouragerait et nourrirait presque immédiatement une forme d’économie solidaire : pour la première fois, les plus riches auraient un intérêt personnel et direct au bien être des moins riches ».
Ainsi, « le salaire porterait bien un enjeu qui dépasse la feuille de paie, comme le note, dans ce dossier, Bernard Friot, sociologue. Car, estime-t-il, le salaire représente un outil de transformation sociale et d’émancipation.
Une analyse qui nous porte à nous interroger sur le rôle que pourrait jouer l’économie sociale et solidaire à travers la politique salariale qu’elle met en œuvre. Une récente enquête de l’INSEE souligne, que dans l’économie sociale, l’échelle des salaires est plus resserrée que dans le secteur capitaliste. Par une plus juste répartition des revenus, l’économie sociale semble bien indiquer la voie d’une meilleure répartition des richesses.
Jean-Paul BIOLLUZ, 5 mars 2012
Décidément, tous les voyants sont au vert : la crise est derrière nous et la prospérité est revenue. Tel est le constat qui ressort de deux rapports parus récemment.
Le premier est celui que publient chaque année la société Capgemini et la banque Merrill Lynch sur la richesse mondiale. Après une horrible année 2008, l’embellie constatée en 2009 s’est confirmée en 2010, et le nombre de riches dans le monde atteint désormais 11 millions, pour un patrimoine total de 42 700 milliards de dollars. Pour être considéré comme riche, il faut avoir un actif financier supérieur à 1 million de dollars. Mais il y a une catégorie encore plus favorisée dans cet ensemble, ce sont les ultra-riches, ceux dont les actifs dépassent 30 millions de dollars. Ils sont évidemment peu nombreux (0, 9% du total, soit moins de 100 000 personnes), mais la somme de leurs avoirs atteint 36 % de l’ensemble, autrement dit environ 15 300 milliards de dollars. Preuve que la mondialisation a du bon, les riches se recrutent de plus en plus dans les pays émergents, et le rapport souligne notamment la spectaculaire percée de la richesse indienne.
Ces riches sont très majoritairement des hommes (76 % du total), et la plupart d’entre eux ont dépassé la cinquantaine, l’âge auquel on a raté sa vie si on ne possède pas au moins une Rolex. Leur fortune est composée pour l’essentiel de produits financiers (75 % selon une projection pour 2012, dont 38 % d’actions, 8 % de placements plus risqués, et 29 % de “revenus fixes” provenant d’obligations ou d’OPCVM), auxquels s’ajoutent des biens immobiliers (15 % sans compter la résidence principale), du numéraire en espèces ou en dépôt (11 %). Bref, ce sont avant tout des rentiers qui, si l’on en croit Keynes, mériteraient d’être euthanasiés.
Mais les riches dépensent, et par là-même ils sont très utiles à la société. Leurs dépenses ostentatoires, appelées pudiquement “investments of passion” par le rapport, font marcher le commerce de luxe, et là encore la mondialisation a du bon : les nouveaux riches chinois accumulent les Mercédès et les Ferrari, les yachts, les grands crus, les oeuvres d’art, les diamants, les montres et autres bijoux. Quant aux milliardaires ayant fait fortune en Russie ou au Moyen-Orient, ils ont pour le sport une passion irrépressible qui les pousse à acheter tous les grands clubs de football à la recherche d’équilibre financier et de joueurs de haut niveau. Chelsea, Arsenal, Manchester City et plus récemment le PSG en sont les exemples les plus frappants, mais on n’oubliera pas ces précurseurs européens que furent Berlusconi à Milan et Tapie à Marseille, ou plus modestement François Pinault à Rennes.
Le second rapport émane du cabinet Proxinvest, spécialisé dans la défense des actionnaires. Il nous apprend qu’en 2010 la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 s’est élevée à 4,11 millions d’euros, soit 244 fois le SMIC et une progression de 34 % par rapport à 2009. En tête de liste, le premier rapport pouvait nous le laisser deviner, figurent les produits de luxe, avec Jean-Paul Agon (L’Oréal) et Bernard Arnault (LVMH), ces deux patrons ayant perçu chacun aux alentours de 10 millions d’euros. Suivent Carlos Ghosn (Renault), Bernard Charlès (Dassault Systèmes), Maurice Lévy (Publicis) et Christopher Viehbacher (Sanofi-Aventis). Commme l’aurait dit autrefois Nicolas Sarkozy, voilà des gens qui ont réussi et qui méritent bien leur salaire.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possible si le même Sarkozy ne s’était pas récemment transformé en dangereux gauchiste. Après avoir fait voter un ersatz de taxe Tobin par le Parlement, le voilà maintenant qui trouve scandaleuse la rémunération de certains patrons, qui demande l’interdiction des retraites-chapeau et des parachutes dorés et qui exige que la rétribution variable des dirigeants (leur bonus) soit fixée par l’assemblée générale des actionnaires. Le grand patronat en est resté sans voix, à l’image de Madame Parisot qui s’est abstenue de tout communiqué. On aurait pu penser François Hollande plus sage, mais le voilà qui brandit à son tour le bâton en proposant un taux d’imposition marginal de 75 %. Les campagnes électorales sont décidément bien dures pour les riches !
Jean Tosti
Ces riches sont très majoritairement des hommes (76 % du total), et la plupart d’entre eux ont dépassé la cinquantaine, l’âge auquel on a raté sa vie si on ne possède pas au moins une Rolex. Leur fortune est composée pour l’essentiel de produits financiers (75 % selon une projection pour 2012, dont 38 % d’actions, 8 % de placements plus risqués, et 29 % de “revenus fixes” provenant d’obligations ou d’OPCVM), auxquels s’ajoutent des biens immobiliers (15 % sans compter la résidence principale), du numéraire en espèces ou en dépôt (11 %). Bref, ce sont avant tout des rentiers qui, si l’on en croit Keynes, mériteraient d’être euthanasiés.
Mais les riches dépensent, et par là-même ils sont très utiles à la société. Leurs dépenses ostentatoires, appelées pudiquement “investments of passion” par le rapport, font marcher le commerce de luxe, et là encore la mondialisation a du bon : les nouveaux riches chinois accumulent les Mercédès et les Ferrari, les yachts, les grands crus, les oeuvres d’art, les diamants, les montres et autres bijoux. Quant aux milliardaires ayant fait fortune en Russie ou au Moyen-Orient, ils ont pour le sport une passion irrépressible qui les pousse à acheter tous les grands clubs de football à la recherche d’équilibre financier et de joueurs de haut niveau. Chelsea, Arsenal, Manchester City et plus récemment le PSG en sont les exemples les plus frappants, mais on n’oubliera pas ces précurseurs européens que furent Berlusconi à Milan et Tapie à Marseille, ou plus modestement François Pinault à Rennes.
Le second rapport émane du cabinet Proxinvest, spécialisé dans la défense des actionnaires. Il nous apprend qu’en 2010 la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 s’est élevée à 4,11 millions d’euros, soit 244 fois le SMIC et une progression de 34 % par rapport à 2009. En tête de liste, le premier rapport pouvait nous le laisser deviner, figurent les produits de luxe, avec Jean-Paul Agon (L’Oréal) et Bernard Arnault (LVMH), ces deux patrons ayant perçu chacun aux alentours de 10 millions d’euros. Suivent Carlos Ghosn (Renault), Bernard Charlès (Dassault Systèmes), Maurice Lévy (Publicis) et Christopher Viehbacher (Sanofi-Aventis). Commme l’aurait dit autrefois Nicolas Sarkozy, voilà des gens qui ont réussi et qui méritent bien leur salaire.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possible si le même Sarkozy ne s’était pas récemment transformé en dangereux gauchiste. Après avoir fait voter un ersatz de taxe Tobin par le Parlement, le voilà maintenant qui trouve scandaleuse la rémunération de certains patrons, qui demande l’interdiction des retraites-chapeau et des parachutes dorés et qui exige que la rétribution variable des dirigeants (leur bonus) soit fixée par l’assemblée générale des actionnaires. Le grand patronat en est resté sans voix, à l’image de Madame Parisot qui s’est abstenue de tout communiqué. On aurait pu penser François Hollande plus sage, mais le voilà qui brandit à son tour le bâton en proposant un taux d’imposition marginal de 75 %. Les campagnes électorales sont décidément bien dures pour les riches !
Jean Tosti
Autant être direct : je n’ai rien contre les riches et je suis pour un revenu maximum.
La raison est simple : je suis un partisan d’une rencontre féconde entre la physique de notre monde et l’économie de notre société. Cela implique notamment que rien ne peut être infini dans un monde fini : ni l’augmentation de la population, ni la richesse matérielle et donc pas non plus la part de celle-ci dont peut disposer un individu. Cela me parait donc être un signal clair pour aider à ancrer cette réalité dans les mentalités : non, on ne peut pas accumuler sans limites. C’est physiquement impossible, personnellement inutile et moralement discutable.
Une course sans fin, donc sans but
Si riches, et pourquoi ?
C’est inutile car passé un certain stade de richesse ni le confort ni le bonheur n’augmentent plus vraiment (voir par exemple ici). Maintenir un “standing” en participant à des activités élitistes et en gérant le train de vie associé coûte plus que de l’argent. Cela prend du temps et éloigne des autres aspirations de l’existence, générant une autre forme de frustration que l’on voudra compenser… avec plus d’argent.
S’engager dans une compétition du “toujours plus” pour faire aussi bien et si possible un peu mieux que ses voisins ne sert qu’à entretenir à l’infini un esprit de compétition qui finit par être stérile. Au bout du compte, cette compétition ne sert qu’à distordre le signal prix envoyé sur les seuils de qualité supérieure des consommations ordinaires. C’est un phénomène que l’on constate à peu près partout : la montée en prix “diverge” par rapport à la montée en gamme.
C’est moralement discutable, car cela pousse un peu tout le monde et beaucoup plus certains à définir l’augmentation de leur richesse comme l’horizon principal de leur existence, au détriment d’un épanouissement personnel, professionnel ou familial. Cette quête promeut des valeurs de cupidité et de transigence avec ses principes moraux, d’autant plus que la richesse fascine et qu’elle est trop souvent vécue comme la sanction de qualités supérieures, le badge d’entrée dans le club des “surhommes”. Je ne vois pourtant pas en quoi devenir millionaire implique qu’on est meilleur qu’un autre. On peut devenir riche pour de nombreuses raisons (par héritage, par chance, par tricherie, par opportunisme de carrière, par recherche délibérée des failles du système etc.). On peut bien évidemment le devenir par son travail, son sens du commerce ou son génie sportif ou intellectuel, mais en quoi posséder ces qualités implique-t-il que l’on mérite de gagner 100, 1 000 ou 10 000 fois plus qu’un travailleur honnête et dévoué ? Pourquoi le fait de posséder un fort sens des responsabilités, une générosité extrême ou un talent de médiateur ne rapporte-t-il rien (matériellement, car humainement il n’y a pas photo) ?
Etant moi-même plutôt confortablement payé pour un travail qui n’est pas assommant après des études dans lesquelles je ne me suis jamais beaucoup investi, je ne me sens pas “supérieur” aux personnes qui ont donné deux fois plus que moi pour gagner trois fois moins, bien au contraire. J’ai tiré profit de mes facilités qui s’avéraient correspondre à un domaine “porteur” et je suis sans doute moins méritant que quelqu’un qui est allé contre sa nature pour suivre une vocation.
L’autre effet pervers de cette course à la richesse et qu’elle donne l’impression à chacun qu’il peut devenir millionaire, ou que ses enfants le pourront. Or le club reste extrêmement select et c’est normal car l’augmentation de la richesse des plus aisés ne fait qu’augmenter le prix des “prestations” qu’ils recherchent et grandir la marche à gravir pour ceux qui voudraient les rejoindre. Pourtant tout un chacun veut y croire, ce qui légitime dans l’opinion notre modèle de développement. Ce qui permet également d’accepter sans broncher les tentatives politiques et médiatiques pour faire comprendre que cette ultra-richesse est bénéfique et ne doit pas être remise en cause.
