Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, a travaillé sur les hauts revenus et prône un impôt confiscatoire pour limiter ces derniers.
Les très hautes rémunérations sont-elles justifiées économiquement ?
Pendant longtemps, les dirigeants d’entreprises ont été payés 5 à 10 fois le salaire minimum pratiqué au sein de leur société. Depuis vingt ans, on a changé d’échelle : certains sont passés à 50 ou 100 fois, voire davantage… La financiarisation de l’économie, couplée aux dispositifs toujours plus importants de défiscalisation, conduit à toujours plus de rapacité. Et ceux qui le peuvent se servent des revenus qui n’ont plus rien à voir avec leurs compétences et leur apport à l’entreprise.
N’est-ce pas le prix à payer pour disposer de dirigeants performants ?
Laisser penser qu’on ne trouverait pas de gens compétents parce qu’ils ne seraient payés «que» 10 fois le Smic au lieu de 100 est une approche complètement folle, purement idéologique, et assez méprisante. D’ores et déjà, l’économie tourne avec des milliers de dirigeants très dynamiques et de créateurs de PME innovantes qui ne gagnent «que» 5 000 ou 10 000 euros par mois.
La main invisible du marché serait donc incapable de fixer une «vraie» rémunération ?
J’aime beaucoup l’économie de marché. Mais il y a des choses qu’elle ne sait pas faire. Le marché est incapable de fixer correctement les hautes rémunérations, car personne ne sait évaluer la contribution d’un dirigeant à la production d’une entreprise de plusieurs dizaines de milliers de salariés. On demande à un cabinet extérieur, qui fait la moyenne du secteur, puis ajoute 20% pour que tout le monde soit content. D’où une inflation sans fin… C’est un système qui récompense davantage la capacité à se servir dans la caisse que le mérite réel. Or quand un marché ne parvient pas à fixer un prix, ce qui arrive souvent dans la sphère financière ou environnementale, il faut l’encadrer par des institutions extérieures.
En fixant un maximum par la loi ? L’outil réglementaire peut être utile, mais il a ses limites. Inscrire dans la loi une échelle de salaires comprise entre 1 et 20, par exemple, peut être contourné en versant des rémunérations d’une autre nature (dividendes, plus-values…). L’avantage de l’approche fiscale est qu’elle permet de toucher l’ensemble des revenus. En imposant un taux marginal élevé (60%, 70%, voire davantage), on dissuaderait, en amont, les entreprises de verser des rémunérations inconsidérées, et leurs bénéficiaires d’imaginer des stratégies de contournement.
Un impôt à 70% ne risquerait-il pas de brider l’économie ?
Les Etats-Unis ont pratiqué, en moyenne, un taux marginal d’impôt sur le revenu de 82% entre 1932 et 1980. Soit un taux confiscatoire pendant près d’un demi-siècle ! Avec même des pics, dans les années 40-60, qui ont dépassé 90%. De toute évidence, cela n’a pas tué le capitalisme américain. Tout simplement parce que ces taux volontairement confiscatoires ne s’appliquaient qu’à une toute petite minorité de rémunérations vraiment indécentes (au-delà de 1 million d’euros annuels d’aujourd’hui).
A l’inverse, les hautes rémunérations peuvent-elles être néfastes pour l’économie ?
La crise financière l’a montré : les bonus et autres gratifications extravagantes ont été des «pousse-au-crime», incitant les dirigeants à prendre des risques démesurés. Par ailleurs, à partir d’un certain niveau de rémunération, cela impacte négativement les revenus des autres. Aux Etats-Unis, entre 1976 et 2007, 60% de la croissance économique a été accaparée par 1% de la population, ce qui de toute évidence a dopé l’endettement des moins riches. Les sociétés françaises et européennes ne supporteraient pas une telle explosion des inégalités.
Interview par Luc Peillon, Libération, 23 juin 2011
Pendant longtemps, les dirigeants d’entreprises ont été payés 5 à 10 fois le salaire minimum pratiqué au sein de leur société. Depuis vingt ans, on a changé d’échelle : certains sont passés à 50 ou 100 fois, voire davantage… La financiarisation de l’économie, couplée aux dispositifs toujours plus importants de défiscalisation, conduit à toujours plus de rapacité. Et ceux qui le peuvent se servent des revenus qui n’ont plus rien à voir avec leurs compétences et leur apport à l’entreprise.
N’est-ce pas le prix à payer pour disposer de dirigeants performants ?
Laisser penser qu’on ne trouverait pas de gens compétents parce qu’ils ne seraient payés «que» 10 fois le Smic au lieu de 100 est une approche complètement folle, purement idéologique, et assez méprisante. D’ores et déjà, l’économie tourne avec des milliers de dirigeants très dynamiques et de créateurs de PME innovantes qui ne gagnent «que» 5 000 ou 10 000 euros par mois.
La main invisible du marché serait donc incapable de fixer une «vraie» rémunération ?
J’aime beaucoup l’économie de marché. Mais il y a des choses qu’elle ne sait pas faire. Le marché est incapable de fixer correctement les hautes rémunérations, car personne ne sait évaluer la contribution d’un dirigeant à la production d’une entreprise de plusieurs dizaines de milliers de salariés. On demande à un cabinet extérieur, qui fait la moyenne du secteur, puis ajoute 20% pour que tout le monde soit content. D’où une inflation sans fin… C’est un système qui récompense davantage la capacité à se servir dans la caisse que le mérite réel. Or quand un marché ne parvient pas à fixer un prix, ce qui arrive souvent dans la sphère financière ou environnementale, il faut l’encadrer par des institutions extérieures.
En fixant un maximum par la loi ? L’outil réglementaire peut être utile, mais il a ses limites. Inscrire dans la loi une échelle de salaires comprise entre 1 et 20, par exemple, peut être contourné en versant des rémunérations d’une autre nature (dividendes, plus-values…). L’avantage de l’approche fiscale est qu’elle permet de toucher l’ensemble des revenus. En imposant un taux marginal élevé (60%, 70%, voire davantage), on dissuaderait, en amont, les entreprises de verser des rémunérations inconsidérées, et leurs bénéficiaires d’imaginer des stratégies de contournement.
Un impôt à 70% ne risquerait-il pas de brider l’économie ?
Les Etats-Unis ont pratiqué, en moyenne, un taux marginal d’impôt sur le revenu de 82% entre 1932 et 1980. Soit un taux confiscatoire pendant près d’un demi-siècle ! Avec même des pics, dans les années 40-60, qui ont dépassé 90%. De toute évidence, cela n’a pas tué le capitalisme américain. Tout simplement parce que ces taux volontairement confiscatoires ne s’appliquaient qu’à une toute petite minorité de rémunérations vraiment indécentes (au-delà de 1 million d’euros annuels d’aujourd’hui).
A l’inverse, les hautes rémunérations peuvent-elles être néfastes pour l’économie ?
La crise financière l’a montré : les bonus et autres gratifications extravagantes ont été des «pousse-au-crime», incitant les dirigeants à prendre des risques démesurés. Par ailleurs, à partir d’un certain niveau de rémunération, cela impacte négativement les revenus des autres. Aux Etats-Unis, entre 1976 et 2007, 60% de la croissance économique a été accaparée par 1% de la population, ce qui de toute évidence a dopé l’endettement des moins riches. Les sociétés françaises et européennes ne supporteraient pas une telle explosion des inégalités.
Interview par Luc Peillon, Libération, 23 juin 2011
"La nouvelle est tombée au début du mois de mai : hors stock options et autres actions gratuites, le salaire moyen des P-DG du CAC 40 s’est fixé en 2010 à 2,4 millions d’euros. Soit 150 fois le salaire minimum. En hausse de 20% par rapport à l’année précédente, année de « vaches amincies », destinée à montrer que les patrons, eux-aussi, souffraient dans leur chair suite à la crise financière et économique". Où l’auteur conclut à la nécessité d’instaurer conjointement un revenu maximum et un revenu minimum.
La nouvelle est tombée au début du mois de mai : hors stock options et autres actions gratuites, le salaire moyen des patrons des P-DG du CAC 40 s’est fixé en 2010 à 2,4 millions d’euros. 150 fois le salaire minimum. En hausse de 20% par rapport à l’année précédente, année de « vaches amincies », destinée à montrer que les patrons, eux-aussi souffraient dans leur chair suite à la crise financière et économique [1]. « Profits et bonus obscènes » avait déclaré Barak Obama dans son discours de l’Union en janvier 2010 pour s’offusquer des pratiques de Wall Street. Les rémunérations obscènes sont devenues le vecteur emblématique de la crise idéologique ouverte par la crise de 2008. L’enrichissement extrême permis par la libéralisation financière est devenue la passion dominante de la finance et de la banque bien sûr, mais aussi de la direction des grandes entreprises. On la trouve également dans l’industrie du spectacle, sportif ou non.
Ce monde flamboyant et son principe de disproportion alimenté par la recherche d’un statut que seules semblent pouvoir satisfaire des rémunérations toujours plus élevées, et que les codes de bonne conduite du MEDEF ne sauraient restreindre. Les rémunérations obscènes stupéfient le mode économique ordinaire. Tout en croyant que les grands patrons ne gagnent que 850 000 euros (Olivier Galland et Michel Forsé, Les Français et l’inégalité, 2011) 65% des français trouvent ce revenu (sous évalué de presque 300% !) trop élevé et proposent de le ramener à 320 000 euros.
Va-t-on voir se reconstituer une fine couche de très riches, ce 1% de ménages qui percevaient à eux seuls presque 20% de la richesse produite en 1928 ? Il est temps de mettre en place un revenu maximum d’existence, comme il existe un revenu minimum d’existence. La ruine du lien d’égalité symbolique entre les individus inégaux que magnifient les rémunérations obscènes fait surgir une crainte devant les possibilités de domination arbitraire. Quand on mesure les bonus en années de vie-salaire, minimum ou médian, on peut aussi dire que les détenteurs de ces rémunérations obscènes peuvent commander, pour chaque million d’euros perçus, le travail de plusieurs dizaines de personnes.
Les effets sociaux de l’inégalité produite par les rémunérations obscènes ne s’arrêtent pas là. De même qu’il existe des activités sociales qui détruisent les ressources naturelles (la qualité de l’air, la reproduction de l’environnement, etc.), des activités sociales peuvent détruire les ressources sociales (les sentiments de justice, la confiance, etc.). Les rémunérations obscènes sont une forme de pollution dont la diminution améliorerait l’environnement social et politique. Deux épidémiologistes anglais (Richard Wilkinson et Kate Pickett, The Spirit Level. Why Equality is Better for Every One, 2009) en ont récemment apporté une belle démonstration en indiquant que l’inégalité économique était le facteur qui expliquait le mieux la manière dont une vaste gamme de pathologies sociales étaient distribuées dans un ensemble de pays riches ainsi qu’entre les différents Etats américains. L’anxiété chez les adolescents, les pathologies mentales, l’usage des drogues illégales, l’obésité chez les adolescents comme chez les adultes, la maternité chez les adolescentes, les homicides, le nombre de personnes mises en prison croissent avec les inégalités de revenus. À l’inverse, la confiance dans les autres, l’espérance de vie des hommes à la naissance diminuent avec les inégalités. Lorsque les données sont disponibles, comme c’est le cas pour les performances scolaires des enfants ou pour les taux de mortalité, la comparaison entre deux pays très inégalitaires (les Etats-Unis et le Royaume-Uni) montre que la situation est pire dans le plus inégal des deux pays y compris pour les plus riches. La pollution sociale atteint même ceux qui sont sensés en profiter !