Une limite en toutes choses
Voilà pourquoi je suis pour un revenu maximum : ce serait envoyer un signal fort et clair à tout le monde que la poursuite d’une chimère de richesse (et donc de pouvoir) absolu n’apportera qu’un semblant de bonheur à quelques élus et une frustration extrême aux autres. Ce serait libérer chacun du poids de ce besoin de réussite matérielle à tout prix, lui permettre de trouver d’autres motifs de satisfaction dans l’existence. Ce serait rétablir une “échelle des valeurs” plus humaine entre les différentes contributions de chacun à la société. Ce serait se rapprocher de l’idéal d’individus nés “libres et égaux”.
Le moyen le plus simple consiste en la mise en place d’une tranche “confiscatoire” de l’impôt sur le revenu conjointement à l’instauration d’un impôt citoyen.
Ce n’est donc pas un projet “contre” les riches que je respecte et qui, comme les moins riches possèdent en leur sein des personnes aux qualités admirables. C’est un projet pour une autre société moins tiraillée par les inégalités. C’est un pas vers un modèle de développement plus respectueux de l’homme et de son environnement. Pour reconnaitre et accepter nos limites.
Blog Accroît-sens
La raison est simple : je suis un partisan d’une rencontre féconde entre la physique de notre monde et l’économie de notre société. Cela implique notamment que rien ne peut être infini dans un monde fini : ni l’augmentation de la population, ni la richesse matérielle et donc pas non plus la part de celle-ci dont peut disposer un individu. Cela me parait donc être un signal clair pour aider à ancrer cette réalité dans les mentalités : non, on ne peut pas accumuler sans limites. C’est physiquement impossible, personnellement inutile et moralement discutable.
Une course sans fin, donc sans but
Si riches, et pourquoi ?
C’est inutile car passé un certain stade de richesse ni le confort ni le bonheur n’augmentent plus vraiment (voir par exemple ici). Maintenir un “standing” en participant à des activités élitistes et en gérant le train de vie associé coûte plus que de l’argent. Cela prend du temps et éloigne des autres aspirations de l’existence, générant une autre forme de frustration que l’on voudra compenser… avec plus d’argent.
S’engager dans une compétition du “toujours plus” pour faire aussi bien et si possible un peu mieux que ses voisins ne sert qu’à entretenir à l’infini un esprit de compétition qui finit par être stérile. Au bout du compte, cette compétition ne sert qu’à distordre le signal prix envoyé sur les seuils de qualité supérieure des consommations ordinaires. C’est un phénomène que l’on constate à peu près partout : la montée en prix “diverge” par rapport à la montée en gamme.
- Prenons le vin : les premiers prix sont à quelques euros pour des vins de piètre qualité ; en doublant le budget (vers 8 €) on peut se procurer des vins de qualité moyenne ; en triplant ce budget (25 €) on peut obtenir de bons vins mais pour obtenir des vins d’exception il faut encore ajouter un facteur 4 (100 €). Bien sûr, si l’on cherche des vins encore plus rares et “exclusif” on va dépasser le millier d’euros voire bien plus
- On peut appliquer des raisonnement similaires à d’autres produits alimentaires comme le thé, la viande (ou globalement la restauration), ou à l’automobile et bien sûr l’immobilier
- Que se passe-t-il lorsqu’on monte dans cette gamme de prix ? A chaque fois, l’”objectif” est d’éliminer une partie de la population. Le terme “objectif” n’est pas des plus appropriés vu qu’il n’y a pas une volonté unique et déterminée derrière ce mécanisme de prix, mais utilisons-le faute de mieux. Cela coûte peu cher de “dissuader” les plus pauvres d’acheter certaines bouteilles mais pour dissuader la grande majorité des buveurs de vin il faut mettre la barre de prix beaucoup plus haut. Enfin, pour réserver les “meilleurs” (au sens de recherchés dans ce cas) crus aux personnes les plus riches il faut que leur prix soit à la mesure des revenus de ces derniers, donc astronomiques pour le commumn des mortels.
C’est moralement discutable, car cela pousse un peu tout le monde et beaucoup plus certains à définir l’augmentation de leur richesse comme l’horizon principal de leur existence, au détriment d’un épanouissement personnel, professionnel ou familial. Cette quête promeut des valeurs de cupidité et de transigence avec ses principes moraux, d’autant plus que la richesse fascine et qu’elle est trop souvent vécue comme la sanction de qualités supérieures, le badge d’entrée dans le club des “surhommes”. Je ne vois pourtant pas en quoi devenir millionaire implique qu’on est meilleur qu’un autre. On peut devenir riche pour de nombreuses raisons (par héritage, par chance, par tricherie, par opportunisme de carrière, par recherche délibérée des failles du système etc.). On peut bien évidemment le devenir par son travail, son sens du commerce ou son génie sportif ou intellectuel, mais en quoi posséder ces qualités implique-t-il que l’on mérite de gagner 100, 1 000 ou 10 000 fois plus qu’un travailleur honnête et dévoué ? Pourquoi le fait de posséder un fort sens des responsabilités, une générosité extrême ou un talent de médiateur ne rapporte-t-il rien (matériellement, car humainement il n’y a pas photo) ?
Etant moi-même plutôt confortablement payé pour un travail qui n’est pas assommant après des études dans lesquelles je ne me suis jamais beaucoup investi, je ne me sens pas “supérieur” aux personnes qui ont donné deux fois plus que moi pour gagner trois fois moins, bien au contraire. J’ai tiré profit de mes facilités qui s’avéraient correspondre à un domaine “porteur” et je suis sans doute moins méritant que quelqu’un qui est allé contre sa nature pour suivre une vocation.
L’autre effet pervers de cette course à la richesse et qu’elle donne l’impression à chacun qu’il peut devenir millionaire, ou que ses enfants le pourront. Or le club reste extrêmement select et c’est normal car l’augmentation de la richesse des plus aisés ne fait qu’augmenter le prix des “prestations” qu’ils recherchent et grandir la marche à gravir pour ceux qui voudraient les rejoindre. Pourtant tout un chacun veut y croire, ce qui légitime dans l’opinion notre modèle de développement. Ce qui permet également d’accepter sans broncher les tentatives politiques et médiatiques pour faire comprendre que cette ultra-richesse est bénéfique et ne doit pas être remise en cause.
Une limite en toutes choses
Voilà pourquoi je suis pour un revenu maximum : ce serait envoyer un signal fort et clair à tout le monde que la poursuite d’une chimère de richesse (et donc de pouvoir) absolu n’apportera qu’un semblant de bonheur à quelques élus et une frustration extrême aux autres. Ce serait libérer chacun du poids de ce besoin de réussite matérielle à tout prix, lui permettre de trouver d’autres motifs de satisfaction dans l’existence. Ce serait rétablir une “échelle des valeurs” plus humaine entre les différentes contributions de chacun à la société. Ce serait se rapprocher de l’idéal d’individus nés “libres et égaux”.
Le moyen le plus simple consiste en la mise en place d’une tranche “confiscatoire” de l’impôt sur le revenu conjointement à l’instauration d’un impôt citoyen.
- La tranche confiscatoire est une tranche à 100% pour les revenus au-delà d’un certain seuil (et au-delà de ce seuil seulement), ce qui laisse quand même de beaux restes
- L’impôt citoyen n’est pas vraiment une nouveauté car il existe notamment aux Etats-Unis. Il permet d’imposer un ressortissant Français où qu’il soit, et donc de couper court à toute peur d’un “exil fiscal” des plus riches, qui ne sont, comme nous l’avons vu, pas forcément les meilleurs, mais sans doute les plus cupides.
- On objecte en général à ce moment là que les riches ne font pas que s’acheter des villas somptuaires mais investissent, créent des emplois etc. C’est bien sûr vrai. C’est également plus dur de créer de l’activité économique quand on gagne le SMIC. Cela dit, si l’objectif n’est pas de s’enrichir mais de créer de l’activité il est tout à fait possible de le faire, pour ceux qui se sont enrichis à travers leur entreprise, en utilisant directement les fonds de celle-ci pour investir plutôt que de passer par un transfert vers leur fortune personnelle. Rappelons aussi que payer des impôts n’est pas stérile mais consiste simplement à subventionner les services publics dont tout le monde bénéficie et donc en particulier à subventionner l’emploi… public.
- Enfin, limiter l’échelle des salaires ne veut pas dire un salaire unique : en conservant un rapport de 1 à 20 on maintient une incitation au travail, au dépassement de soi, à entreprendre, à prendre des risques tout en limitant les effets pervers d’une thésaurisation stérile.
Ce n’est donc pas un projet “contre” les riches que je respecte et qui, comme les moins riches possèdent en leur sein des personnes aux qualités admirables. C’est un projet pour une autre société moins tiraillée par les inégalités. C’est un pas vers un modèle de développement plus respectueux de l’homme et de son environnement. Pour reconnaitre et accepter nos limites.
Blog Accroît-sens
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Front de gauche
Après le Front de gauche, premier à proposer un plafond absolu à 360 000 eu-ros par an, soit 30 000 euros mensuels, tous les candidats y vont de leur proposition sur un thème qui fait un retour en force dans le débat politique.
«Salaire maximal ». L’expression est d’apparition récente dans le débat politique français, mais elle s’est imposée rapidement devant l’écart grandissant entre les rémunérations des hauts cadres et dirigeants d’entreprise, et celles de l’immense majorité. Une exigence éthique, mais pas seulement. Pour Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle du Front de gauche, qui a été le premier acteur politique à la populariser, couplée à la création d’un taux d’écart maximal des salaires d’un à vingt, à l’échelle de chaque entreprise, la proposition obligerait à tirer l’ensemble des salaires vers le haut à chaque augmentation que s’octroieraient les dirigeants. Ou comment concilier justice et efficacité.
75 % des Français pour un salaire maximal
En fait, l’idée d’un salaire maximal n’est pas neuve. Elle serait même probablement née en France, sous la Commune de Paris, il y a près d’un siècle et demi, selon Claudine Rey, coprésidente des Amis de la Commune (voir l’Humanité du 30 mars 2011). Elle était présente dans la proposition du candidat communiste à la présidentielle de 1981, Georges Marchais, de taxer à 100 % les revenus supérieurs à 40 000 francs mensuels de l’époque. Elle revient en force aujourd’hui : 75 % des Français, selon un sondage Ifop pour l’Humanité publié le 11 janvier 2011, se déclaraient favorables à « la fixation d’un salaire maximal » pour les dirigeants des grandes entreprises. L’approbation montait à 84 % pour les sympathisants de gauche, une forte majorité (58 %) des sympathisants UMP l’approuvant également. Est-ce cette exigence, désormais partagée par l’électorat de gauche comme de droite, et dont il n’y a pas lieu de croire qu’elle se soit émoussée depuis, qui pousse tous les candidats à se situer sur ce terrain ? Après le Front de gauche qui propose un plafond absolu à 360 000 euros par an, soit 30 000 euros mensuels, équivalant à vingt fois le salaire médian, Europe Écologie-les Verts (EELV) s’est calé dans son sillage en se prononçant à son tour pour un revenu maximal acceptable (RMA), fixé à trente fois le Smic, soit un niveau à peu près identique à celui proposé par le Front de gauche et « au-delà duquel le taux d’imposition est d’au moins 80 % », explique Jérôme Gleizes, membre du bureau exécutif d’EELV. François Hollande, quant à lui, se prononce aussi pour un écart maximal d’un à vingt entre le bas et le haut de l’échelle, à la différence près que la mesure serait limitée aux dirigeants d’entreprises dont l’État est présent au capital, ce qui limite singulièrement son champ.
Le président candidat feint de réagir
Dernièrement, c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui est revenu à la charge sur le sujet, mercredi soir, sur France 2, au terme d’un quinquennat de promesses de moralisation des pratiques des dirigeants quasiment toutes avortées (voir ci-contre). Après l’augmentation de 34 % que se sont accordée les patrons du CAC40 en 2010, soit une rémunération moyenne de 244 Smic par personne (4,1 millions d’euros), selon une étude du cabinet Proxinvest, le président candidat pouvait difficilement ne pas faire mine de réagir… comme la droite le fait régulièrement sur le mode de l’indignation étonnée, sans que cela ne soit suivi d’effet. Exemple : François Fillon, le 20 juin 2011, qui se disait « choqué de voir des progressions de salaires pour quelques-uns totalement déconnectées de la réalité économique de l’entreprise et des négociations salariales ». Qu’a-t-il fait par la suite pour y mettre fin ? Rien.