La solution est politique. Il faut traduire les intérêts du plus grand nombre en une force politique capable de réduire les rémunérations obscènes en raison de ses effets sociaux négatifs sur l’esprit public et le bon fonctionnement des sociétés. L’arme traditionnelle, dont Thomas Piketty a montré l’efficacité dans la période 1945-1980, est celle de la politique fiscale : des taux marginaux progressifs peuvent limiter l’attrait des très hauts revenus puisqu’une part croissante de ceux-ci va dans les caisses publiques. Dans un récent ouvrage, développant une proposition très argumentée et très habilement mise à disposition de tous, ils montrent comment une réforme fiscale de grande ampleur peut être réalisée, assurant une progressivité effective de la fiscalité prise dans son ensemble [2]. Il est intéressant de remarquer que la réforme proposée repose sur un taux de prélèvement effectif de 60% sur les revenus des détenteurs des rémunérations obscènes, ceux qui reçoivent plus de 100 000 euros mensuels. Et rien n’empêche, ainsi qu’ils le suggèrent, d’aller au-delà.
On peut aussi chercher à réduire l’émission de cette pollution sociale comme on a taché de réduire la pollution atmosphérique. Une première option serait celle d’un impôt qui ferait porter une partie du coût social de la pollution par le pollueur, selon le principe de pollueur-payeur. Une deuxième option consisterait à créer un marché de droits à polluer socialement. Une fois définie une limite politiquement acceptable des pollutions sociales, les entreprises voulant verser à leurs dirigeants des rémunérations obscènes seraient obligées de racheter les droits non utilisés par les entreprises plus « vertueuses ». Une autre possibilité consisterait à réserver la vente de ces droits à une institution dont les revenus ainsi créés abonderaient des fonds destinés à améliorer la vie des plus démunis. Ce serait un second pas essentiel pour lutter contre les effets politiquement et socialement dévastateurs des rémunérations obscènes.
[1] Une version légèrement réduite de ce texte a paru dans la rubrique « rebonds » de Libération (vendredi 13 mai 2011) ; par ailleurs, ce texte prend appui sur les conclusions d’un ouvrage, Les rémunérations obscènes. Sociologie d’une injustice, à paraître en octobre 2011 à La Découverte.
[2] Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, 2011. L’ouvrage est couplé à un site internet (www.revolution-fiscale.fr permettant de réaliser des simulations correspondant à différents scénarios de réforme.
Philippe Steiner, « Les rémunérations obscènes », Revue du MAUSS permanente, 7 juin 2011 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/spip.php?article816
Ce monde flamboyant et son principe de disproportion alimenté par la recherche d’un statut que seules semblent pouvoir satisfaire des rémunérations toujours plus élevées, et que les codes de bonne conduite du MEDEF ne sauraient restreindre. Les rémunérations obscènes stupéfient le mode économique ordinaire. Tout en croyant que les grands patrons ne gagnent que 850 000 euros (Olivier Galland et Michel Forsé, Les Français et l’inégalité, 2011) 65% des français trouvent ce revenu (sous évalué de presque 300% !) trop élevé et proposent de le ramener à 320 000 euros.
Va-t-on voir se reconstituer une fine couche de très riches, ce 1% de ménages qui percevaient à eux seuls presque 20% de la richesse produite en 1928 ? Il est temps de mettre en place un revenu maximum d’existence, comme il existe un revenu minimum d’existence. La ruine du lien d’égalité symbolique entre les individus inégaux que magnifient les rémunérations obscènes fait surgir une crainte devant les possibilités de domination arbitraire. Quand on mesure les bonus en années de vie-salaire, minimum ou médian, on peut aussi dire que les détenteurs de ces rémunérations obscènes peuvent commander, pour chaque million d’euros perçus, le travail de plusieurs dizaines de personnes.
Les effets sociaux de l’inégalité produite par les rémunérations obscènes ne s’arrêtent pas là. De même qu’il existe des activités sociales qui détruisent les ressources naturelles (la qualité de l’air, la reproduction de l’environnement, etc.), des activités sociales peuvent détruire les ressources sociales (les sentiments de justice, la confiance, etc.). Les rémunérations obscènes sont une forme de pollution dont la diminution améliorerait l’environnement social et politique. Deux épidémiologistes anglais (Richard Wilkinson et Kate Pickett, The Spirit Level. Why Equality is Better for Every One, 2009) en ont récemment apporté une belle démonstration en indiquant que l’inégalité économique était le facteur qui expliquait le mieux la manière dont une vaste gamme de pathologies sociales étaient distribuées dans un ensemble de pays riches ainsi qu’entre les différents Etats américains. L’anxiété chez les adolescents, les pathologies mentales, l’usage des drogues illégales, l’obésité chez les adolescents comme chez les adultes, la maternité chez les adolescentes, les homicides, le nombre de personnes mises en prison croissent avec les inégalités de revenus. À l’inverse, la confiance dans les autres, l’espérance de vie des hommes à la naissance diminuent avec les inégalités. Lorsque les données sont disponibles, comme c’est le cas pour les performances scolaires des enfants ou pour les taux de mortalité, la comparaison entre deux pays très inégalitaires (les Etats-Unis et le Royaume-Uni) montre que la situation est pire dans le plus inégal des deux pays y compris pour les plus riches. La pollution sociale atteint même ceux qui sont sensés en profiter !
La solution est politique. Il faut traduire les intérêts du plus grand nombre en une force politique capable de réduire les rémunérations obscènes en raison de ses effets sociaux négatifs sur l’esprit public et le bon fonctionnement des sociétés. L’arme traditionnelle, dont Thomas Piketty a montré l’efficacité dans la période 1945-1980, est celle de la politique fiscale : des taux marginaux progressifs peuvent limiter l’attrait des très hauts revenus puisqu’une part croissante de ceux-ci va dans les caisses publiques. Dans un récent ouvrage, développant une proposition très argumentée et très habilement mise à disposition de tous, ils montrent comment une réforme fiscale de grande ampleur peut être réalisée, assurant une progressivité effective de la fiscalité prise dans son ensemble [2]. Il est intéressant de remarquer que la réforme proposée repose sur un taux de prélèvement effectif de 60% sur les revenus des détenteurs des rémunérations obscènes, ceux qui reçoivent plus de 100 000 euros mensuels. Et rien n’empêche, ainsi qu’ils le suggèrent, d’aller au-delà.
On peut aussi chercher à réduire l’émission de cette pollution sociale comme on a taché de réduire la pollution atmosphérique. Une première option serait celle d’un impôt qui ferait porter une partie du coût social de la pollution par le pollueur, selon le principe de pollueur-payeur. Une deuxième option consisterait à créer un marché de droits à polluer socialement. Une fois définie une limite politiquement acceptable des pollutions sociales, les entreprises voulant verser à leurs dirigeants des rémunérations obscènes seraient obligées de racheter les droits non utilisés par les entreprises plus « vertueuses ». Une autre possibilité consisterait à réserver la vente de ces droits à une institution dont les revenus ainsi créés abonderaient des fonds destinés à améliorer la vie des plus démunis. Ce serait un second pas essentiel pour lutter contre les effets politiquement et socialement dévastateurs des rémunérations obscènes.
[1] Une version légèrement réduite de ce texte a paru dans la rubrique « rebonds » de Libération (vendredi 13 mai 2011) ; par ailleurs, ce texte prend appui sur les conclusions d’un ouvrage, Les rémunérations obscènes. Sociologie d’une injustice, à paraître en octobre 2011 à La Découverte.
[2] Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, 2011. L’ouvrage est couplé à un site internet (www.revolution-fiscale.fr permettant de réaliser des simulations correspondant à différents scénarios de réforme.
Philippe Steiner, « Les rémunérations obscènes », Revue du MAUSS permanente, 7 juin 2011 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/spip.php?article816
Alors que le gouvernement s'enlise sur la question du pouvoir d'achat, une étude universitaire fait le point sur 30 ans d'évolution des salaires. Pour 90 % des salariés, la progression de leur pouvoir d'achat est à peine visible, quand le haut du panier s'est acordé de royales augmentations. Résultat: une hausse des inégalités. Le rapport entre les salaires moyens de ces deux populations est passé de 1 à 23 en 1980 à 1 à 81 en 2007.
« Je serai le président de l’augmentation du pouvoir d’achat ». Si Nicolas Sarkozy peine à tenir la promesse de campagne du candidat qu’il fut en 2006, la faute toute entière en reviendrait à cette satanée « crise sans précédent ». Les heures sup inclues dans la loi TEPA (Travail, emploi, pouvoir d’achat) la réforme phare de juillet 2007 : raté question pouvoir d’achat ! La baisse de la TVA dans la restauration : encore ratée !
En sortant la fameuse prime de 1 000 euros pour les salariés des entreprises qui versent de plantureux dividendes, Nicolas Sarkozy croyait tenir sa recette miracle. Mais ni le patronat, ni les syndicats n’ont gouté la cuisine élaborée à l’Elysée et servie dès vendredi par François Baroin, le ministre du budget.
Laurence Parisot, la patronne du Medef, n’avale pas le coté obligatoire de la mesure. Et de prêcher pour une baisse des charges et de la fiscalité, façon de retourner la balle à l'envoyeur. Du coté des syndicats, on n’apprécie guère l’épaississement de la feuille de salaire via une prime, par nature non permanente, surtout quand seulement « 15 à 20% des salariés », principalement au sein des grandes entreprises, seraient concernés, comme le martèle François Chéréque, patron de la CFDT. « Que demandent les salariés aujourd'hui ? Ils veulent plus sur leur fiche de paye, c'est tout simple », conclu Jean-Claude Mailly, secrétaire général du syndicat Force Ouvrière.
Augmenter les salaires
Une récente étude réalisée par Olivier Godechot, chercheur à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, confirme cette atonie de la feuille de salaire des salariés du privé. Certes cela ne date pas d’hier. La dynamique inégalitaire qui a vu les 0,01% plus riches capter l’essentiel des augmentations de salaires, à l’œuvre depuis près de 30 ans, s’est cependant amplifiée.
Quand en 1980, ce gros millier de super salariés gagnaient 23 fois ce que 90% des salariés touchaient (413 035 euros de 2007 par an contre 17 716 euros). 27 ans plus tard en 2007, ce ratio est multiplié par presque 4 : il monte à 81. En réalité, cette explosion des inégalités résulte d’une course entre les lièvres du top management, sphère où se côtoient les stars du sport, des PDG, mais surtout les beaux gosses du monde de la finance et les cohortes de tortues où se mêlent ouvriers, employés et cadres.
Entre 1980 et 2007, le salaire moyen de l’immense majorité des salariés (les 90 % les moins bien payés) progresse de 0,82% par an net de l’inflation. Résultat, sur la période, le travail n’a rapporté que 26 % de pouvoir d’achat supplémentaire. 40% pour les cadres sup qui, avec 65 000 euros annuels bruts occupent la place entre les 1% très riches et le gros de la troupe. Tout en haut, le salaire moyen des 0,01% les mieux rémunérés est multiplié par 3,4, soit une progression annuelle de 5,7%. En 2007, ces 1 692 bienheureux carburaient chacun à 1,8 millions d’euros en moyenne.