Pourtant, il y a urgence à agir. « Entre 2004 et 2008, le revenu des 0,01 % des plus riches a augmenté en moyenne de 180 400 euros par an, alors que le revenu des 50 % des plus modestes connaissait une augmentation moyenne de 900 euros par an », expliquait la députée PCF Marie-George Buffet dans l’Humanité du 3 février. Une proposition nécessaire, donc, mais non suffisante, rappelait l’économiste de la CGT, Nasser Mansouri-Guilani, dans nos colonnes, le 11 septembre 2010 : « Il y a besoin d’un volet politique, c’est évident. Bien sûr, la loi peut décider d’un certain nombre de choses. Mais il faut partir des réalités de terrain. (…) Il y a des comités d’entreprise. Dans certains cas, il y a aussi des administrateurs salariés. Alors il faut utiliser ces droits et il faut lutter pour les élargir. Si l’on ne procède pas ainsi, en développant des luttes à partir des droits existants, en créant les rapports de forces dans l’entreprise, la loi ne suffira pas. »
L’Amérique l’a fait... il y a 60 ans !
En 1942, Franklin Roosevelt avait imposé qu’aucun revenu après impôts n’excède 25 000 dollars par an, l’équivalent de 315 000 dollars aujourd’hui, soit 8,5 fois le revenu médian et 25 fois le plus bas salaire à plein temps. De 1951 à 1964, le taux d’imposition de la tranche de revenus la plus élevée était de 91 % ! Un argument à méditer par ceux qui agitent la menace de la fuite des capitaux à l’étranger. À partir des années 1980, il a chuté pour osciller entre 28 et 35 %, en même temps que prospéraient les paradis fiscaux.
Sébastien Crépel, L'Humanité, 24 février 2012
75 % des Français pour un salaire maximal
En fait, l’idée d’un salaire maximal n’est pas neuve. Elle serait même probablement née en France, sous la Commune de Paris, il y a près d’un siècle et demi, selon Claudine Rey, coprésidente des Amis de la Commune (voir l’Humanité du 30 mars 2011). Elle était présente dans la proposition du candidat communiste à la présidentielle de 1981, Georges Marchais, de taxer à 100 % les revenus supérieurs à 40 000 francs mensuels de l’époque. Elle revient en force aujourd’hui : 75 % des Français, selon un sondage Ifop pour l’Humanité publié le 11 janvier 2011, se déclaraient favorables à « la fixation d’un salaire maximal » pour les dirigeants des grandes entreprises. L’approbation montait à 84 % pour les sympathisants de gauche, une forte majorité (58 %) des sympathisants UMP l’approuvant également. Est-ce cette exigence, désormais partagée par l’électorat de gauche comme de droite, et dont il n’y a pas lieu de croire qu’elle se soit émoussée depuis, qui pousse tous les candidats à se situer sur ce terrain ? Après le Front de gauche qui propose un plafond absolu à 360 000 euros par an, soit 30 000 euros mensuels, équivalant à vingt fois le salaire médian, Europe Écologie-les Verts (EELV) s’est calé dans son sillage en se prononçant à son tour pour un revenu maximal acceptable (RMA), fixé à trente fois le Smic, soit un niveau à peu près identique à celui proposé par le Front de gauche et « au-delà duquel le taux d’imposition est d’au moins 80 % », explique Jérôme Gleizes, membre du bureau exécutif d’EELV. François Hollande, quant à lui, se prononce aussi pour un écart maximal d’un à vingt entre le bas et le haut de l’échelle, à la différence près que la mesure serait limitée aux dirigeants d’entreprises dont l’État est présent au capital, ce qui limite singulièrement son champ.
Le président candidat feint de réagir
Dernièrement, c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui est revenu à la charge sur le sujet, mercredi soir, sur France 2, au terme d’un quinquennat de promesses de moralisation des pratiques des dirigeants quasiment toutes avortées (voir ci-contre). Après l’augmentation de 34 % que se sont accordée les patrons du CAC40 en 2010, soit une rémunération moyenne de 244 Smic par personne (4,1 millions d’euros), selon une étude du cabinet Proxinvest, le président candidat pouvait difficilement ne pas faire mine de réagir… comme la droite le fait régulièrement sur le mode de l’indignation étonnée, sans que cela ne soit suivi d’effet. Exemple : François Fillon, le 20 juin 2011, qui se disait « choqué de voir des progressions de salaires pour quelques-uns totalement déconnectées de la réalité économique de l’entreprise et des négociations salariales ». Qu’a-t-il fait par la suite pour y mettre fin ? Rien.
Pourtant, il y a urgence à agir. « Entre 2004 et 2008, le revenu des 0,01 % des plus riches a augmenté en moyenne de 180 400 euros par an, alors que le revenu des 50 % des plus modestes connaissait une augmentation moyenne de 900 euros par an », expliquait la députée PCF Marie-George Buffet dans l’Humanité du 3 février. Une proposition nécessaire, donc, mais non suffisante, rappelait l’économiste de la CGT, Nasser Mansouri-Guilani, dans nos colonnes, le 11 septembre 2010 : « Il y a besoin d’un volet politique, c’est évident. Bien sûr, la loi peut décider d’un certain nombre de choses. Mais il faut partir des réalités de terrain. (…) Il y a des comités d’entreprise. Dans certains cas, il y a aussi des administrateurs salariés. Alors il faut utiliser ces droits et il faut lutter pour les élargir. Si l’on ne procède pas ainsi, en développant des luttes à partir des droits existants, en créant les rapports de forces dans l’entreprise, la loi ne suffira pas. »
L’Amérique l’a fait... il y a 60 ans !
En 1942, Franklin Roosevelt avait imposé qu’aucun revenu après impôts n’excède 25 000 dollars par an, l’équivalent de 315 000 dollars aujourd’hui, soit 8,5 fois le revenu médian et 25 fois le plus bas salaire à plein temps. De 1951 à 1964, le taux d’imposition de la tranche de revenus la plus élevée était de 91 % ! Un argument à méditer par ceux qui agitent la menace de la fuite des capitaux à l’étranger. À partir des années 1980, il a chuté pour osciller entre 28 et 35 %, en même temps que prospéraient les paradis fiscaux.
Sébastien Crépel, L'Humanité, 24 février 2012
Des projets d’encadrement des plus hauts revenus sont proposés depuis des années mais ne se sont jusqu’à présent jamais traduits en France par la mise en place de mesures concrètes. Au-delà des clivages politiques, l’explication en est relativement simple. Si les risques que posent les écarts actuels de rémunération – problèmes de justice sociale, de gestion des risques et d’efficacité économique – ont été à plusieurs reprises analysés de manière convaincante (on peut notamment lire le rapport du think tank Terra Nova « Pour une régulation des hautes rémunérations » paru en décembre 2011), les solutions avancées peinent encore à convaincre.
Soit, en effet, ces solutions cherchent à préserver totalement la liberté contractuelle en matière de rémunération – cas des mesures basées avant tout sur la diffusion obligatoire d’informations portant sur les rémunérations au sein des entreprises (notamment les informations relatives aux écarts de rémunération au sein de l’entreprise et aux critères de rémunération variable) – et ne pourraient donc avoir qu’un impact réel extrêmement limité, soit elles distinguent pour la mise en place d'un plafonnement entreprises publiques, entreprises privées bénéficiant d'aides publiques et autres entreprises privées (cas notamment de la proposition de loi socialiste de septembre 2009 qui prévoyait le plafonnement des rémunérations des dirigeants d’une société uniquement dans le cas où celle-ci bénéficiait d’aides publiques sous forme de recapitalisation) et ne concerneraient ainsi qu’un nombre trop réduit de salariés. Dans un cas comme dans l’autre, de telles solutions, même si elles étaient demain adoptées, échoueraient fatalement à ramener de manière massive les écarts entre rémunérations fixes à un niveau socialement acceptable.
Une alternative aux dispositifs actuellement proposés existe pourtant. Il s’agirait de mettre en place un mécanisme reposant sur l’utilisation conjointe d’un double levier – agissant à la fois sur la part fixe et sur la part variable des rémunérations –, un mécanisme qui concernerait l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés et serait pour elles contraignant tout en préservant leur liberté de choix en matière de rémunérations.
S’agissant de la part variable des rémunérations, qu’elle prenne la forme de primes, d’actions gratuites ou de stock-options, la mobilisation de l’outil fiscal fait l’objet d’un large consensus, même si les modalités différent selon les positionnements sur l’échiquier politique. L’encadrement des rémunérations variables est en effet le corollaire indispensable à toute tentative d’un encadrement des parts fixes, afin d’éviter le plus possible la mise en place par les entreprises d’un jeu de vases communicants entre parts fixes et parts variables des rémunérations. Trois propositions régulièrement évoquées dans le débat public retiennent particulièrement l’intention : le plafonnement à un pourcentage limité de la seule rémunération fixe du bénéficiaire des régimes de retraite supplémentaire, la remise à plat des avantages fiscaux attribués à la distribution des actions gratuites et des stock-options et la création d’une sixième tranche d’impôt sur le revenu au-delà de 250 000 euros avec un taux marginal d’imposition fixé à 60%.
Mais c’est concernant l’encadrement de la part fixe des rémunérations que le législateur de demain pourrait faire preuve d’imagination une fois au pouvoir. La mise en place d’un dispositif fortement incitatif à destination de l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés (qui représentent 40% de la masse salariale française) visant à ce qu'elles maintiennent dans un rapport de 1 à 20 l'écart entre la rémunération fixe la plus élevée et la rémunération fixe la plus faible versées en leur sein se traduirait concrètement par la limitation de fait des écarts de rémunération au sein des grandes entreprises françaises.
La simplicité d’un tel levier sera la garantie de son efficacité. Il s’agit en effet de proposer dans la loi une alternative aux entreprises de plus de 500 salariés : soit ces entreprises choisissent de ramener dans un délai de trois ans puis de maintenir le rapport entre la rémunération fixe la plus élevée et la rémunération fixe la plus faible versée dans un écart de 1 à 20, soit elles choisissent de s’acquitter d'une taxe de 1% sur la masse salariale, le « 1% Egalité des revenus », qui fonctionnerait sur le modèle du « 1% logement ».
La transparence du système sera quant à elle garantie par l’obligation faite aux entreprises de plus de 500 salariés d'organiser une consultation en comité d'entreprise, comité central d'entreprise ou comité de groupe, sur les parts fixes et variables de la rémunération des dirigeants, en amont de la présentation du rapport de gestion en assemblée générale et dans le prolongement des nouvelles obligations en matière de responsabilité sociale des entreprises
S’agissant du produit du « 1% Egalité des revenus » qui serait créé dans le cadre de l’adoption de cette loi, il devrait être affecté à la politique d'allègement des cotisations sociales sur les plus bas salaires, afin de soutenir l'emploi faiblement qualifié.
On peut aujourd’hui estimer à 1,2 milliards d’euros le produit de ce « 1% Egalité des revenus » si l'ensemble des entreprises de plus de 500 entreprises choisissaient de ne pas maintenir l'écart entre rémunérations fixes dans un rapport de 1 à 20. En prenant comme hypothèse que 80% d'entre elles s'engagent dans le mécanisme d'encadrement, le produit de la taxe qui serait affecté au soutien à l’emploi faiblement qualifié s’élèverait à 240 millions d’euros.
Une seule conclusion s’imposerait alors : l’imagination au pouvoir pourrait permettre demain de dégager des marges de manœuvre budgétaire tout en réduisant les inégalités et en favorisant l’emploi, même si le mécanisme ici proposé a évidemment pour objectif, à moyen terme, l’adoption par l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés du ratio de 1 à 20 et donc la disparition de ce « 1% Egalité des revenus » dont nous défendons la création.