Les travaux d’économistes comme Thomas Landais, Thomas Piketty, et Emmanuel Saez avaient déjà donné à voir une telle évolution. Leurs études tirées des déclarations fiscales permettaient de mesurer l’évolution des revenus pris dans leur totalité, y compris les revenus du capital, et ceux pour l’ensemble des salariés. En se focalisant sur les seuls revenus du travail des salariés du privé, Olivier Godechot, dresse un tableau encore plus noir de l’évolution de la politique de rémunération au sein des entreprises.
Evidemment, on ne distribue que ce que l’on peut produire, ou que l’on prévoit de produire. Sur la période 1980-2007, la valeur ajoutée créée en France a progressé de 72 %, soit 794 milliards d’euros en plus. Les salariés du privé eux n’auront reçu que 280 milliards d’euros en plus. Compte tenu de la progression du nombre de travailleurs, presque 6 millions, ce n’est pas 280 milliards d’euros qu’il convient de retenir comme supplément de salaire individuel mais un peu moins de la moitié, soit 134 milliards d’euros.
Aussi, la vitesse entre les lièvres et les tortues se révèle-t-elle violemment quand on compare comment, à l’arrivée, se sont partagés ces 134 milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire du travail.
Selon les travaux d’Olivier Godechot, les 0,01% ont plus que triplé leur part du gâteau. En 27 ans, celle-ci est passée de 0,19% à 0,65%. Ensemble avec leurs suivants immédiats, ces 0,1% les plus riches, 16 922 personnes, ont presque doublé la leur, passant de 1,08% à 2,01%. Traduction : un gain de 4,5 milliards d’euros.
Voilà donc comment en moins de 30 ans, au sein du monde du travail, cette poignée de salariés (0,1% du total) a détourné à son profit une part importante des hausses de salaires consentie par les entreprises. Autrement dit, pour chaque euro d’augmentation consenti à un salarié lambda, un de ces seigneurs en recevait, lui, 35.
Derrière cette déformation du partage des revenus entre salariés apparaît également l’évolution de la société vers un capitalisme financiarisé. Il n’est pas anodin, et c’est là l’objet du travail du chercheur, que l’essentiel (57%) de la progression des très hauts salaires est le fait des traders. En France, en 2007, on en comptait 626 parmi les 1 692 bienheureux très riches du haut du panier. Ensemble cette petite poignée de salariés de luxe s’est accaparée 0,25% du total des salaires versés dans le privé en 2007, soit 1,2 milliards d’euros. La crème de la crème, les 100 salariés de la finance les mieux payés gagnaient en moyenne 4,65 millions d’euros chacun….10 fois plus qu’en 1997…En une année, de tels traders gagnaient donc 284 années de Smic, presque 7 vies de Smicard, à raison de 42 années de travail.
Merci pour eux.
Emmanuel Lévy - Marianne | Mardi 19 Avril 2011
En sortant la fameuse prime de 1 000 euros pour les salariés des entreprises qui versent de plantureux dividendes, Nicolas Sarkozy croyait tenir sa recette miracle. Mais ni le patronat, ni les syndicats n’ont gouté la cuisine élaborée à l’Elysée et servie dès vendredi par François Baroin, le ministre du budget.
Laurence Parisot, la patronne du Medef, n’avale pas le coté obligatoire de la mesure. Et de prêcher pour une baisse des charges et de la fiscalité, façon de retourner la balle à l'envoyeur. Du coté des syndicats, on n’apprécie guère l’épaississement de la feuille de salaire via une prime, par nature non permanente, surtout quand seulement « 15 à 20% des salariés », principalement au sein des grandes entreprises, seraient concernés, comme le martèle François Chéréque, patron de la CFDT. « Que demandent les salariés aujourd'hui ? Ils veulent plus sur leur fiche de paye, c'est tout simple », conclu Jean-Claude Mailly, secrétaire général du syndicat Force Ouvrière.
Augmenter les salaires
Une récente étude réalisée par Olivier Godechot, chercheur à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, confirme cette atonie de la feuille de salaire des salariés du privé. Certes cela ne date pas d’hier. La dynamique inégalitaire qui a vu les 0,01% plus riches capter l’essentiel des augmentations de salaires, à l’œuvre depuis près de 30 ans, s’est cependant amplifiée.
Quand en 1980, ce gros millier de super salariés gagnaient 23 fois ce que 90% des salariés touchaient (413 035 euros de 2007 par an contre 17 716 euros). 27 ans plus tard en 2007, ce ratio est multiplié par presque 4 : il monte à 81. En réalité, cette explosion des inégalités résulte d’une course entre les lièvres du top management, sphère où se côtoient les stars du sport, des PDG, mais surtout les beaux gosses du monde de la finance et les cohortes de tortues où se mêlent ouvriers, employés et cadres.
Entre 1980 et 2007, le salaire moyen de l’immense majorité des salariés (les 90 % les moins bien payés) progresse de 0,82% par an net de l’inflation. Résultat, sur la période, le travail n’a rapporté que 26 % de pouvoir d’achat supplémentaire. 40% pour les cadres sup qui, avec 65 000 euros annuels bruts occupent la place entre les 1% très riches et le gros de la troupe. Tout en haut, le salaire moyen des 0,01% les mieux rémunérés est multiplié par 3,4, soit une progression annuelle de 5,7%. En 2007, ces 1 692 bienheureux carburaient chacun à 1,8 millions d’euros en moyenne.
Les travaux d’économistes comme Thomas Landais, Thomas Piketty, et Emmanuel Saez avaient déjà donné à voir une telle évolution. Leurs études tirées des déclarations fiscales permettaient de mesurer l’évolution des revenus pris dans leur totalité, y compris les revenus du capital, et ceux pour l’ensemble des salariés. En se focalisant sur les seuls revenus du travail des salariés du privé, Olivier Godechot, dresse un tableau encore plus noir de l’évolution de la politique de rémunération au sein des entreprises.
Evidemment, on ne distribue que ce que l’on peut produire, ou que l’on prévoit de produire. Sur la période 1980-2007, la valeur ajoutée créée en France a progressé de 72 %, soit 794 milliards d’euros en plus. Les salariés du privé eux n’auront reçu que 280 milliards d’euros en plus. Compte tenu de la progression du nombre de travailleurs, presque 6 millions, ce n’est pas 280 milliards d’euros qu’il convient de retenir comme supplément de salaire individuel mais un peu moins de la moitié, soit 134 milliards d’euros.
Aussi, la vitesse entre les lièvres et les tortues se révèle-t-elle violemment quand on compare comment, à l’arrivée, se sont partagés ces 134 milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire du travail.
Selon les travaux d’Olivier Godechot, les 0,01% ont plus que triplé leur part du gâteau. En 27 ans, celle-ci est passée de 0,19% à 0,65%. Ensemble avec leurs suivants immédiats, ces 0,1% les plus riches, 16 922 personnes, ont presque doublé la leur, passant de 1,08% à 2,01%. Traduction : un gain de 4,5 milliards d’euros.
Voilà donc comment en moins de 30 ans, au sein du monde du travail, cette poignée de salariés (0,1% du total) a détourné à son profit une part importante des hausses de salaires consentie par les entreprises. Autrement dit, pour chaque euro d’augmentation consenti à un salarié lambda, un de ces seigneurs en recevait, lui, 35.
Derrière cette déformation du partage des revenus entre salariés apparaît également l’évolution de la société vers un capitalisme financiarisé. Il n’est pas anodin, et c’est là l’objet du travail du chercheur, que l’essentiel (57%) de la progression des très hauts salaires est le fait des traders. En France, en 2007, on en comptait 626 parmi les 1 692 bienheureux très riches du haut du panier. Ensemble cette petite poignée de salariés de luxe s’est accaparée 0,25% du total des salaires versés dans le privé en 2007, soit 1,2 milliards d’euros. La crème de la crème, les 100 salariés de la finance les mieux payés gagnaient en moyenne 4,65 millions d’euros chacun….10 fois plus qu’en 1997…En une année, de tels traders gagnaient donc 284 années de Smic, presque 7 vies de Smicard, à raison de 42 années de travail.
Merci pour eux.
Emmanuel Lévy - Marianne | Mardi 19 Avril 2011
Extrait d'un article de Laurent Mauduit ou comment parler du SMIC pour finir sur le salaire maximum...
Le délabrement dans lequel se trouve aujourd'hui le salaire minimum, qui ne protègent qu'imparfaitement ceux qui en profitent, n'est qu'une facette de l'éclatement du pacte social qui a fonctionné tout au long des Trente Glorieuses et qui a ensuite volé en éclats.
Longtemps en effet, les écarts de rémunérations entre les très hauts salaires et les très bas étaient contenus. C'était le résultat d'un pacte social implicite: les très hauts salaires acceptaient en quelque sorte de ne pas s'envoler toujours plus; en contrepartie, les bas salaires n'étaient pas sans cesse aspirés... plus bas. Ainsi le voulait le capitalisme rhénan, qui tolérait un partage, selon les rapports de force, entre le capital et le travail.
Les règles du capitalismes anglo-saxon sont venues tout bouleverser: ignorant ce partage, elles ont favorisé une envolée des rémunérations des cadres dirigeants et, du même coup, les grands groupes ont jugé intolérable les protections sociales dont bénéficiaient les travailleurs les plus modestes. On peut dire les choses de manière encore plus directe: les folles rémunérations des cadres dirigeants des entreprises ont généré, par un choc en retour, le développement des "travailleurs pauvres" dans le bas des hiérarchies de ces mêmes entreprises.
Indéniablement, il faut donc défendre le Smic. Mais au-delà, c'est assurément, tout le pacte social qu'il faut reconstruire. Le débat est d'ailleurs dès à présent lancé, car de nombreuses voix à gauche ont commencé à faire valoir qu'il fallait aussi explorer l'idée d'un «salaire maximum», pour contenir les dérives invraisemblables auxquelles se sont laissés aller notamment les patrons du CAC 40. L'idée du «salaire maximum» n'est certes qu'une image. Car, il existe bien d'autres moyens pour rétablir une société plus équitable que d'interdire des rémunérations au-delà d'un certain seuil, jugé exorbitant. Il existe en particulier l'impôt sur le revenu, dont la progressivité a été cassée au fil des ans, par une réduction progressive de 15 à 5 des tranches d'imposition. La fonction redistributrice de l'impôt sur le revenu, impôt-citoyen par excellence, pourrait donc être réhabilitée. Avec d'autres, Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) lâche ainsi qu'au-dessus de 350.000 euros annuels, il «prend tout».
Le ton est volontairement gouailleur, comme l'est le personnage. Et les modalités évoquées discutables. Mais le débat est de première importance: au-delà du Smic, ce sont les règles de partage entre le capital et le travail qu'il faut redessiner. Pour sortir de ce pacte de misère, et un inventer un autre: un pacte plus généreux, un pacte solidaire.