Cartes sur table - 8 janvier 2012
Soit, en effet, ces solutions cherchent à préserver totalement la liberté contractuelle en matière de rémunération – cas des mesures basées avant tout sur la diffusion obligatoire d’informations portant sur les rémunérations au sein des entreprises (notamment les informations relatives aux écarts de rémunération au sein de l’entreprise et aux critères de rémunération variable) – et ne pourraient donc avoir qu’un impact réel extrêmement limité, soit elles distinguent pour la mise en place d'un plafonnement entreprises publiques, entreprises privées bénéficiant d'aides publiques et autres entreprises privées (cas notamment de la proposition de loi socialiste de septembre 2009 qui prévoyait le plafonnement des rémunérations des dirigeants d’une société uniquement dans le cas où celle-ci bénéficiait d’aides publiques sous forme de recapitalisation) et ne concerneraient ainsi qu’un nombre trop réduit de salariés. Dans un cas comme dans l’autre, de telles solutions, même si elles étaient demain adoptées, échoueraient fatalement à ramener de manière massive les écarts entre rémunérations fixes à un niveau socialement acceptable.
Une alternative aux dispositifs actuellement proposés existe pourtant. Il s’agirait de mettre en place un mécanisme reposant sur l’utilisation conjointe d’un double levier – agissant à la fois sur la part fixe et sur la part variable des rémunérations –, un mécanisme qui concernerait l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés et serait pour elles contraignant tout en préservant leur liberté de choix en matière de rémunérations.
S’agissant de la part variable des rémunérations, qu’elle prenne la forme de primes, d’actions gratuites ou de stock-options, la mobilisation de l’outil fiscal fait l’objet d’un large consensus, même si les modalités différent selon les positionnements sur l’échiquier politique. L’encadrement des rémunérations variables est en effet le corollaire indispensable à toute tentative d’un encadrement des parts fixes, afin d’éviter le plus possible la mise en place par les entreprises d’un jeu de vases communicants entre parts fixes et parts variables des rémunérations. Trois propositions régulièrement évoquées dans le débat public retiennent particulièrement l’intention : le plafonnement à un pourcentage limité de la seule rémunération fixe du bénéficiaire des régimes de retraite supplémentaire, la remise à plat des avantages fiscaux attribués à la distribution des actions gratuites et des stock-options et la création d’une sixième tranche d’impôt sur le revenu au-delà de 250 000 euros avec un taux marginal d’imposition fixé à 60%.
Mais c’est concernant l’encadrement de la part fixe des rémunérations que le législateur de demain pourrait faire preuve d’imagination une fois au pouvoir. La mise en place d’un dispositif fortement incitatif à destination de l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés (qui représentent 40% de la masse salariale française) visant à ce qu'elles maintiennent dans un rapport de 1 à 20 l'écart entre la rémunération fixe la plus élevée et la rémunération fixe la plus faible versées en leur sein se traduirait concrètement par la limitation de fait des écarts de rémunération au sein des grandes entreprises françaises.
La simplicité d’un tel levier sera la garantie de son efficacité. Il s’agit en effet de proposer dans la loi une alternative aux entreprises de plus de 500 salariés : soit ces entreprises choisissent de ramener dans un délai de trois ans puis de maintenir le rapport entre la rémunération fixe la plus élevée et la rémunération fixe la plus faible versée dans un écart de 1 à 20, soit elles choisissent de s’acquitter d'une taxe de 1% sur la masse salariale, le « 1% Egalité des revenus », qui fonctionnerait sur le modèle du « 1% logement ».
La transparence du système sera quant à elle garantie par l’obligation faite aux entreprises de plus de 500 salariés d'organiser une consultation en comité d'entreprise, comité central d'entreprise ou comité de groupe, sur les parts fixes et variables de la rémunération des dirigeants, en amont de la présentation du rapport de gestion en assemblée générale et dans le prolongement des nouvelles obligations en matière de responsabilité sociale des entreprises
S’agissant du produit du « 1% Egalité des revenus » qui serait créé dans le cadre de l’adoption de cette loi, il devrait être affecté à la politique d'allègement des cotisations sociales sur les plus bas salaires, afin de soutenir l'emploi faiblement qualifié.
On peut aujourd’hui estimer à 1,2 milliards d’euros le produit de ce « 1% Egalité des revenus » si l'ensemble des entreprises de plus de 500 entreprises choisissaient de ne pas maintenir l'écart entre rémunérations fixes dans un rapport de 1 à 20. En prenant comme hypothèse que 80% d'entre elles s'engagent dans le mécanisme d'encadrement, le produit de la taxe qui serait affecté au soutien à l’emploi faiblement qualifié s’élèverait à 240 millions d’euros.
Une seule conclusion s’imposerait alors : l’imagination au pouvoir pourrait permettre demain de dégager des marges de manœuvre budgétaire tout en réduisant les inégalités et en favorisant l’emploi, même si le mécanisme ici proposé a évidemment pour objectif, à moyen terme, l’adoption par l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés du ratio de 1 à 20 et donc la disparition de ce « 1% Egalité des revenus » dont nous défendons la création.
Cartes sur table - 8 janvier 2012
Un point de vue de Robert Castel
L’instauration d’un revenu minimal et d’un revenu maximal s’impose parce que notre société est menacée par une coupure. En haut de la structure sociale prolifèrent des groupes de nantis dotés de privilèges exorbitants. Ils n’ont plus rien de commun avec le nombre croissant de tous ceux qui n’arrivent plus à «joindre les deux bouts».
Cette coupure remet en question la possibilité de continuer à «faire société», qui suppose que tous ces membres fassent partie d’un même ensemble lié par des relations d’interdépendance. Face à ces menaces de fragmentation dues à l’explosion des inégalités deux séries complémentaires de mesures pourraient être imposées pour combattre cette dynamique destructrice de la cohésion sociale.
1) L’instauration d’un revenu maximal serait le moyen de maintenir ou de rapatrier les ultrariches au sein de l’ensemble social en rapprochant leurs conditions de celles du régime commun. A quel taux faudrait-il fixer le montant de ce revenu ? Des propositions de l’ordre de 20 fois le revenu minima, ou de 20 fois le Smic ont été avancées. On pourrait en discuter, et discuter aussi des moyens d’imposer de telles mesures. Mais elles doivent être défendues dans leur principe, car elles seraient un puissant moyen de réduire les inégalités en permettant de redistribuer une part des hauts revenus pour améliorer la condition du plus grand nombre et des plus démunis.
2) L’instauration d’un droit à un revenu minimal garanti devrait être posée comme une exigence incontournable pour assurer à tous les membres de la société le socle de ressources nécessaire pour satisfaire à leurs besoins. Mais plusieurs formules ont été avancées pour réaliser cette exigence, dont certaines me paraissent dangereuses. On a ainsi évoqué l’attribution d’un revenu d’existence ou de citoyenneté voire d’une allocation universelle qui se contenteraient de distribuer à tous une allocation financière minimale. Un tel revenu ne pourrait être qu’une médiocre allocation de subsistance qui n’assurerait pas l’indépendance économique des bénéficiaires.
Ceux-ci seraient obligés d’accomplir à n’importe quel prix des activités pour arrondir leur allocation. Ce serait un facteur supplémentaire de dégradation du marché du travail encourageant le développement d’activités médiocres et mal payées.
Le renforcement des minima sociaux et du RSA pourrait fournir une réponse plus consistante, à condition qu’il soit reformé. Ainsi le RSA étendu aux jeunes pourrait inclure aussi, outre l’API, la SS et la prime pour l’emploi, couvrant de ce fait la plupart des situations sociales déficitaires. L’allocation de base devrait être augmentée. Surtout, il devrait devenir un dispositif accès à l’emploi durable et non un palliatif qui risque d’entretenir la précarité. Sous ces conditions le RSA pourrait accomplir la double fonction de garantir un revenu assurant la satisfaction des besoins de base de ceux et de celles qui sont à distance de l’emploi durable, et d’accompagner les bénéficiaires sur la voie du retour à cet emploi durable.
Le RSA ainsi musclé pourrait constituer un élément essentiel de ce que l’on pourrait appeler une sécurité sociale minimale garantie. J’entends par là la possibilité de disposer de ces protections de base nécessaires pour être capable de mener une vie décente. Mais ces conditions ne sont pas seulement financières, elles dépendent aussi du fait d’être reconnu comme un sujet de droit.
Robert Castel, Libération, 27 janvier 2012
Cette coupure remet en question la possibilité de continuer à «faire société», qui suppose que tous ces membres fassent partie d’un même ensemble lié par des relations d’interdépendance. Face à ces menaces de fragmentation dues à l’explosion des inégalités deux séries complémentaires de mesures pourraient être imposées pour combattre cette dynamique destructrice de la cohésion sociale.
1) L’instauration d’un revenu maximal serait le moyen de maintenir ou de rapatrier les ultrariches au sein de l’ensemble social en rapprochant leurs conditions de celles du régime commun. A quel taux faudrait-il fixer le montant de ce revenu ? Des propositions de l’ordre de 20 fois le revenu minima, ou de 20 fois le Smic ont été avancées. On pourrait en discuter, et discuter aussi des moyens d’imposer de telles mesures. Mais elles doivent être défendues dans leur principe, car elles seraient un puissant moyen de réduire les inégalités en permettant de redistribuer une part des hauts revenus pour améliorer la condition du plus grand nombre et des plus démunis.
2) L’instauration d’un droit à un revenu minimal garanti devrait être posée comme une exigence incontournable pour assurer à tous les membres de la société le socle de ressources nécessaire pour satisfaire à leurs besoins. Mais plusieurs formules ont été avancées pour réaliser cette exigence, dont certaines me paraissent dangereuses. On a ainsi évoqué l’attribution d’un revenu d’existence ou de citoyenneté voire d’une allocation universelle qui se contenteraient de distribuer à tous une allocation financière minimale. Un tel revenu ne pourrait être qu’une médiocre allocation de subsistance qui n’assurerait pas l’indépendance économique des bénéficiaires.
Ceux-ci seraient obligés d’accomplir à n’importe quel prix des activités pour arrondir leur allocation. Ce serait un facteur supplémentaire de dégradation du marché du travail encourageant le développement d’activités médiocres et mal payées.
Le renforcement des minima sociaux et du RSA pourrait fournir une réponse plus consistante, à condition qu’il soit reformé. Ainsi le RSA étendu aux jeunes pourrait inclure aussi, outre l’API, la SS et la prime pour l’emploi, couvrant de ce fait la plupart des situations sociales déficitaires. L’allocation de base devrait être augmentée. Surtout, il devrait devenir un dispositif accès à l’emploi durable et non un palliatif qui risque d’entretenir la précarité. Sous ces conditions le RSA pourrait accomplir la double fonction de garantir un revenu assurant la satisfaction des besoins de base de ceux et de celles qui sont à distance de l’emploi durable, et d’accompagner les bénéficiaires sur la voie du retour à cet emploi durable.
Le RSA ainsi musclé pourrait constituer un élément essentiel de ce que l’on pourrait appeler une sécurité sociale minimale garantie. J’entends par là la possibilité de disposer de ces protections de base nécessaires pour être capable de mener une vie décente. Mais ces conditions ne sont pas seulement financières, elles dépendent aussi du fait d’être reconnu comme un sujet de droit.
Robert Castel, Libération, 27 janvier 2012
En ce début de XXIIe siècle, plus personne ne conteste la nécessité de plafonner les écarts de revenus pour garantir la cohésion sociale et préserver l’environnement. Il y a un siècle, pourtant, cette idée semblait encore utopique. C’est avec la grande crise de 2008-2015, et les inégalités sans précédent qui la provoquèrent et l’accompagnèrent, que ce projet finit par s’imposer.
Dans l’histoire des idées, de l’Antiquité à nos jours, c’est presque toujours en termes relatifs que les excès de richesse ont été dénoncés et que des limites ont été proposées, associant richesse et pauvreté, plafond et seuil. Trois raisons expliquent cette priorité accordée aux écarts relatifs plutôt qu’aux seuls niveaux absolus. La première relève de l’éthique, la seconde de l’économie, la troisième de l’écologie politique. Leur examen successif explique également pourquoi l’idée d’un plafonnement des écarts progressa au début du XXIe siècle.
La première, la « raison morale », s’exprimait en termes de décence ou d’indécence (de la richesse comme de la pauvreté), d’inégalités « acceptables » ou « tolérables » au regard des normes de justice en vigueur dans une société. Des enquêtes sociologiques permirent de les évaluer. Leurs résultats montraient que non seulement 80 % environ des Français estimaient que les inégalités étaient excessives, mais qu’ils n’hésitaient pas à se prononcer sur le montant souhaitable des minima sociaux et des revenus les plus élevés [1].