Laurent Mauduit, Mediapart, 26 Décembre 2010
extrait d'un article "Le pacte que Sarkozy a passé contre le Smic" que vous pouvez lire en entire ci-dessous
Longtemps en effet, les écarts de rémunérations entre les très hauts salaires et les très bas étaient contenus. C'était le résultat d'un pacte social implicite: les très hauts salaires acceptaient en quelque sorte de ne pas s'envoler toujours plus; en contrepartie, les bas salaires n'étaient pas sans cesse aspirés... plus bas. Ainsi le voulait le capitalisme rhénan, qui tolérait un partage, selon les rapports de force, entre le capital et le travail.
Les règles du capitalismes anglo-saxon sont venues tout bouleverser: ignorant ce partage, elles ont favorisé une envolée des rémunérations des cadres dirigeants et, du même coup, les grands groupes ont jugé intolérable les protections sociales dont bénéficiaient les travailleurs les plus modestes. On peut dire les choses de manière encore plus directe: les folles rémunérations des cadres dirigeants des entreprises ont généré, par un choc en retour, le développement des "travailleurs pauvres" dans le bas des hiérarchies de ces mêmes entreprises.
Indéniablement, il faut donc défendre le Smic. Mais au-delà, c'est assurément, tout le pacte social qu'il faut reconstruire. Le débat est d'ailleurs dès à présent lancé, car de nombreuses voix à gauche ont commencé à faire valoir qu'il fallait aussi explorer l'idée d'un «salaire maximum», pour contenir les dérives invraisemblables auxquelles se sont laissés aller notamment les patrons du CAC 40. L'idée du «salaire maximum» n'est certes qu'une image. Car, il existe bien d'autres moyens pour rétablir une société plus équitable que d'interdire des rémunérations au-delà d'un certain seuil, jugé exorbitant. Il existe en particulier l'impôt sur le revenu, dont la progressivité a été cassée au fil des ans, par une réduction progressive de 15 à 5 des tranches d'imposition. La fonction redistributrice de l'impôt sur le revenu, impôt-citoyen par excellence, pourrait donc être réhabilitée. Avec d'autres, Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) lâche ainsi qu'au-dessus de 350.000 euros annuels, il «prend tout».
Le ton est volontairement gouailleur, comme l'est le personnage. Et les modalités évoquées discutables. Mais le débat est de première importance: au-delà du Smic, ce sont les règles de partage entre le capital et le travail qu'il faut redessiner. Pour sortir de ce pacte de misère, et un inventer un autre: un pacte plus généreux, un pacte solidaire.
Laurent Mauduit, Mediapart, 26 Décembre 2010
extrait d'un article "Le pacte que Sarkozy a passé contre le Smic" que vous pouvez lire en entire ci-dessous
En 2009, le publicitaire Jacques Séguéla scandalisait en déclarant : « Si à 50 ans, on n’a pas une Rolex, c’est quand même qu’on a raté sa vie. » Il ne faisait pourtant que témoigner de l’influence prise par les habitudes de consommation des plus riches sur les dépenses de tous. Une fièvre du luxe ruineuse, contre laquelle une profonde réforme fiscale s’impose.
Books. - Vous travaillez sur le boom du luxe, alors même que les revenus de la majorité de la population marquent le pas. Comment ces deux réalités peuvent-elles aller de pair?
Robert Frank - Le paradoxe n'est qu'apparent. Nous avons assisté dans la plupart des pays développés, ces dernières décennies, à un développement substantiel des inégalités, qui a été particulièrement spectaculaire aux États-Unis. Entre 1979 et 2003, les 20% les plus pauvres de la population américaine ont vu leurs revenus progresser de 3,5% seulement sur l'ensemble de la période. Parallèlement, les 20% les plus riches voyaient les leurs augmenter de 45,7% - et les 5% les mieux lotis de 68%. En 1980, les PDG des deux cents plus grandes entreprises américaines gagnaient 42 fois le salaire moyen d'un ouvrier ; en 2000, ils touchaient 500 fois cette somme.
Ce creusement des inégalités, par rapport à la période antérieure, au cours de laquelle tout le monde progressait sensiblement au même rythme, est lié à des transformations en profondeur des règles du jeu économique. En deux mots, nous avons vu se généraliser les « marchés où le gagnant rafle la mise » : ce sont des marchés sur lesquels de faibles écarts de performance suffisent à générer des différences considérables de rémunération?; une poignée d'individus particulièrement talentueux s'y adjuge des rétributions énormes. Au début du siècle, quand l'État de l'Iowa comptait à lui seul plus de 1300 opéras, des milliers de ténors gagnaient modestement mais correctement leur vie en se produisant en public. Depuis que nous écoutons essentiellement de la musique enregistrée, le meilleur ténor du monde peut littéralement être présent partout à la fois, et être rémunéré en conséquence.
Longtemps, ce fonctionnement est resté l'apanage des mondes du sport et de l'art. Mais ces règles du jeu très concurrentielles ont gagné récemment de nombreux secteurs, comme la comptabilité, le droit, le conseil, la médecine, la banque, l'édition, le design... Notamment parce que les nouvelles technologies ont accru la puissance et le champ d'influence des meilleurs.
Ces talents de mieux en mieux rémunérés ont fait comme tout individu qui s'enrichit : ils ont augmenté leur consommation, notamment de ces biens que je définis moins par leur caractère luxueux - la définition du luxe est très circonstancielle - que par leur caractère « positionnel » : ce sont d'abord des indicateurs de standing, des marqueurs de statut social. Et ce nouveau modèle de consommation au sommet s'est répercuté sur l'ensemble de la population, via une véritable « cascade de dépenses ».
Books. - Qu'entendez-vous par «cascade de dépenses» ?
R. Franck. - Les cercles sociaux sont relativement étroits?; les nouvelles habitudes de consommation des plus riches n'ont donc pas modifié directement la consommation de l'ensemble de la population. Ils ont, en revanche, modifié le cadre de référence façonnant les aspirations de la population située juste au-dessous d'eux ; à son tour, celle-ci s'est mise à consommer davantage, bouleversant le cadre de référence des couches sociales immédiatement inférieures, et ainsi de suite tout au long de l'échelle.
Aujourd'hui, pour prendre un exemple trivial mais évocateur, on trouve aux États-Unis des barbecues à plus de 5000 dollars. Payer un gril une somme pareille aurait été inimaginable il y a seulement vingt ans. Pourtant, le segment des barbecues à plus de 2000 dollars est celui qui progresse le plus sur ce marché. Dans la même veine, si l'on excepte le bref revers subi par le secteur du luxe en 2009, les yachts et les montres Patek Philippe se vendent toujours sur liste d'attente, et les voitures haut de gamme représentent une part croissante du marché automobile américain... D'une manière générale, les dépenses consacrées aux produits de luxe croissent à peu près quatre fois plus vite que les autres.
Et cette fièvre ne touche pas seulement les plus riches. En témoigne notamment l'évolution du confort moyen des logements aux États-Unis : la surface médiane des nouvelles maisons est passée de 480 mètres carrés en 1980 à 610 mètres carrés en 2001, soit une augmentation de 27%, alors que le revenu disponible d'une famille médiane ne progressait que de 15% environ.
Books. - Mais quel est le ressort du phénomène, s'il n'est pas lié à l'enrichissement de la majorité de la population?
R. Franck. - Il tient au fait que les normes de consommation du milieu où l'on vit influencent les biens et services que l'on juge essentiels à son bien-être : la taille minimale d'une maison, pour n'en avoir pas honte, n'est pas la même au Népal, au Japon, en Europe ou aux États-Unis. L'environnement et ses évolutions façonnent le jugement que les gens portent sur leur propre situation, et donc leurs décisions économiques.
Les études d'économie comportementale donnent des résultats très clairs à cet égard : si l'on demande aux gens de choisir entre un monde où ils habitent une maison de 1000 mètres carrés tandis que les autres jouissent de 2000 mètres carrés, et un monde où ils habitent une maison de 800 mètres carrés tandis que les autres n'ont que 600 mètres carrés, la plupart optent pour le second monde, celui où la taille absolue de leur maison est plus petite, mais où sa taille relative est plus grande. Dans ces conditions, le boom de la consommation positionnelle des plus riches provoque une véritable fuite en avant, qui n'est pas sans rappeler la course aux armements entre États. Dès lors que les plus riches achètent des maisons plus grandes, chacun a tendance à acheter une maison plus grande.
Books. - Parce que l'homme est un animal envieux?
R. Franck. - Non, je vois dans ce phénomène l'effet concomitant de l'augmentation des inégalités et de la logique de compétition profondément ancrée en l'homme. L'importance que nous accordons aux biens positionnels relève à mes yeux de deux niveaux d'explication. Premièrement, notre consommation a des conséquences tangibles, dont il est parfaitement légitime de se soucier. Les signaux que chacun envoie à son environnement sur son rang nourrissent ou handicapent très concrètement sa réussite.
Lire la suite de l'entretien sur booksmag.fr
Propos recueillis par Sandrine Tolotti
Robert Frank - Le paradoxe n'est qu'apparent. Nous avons assisté dans la plupart des pays développés, ces dernières décennies, à un développement substantiel des inégalités, qui a été particulièrement spectaculaire aux États-Unis. Entre 1979 et 2003, les 20% les plus pauvres de la population américaine ont vu leurs revenus progresser de 3,5% seulement sur l'ensemble de la période. Parallèlement, les 20% les plus riches voyaient les leurs augmenter de 45,7% - et les 5% les mieux lotis de 68%. En 1980, les PDG des deux cents plus grandes entreprises américaines gagnaient 42 fois le salaire moyen d'un ouvrier ; en 2000, ils touchaient 500 fois cette somme.
Ce creusement des inégalités, par rapport à la période antérieure, au cours de laquelle tout le monde progressait sensiblement au même rythme, est lié à des transformations en profondeur des règles du jeu économique. En deux mots, nous avons vu se généraliser les « marchés où le gagnant rafle la mise » : ce sont des marchés sur lesquels de faibles écarts de performance suffisent à générer des différences considérables de rémunération?; une poignée d'individus particulièrement talentueux s'y adjuge des rétributions énormes. Au début du siècle, quand l'État de l'Iowa comptait à lui seul plus de 1300 opéras, des milliers de ténors gagnaient modestement mais correctement leur vie en se produisant en public. Depuis que nous écoutons essentiellement de la musique enregistrée, le meilleur ténor du monde peut littéralement être présent partout à la fois, et être rémunéré en conséquence.
Longtemps, ce fonctionnement est resté l'apanage des mondes du sport et de l'art. Mais ces règles du jeu très concurrentielles ont gagné récemment de nombreux secteurs, comme la comptabilité, le droit, le conseil, la médecine, la banque, l'édition, le design... Notamment parce que les nouvelles technologies ont accru la puissance et le champ d'influence des meilleurs.
Ces talents de mieux en mieux rémunérés ont fait comme tout individu qui s'enrichit : ils ont augmenté leur consommation, notamment de ces biens que je définis moins par leur caractère luxueux - la définition du luxe est très circonstancielle - que par leur caractère « positionnel » : ce sont d'abord des indicateurs de standing, des marqueurs de statut social. Et ce nouveau modèle de consommation au sommet s'est répercuté sur l'ensemble de la population, via une véritable « cascade de dépenses ».
Books. - Qu'entendez-vous par «cascade de dépenses» ?