Dans la seconde explication de l’insistance (croissante) sur les écarts relatifs, deux arguments économiques se rejoignirent. Le premier consistait à dire qu’en réduisant l’excès de richesse on pourrait en finir avec la pauvreté monétaire [2], ou en tout cas la faire reculer fortement. Ce qui était exact : des évaluations simples montraient qu’en redistribuant une modeste partie des revenus des plus riches, sans affecter notablement leur bien-être, sans dommage pour l’économie, on pouvait faire reculer la pauvreté monétaire dans les pays riches au point de l’éradiquer [3].
Le second argument économique apparut avec la crise des subprimes de 2008. Il reposait sur la démonstration suivante. C’est à la fois la richesse excessive des riches en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible et la pauvreté des conditions de vie de millions de ménages qui avaient facilité la mise au point de produits financiers à très hauts risques (risques supportés finalement par les ménages modestes et par les contribuables), selon des mécanismes où les riches du monde entier prêtaient à des taux usuraires, via des institutions financières sous leur contrôle, à des ménages surendettés croyant à la hausse continue de la valeur de leurs logements. À nouveau, c’est bien l’énormité des écarts de richesse qui fut pointée du doigt, cette fois comme facteur de crise et de démesure financière.
Enfin, la troisième raison qui conduisit à privilégier les écarts de richesses relève de l’écologie politique : dans un monde dont les ressources naturelles étaient limitées (la prise de conscience de cette évidence avait été très tardive), alors que la pression écologique des plus riches (leur usage de ressources), était sans commune mesure avec celle des plus modestes, il arriva, bien après que tous les indicateurs eurent indiqué que les seuils de durabilité avaient déjà été dépassés, un moment où la richesse des uns interdit aux autres de vivre décemment, voire de survivre, en les privant de biens communs essentiels « plafonnés » par la nature. La réduction des inégalités devint alors un impératif de civilisation vital.
C’est seulement un peu plus tard, dans les années 2020, qu’on associa des normes relatives et des plafonds absolus de richesse, sur la base de la généralisation de l’indicateur d’empreinte écologique (des individus et des nations), qui invitait de plus en plus à « économiser » des ressources naturelles risquant de faire défaut, dont un climat vivable, l’eau, les terres arables, des matières premières nombreuses, ou la biodiversité, qui reculait dramatiquement.
Des revenus plafonnés, cela avait déjà existé, ou presque
« Revenu maximal acceptable », salaire maximum [4], progressivité de l’imposition des revenus jusqu’à une tranche d’imposition à 100 % pour les très hauts revenus : ces propositions gagnèrent du terrain à l’approche des élections de 2012 et dans les années qui suivirent. C’est que, en ce début de siècle, les trois registres de contestation de l’excès d’inégalités se nourrissaient de constats sociaux ou écologiques alarmants, qui se multiplièrent à partir de 2008 [5]. Des « économistes atterrés » aux ONG écologistes, en passant par les associations de lutte contre la pauvreté et les « indignés » du monde dont le mouvement multiforme avait pris de l’ampleur, la critique de l’excès de richesse au regard de ce que vivait la majorité des gens était devenue monnaie courante. Au point de « contaminer » des cercles ou des médias qui semblaient vaccinés. Le magazine L’Expansion consacrait ainsi, dans son numéro du 1er décembre 2010, un dossier de neuf pages à l’injustice de la répartition des richesses produites dans le cas des entreprises du CAC 40.
Pour juger des effets de la mise en œuvre d’un plafond de richesse (évalué en termes relatifs) certains rappelèrent qu’au cours de la période dite des « Trente Glorieuses », de nombreux pays avaient déjà pris des mesures de ce type. L’exemple le plus cité était celui du pays qui apparaissait dans les années 2000 comme le plus inégalitaire des grands pays riches, les États-Unis. Mais bien d’autres pays avaient suivi au cours de la même période, y compris la France. En 1942, Franklin Delano Roosevelt déclarait : « Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an ». C’était l’équivalent d’environ 400 000 dollars de 2011. Roosevelt avait en réalité mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-1945. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels avait été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusqu’en 1981 [6].
Quel fut l’impact de cette politique « utopique » devenue effective aux États-Unis ? Même si d’autres facteurs jouèrent, elle contribua fortement à ce que ce pays connaisse trois décennies d’inégalités réduites, ce qu’illustre le graphique suivant, qui représente la part du revenu total des ménages revenant aux 10 % les plus riches entre 1917 et 2006.
La première, la « raison morale », s’exprimait en termes de décence ou d’indécence (de la richesse comme de la pauvreté), d’inégalités « acceptables » ou « tolérables » au regard des normes de justice en vigueur dans une société. Des enquêtes sociologiques permirent de les évaluer. Leurs résultats montraient que non seulement 80 % environ des Français estimaient que les inégalités étaient excessives, mais qu’ils n’hésitaient pas à se prononcer sur le montant souhaitable des minima sociaux et des revenus les plus élevés [1].
Dans la seconde explication de l’insistance (croissante) sur les écarts relatifs, deux arguments économiques se rejoignirent. Le premier consistait à dire qu’en réduisant l’excès de richesse on pourrait en finir avec la pauvreté monétaire [2], ou en tout cas la faire reculer fortement. Ce qui était exact : des évaluations simples montraient qu’en redistribuant une modeste partie des revenus des plus riches, sans affecter notablement leur bien-être, sans dommage pour l’économie, on pouvait faire reculer la pauvreté monétaire dans les pays riches au point de l’éradiquer [3].
Le second argument économique apparut avec la crise des subprimes de 2008. Il reposait sur la démonstration suivante. C’est à la fois la richesse excessive des riches en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible et la pauvreté des conditions de vie de millions de ménages qui avaient facilité la mise au point de produits financiers à très hauts risques (risques supportés finalement par les ménages modestes et par les contribuables), selon des mécanismes où les riches du monde entier prêtaient à des taux usuraires, via des institutions financières sous leur contrôle, à des ménages surendettés croyant à la hausse continue de la valeur de leurs logements. À nouveau, c’est bien l’énormité des écarts de richesse qui fut pointée du doigt, cette fois comme facteur de crise et de démesure financière.
Enfin, la troisième raison qui conduisit à privilégier les écarts de richesses relève de l’écologie politique : dans un monde dont les ressources naturelles étaient limitées (la prise de conscience de cette évidence avait été très tardive), alors que la pression écologique des plus riches (leur usage de ressources), était sans commune mesure avec celle des plus modestes, il arriva, bien après que tous les indicateurs eurent indiqué que les seuils de durabilité avaient déjà été dépassés, un moment où la richesse des uns interdit aux autres de vivre décemment, voire de survivre, en les privant de biens communs essentiels « plafonnés » par la nature. La réduction des inégalités devint alors un impératif de civilisation vital.
C’est seulement un peu plus tard, dans les années 2020, qu’on associa des normes relatives et des plafonds absolus de richesse, sur la base de la généralisation de l’indicateur d’empreinte écologique (des individus et des nations), qui invitait de plus en plus à « économiser » des ressources naturelles risquant de faire défaut, dont un climat vivable, l’eau, les terres arables, des matières premières nombreuses, ou la biodiversité, qui reculait dramatiquement.
Des revenus plafonnés, cela avait déjà existé, ou presque
« Revenu maximal acceptable », salaire maximum [4], progressivité de l’imposition des revenus jusqu’à une tranche d’imposition à 100 % pour les très hauts revenus : ces propositions gagnèrent du terrain à l’approche des élections de 2012 et dans les années qui suivirent. C’est que, en ce début de siècle, les trois registres de contestation de l’excès d’inégalités se nourrissaient de constats sociaux ou écologiques alarmants, qui se multiplièrent à partir de 2008 [5]. Des « économistes atterrés » aux ONG écologistes, en passant par les associations de lutte contre la pauvreté et les « indignés » du monde dont le mouvement multiforme avait pris de l’ampleur, la critique de l’excès de richesse au regard de ce que vivait la majorité des gens était devenue monnaie courante. Au point de « contaminer » des cercles ou des médias qui semblaient vaccinés. Le magazine L’Expansion consacrait ainsi, dans son numéro du 1er décembre 2010, un dossier de neuf pages à l’injustice de la répartition des richesses produites dans le cas des entreprises du CAC 40.
Pour juger des effets de la mise en œuvre d’un plafond de richesse (évalué en termes relatifs) certains rappelèrent qu’au cours de la période dite des « Trente Glorieuses », de nombreux pays avaient déjà pris des mesures de ce type. L’exemple le plus cité était celui du pays qui apparaissait dans les années 2000 comme le plus inégalitaire des grands pays riches, les États-Unis. Mais bien d’autres pays avaient suivi au cours de la même période, y compris la France. En 1942, Franklin Delano Roosevelt déclarait : « Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an ». C’était l’équivalent d’environ 400 000 dollars de 2011. Roosevelt avait en réalité mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-1945. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels avait été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusqu’en 1981 [6].
Quel fut l’impact de cette politique « utopique » devenue effective aux États-Unis ? Même si d’autres facteurs jouèrent, elle contribua fortement à ce que ce pays connaisse trois décennies d’inégalités réduites, ce qu’illustre le graphique suivant, qui représente la part du revenu total des ménages revenant aux 10 % les plus riches entre 1917 et 2006.
Source [7]
Ce rappel historique suggère que l’idée d’un revenu maximum pouvait apparaître non seulement comme une exigence morale, mais aussi comme l’une des voies de sortie des crises graves, lorsque l’excès d’inégalités était clairement identifié comme un facteur majeur de ces crises. Or, à partir de 2008, l’économie européenne se trouvait précisément dans cette situation de crise majeure.
À quoi devait ressembler une société où les revenus seraient plafonnés ?
Le débat fit rage, tandis que les inégalités s’accroissaient et minaient la cohésion sociale. Cinq points structuraient la réflexion des partisans d’un plafonnement des écarts de revenus :
1. Qui était légitime pour définir des écarts acceptables et comment y parvenir ? Trouver des réponses semblait impossible, en régime non-autoritaire, sans un large consentement et donc sans le secours d’une démocratie autrement plus ouverte que celles qui prévalaient alors. « Allons chercher la justice avec les gens », par le biais d’assises citoyennes dotées de pouvoirs nouveaux : tel était le mot d’ordre de ceux qui prônaient une véritable démocratisation des institutions. Les conclusions de ces assises citoyennes devaient rapidement paraître infiniment plus égalitaires que tous les débats de Parlements dont la composition de classe et la faible capacité de résistance aux groupes d’intérêt des plus riches défendant leurs niches étaient connues de tous.
2. Les inégalités de revenus ne constituaient que l’un des déterminants des inégalités de conditions. Le plafonnement des premières aurait eu un faible impact si elle s’était accompagnée d’un effritement toujours plus prononcé de la protection sociale ou d’une dégradation des services publics. Selon l’Insee, ces derniers contribuaient deux fois plus à la réduction des inégalités que les prestations sociales. Une société plafonnant les écarts de revenus devait donc préserver d’autres déterminants de l’égalité des droits.
3. Fallait-il d’abord plafonner les salaires ou les revenus du capital et du patrimoine (revenus fonciers, intérêts des placements, dividendes, plus-values, etc.) ? Ces derniers étaient devenus la composante la plus importante des très hauts revenus : environ les deux tiers des revenus pour les 0,1 % les plus riches et les trois-quarts pour les 0,01 %. Mais, en réalité, une bonne partie des très hauts salaires avait également été tirée vers le haut par les gros revenus financiers : il ne s’agissait pas de « vrais salaires » au sens de la juste rétribution de compétences, de talents ou d’efforts, mais de « salaires de marchés financiarisés ». C’est donc l’ensemble des revenus dont l’échelle devait être raccourcie, par le haut et par le bas.
4. Pouvait-on faire reposer un plafonnement des écarts de revenus sur la seule fiscalité ? Non – pour de multiples raisons. D’abord, si la fiscalité était assez efficace pour limiter les excès par le haut, elle n’était d’aucun secours pour le relèvement des minima sociaux (sauf par le biais de crédits d’impôt qui avaient des limites) ou du SMIC, ou pour en finir avec le temps partiel subi, l’une des causes de la pauvreté salariale qui régnait alors. Ensuite, à trop compter sur la fiscalité pour réduire les écarts de « revenus primaires » (revenus avant impôts du travail et du capital), on se serait exposé à laisser filer ces derniers : la fiscalité aurait été perpétuellement à la traîne derrière des inégalités démesurées. Il fallait donc aussi peser, par la loi et dans les entreprises, sur les écarts de salaires et sur des plafonds de rémunération du capital [8].
5. Quels devaient être les bénéfices individuels et collectifs d’un plafonnement « efficace » des écarts de revenu ? Ils se révélèrent considérables sur tous les plans dans les années 2020 et 2030, et même dès 2013, année de puissants mouvements sociaux. C’est cette perspective que voulait masquer, au début des années 2010, le fatalisme selon lequel « des riches et des pauvres, il y en a toujours eu et il y en aura toujours ». Une hypothèse fut alors avancée : un minimum de 1 000 euros mensuels pour une personne seule [9] et un maximum de 10 000 euros. Ces chiffres, qui semblaient parfaitement utopiques, étaient pourtant très réalistes au regard des enquêtes de perception des niveaux des minima et maxima jugés souhaitables par les Français. Environ neuf millions de personnes pouvaient alors voir leur sort s’améliorer, sensiblement pour les uns, très fortement pour la majorité (souvenons-nous que le RSA de base était à 467 euros en 2011).
Tous les constats statistiques internationaux convergeaient pour soutenir ces propositions : les indicateurs de bien-être ou de développement humain et social (santé, éducation, insécurité et violences, égalité entre les femmes et les hommes, etc.) étaient nettement et positivement corrélés au degré d’égalité des revenus. Des ouvrages avaient été consacrés à ces thèmes [10]. Et, pourtant, les résistances étaient nombreuses. Celui que des sociologues de l’époque appelaient « le président des riches » (l’histoire a oublié son nom, contrairement à celui de Roosevelt) en raison de ses liens privilégiés avec la ploutocratie et les milieux d’affaires, tenta même, en octobre 2011, d’utiliser un rapport qu’il avait commandé à des proches pour faire croire que, pendant son quinquennat, la pauvreté avait nettement diminué, alors que tout indiquait une forte progression. La ficelle était tellement grosse que cette manœuvre se retourna contre lui, tous les statisticiens sérieux et toutes les associations dénonçant alors le truquage statistique [11]. Il fut même critiqué par Eurostat, l’équivalent européen de l’Insee, qui rappela que si l’Europe s’était officiellement dotée, dès 2001, d’une définition statistique officielle de la pauvreté des revenus, c’était justement pour éviter que chaque chef d’État n’en fasse qu’à sa tête.
Une voie vers la sortie de crise
Quelle incidence devait avoir un plafonnement des écarts de revenus sur la résolution de la crise écologique qui prenait alors un tour inquiétant ? Son impact aurait été nul s’il s’était traduit seulement par le fait que les uns consomment plus et les autres moins d’une production matérielle identique en quantité et en qualité. Mais Hervé Kempf, auteur de plusieurs livres sur le sujet au tournant des années 2010, empruntait un raisonnement sociologique plus subtil : « Que se passe-t-il dans une société très inégalitaire ? Elle génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines “people”, sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant. […] On voit ici que la question de l’inégalité est cruciale » [12].
Le capitalisme actionnarial et ses alliés politiques et médiatiques étaient parvenus, jusqu’à la « deuxième grande crise », à ce que des mesures que l’immense majorité des citoyens trouvait justes et raisonnables soient présentées comme totalement utopiques ou nocives [13], au point de disparaître de l’agenda politique d’une partie de la gauche. Mais la crise multiforme des années 2008-2015, qui était encore loin d’être finie en 2012, réveilla le sens de la justice. Elle déboucha notamment sur des mesures qui allaient considérablement favoriser les mouvements pour la justice : la « socialisation » et la « reprise en main » d’une sphère financière privatisée devenue un danger planétaire et le facteur majeur de creusement des inégalités. On peut être stupéfait, en ce début de XXIIe siècle, que la période des « Trente Calamiteuses », de 1980 à 2010, ait vu les gouvernants confier à de grands actionnaires et grands spéculateurs, baptisés alors pudiquement « marchés financiers », le soin de gérer la création monétaire, le crédit, les monnaies (nous avons depuis 2030 une monnaie mondiale et d’innombrables monnaies locales ou régionales « solidaires »), autant de domaines relevant aujourd’hui, et depuis longtemps, des biens communs gérés démocratiquement par toutes les parties prenantes. Mais les historiens ont bien montré que les gouvernants de cette période de démocratie affaiblie étaient très souvent les fondés de pouvoir et les « avocats d’affaires » des grands intérêts privés.
Parce que les partisans d’un plafonnement des écarts de revenus surent se saisir des opportunités de contestation et de reconstruction qu’elle offrait, la crise contribua ainsi à transformer en projet réaliste ce qui restait encore de l’ordre du rêve pour les hommes et les femmes des années 2000.
Jean Gadrey
1 Voir « L’éventail acceptable des revenus : Platon, Georges Marchais, etc. »
2 Selon l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, « les indicateurs de pauvreté monétaire déterminent les personnes dont le niveau de vie est inférieur à un montant donné dit seuil de pauvreté. »
3 Jean Gadrey, « Si on prenait un peu aux riches, ça ferait combien pour les pauvres ? »
4 Voir les sites wikipedia et salairemaximum.net
5 Écoutez Patrick Viveret sur le RMA (Revenu Maximal Acceptable)
6 Voir sur mon blog : « Les États-Unis instaurent un revenu maximum pour sortir de la crise ! »
7 Source du graphique : données d’Emmanuel Saez
8 Voir le SLAM proposé par Frédéric Lordon
9 Ordre de grandeur fourni par les sondages Ipsos (pour le Secours Populaire) des années 2010.
10 Voir ce compte rendu du livre de l’épidémiologiste britannique Richard Wilkinson, « l’égalité, c’est la santé »
11 Voir mon blog
12 À lire, par Hervé Kempf
13 Voir, en réponse à l’objection « la mondialisation interdit tout plafonnement des inégalités », l’article « Ciel ! Nos riches et nos entreprises vont partir ! »
Ce rappel historique suggère que l’idée d’un revenu maximum pouvait apparaître non seulement comme une exigence morale, mais aussi comme l’une des voies de sortie des crises graves, lorsque l’excès d’inégalités était clairement identifié comme un facteur majeur de ces crises. Or, à partir de 2008, l’économie européenne se trouvait précisément dans cette situation de crise majeure.
À quoi devait ressembler une société où les revenus seraient plafonnés ?
Le débat fit rage, tandis que les inégalités s’accroissaient et minaient la cohésion sociale. Cinq points structuraient la réflexion des partisans d’un plafonnement des écarts de revenus :
1. Qui était légitime pour définir des écarts acceptables et comment y parvenir ? Trouver des réponses semblait impossible, en régime non-autoritaire, sans un large consentement et donc sans le secours d’une démocratie autrement plus ouverte que celles qui prévalaient alors. « Allons chercher la justice avec les gens », par le biais d’assises citoyennes dotées de pouvoirs nouveaux : tel était le mot d’ordre de ceux qui prônaient une véritable démocratisation des institutions. Les conclusions de ces assises citoyennes devaient rapidement paraître infiniment plus égalitaires que tous les débats de Parlements dont la composition de classe et la faible capacité de résistance aux groupes d’intérêt des plus riches défendant leurs niches étaient connues de tous.
2. Les inégalités de revenus ne constituaient que l’un des déterminants des inégalités de conditions. Le plafonnement des premières aurait eu un faible impact si elle s’était accompagnée d’un effritement toujours plus prononcé de la protection sociale ou d’une dégradation des services publics. Selon l’Insee, ces derniers contribuaient deux fois plus à la réduction des inégalités que les prestations sociales. Une société plafonnant les écarts de revenus devait donc préserver d’autres déterminants de l’égalité des droits.
3. Fallait-il d’abord plafonner les salaires ou les revenus du capital et du patrimoine (revenus fonciers, intérêts des placements, dividendes, plus-values, etc.) ? Ces derniers étaient devenus la composante la plus importante des très hauts revenus : environ les deux tiers des revenus pour les 0,1 % les plus riches et les trois-quarts pour les 0,01 %. Mais, en réalité, une bonne partie des très hauts salaires avait également été tirée vers le haut par les gros revenus financiers : il ne s’agissait pas de « vrais salaires » au sens de la juste rétribution de compétences, de talents ou d’efforts, mais de « salaires de marchés financiarisés ». C’est donc l’ensemble des revenus dont l’échelle devait être raccourcie, par le haut et par le bas.
4. Pouvait-on faire reposer un plafonnement des écarts de revenus sur la seule fiscalité ? Non – pour de multiples raisons. D’abord, si la fiscalité était assez efficace pour limiter les excès par le haut, elle n’était d’aucun secours pour le relèvement des minima sociaux (sauf par le biais de crédits d’impôt qui avaient des limites) ou du SMIC, ou pour en finir avec le temps partiel subi, l’une des causes de la pauvreté salariale qui régnait alors. Ensuite, à trop compter sur la fiscalité pour réduire les écarts de « revenus primaires » (revenus avant impôts du travail et du capital), on se serait exposé à laisser filer ces derniers : la fiscalité aurait été perpétuellement à la traîne derrière des inégalités démesurées. Il fallait donc aussi peser, par la loi et dans les entreprises, sur les écarts de salaires et sur des plafonds de rémunération du capital [8].
5. Quels devaient être les bénéfices individuels et collectifs d’un plafonnement « efficace » des écarts de revenu ? Ils se révélèrent considérables sur tous les plans dans les années 2020 et 2030, et même dès 2013, année de puissants mouvements sociaux. C’est cette perspective que voulait masquer, au début des années 2010, le fatalisme selon lequel « des riches et des pauvres, il y en a toujours eu et il y en aura toujours ». Une hypothèse fut alors avancée : un minimum de 1 000 euros mensuels pour une personne seule [9] et un maximum de 10 000 euros. Ces chiffres, qui semblaient parfaitement utopiques, étaient pourtant très réalistes au regard des enquêtes de perception des niveaux des minima et maxima jugés souhaitables par les Français. Environ neuf millions de personnes pouvaient alors voir leur sort s’améliorer, sensiblement pour les uns, très fortement pour la majorité (souvenons-nous que le RSA de base était à 467 euros en 2011).
Tous les constats statistiques internationaux convergeaient pour soutenir ces propositions : les indicateurs de bien-être ou de développement humain et social (santé, éducation, insécurité et violences, égalité entre les femmes et les hommes, etc.) étaient nettement et positivement corrélés au degré d’égalité des revenus. Des ouvrages avaient été consacrés à ces thèmes [10]. Et, pourtant, les résistances étaient nombreuses. Celui que des sociologues de l’époque appelaient « le président des riches » (l’histoire a oublié son nom, contrairement à celui de Roosevelt) en raison de ses liens privilégiés avec la ploutocratie et les milieux d’affaires, tenta même, en octobre 2011, d’utiliser un rapport qu’il avait commandé à des proches pour faire croire que, pendant son quinquennat, la pauvreté avait nettement diminué, alors que tout indiquait une forte progression. La ficelle était tellement grosse que cette manœuvre se retourna contre lui, tous les statisticiens sérieux et toutes les associations dénonçant alors le truquage statistique [11]. Il fut même critiqué par Eurostat, l’équivalent européen de l’Insee, qui rappela que si l’Europe s’était officiellement dotée, dès 2001, d’une définition statistique officielle de la pauvreté des revenus, c’était justement pour éviter que chaque chef d’État n’en fasse qu’à sa tête.
Une voie vers la sortie de crise
Quelle incidence devait avoir un plafonnement des écarts de revenus sur la résolution de la crise écologique qui prenait alors un tour inquiétant ? Son impact aurait été nul s’il s’était traduit seulement par le fait que les uns consomment plus et les autres moins d’une production matérielle identique en quantité et en qualité. Mais Hervé Kempf, auteur de plusieurs livres sur le sujet au tournant des années 2010, empruntait un raisonnement sociologique plus subtil : « Que se passe-t-il dans une société très inégalitaire ? Elle génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines “people”, sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant. […] On voit ici que la question de l’inégalité est cruciale » [12].