R. Franck. - Les cercles sociaux sont relativement étroits?; les nouvelles habitudes de consommation des plus riches n'ont donc pas modifié directement la consommation de l'ensemble de la population. Ils ont, en revanche, modifié le cadre de référence façonnant les aspirations de la population située juste au-dessous d'eux ; à son tour, celle-ci s'est mise à consommer davantage, bouleversant le cadre de référence des couches sociales immédiatement inférieures, et ainsi de suite tout au long de l'échelle.
Aujourd'hui, pour prendre un exemple trivial mais évocateur, on trouve aux États-Unis des barbecues à plus de 5000 dollars. Payer un gril une somme pareille aurait été inimaginable il y a seulement vingt ans. Pourtant, le segment des barbecues à plus de 2000 dollars est celui qui progresse le plus sur ce marché. Dans la même veine, si l'on excepte le bref revers subi par le secteur du luxe en 2009, les yachts et les montres Patek Philippe se vendent toujours sur liste d'attente, et les voitures haut de gamme représentent une part croissante du marché automobile américain... D'une manière générale, les dépenses consacrées aux produits de luxe croissent à peu près quatre fois plus vite que les autres.
Et cette fièvre ne touche pas seulement les plus riches. En témoigne notamment l'évolution du confort moyen des logements aux États-Unis : la surface médiane des nouvelles maisons est passée de 480 mètres carrés en 1980 à 610 mètres carrés en 2001, soit une augmentation de 27%, alors que le revenu disponible d'une famille médiane ne progressait que de 15% environ.
Books. - Mais quel est le ressort du phénomène, s'il n'est pas lié à l'enrichissement de la majorité de la population?
R. Franck. - Il tient au fait que les normes de consommation du milieu où l'on vit influencent les biens et services que l'on juge essentiels à son bien-être : la taille minimale d'une maison, pour n'en avoir pas honte, n'est pas la même au Népal, au Japon, en Europe ou aux États-Unis. L'environnement et ses évolutions façonnent le jugement que les gens portent sur leur propre situation, et donc leurs décisions économiques.
Les études d'économie comportementale donnent des résultats très clairs à cet égard : si l'on demande aux gens de choisir entre un monde où ils habitent une maison de 1000 mètres carrés tandis que les autres jouissent de 2000 mètres carrés, et un monde où ils habitent une maison de 800 mètres carrés tandis que les autres n'ont que 600 mètres carrés, la plupart optent pour le second monde, celui où la taille absolue de leur maison est plus petite, mais où sa taille relative est plus grande. Dans ces conditions, le boom de la consommation positionnelle des plus riches provoque une véritable fuite en avant, qui n'est pas sans rappeler la course aux armements entre États. Dès lors que les plus riches achètent des maisons plus grandes, chacun a tendance à acheter une maison plus grande.
Books. - Parce que l'homme est un animal envieux?
R. Franck. - Non, je vois dans ce phénomène l'effet concomitant de l'augmentation des inégalités et de la logique de compétition profondément ancrée en l'homme. L'importance que nous accordons aux biens positionnels relève à mes yeux de deux niveaux d'explication. Premièrement, notre consommation a des conséquences tangibles, dont il est parfaitement légitime de se soucier. Les signaux que chacun envoie à son environnement sur son rang nourrissent ou handicapent très concrètement sa réussite.
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Propos recueillis par Sandrine Tolotti
Au moment où l’on demande aux catégories les plus modestes d’accepter des régressions sociales majeures au nom de la compétitivité, il est inacceptable de voir se constituer des fortunes sur la base de pures logiques spéculatives et rentières. Tant pour des raisons de justice sociale que d’ordre public et de politique de santé, il faut donc stopper la dérive folle des très hauts revenus.
Quel est en effet l’argument principal des dealers dans une cité de banlieue quand ils cherchent à convaincre un jeune d’entrer dans un réseau de revente ? « Pourquoi te fatiguer à gagner en un mois ce que tu peux gagner en une journée ? Regarde au JT, on a encore eu l’exemple d’un grand patron qui rafle un paquet énorme de stocks options ou augmente son salaire de 30 % alors que sa boîte est en difficulté… Telle est la loi de la jungle dans laquelle nous sommes. » Au-delà d’un certain seuil, les inégalités de revenu ou de fortune sont des incitations à l’incivisme et à la délinquance. C’est encore plus vrai à l’échelle mondiale. Quand la fortune de deux cent vingt-cinq personnes est égale au revenu de deux milliards et demi d’êtres humains (chiffres officiels du PNUD), le cocktail explosif de l’humiliation et de la misère constitue un réservoir de choix pour les fondamentalismes, les intégrismes et les terrorismes de toute nature. Problème d’ordre public donc, mais aussi problème de santé mentale. Au-delà d’un certain niveau de fortune, il se met en place un phénomène psychique de déréalisation. C’est ce processus qui se produit chez nombre de sportifs, d’artistes, de PDG, de présentateurs de TV, etc., qui « disjonctent » et, circonstance aggravante, entraînent souvent les collectifs ou les entreprises dont ils sont membres ou responsables dans leur propre délire. Le cas Messier-Vivendi en est un exemple patent. Outre des raisons de justice sociale évidentes – rien ne peut justifier que des êtres humains soient à la rue quand d’autres ne savent pas quoi faire de leur argent –, une réforme de ce type devrait être proposée conjointement par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Santé. Plusieurs modalités sont envisageables. L’une d’entre elles, libérale dans ses modalités d’application, consisterait à proposer un processus en deux temps.
1. Le Parlement délibère du niveau maximal d’inégalités réelles (et non statistiques) compatibles avec l’idée que la collectivité se fait de ses propres valeurs. Il définit ainsi un seuil de revenu minimal et un seuil de revenu (personnel) maximal. Les deux revenus sont liés selon le principe thermostatique : quand il y a excès d’un côté, insuffisance de l’autre, on crée une boucle de rétroaction positive. Si l’on veut augmenter le RMA (revenu maximal acceptable personnel), il faut augmenter aussi les minima sociaux. Dans le cas où le Parlement refuserait de définir un plafond, il doit assumer publiquement la réalité du niveau d’inégalités. Reconnaître par exemple, qu’au pays de la Déclaration des droits de l’homme, l’inégalité effective est aujourd’hui dans un rapport de un à mille et au-delà. Aux États Unis, comme le rappelle Alain Caillé, le rapport entre les salaires les plus bas et ceux des PDG est passé entre 1970 et 2000 d’un rapport de 1 à 39 à un rapport de 1 à 1000, soit une multiplication par 25.
2. Le plafond maximal personnel étant défini, tout revenu supérieur peut être, au choix, versé dans l’ISF ou, si l’on démontre l’utilité sociale de ce supplément de revenu, affecté à une fondation. La fondation peut être en effet un bon cadre pour répondre de manière très libérale à cet objectif très radical. Dans ce cas, les personnes dont le revenu dépasse le RMA disposeraient de la première partie de l’année fiscale pour déposer un projet de fondation associant la personne concernée et la collectivité. La fondation peut d’ailleurs porter le nom de cette personne si cela peut satisfaire son ego, mais comme dans toute fondation, la collectivité y est représentée et les objectifs affichés doivent correspondre à des critères d’utilité publique ou sociale (au sens large : y compris écologique).
Il faudra, bien entendu, répondre à l’argument du risque d’évasion fiscale qu’une telle mesure ne manquera pas de susciter. Ce projet devrait donc être couplé avec d’autres propositions concernant la lutte contre les paradis fiscaux, défendues notamment par ATTAC. Mais on peut d’ores et déjà dire que ceux qui sont cyniques et inciviques au point de refuser une telle mesure sont peu utiles à leur pays. Dans une économie de la connaissance et à l’heure de la révolution de l’intelligence, la qualité de l’intelligence est directement liée à la qualité d’écoute et de générosité. L’autisme et le cynisme ne sont guère propices à la fécondité de l’intelligence collective. Leur « délocalisation » volontaire ne serait pas pour le coup un drame national…
Extrait d'un article de Patrick Viveret intitulé "Au-delà de la richesse monétaire" et paru dans le numéro 26 de la revue du Mauss en 2005
1. Le Parlement délibère du niveau maximal d’inégalités réelles (et non statistiques) compatibles avec l’idée que la collectivité se fait de ses propres valeurs. Il définit ainsi un seuil de revenu minimal et un seuil de revenu (personnel) maximal. Les deux revenus sont liés selon le principe thermostatique : quand il y a excès d’un côté, insuffisance de l’autre, on crée une boucle de rétroaction positive. Si l’on veut augmenter le RMA (revenu maximal acceptable personnel), il faut augmenter aussi les minima sociaux. Dans le cas où le Parlement refuserait de définir un plafond, il doit assumer publiquement la réalité du niveau d’inégalités. Reconnaître par exemple, qu’au pays de la Déclaration des droits de l’homme, l’inégalité effective est aujourd’hui dans un rapport de un à mille et au-delà. Aux États Unis, comme le rappelle Alain Caillé, le rapport entre les salaires les plus bas et ceux des PDG est passé entre 1970 et 2000 d’un rapport de 1 à 39 à un rapport de 1 à 1000, soit une multiplication par 25.
2. Le plafond maximal personnel étant défini, tout revenu supérieur peut être, au choix, versé dans l’ISF ou, si l’on démontre l’utilité sociale de ce supplément de revenu, affecté à une fondation. La fondation peut être en effet un bon cadre pour répondre de manière très libérale à cet objectif très radical. Dans ce cas, les personnes dont le revenu dépasse le RMA disposeraient de la première partie de l’année fiscale pour déposer un projet de fondation associant la personne concernée et la collectivité. La fondation peut d’ailleurs porter le nom de cette personne si cela peut satisfaire son ego, mais comme dans toute fondation, la collectivité y est représentée et les objectifs affichés doivent correspondre à des critères d’utilité publique ou sociale (au sens large : y compris écologique).
Il faudra, bien entendu, répondre à l’argument du risque d’évasion fiscale qu’une telle mesure ne manquera pas de susciter. Ce projet devrait donc être couplé avec d’autres propositions concernant la lutte contre les paradis fiscaux, défendues notamment par ATTAC. Mais on peut d’ores et déjà dire que ceux qui sont cyniques et inciviques au point de refuser une telle mesure sont peu utiles à leur pays. Dans une économie de la connaissance et à l’heure de la révolution de l’intelligence, la qualité de l’intelligence est directement liée à la qualité d’écoute et de générosité. L’autisme et le cynisme ne sont guère propices à la fécondité de l’intelligence collective. Leur « délocalisation » volontaire ne serait pas pour le coup un drame national…
Extrait d'un article de Patrick Viveret intitulé "Au-delà de la richesse monétaire" et paru dans le numéro 26 de la revue du Mauss en 2005
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L'excellente revue "Mouvements" a intitulé son dernier numéro "Pour en finir avec les riches (et les pauvres)" dans lequel il y a deux articles consacrés au salaire maximum. Voici donc le second écrit par Ruth Foxe Blader et Edward Castleton.