Le capitalisme actionnarial et ses alliés politiques et médiatiques étaient parvenus, jusqu’à la « deuxième grande crise », à ce que des mesures que l’immense majorité des citoyens trouvait justes et raisonnables soient présentées comme totalement utopiques ou nocives [13], au point de disparaître de l’agenda politique d’une partie de la gauche. Mais la crise multiforme des années 2008-2015, qui était encore loin d’être finie en 2012, réveilla le sens de la justice. Elle déboucha notamment sur des mesures qui allaient considérablement favoriser les mouvements pour la justice : la « socialisation » et la « reprise en main » d’une sphère financière privatisée devenue un danger planétaire et le facteur majeur de creusement des inégalités. On peut être stupéfait, en ce début de XXIIe siècle, que la période des « Trente Calamiteuses », de 1980 à 2010, ait vu les gouvernants confier à de grands actionnaires et grands spéculateurs, baptisés alors pudiquement « marchés financiers », le soin de gérer la création monétaire, le crédit, les monnaies (nous avons depuis 2030 une monnaie mondiale et d’innombrables monnaies locales ou régionales « solidaires »), autant de domaines relevant aujourd’hui, et depuis longtemps, des biens communs gérés démocratiquement par toutes les parties prenantes. Mais les historiens ont bien montré que les gouvernants de cette période de démocratie affaiblie étaient très souvent les fondés de pouvoir et les « avocats d’affaires » des grands intérêts privés.
Parce que les partisans d’un plafonnement des écarts de revenus surent se saisir des opportunités de contestation et de reconstruction qu’elle offrait, la crise contribua ainsi à transformer en projet réaliste ce qui restait encore de l’ordre du rêve pour les hommes et les femmes des années 2000.
Jean Gadrey
1 Voir « L’éventail acceptable des revenus : Platon, Georges Marchais, etc. »
2 Selon l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, « les indicateurs de pauvreté monétaire déterminent les personnes dont le niveau de vie est inférieur à un montant donné dit seuil de pauvreté. »
3 Jean Gadrey, « Si on prenait un peu aux riches, ça ferait combien pour les pauvres ? »
4 Voir les sites wikipedia et salairemaximum.net
5 Écoutez Patrick Viveret sur le RMA (Revenu Maximal Acceptable)
6 Voir sur mon blog : « Les États-Unis instaurent un revenu maximum pour sortir de la crise ! »
7 Source du graphique : données d’Emmanuel Saez
8 Voir le SLAM proposé par Frédéric Lordon
9 Ordre de grandeur fourni par les sondages Ipsos (pour le Secours Populaire) des années 2010.
10 Voir ce compte rendu du livre de l’épidémiologiste britannique Richard Wilkinson, « l’égalité, c’est la santé »
11 Voir mon blog
12 À lire, par Hervé Kempf
13 Voir, en réponse à l’objection « la mondialisation interdit tout plafonnement des inégalités », l’article « Ciel ! Nos riches et nos entreprises vont partir ! »
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Un article de Gaël Raimbault publié sur le site "L'Assaut"
L’Assaut a déjà proposé de retourner la logique du « bouclier fiscal » : utiliser l’impôt pour plafonner les revenus. Aujourd’hui, la mise en place d’un « revenu maximal » devrait être une des priorités de la gauche pour l’après 2012, afin de permettre à nos sociétés de sortir d’un imaginaire colonisé par l’enrichissement et de construire un avenir collectif.
La crise économique amorcée en 2007 a rendu l’opinion très sensible au thème de l’argent fou. Fou, et même plus : coupable. Car c’est bien l’appât du lucre, de la richesse sans limite, qui a conduit à la catastrophe. Après la crise, comment croire à l’antienne du capitalisme libéral : la rémunération reflète, sinon la valeur des individus, au moins leur contribution au bien-être de la société, alors même que la rémunération semble plutôt avoir été liée aux responsabilités dans la crise ? Les citoyens sont très sensibles à la question, et la politique institutionnelle suit, de loin et avec retard comme toujours en cette époque d’autisme politique. Le Parti socialiste a déposé une proposition de loi visant non pas à plafonner les revenus, mais à accroître la transparence des rémunérations[1]. Nous disons, nous, qu’il faut aller beaucoup plus loin, et qu’on peut y aller très vite. Il faut, dès 2012, plafonner les revenus. Ce serait une solution simple, élégante, et à ce titre révolutionnaire.
L’instrument de ce plafonnement serait évidemment la fiscalité, avec l’établissement d’un taux de 100% d’imposition des revenus au-delà du plafond fixé[2]. Il est très probable que, très rapidement, cela rétroagirait sur le niveau des salaires.
On peut ratiociner longtemps sur le « bon niveau » de ce plafonnement, il est évident qu’il ne peut être défini que par une discussion démocratique. A titre de mise de départ, l’Assaut met sur la table une solution radicale : plafonner les revenus à 4 fois le SMIC plein temps, soit environ 4000 € nets/mois. Pourquoi 4000 € ? D’abord parce qu’il semblerait qu’un écart de rémunération de 1 à 4 corresponde à une intuition couramment répandue chez l’homme contemporain[3]. Ensuite, parce que 80 à 90% des résidents en France vivent aujourd’hui avec de tels revenus et qu’une telle réforme ferait donc très peu de perdants. Enfin parce qu’il est difficile d’expliquer, en analysant les dépenses des ménages, en quoi il peut être utile ou nécessaire de permettre à quelqu’un de gagner plus. Au-delà de tels revenus, l’enjeu devient l’accumulation d’un patrimoine. Or, précisément, dans une société démocratique à vocation égalitaire, où les accidents de l’existence ont vocation à être pris en charge par des services publics, à quoi sert un patrimoine, à part à satisfaire une compulsion morbide pour l’accumulation de ce matériau inerte et fondamentalement inutile qu’est l’argent ?
1. Unifier la société
Le premier motif pour proposer un plafonnement drastique des revenus est qu’il permettrait de réunifier la société autour d’aspirations communes. Aujourd’hui, l’ouverture de l’éventail des revenus a un effet profondément délétère. Les très riches vivent ailleurs, dans un autre pays, dans un monde où il est normal de pouvoir acheter cash un appartement à plusieurs millions d’euros. Les un peu moins riches observent cela, fascinés, et ce modèle de consommation tend à se diffuser de proche en proche, finissant par orienter les efforts de l’intégralité de la pyramide sociale. Politiquement, ce mécanisme est très pervers car s’il n’y a pas d’égalisation des revenus, il n’offre aucun échappatoire : il y aura toujours des gens qui gagneront toujours plus, toujours des gagnants, toujours des perdants et toujours des jaloux. Et jamais de projet collectif.
Si l’on applique ce constat général au contexte actuel, quelles aspirations collectives peut élaborer et mettre en œuvre une société dans laquelle les 10% qui tiennent le pouvoir politique, économique et médiatique ont profondément intérêt à affaiblir la redistribution, à faire reculer les services publics, pour pouvoir poursuivre dans leur politique d’accumulation de revenus ? Et même, peut-on arguer que la séparation de la société entre des couches de revenus trop différents tend en réalité à créer plusieurs sociétés. Ainsi, le marché immobilier est-il aujourd’hui en réalité coupé en plusieurs segments, et il est presque inenvisageable de passer de l’un à l’autre au cours d’une vie professionnelle. Ces mécanismes tendent à s’auto-entretenir : les riches, pour rester logés parmi les riches, doivent être de plus en plus riches pour se loger dans des appartements de plus en plus chers, possédés par eux ou leurs semblables.
Cet argument devrait rencontrer un écho profond chez les vrais libéraux, ceux pour lesquels la théorie économique « classique » n’est pas un simple prétexte servant à justifier la prédation par les puissants, mais bien la condition d’un monde plus efficace et même plus moral. Car fondamentalement, le libéralisme est une idéologie d’égaux. C’est la démocratie et une relative égalité des capacités des participants qui permet le marché, et pas le contraire. On pourrait même dire qu’un marché comme le marché du travail aujourd’hui, où les écarts de prix sont énormes pour des biens relativement comparables (comparez la rémunération, et l’utilité sociale, d’un trader, d’un consultant en organisation et d’une aide-soignante à domicile), est un marché vicié et oligopolistique, que quelques acteurs ont réussi à organiser à leur profit unique de manière à y capter toute la rente.
Ainsi, une des conditions d’existence d’une société capable de prendre collectivement des décisions engageant l’intégralité de ses membres paraît être une certaine communauté de destins, par beau temps comme par tempête.
C’est déjà vrai aujourd’hui, où la démolition à petit feu de la retraite par répartition[4], de l’assurance-maladie obligatoire ou des universités vise à accroître la rente de quelques-uns. Cela risque de devenir d’autant plus vrai si l’enjeu écologique nous conduit à devoir à terme diminuer nos niveaux de consommation collective. Comment accepter une baisse du PIB par tête si certains parviennent à s’en protéger ou à faire porter l’effort sur ceux qui sont déjà les perdants du système ? Or il est relativement facile de démontrer que, sauf à renoncer à des objectifs de diminution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, ou à compter sur des technologies permettant de diminuer radicalement la production de CO2, qui relèvent à ce stade de l’imagination, la question du ralentissement de la croissance se posera très prochainement. Dès lors, comment partager ? En instaurant une « fiscalité écologique » qui nuira aux (relativement) pauvres logés loin des aires d’emploi ? Ou en limitant les déplacements en avion, nettement plus polluants et dont bénéficient bien entendu en priorité les plus riches[5] ? Inévitablement, ce genre de questions devra être abordé, et il ne sera résolu que dans la violence et l’affrontement, et sans doute de manière très injuste, si les modes de vie sont trop divergents.
2. « Décoloniser l’imaginaire »
Le deuxième motif, fondamental, pour plafonner le revenu est que cela constituerait une clé très importante pour « décoloniser l’imaginaire », selon la très frappante expression de Serge Latouche. L’imaginaire contemporain est en effet très marqué par l’idéologie qui est au fondement du capitalisme : l’exigence d’accumulation illimitée du capital par des moyens formellement pacifiques, selon la définition minimale et très précise de Luc Boltanski et d’Eve Chiapello[6]. Cette définition est frappante et immensément polémique si on en tire toutes les conclusions qui s’imposent : car le capitalisme, ce n’est pas l’accumulation pour la jouissance, c’est l’accumulation pour elle-même. Passion profondément morbide, et considérée comme telle très longtemps par l’idéologie féodale et chrétienne de l’occident. Freud voyait encore dans l’amour de l’argent l’expression d’un sentiment régressif, puisant ses racines dans la phase anale du développement, et faisait de l’argent le signifiant d’un signifié qui n’était autre que la matière fécale.
Ceci trouve une traduction très concrète dans les préoccupations de nos sociétés : la focalisation sur la possession du logement, l’épargne, la transmission du patrimoine à ses enfants, marquent notre imaginaire politique. Or la sécurité peut être apportée par d’autres systèmes que l’accumulation individuelle d’un patrimoine qui est en réalité un but en elle-même. Par exemple, par des services publics efficaces. La droite réussit régulièrement à kidnapper le pouvoir, contre les intérêts de ses mandants, en jouant sur cette passion de l’accumulation du capital et en faisant croire qu’elle est accessible à tous. Il semblerait que la passion soit d’autant mieux partagée que le capital l’est peu…
Il est clair que 4000 € par mois ne permettent pas d’envisager une épargne massive. Cela impliquera de se focaliser sur d’autres intérêts privés et publics. Paradoxalement, alors que le libéralisme a fait de la liberté d’accumuler à l’infini des revenus et du patrimoine une des libertés les plus essentielles, nous disons nous que cet enjeu asservit l’homme, écrase toutes les passions sous une seule : l’argent, qui informe tout et structure nos sociétés très en profondeur. Une fois que l’homme passionné d’argent aurait atteint des revenus de 4000 € par mois, il serait forcé de s’intéresser à autre chose, et personne ne pourrait conserver comme objectif de son existence l’accumulation d’argent. La société en serait profondément transformée, difficile d’en douter.
Au-delà, cela permettrait d’envisager une société enfin consciente d’une de ses vérités les plus fondamentales : nous sommes libérés du besoin économique. Keynes, il y a plus de 80 ans, envisageait qu’à notre époque et à nos niveaux de production économique, il serait possible de « travailler » au sens où nous l’entendons 3 ou 4 heures par jour seulement, et de consacrer le reste du temps à construire un monde plus beau et habitable. Sans la prédation et la rente, cela serait sans doute possible, à condition d’arrêter de croire collectivement que le revenu monétaire est l’horizon de nos sociétés et des individus qui les composent. Le plafonnement des revenus à des niveaux qui apparaîtraient très bas au regard des débats fiscaux, constituerait un outil essentiel de cette libération.
Gaël Raimbault
Jeudi 31 Mars 2011
[1] http://www.salairemaximum.net/Salaire-maximum-proposition-de-loi-socialiste_a106.html et http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/transparence_remunerations.asp
[2] Cela peut paraître fou, à une époque où un candidat putatif du PS aux élections présidentielles parle de plafonner le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu à 40%, comme l’UMP d’ailleurs. Il y a cependant des précédents historiques : aux Etats-Unis, en 1944 et 1945, ce même taux était de 94%.
[3] Cf. une étude de Thomas Piketty (http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/public/Piketty2003c.pdf) citée dans le dernier numéro de la revue Mouvements (http://www.mouvements.info/Pour-en-finir-avec-les-riches-et.html), p. 115.
[4] Frédéric Lordon démontre avec talent le lien entre volonté d’enrichissement des rentiers et « réformes » des retraites telles qu’elles sont conduites depuis 15 ans : http://blog.mondediplo.net/2010-10-23-Le-point-de-fusion-des-retraites
[5] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/La_mobilite_des_Francais_ENTD_2008_revue_cle7b7471.pdf, p. 151 et 165.
[6] Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, coll. NRF essais, p. 37.
La crise économique amorcée en 2007 a rendu l’opinion très sensible au thème de l’argent fou. Fou, et même plus : coupable. Car c’est bien l’appât du lucre, de la richesse sans limite, qui a conduit à la catastrophe. Après la crise, comment croire à l’antienne du capitalisme libéral : la rémunération reflète, sinon la valeur des individus, au moins leur contribution au bien-être de la société, alors même que la rémunération semble plutôt avoir été liée aux responsabilités dans la crise ? Les citoyens sont très sensibles à la question, et la politique institutionnelle suit, de loin et avec retard comme toujours en cette époque d’autisme politique. Le Parti socialiste a déposé une proposition de loi visant non pas à plafonner les revenus, mais à accroître la transparence des rémunérations[1]. Nous disons, nous, qu’il faut aller beaucoup plus loin, et qu’on peut y aller très vite. Il faut, dès 2012, plafonner les revenus. Ce serait une solution simple, élégante, et à ce titre révolutionnaire.
L’instrument de ce plafonnement serait évidemment la fiscalité, avec l’établissement d’un taux de 100% d’imposition des revenus au-delà du plafond fixé[2]. Il est très probable que, très rapidement, cela rétroagirait sur le niveau des salaires.
On peut ratiociner longtemps sur le « bon niveau » de ce plafonnement, il est évident qu’il ne peut être défini que par une discussion démocratique. A titre de mise de départ, l’Assaut met sur la table une solution radicale : plafonner les revenus à 4 fois le SMIC plein temps, soit environ 4000 € nets/mois. Pourquoi 4000 € ? D’abord parce qu’il semblerait qu’un écart de rémunération de 1 à 4 corresponde à une intuition couramment répandue chez l’homme contemporain[3]. Ensuite, parce que 80 à 90% des résidents en France vivent aujourd’hui avec de tels revenus et qu’une telle réforme ferait donc très peu de perdants. Enfin parce qu’il est difficile d’expliquer, en analysant les dépenses des ménages, en quoi il peut être utile ou nécessaire de permettre à quelqu’un de gagner plus. Au-delà de tels revenus, l’enjeu devient l’accumulation d’un patrimoine. Or, précisément, dans une société démocratique à vocation égalitaire, où les accidents de l’existence ont vocation à être pris en charge par des services publics, à quoi sert un patrimoine, à part à satisfaire une compulsion morbide pour l’accumulation de ce matériau inerte et fondamentalement inutile qu’est l’argent ?
1. Unifier la société
Le premier motif pour proposer un plafonnement drastique des revenus est qu’il permettrait de réunifier la société autour d’aspirations communes. Aujourd’hui, l’ouverture de l’éventail des revenus a un effet profondément délétère. Les très riches vivent ailleurs, dans un autre pays, dans un monde où il est normal de pouvoir acheter cash un appartement à plusieurs millions d’euros. Les un peu moins riches observent cela, fascinés, et ce modèle de consommation tend à se diffuser de proche en proche, finissant par orienter les efforts de l’intégralité de la pyramide sociale. Politiquement, ce mécanisme est très pervers car s’il n’y a pas d’égalisation des revenus, il n’offre aucun échappatoire : il y aura toujours des gens qui gagneront toujours plus, toujours des gagnants, toujours des perdants et toujours des jaloux. Et jamais de projet collectif.
Si l’on applique ce constat général au contexte actuel, quelles aspirations collectives peut élaborer et mettre en œuvre une société dans laquelle les 10% qui tiennent le pouvoir politique, économique et médiatique ont profondément intérêt à affaiblir la redistribution, à faire reculer les services publics, pour pouvoir poursuivre dans leur politique d’accumulation de revenus ? Et même, peut-on arguer que la séparation de la société entre des couches de revenus trop différents tend en réalité à créer plusieurs sociétés. Ainsi, le marché immobilier est-il aujourd’hui en réalité coupé en plusieurs segments, et il est presque inenvisageable de passer de l’un à l’autre au cours d’une vie professionnelle. Ces mécanismes tendent à s’auto-entretenir : les riches, pour rester logés parmi les riches, doivent être de plus en plus riches pour se loger dans des appartements de plus en plus chers, possédés par eux ou leurs semblables.
Cet argument devrait rencontrer un écho profond chez les vrais libéraux, ceux pour lesquels la théorie économique « classique » n’est pas un simple prétexte servant à justifier la prédation par les puissants, mais bien la condition d’un monde plus efficace et même plus moral. Car fondamentalement, le libéralisme est une idéologie d’égaux. C’est la démocratie et une relative égalité des capacités des participants qui permet le marché, et pas le contraire. On pourrait même dire qu’un marché comme le marché du travail aujourd’hui, où les écarts de prix sont énormes pour des biens relativement comparables (comparez la rémunération, et l’utilité sociale, d’un trader, d’un consultant en organisation et d’une aide-soignante à domicile), est un marché vicié et oligopolistique, que quelques acteurs ont réussi à organiser à leur profit unique de manière à y capter toute la rente.
Ainsi, une des conditions d’existence d’une société capable de prendre collectivement des décisions engageant l’intégralité de ses membres paraît être une certaine communauté de destins, par beau temps comme par tempête.
C’est déjà vrai aujourd’hui, où la démolition à petit feu de la retraite par répartition[4], de l’assurance-maladie obligatoire ou des universités vise à accroître la rente de quelques-uns. Cela risque de devenir d’autant plus vrai si l’enjeu écologique nous conduit à devoir à terme diminuer nos niveaux de consommation collective. Comment accepter une baisse du PIB par tête si certains parviennent à s’en protéger ou à faire porter l’effort sur ceux qui sont déjà les perdants du système ? Or il est relativement facile de démontrer que, sauf à renoncer à des objectifs de diminution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, ou à compter sur des technologies permettant de diminuer radicalement la production de CO2, qui relèvent à ce stade de l’imagination, la question du ralentissement de la croissance se posera très prochainement. Dès lors, comment partager ? En instaurant une « fiscalité écologique » qui nuira aux (relativement) pauvres logés loin des aires d’emploi ? Ou en limitant les déplacements en avion, nettement plus polluants et dont bénéficient bien entendu en priorité les plus riches[5] ? Inévitablement, ce genre de questions devra être abordé, et il ne sera résolu que dans la violence et l’affrontement, et sans doute de manière très injuste, si les modes de vie sont trop divergents.
2. « Décoloniser l’imaginaire »
Le deuxième motif, fondamental, pour plafonner le revenu est que cela constituerait une clé très importante pour « décoloniser l’imaginaire », selon la très frappante expression de Serge Latouche. L’imaginaire contemporain est en effet très marqué par l’idéologie qui est au fondement du capitalisme : l’exigence d’accumulation illimitée du capital par des moyens formellement pacifiques, selon la définition minimale et très précise de Luc Boltanski et d’Eve Chiapello[6]. Cette définition est frappante et immensément polémique si on en tire toutes les conclusions qui s’imposent : car le capitalisme, ce n’est pas l’accumulation pour la jouissance, c’est l’accumulation pour elle-même. Passion profondément morbide, et considérée comme telle très longtemps par l’idéologie féodale et chrétienne de l’occident. Freud voyait encore dans l’amour de l’argent l’expression d’un sentiment régressif, puisant ses racines dans la phase anale du développement, et faisait de l’argent le signifiant d’un signifié qui n’était autre que la matière fécale.
Ceci trouve une traduction très concrète dans les préoccupations de nos sociétés : la focalisation sur la possession du logement, l’épargne, la transmission du patrimoine à ses enfants, marquent notre imaginaire politique. Or la sécurité peut être apportée par d’autres systèmes que l’accumulation individuelle d’un patrimoine qui est en réalité un but en elle-même. Par exemple, par des services publics efficaces. La droite réussit régulièrement à kidnapper le pouvoir, contre les intérêts de ses mandants, en jouant sur cette passion de l’accumulation du capital et en faisant croire qu’elle est accessible à tous. Il semblerait que la passion soit d’autant mieux partagée que le capital l’est peu…
Il est clair que 4000 € par mois ne permettent pas d’envisager une épargne massive. Cela impliquera de se focaliser sur d’autres intérêts privés et publics. Paradoxalement, alors que le libéralisme a fait de la liberté d’accumuler à l’infini des revenus et du patrimoine une des libertés les plus essentielles, nous disons nous que cet enjeu asservit l’homme, écrase toutes les passions sous une seule : l’argent, qui informe tout et structure nos sociétés très en profondeur. Une fois que l’homme passionné d’argent aurait atteint des revenus de 4000 € par mois, il serait forcé de s’intéresser à autre chose, et personne ne pourrait conserver comme objectif de son existence l’accumulation d’argent. La société en serait profondément transformée, difficile d’en douter.
Au-delà, cela permettrait d’envisager une société enfin consciente d’une de ses vérités les plus fondamentales : nous sommes libérés du besoin économique. Keynes, il y a plus de 80 ans, envisageait qu’à notre époque et à nos niveaux de production économique, il serait possible de « travailler » au sens où nous l’entendons 3 ou 4 heures par jour seulement, et de consacrer le reste du temps à construire un monde plus beau et habitable. Sans la prédation et la rente, cela serait sans doute possible, à condition d’arrêter de croire collectivement que le revenu monétaire est l’horizon de nos sociétés et des individus qui les composent. Le plafonnement des revenus à des niveaux qui apparaîtraient très bas au regard des débats fiscaux, constituerait un outil essentiel de cette libération.
Gaël Raimbault
Jeudi 31 Mars 2011
[1] http://www.salairemaximum.net/Salaire-maximum-proposition-de-loi-socialiste_a106.html et http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/transparence_remunerations.asp
[2] Cela peut paraître fou, à une époque où un candidat putatif du PS aux élections présidentielles parle de plafonner le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu à 40%, comme l’UMP d’ailleurs. Il y a cependant des précédents historiques : aux Etats-Unis, en 1944 et 1945, ce même taux était de 94%.
[3] Cf. une étude de Thomas Piketty (http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/public/Piketty2003c.pdf) citée dans le dernier numéro de la revue Mouvements (http://www.mouvements.info/Pour-en-finir-avec-les-riches-et.html), p. 115.
[4] Frédéric Lordon démontre avec talent le lien entre volonté d’enrichissement des rentiers et « réformes » des retraites telles qu’elles sont conduites depuis 15 ans : http://blog.mondediplo.net/2010-10-23-Le-point-de-fusion-des-retraites
[5] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/La_mobilite_des_Francais_ENTD_2008_revue_cle7b7471.pdf, p. 151 et 165.
[6] Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, coll. NRF essais, p. 37.
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