En septembre 2008 aux États-Unis, dans le bureau de chaque Sénateur et de chaque représentant du Congrès, le téléphone se mit à sonner sans interruption. Les sociétés de crédit immobilier et à la consommation Fannie Mae et Freddie Mac étaient nationalisées ; des banques et des groupes d’investissement comme Countrywide, Merril Lynch, Bear Stearns, Lehman Brothers, la Banque Wachiova, ou Washington Mutual avaient cessé d’exister. Mais peut-être aussi surprenant que le chaos sans précédent, depuis les années 1930, qui ravageait le système financier mondial, fut pour les représentants élus de la nation la nature unanime des appels qu’ils recevaient : « Pas de plan de soutien. Laissez les banques faire faillite ».
Cette demande considérée comme suicidaire par les économistes dominants, aussi bien de droite que de gauche, reflétait la volonté majoritaire du peuple américain. En une nuit ou presque un langage économique ésotérique, saturé de références à des choses aussi opaques que les « produits dérivés sur défauts de crédit » ou les « obligations adossées à des actifs », était révélé et largement diffusé par les médias aux masses profanes. Le nouvel idiome ressaisissait brutalement la vérité de la société américaine, à savoir que les 5 % des ménages américains les plus riches, dont le revenu annuel moyen avoisinait désormais les 300 000 dollars, avaient mis en place le cœur léger un système complexe de paris pour redistribuer à leur bénéfice les investissements faits par les travailleurs en vue de leur retraite. Et ceci alors même que les revenus des 0,1 % des ménages les plus riches étaient jusqu’à 181 fois supérieurs au revenu moyen des 90 % des ménages du bas de l’échelle. Dans le double contexte d’une catastrophe économique mondiale et de l’élection historique du président Obama, il devenait possible socialement de suggérer que certains Américains gagnaient trop.
Pour lire la suite, cliquez sur le lien ci-dessous
Cette demande considérée comme suicidaire par les économistes dominants, aussi bien de droite que de gauche, reflétait la volonté majoritaire du peuple américain. En une nuit ou presque un langage économique ésotérique, saturé de références à des choses aussi opaques que les « produits dérivés sur défauts de crédit » ou les « obligations adossées à des actifs », était révélé et largement diffusé par les médias aux masses profanes. Le nouvel idiome ressaisissait brutalement la vérité de la société américaine, à savoir que les 5 % des ménages américains les plus riches, dont le revenu annuel moyen avoisinait désormais les 300 000 dollars, avaient mis en place le cœur léger un système complexe de paris pour redistribuer à leur bénéfice les investissements faits par les travailleurs en vue de leur retraite. Et ceci alors même que les revenus des 0,1 % des ménages les plus riches étaient jusqu’à 181 fois supérieurs au revenu moyen des 90 % des ménages du bas de l’échelle. Dans le double contexte d’une catastrophe économique mondiale et de l’élection historique du président Obama, il devenait possible socialement de suggérer que certains Américains gagnaient trop.
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En une trentaine d’années, les écarts de rémunération ont explosé. Alors qu’un grand dirigeant d’entreprise, pendant les Trente glorieuses, gagnait environ 35 fois le salaire moyen de ses employés, le rapport peut aujourd’hui aller de 1 à 300. Face à un tel constat, l’idée d’un revenu maximum fait son chemin dans le débat public. Elle apparaît aussi comme un instrument essentiel d’une politique écologique.
L’idée s’en impose peu à peu, lentement, trop lentement, sans doute, mais sûrement, au rythme du réveil de la conscience collective : un revenu maximum acceptable (RMA) est une nécessité pour retisser le lien social et engager des politiques écologiques et sociales. Faut-il l’appeler « autorisé », « admissible », « acceptable » ? Peu importe. Le principe est clair : une trop grande inégalité n’est pas acceptable. Gagner dix ou trente fois plus que les autres est peut-être admissible, gagner trois cent ou mille fois plus n’a simplement pas de sens. Et depuis que Patrick Viveret et son groupe de recherche sur la richesse a relancé l’idée du RMA au début des années 2000, il est en voie de devenir un objectif essentiel des politiques de changement.
Il nous faut d’abord montrer pourquoi le RMA est nécessaire du point de vue écologique. On le sait, l’augmentation des inégalités depuis une trentaine d’années constitue un caractère central de l’évolution du capitalisme. De nombreuses études documentent cette poussée des inégalités. L’une d’entre elles, conduite par deux économistes de Harvard et du Federal Reserve Board, est des plus parlantes (1). Carola Frydman et Raven E. Saks ont comparé le rapport entre le salaire gagné par les trois premiers dirigeants des cinq cents plus grandes entreprises américaines et le salaire moyen de leurs employés. Cet indicateur de l’évolution des inégalités reste stable des années 1940, moment où commence l’observation, jusqu’aux années 1970 : les patrons des entreprises considérées gagnaient environ trente-cinq fois le salaire moyen de leurs employés. Puis se produit un décrochement à partir des années 1980, et le rapport monte de façon régulière jusqu’à atteindre plus de 300 dans les années 2000.
Ainsi, le capitalisme a connu un tournant majeur : durant ce que l’on a appelé les « Trente Glorieuses », l’enrichissement collectif permis par la hausse continue de la productivité était assez équitablement distribué entre capital et travail, si bien que les rapports d’inégalité demeuraient stables. A partir des années 1980, un ensemble de circonstances, qu’il n’est pas lieu d’analyser ici, a conduit à un décrochage de plus en plus prononcé entre les détenteurs du capital et la masse des citoyens (2) . Dans les pays occidentaux, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a fortement reculé au profit des revenus du capital. La base de données économiques Ameco de la Commission européenne précise le phénomène : en France, par exemple, la part des salaires dans le PIB est passée d’une moyenne de 63 % dans les années 1960 et 1970 à 57 % dans les années 2000, soit une chute de 6 points (3).
L’oligarchie accumule revenus et patrimoine à un degré jamais vu depuis un siècle. Elle dépense sa richesse dans une consommation effrénée de yachts, d’avions privés, de résidences immenses, de bijoux, de montres, de voyages exotiques, d’un fatras clinquant de dilapidation somptuaire.
Pourquoi ce comportement est-il un moteur puissant de la crise écologique ? Pour le comprendre, il nous faut nous tourner vers le grand économiste Thorstein Veblen (4). Que disait Veblen ? Que la tendance à rivaliser est inhérente à la nature humaine. Nous avons tous une propension à nous comparer les uns aux autres, et cherchons à manifester par tel ou tel trait extérieur une petite supériorité, une différence symbolique par rapport aux personnes avec lesquelles nous vivons.
Veblen constatait ensuite qu’existent le plus souvent plusieurs classes au sein de la société. Chacune d’entre elles est régie par le principe de la rivalité ostentatoire. Et dans chacune, les individus prennent comme modèle le comportement en vigueur dans la couche sociale supérieure, dont le comportement lui indique ce qu’il est bien, chic, de faire. La couche sociale imitée prend elle-même exemple sur celle qui est située au-dessus d’elle dans l’échelle de la fortune, et ainsi de suite de bas en haut, si bien que la classe située au sommet définit le modèle culturel général de ce qui est prestigieux, de ce qui en impose aux autres.
Que se passe-t-il dans une société très inégalitaire ? Elle génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines « people », sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant.
Consommer moins pour répartir mieux
Comment alors l’oligarchie bloque-t-elle les évolutions nécessaires pour prévenir l’aggravation de la crise écologique ? Directement, bien sûr, par les puissants leviers – politiques, économiques et médiatiques - dont elle dispose et dont elle use afin de maintenir ses privilèges. Indirectement, et c’est aussi important, par ce modèle culturel de consommation qui imprègne toute la société et en définit la normalité.
Or, prévenir l’aggravation de la crise écologique, et même commencer à restaurer l’environnement, est dans le principe assez simple : il faut que l’humanité réduise son impact sur la biosphère. Y parvenir est également dans le principe assez simple : cela signifie réduire nos prélèvements de minerais, de bois, d’eau, d’or, de pétrole, etc., et réduire nos rejets de gaz à effet de serre, de déchets chimiques, de matières radioactives, d’emballages, etc. Autrement dit, réduire la consommation matérielle globale de nos sociétés.
Qui va réduire sa consommation matérielle ? Les 20 à 30 % de la population mondiale qui consomment près de 70 % des ressources tirées chaque année de la biosphère. C’est donc de ces 20 à 30 % que le changement doit venir, c’est-à-dire pour l’essentiel, des peuples d’Amérique du nord, d’Europe et du Japon, ainsi que des classes riches des pays émergents. Au sein des sociétés surdéveloppées, ce n’est pas aux pauvres, aux salariés modestes que l’on va proposer de réduire la consommation matérielle. Mais ce ne sont pas non les seuls hyper-riches qui doivent opérer cette réduction : ils ne sont pas assez nombreux pour que cela change suffisamment l’impact écologique collectif. C’est en fait à l’ensemble des classes moyennes occidentales que doit être proposée la réduction de la consommation matérielle.
On voit ici que la question de l’inégalité est centrale : les classes moyennes n’accepteront pas d’aller dans la direction d’une moindre consommation matérielle si le changement nécessaire n’est pas équitablement adopté. Recréer le sentiment de solidarité essentiel pour parvenir à cette réorientation radicale de notre culture suppose que soit entrepris un resserrement rigoureux des inégalités – ce qui, par ailleurs, transformerait le modèle culturel existant.
La proposition de baisse de la consommation matérielle est provocante au regard de l’idéologie dominante. Mais aujourd’hui, l’augmentation de la consommation matérielle globale n’améliore pas le bien-être collectif – au contraire, elle le dégrade. Une civilisation choisissant la réduction de la consommation matérielle verra par ailleurs s’ouvrir la porte d’autres politiques. Outillée par le transfert de richesses que permettra la réduction des inégalités, elle pourra stimuler les activités humaines socialement utiles et à faible impact écologique. Agriculture, éducation, culture, santé, transports, énergie, sont autant de domaines où les besoins sociaux sont grands et les possibilités de création d’emploi importantes. Il s’agit de renouveler l’économie par l’idée de l’utilité humaine plutôt que par l’obsession de la production matérielle, de favoriser le lien social plutôt que la satisfaction individuelle. Face à la crise écologique, il nous faut consommer moins pour répartir mieux, mieux vivre ensemble plutôt que de consommer seuls.
Résumons : en quoi la réduction forte de l’inégalité par le RMA est-elle socialement et écologiquement indispensable ?
- Pour changer le modèle culturel dominant de nos sociétés ;
- Pour que les classes moyennes puissent accepter une réduction de la consommation matérielle et énergétique ;
- Pour récupérer la part de la richesse collective pillée par l’oligarchie afin d’une part d’améliorer le sort des plus pauvres, et d’autre part de financer la reconversion d’une part de l’économie vers des activités créatrices d’emplois et fournissant des biens sociaux utiles et à faible impact écologique.
Combien, comment ?
La bonne nouvelle est que la nécessité du RMA commence à convaincre des cercles de plus en plus larges et pénètre enfin dans l’arène politique. Le RMA est inscrit au programme d’Europe Ecologie depuis 2009, il a aussi été endossé par le Parti de Gauche, qui a déposé une proposition de loi le 16 octobre 2009 visant au « rétablissement de la progressivité de l’impôt sur le revenu permettant de plafonner un revenu maximum ». Le Parti socialiste a de son côté accepté une version atténuée du RMA, en déposant en octobre 2009 une proposition de loi sur le salaire maximum en octobre 2009. Le Pôle écologique du Parti socialiste va plus loin et est clairement partisan du RMA, mais sans avoir encore convaincu ce parti.
A quel niveau fixer le revenu maximum ? Le mouvement Utopia envisage une fourchette de un à dix entre revenu maximum et revenu minimum, le Parti de Gauche va de un à vingt, le collectif Sauvons les riches de un à trente, la députée d’Europe Ecologie Karima Delli a inscrit un écart de un à quarante dans sa proposition au Parlement européen. Il n’y a pas de chiffre magique : c’est la délibération démocratique qui devrait en décider.
Sachant que le salaire moyen pour une personne en France est de l’ordre de 1 500 euros par mois, on voit qu’une échelle de un à dix écrêterait les revenus supérieurs à 14 000 euros, qu’une échelle de un à quarante affecterait les revenus dépassant 56 000 euros par mois. Ce chiffre est très proche du seuil de revenu – 57 000 euros - à partir duquel on fait partie en France des 0,1 % des personnes les plus riches en France, selon l’INSEE (5). Il va de soi que le RMA ne doit pas concerner le seul salaire, mais l’ensemble des revenus - primes, stock-options, retraites dorées – et revenus du capital.
Comment procéder ? Par l’impôt. Comme le rappelle Jean Gadrey, la limitation des revenus a été instauré aux Etats-Unis à partir de 1942 par l’imposition d’un très fort taux de prélèvement sur la tranche de revenus dépassant un certain seuil : « Roosevelt a mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-45. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels a été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusque 1981. »(6). Ce type d’imposition s’est pratiqué dans tous les pays occidentaux jusque dans les années 1980. Il ne s’agit en somme que de revenir à une situation antérieure plus équilibrée.
Cependant, deux points importants sont à souligner. D’une part, cette démarche doit être menée internationalement, l’échelon européen paraissant essentiel. Si aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, dans d’autres pays, l’idée du RMA progresse comme en France, il faut pousser dans chaque pays comme au niveau du Parlement européen pour parvenir à une forme de norme continentale qui, d’ailleurs, serait exemplaire au niveau mondial.
D’autre part, le RMA n’est pas une arme magique : elle doit bien s’inscrire dans une logique de refonte de la fiscalité, incluant notamment une lutte déterminée contre les paradis fiscaux et une maîtrise publique des circuits financiers. Mais le RMA, facilement compris par tout le monde et d’une évidente justice, pourrait être l’étendard le plus visible de cette indispensable réforme fiscale .
Un imaginaire positif
Une dimension moins technique ne saurait être oubliée. En octobre 2009, j’avais été frappé que, alors que le Parti de gauche et le Parti socialiste publiaient leur proposition de RMA ou de salaire maximum, cette information était quasiment ignorée par la presse. Certes, on pouvait expliquer cette censure par le fait que les médias sont très largement sous le contrôle de l’oligarchie, qui ne veut évidemment pas que ce sujet vienne sur la place publique. Mais il fallait reconnaître aussi que les politiques eux-mêmes ne poussent pas très fort sur le sujet : s’ils le mettent dans un coin de leur programme, peu le considèrent comme un enjeu véritable.
Pour comprendre cette situation, j’ai parlé avec Patrick Viveret, un de ceux qui ont lancé l’idée du RMA, pour mieux comprendre. « Les politiques mettent le revenu maximum en évidence, c’est nouveau, mais ils y vont à reculons, dit-il. Dans une société où le seul imaginaire est l’imaginaire de l’avoir, le RMA est perçu comme une restriction de la liberté. Pour convaincre de son utilité, il faut une vraie campagne : d’abord montrer que le revenu est déjà plafonné pour l’immense majorité de la population. Et surtout, travailler l’imaginaire positif, tel que celui de la sobriété heureuse, du bien-vivre. Cela va à l’encontre de tout l’économisme dominant : il propose une compensation au mal-être par la consommation, il apporte la consolation par la publicité. »
« Mais, poursuit Patrick Viveret, ce registre est bouché : la consommation devient écologiquement insupportable. Alors, les logiques dominantes remplacent peu à peu le registre compensateur-consolateur par un registre autoritaire. Si la voie compensatrice-consolatrice n’est plus possible et qu’on refuse la voie autoritaire, il faut travailler sur la démocratie et sur la sobriété heureuse. »
Etre plus heureux en ayant moins, certes. Mais surtout en rêvant autrement. Comme toute mesure politique, le RMA n’a de sens que s’il s’inscrit dans une autre culture du bien-être et du bonheur collectif.
Hervé Kempf - 14 novembre 2010
......................................
Notes :
(1) Carola Frydman & Raven E. Saks, « Executive Compensation : A New View from a Long-Run Perspective, 1936-2005 », Finance and Economics Discussion Series 2007-35, Washington, Board of Governors of the Federal Reserve System, 2007.
(2) Voir : Kempf, Hervé, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (Seuil, 2009).
(3) http://ec.europa.eu/economy_finance/ameco/user/serie/SelectSerie.cfm, cliquer sur “7-Gross domestic product”, puis cliquer sur “7.6-Adjusted wage share”. Lire aussi : « Part des salaires : et pourtant elle baisse », de Michel Husson, sur le site http://www.france.attac.org
(4) Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir, collection Tel, Gallimard, Paris, 1970.
(5) INSEE, Dossier de presse, « Les revenus et le patrimoine des ménages », avril 2010.
(6) Gadrey, Jean, « Les Etats-Unis instaurent un revenu maximum pour sortir de la crise », http://www.reporterre.net//spip.php?article114
Source : http://reporterre.net/spip.php?article1399
Cet article est publié dans la revue Mouvements n°64, octobre 2010.
Lire aussi le dossier : Le revenu maximal admissible, pourquoi ? comment ? : http://www.reporterre.net/spip.php?article1271
Il nous faut d’abord montrer pourquoi le RMA est nécessaire du point de vue écologique. On le sait, l’augmentation des inégalités depuis une trentaine d’années constitue un caractère central de l’évolution du capitalisme. De nombreuses études documentent cette poussée des inégalités. L’une d’entre elles, conduite par deux économistes de Harvard et du Federal Reserve Board, est des plus parlantes (1). Carola Frydman et Raven E. Saks ont comparé le rapport entre le salaire gagné par les trois premiers dirigeants des cinq cents plus grandes entreprises américaines et le salaire moyen de leurs employés. Cet indicateur de l’évolution des inégalités reste stable des années 1940, moment où commence l’observation, jusqu’aux années 1970 : les patrons des entreprises considérées gagnaient environ trente-cinq fois le salaire moyen de leurs employés. Puis se produit un décrochement à partir des années 1980, et le rapport monte de façon régulière jusqu’à atteindre plus de 300 dans les années 2000.
Ainsi, le capitalisme a connu un tournant majeur : durant ce que l’on a appelé les « Trente Glorieuses », l’enrichissement collectif permis par la hausse continue de la productivité était assez équitablement distribué entre capital et travail, si bien que les rapports d’inégalité demeuraient stables. A partir des années 1980, un ensemble de circonstances, qu’il n’est pas lieu d’analyser ici, a conduit à un décrochage de plus en plus prononcé entre les détenteurs du capital et la masse des citoyens (2) . Dans les pays occidentaux, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a fortement reculé au profit des revenus du capital. La base de données économiques Ameco de la Commission européenne précise le phénomène : en France, par exemple, la part des salaires dans le PIB est passée d’une moyenne de 63 % dans les années 1960 et 1970 à 57 % dans les années 2000, soit une chute de 6 points (3).
L’oligarchie accumule revenus et patrimoine à un degré jamais vu depuis un siècle. Elle dépense sa richesse dans une consommation effrénée de yachts, d’avions privés, de résidences immenses, de bijoux, de montres, de voyages exotiques, d’un fatras clinquant de dilapidation somptuaire.
Pourquoi ce comportement est-il un moteur puissant de la crise écologique ? Pour le comprendre, il nous faut nous tourner vers le grand économiste Thorstein Veblen (4). Que disait Veblen ? Que la tendance à rivaliser est inhérente à la nature humaine. Nous avons tous une propension à nous comparer les uns aux autres, et cherchons à manifester par tel ou tel trait extérieur une petite supériorité, une différence symbolique par rapport aux personnes avec lesquelles nous vivons.
Veblen constatait ensuite qu’existent le plus souvent plusieurs classes au sein de la société. Chacune d’entre elles est régie par le principe de la rivalité ostentatoire. Et dans chacune, les individus prennent comme modèle le comportement en vigueur dans la couche sociale supérieure, dont le comportement lui indique ce qu’il est bien, chic, de faire. La couche sociale imitée prend elle-même exemple sur celle qui est située au-dessus d’elle dans l’échelle de la fortune, et ainsi de suite de bas en haut, si bien que la classe située au sommet définit le modèle culturel général de ce qui est prestigieux, de ce qui en impose aux autres.
Que se passe-t-il dans une société très inégalitaire ? Elle génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines « people », sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant.
Consommer moins pour répartir mieux
Comment alors l’oligarchie bloque-t-elle les évolutions nécessaires pour prévenir l’aggravation de la crise écologique ? Directement, bien sûr, par les puissants leviers – politiques, économiques et médiatiques - dont elle dispose et dont elle use afin de maintenir ses privilèges. Indirectement, et c’est aussi important, par ce modèle culturel de consommation qui imprègne toute la société et en définit la normalité.
Or, prévenir l’aggravation de la crise écologique, et même commencer à restaurer l’environnement, est dans le principe assez simple : il faut que l’humanité réduise son impact sur la biosphère. Y parvenir est également dans le principe assez simple : cela signifie réduire nos prélèvements de minerais, de bois, d’eau, d’or, de pétrole, etc., et réduire nos rejets de gaz à effet de serre, de déchets chimiques, de matières radioactives, d’emballages, etc. Autrement dit, réduire la consommation matérielle globale de nos sociétés.
Qui va réduire sa consommation matérielle ? Les 20 à 30 % de la population mondiale qui consomment près de 70 % des ressources tirées chaque année de la biosphère. C’est donc de ces 20 à 30 % que le changement doit venir, c’est-à-dire pour l’essentiel, des peuples d’Amérique du nord, d’Europe et du Japon, ainsi que des classes riches des pays émergents. Au sein des sociétés surdéveloppées, ce n’est pas aux pauvres, aux salariés modestes que l’on va proposer de réduire la consommation matérielle. Mais ce ne sont pas non les seuls hyper-riches qui doivent opérer cette réduction : ils ne sont pas assez nombreux pour que cela change suffisamment l’impact écologique collectif. C’est en fait à l’ensemble des classes moyennes occidentales que doit être proposée la réduction de la consommation matérielle.
On voit ici que la question de l’inégalité est centrale : les classes moyennes n’accepteront pas d’aller dans la direction d’une moindre consommation matérielle si le changement nécessaire n’est pas équitablement adopté. Recréer le sentiment de solidarité essentiel pour parvenir à cette réorientation radicale de notre culture suppose que soit entrepris un resserrement rigoureux des inégalités – ce qui, par ailleurs, transformerait le modèle culturel existant.
La proposition de baisse de la consommation matérielle est provocante au regard de l’idéologie dominante. Mais aujourd’hui, l’augmentation de la consommation matérielle globale n’améliore pas le bien-être collectif – au contraire, elle le dégrade. Une civilisation choisissant la réduction de la consommation matérielle verra par ailleurs s’ouvrir la porte d’autres politiques. Outillée par le transfert de richesses que permettra la réduction des inégalités, elle pourra stimuler les activités humaines socialement utiles et à faible impact écologique. Agriculture, éducation, culture, santé, transports, énergie, sont autant de domaines où les besoins sociaux sont grands et les possibilités de création d’emploi importantes. Il s’agit de renouveler l’économie par l’idée de l’utilité humaine plutôt que par l’obsession de la production matérielle, de favoriser le lien social plutôt que la satisfaction individuelle. Face à la crise écologique, il nous faut consommer moins pour répartir mieux, mieux vivre ensemble plutôt que de consommer seuls.
Résumons : en quoi la réduction forte de l’inégalité par le RMA est-elle socialement et écologiquement indispensable ?
- Pour changer le modèle culturel dominant de nos sociétés ;
- Pour que les classes moyennes puissent accepter une réduction de la consommation matérielle et énergétique ;
- Pour récupérer la part de la richesse collective pillée par l’oligarchie afin d’une part d’améliorer le sort des plus pauvres, et d’autre part de financer la reconversion d’une part de l’économie vers des activités créatrices d’emplois et fournissant des biens sociaux utiles et à faible impact écologique.
Combien, comment ?
La bonne nouvelle est que la nécessité du RMA commence à convaincre des cercles de plus en plus larges et pénètre enfin dans l’arène politique. Le RMA est inscrit au programme d’Europe Ecologie depuis 2009, il a aussi été endossé par le Parti de Gauche, qui a déposé une proposition de loi le 16 octobre 2009 visant au « rétablissement de la progressivité de l’impôt sur le revenu permettant de plafonner un revenu maximum ». Le Parti socialiste a de son côté accepté une version atténuée du RMA, en déposant en octobre 2009 une proposition de loi sur le salaire maximum en octobre 2009. Le Pôle écologique du Parti socialiste va plus loin et est clairement partisan du RMA, mais sans avoir encore convaincu ce parti.
A quel niveau fixer le revenu maximum ? Le mouvement Utopia envisage une fourchette de un à dix entre revenu maximum et revenu minimum, le Parti de Gauche va de un à vingt, le collectif Sauvons les riches de un à trente, la députée d’Europe Ecologie Karima Delli a inscrit un écart de un à quarante dans sa proposition au Parlement européen. Il n’y a pas de chiffre magique : c’est la délibération démocratique qui devrait en décider.
Sachant que le salaire moyen pour une personne en France est de l’ordre de 1 500 euros par mois, on voit qu’une échelle de un à dix écrêterait les revenus supérieurs à 14 000 euros, qu’une échelle de un à quarante affecterait les revenus dépassant 56 000 euros par mois. Ce chiffre est très proche du seuil de revenu – 57 000 euros - à partir duquel on fait partie en France des 0,1 % des personnes les plus riches en France, selon l’INSEE (5). Il va de soi que le RMA ne doit pas concerner le seul salaire, mais l’ensemble des revenus - primes, stock-options, retraites dorées – et revenus du capital.
Comment procéder ? Par l’impôt. Comme le rappelle Jean Gadrey, la limitation des revenus a été instauré aux Etats-Unis à partir de 1942 par l’imposition d’un très fort taux de prélèvement sur la tranche de revenus dépassant un certain seuil : « Roosevelt a mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-45. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels a été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusque 1981. »(6). Ce type d’imposition s’est pratiqué dans tous les pays occidentaux jusque dans les années 1980. Il ne s’agit en somme que de revenir à une situation antérieure plus équilibrée.
Cependant, deux points importants sont à souligner. D’une part, cette démarche doit être menée internationalement, l’échelon européen paraissant essentiel. Si aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, dans d’autres pays, l’idée du RMA progresse comme en France, il faut pousser dans chaque pays comme au niveau du Parlement européen pour parvenir à une forme de norme continentale qui, d’ailleurs, serait exemplaire au niveau mondial.
D’autre part, le RMA n’est pas une arme magique : elle doit bien s’inscrire dans une logique de refonte de la fiscalité, incluant notamment une lutte déterminée contre les paradis fiscaux et une maîtrise publique des circuits financiers. Mais le RMA, facilement compris par tout le monde et d’une évidente justice, pourrait être l’étendard le plus visible de cette indispensable réforme fiscale .
Un imaginaire positif
Une dimension moins technique ne saurait être oubliée. En octobre 2009, j’avais été frappé que, alors que le Parti de gauche et le Parti socialiste publiaient leur proposition de RMA ou de salaire maximum, cette information était quasiment ignorée par la presse. Certes, on pouvait expliquer cette censure par le fait que les médias sont très largement sous le contrôle de l’oligarchie, qui ne veut évidemment pas que ce sujet vienne sur la place publique. Mais il fallait reconnaître aussi que les politiques eux-mêmes ne poussent pas très fort sur le sujet : s’ils le mettent dans un coin de leur programme, peu le considèrent comme un enjeu véritable.
Pour comprendre cette situation, j’ai parlé avec Patrick Viveret, un de ceux qui ont lancé l’idée du RMA, pour mieux comprendre. « Les politiques mettent le revenu maximum en évidence, c’est nouveau, mais ils y vont à reculons, dit-il. Dans une société où le seul imaginaire est l’imaginaire de l’avoir, le RMA est perçu comme une restriction de la liberté. Pour convaincre de son utilité, il faut une vraie campagne : d’abord montrer que le revenu est déjà plafonné pour l’immense majorité de la population. Et surtout, travailler l’imaginaire positif, tel que celui de la sobriété heureuse, du bien-vivre. Cela va à l’encontre de tout l’économisme dominant : il propose une compensation au mal-être par la consommation, il apporte la consolation par la publicité. »
« Mais, poursuit Patrick Viveret, ce registre est bouché : la consommation devient écologiquement insupportable. Alors, les logiques dominantes remplacent peu à peu le registre compensateur-consolateur par un registre autoritaire. Si la voie compensatrice-consolatrice n’est plus possible et qu’on refuse la voie autoritaire, il faut travailler sur la démocratie et sur la sobriété heureuse. »
Etre plus heureux en ayant moins, certes. Mais surtout en rêvant autrement. Comme toute mesure politique, le RMA n’a de sens que s’il s’inscrit dans une autre culture du bien-être et du bonheur collectif.
Hervé Kempf - 14 novembre 2010
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Notes :
(1) Carola Frydman & Raven E. Saks, « Executive Compensation : A New View from a Long-Run Perspective, 1936-2005 », Finance and Economics Discussion Series 2007-35, Washington, Board of Governors of the Federal Reserve System, 2007.
(2) Voir : Kempf, Hervé, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (Seuil, 2009).
(3) http://ec.europa.eu/economy_finance/ameco/user/serie/SelectSerie.cfm, cliquer sur “7-Gross domestic product”, puis cliquer sur “7.6-Adjusted wage share”. Lire aussi : « Part des salaires : et pourtant elle baisse », de Michel Husson, sur le site http://www.france.attac.org
(4) Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir, collection Tel, Gallimard, Paris, 1970.
(5) INSEE, Dossier de presse, « Les revenus et le patrimoine des ménages », avril 2010.
(6) Gadrey, Jean, « Les Etats-Unis instaurent un revenu maximum pour sortir de la crise », http://www.reporterre.net//spip.php?article114
Source : http://reporterre.net/spip.php?article1399
Cet article est publié dans la revue Mouvements n°64, octobre 2010.
Lire aussi le dossier : Le revenu maximal admissible, pourquoi ? comment ? : http://www.reporterre.net/spip.php?article1271
Bonne nouvelle : on dispose de nouvelles données sur les plus aisés. Mauvaise : ils s’enrichissent beaucoup plus vite que le reste de la population. Une analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Extrait du magazine Alternatives Economiques.
Pour la première fois en France, l’Insee diffuse des données sur les revenus les plus élevés. Jusqu’à présent, l’institut s’arrêtait au seuil des 5 %, aujourd’hui, on dispose d’éléments sur les 0,01 % les plus riches. On demeure pourtant loin du compte : les impôts ne sont pas déduits ce qui surestime les niveaux de vie réels, mais les revenus financiers demeurent sous-estimés… On ne dispose que de quelques éléments pour les années 2004 et 2007, il est donc très difficile de porter un jugement sur les évolutions en cours.
Pour parler des riches, l’Insee est bien obligé de les définir, ce qui n’est que très rarement le cas. Pour l’institut, la population des « hauts revenus » commence au seuil des 10 % les plus aisés. C’est-à-dire 35 677 € par an, 3 000 euros par mois pour une personne seule [1]. Certes, on est aux antipodes des 0,01 % du haut de la pyramide, qui touchent eux 82 000 € par mois au minimum et 105 000 euros en moyenne. Mais à 3 000 € on entre parmi le dixième le plus riche, et l’on touche deux fois plus que le revenu « médian » (qui sépare en deux la population). Bien loin de la classe « moyenne » même requalifiée de « supérieure » pour éviter de parler de catégorie aisée.
Pour parler des riches, l’Insee est bien obligé de les définir, ce qui n’est que très rarement le cas. Pour l’institut, la population des « hauts revenus » commence au seuil des 10 % les plus aisés. C’est-à-dire 35 677 € par an, 3 000 euros par mois pour une personne seule [1]. Certes, on est aux antipodes des 0,01 % du haut de la pyramide, qui touchent eux 82 000 € par mois au minimum et 105 000 euros en moyenne. Mais à 3 000 € on entre parmi le dixième le plus riche, et l’on touche deux fois plus que le revenu « médian » (qui sépare en deux la population). Bien loin de la classe « moyenne » même requalifiée de « supérieure » pour éviter de parler de catégorie aisée.
Ces hauts revenus reçoivent un quart des revenus d’activité (surtout des salaires), mais les deux tiers des revenus du patrimoine et les quatre cinquièmes des revenus dits « exceptionnels », notamment les plus values lors de la vente d’actions. Les « très hauts revenus », les 1 % les plus riches selon l’Insee, captent à eux seuls 5,5 % des revenus d’activité, 32,4 % des revenus du patrimoine et près de la moitié des revenus exceptionnels. Il s’agit d’environ 600 000 personnes, qui touchent en moyenne 10 000 € par mois, toujours avant impôts.
Les revenus financiers ou de l’immobilier sont encore plus concentrés dans le haut de la distribution. Plus l’on s’élève dans la hiérarchie des niveaux de vie, plus les revenus liés au patrimoine s’accroissent : ils représentent 2,6 % en moyenne de revenus des 90 % les moins rémunérés contre la moitié pour les 0,01 % les plus riches. A ce niveau, ce ne sont moins les hausses de salaires qui jouent le plus dans les progressions des revenus, que les stratégies menées sur les marchés financiers ou dans l’immobilier.
Des riches encore plus riches
Les riches s’enrichissent. On le savait notamment depuis les travaux des économistes Thomas Piketty et Camille Landais de l’école d’économie de Paris [2] (voir aussi encadré ci-dessous). La nouvelle enquête confirme le phénomène. Entre 2004 et 2007, les très très riches (les 0,01% du haut de la pyramide) qui touchent 1,270 million en moyenne par an, ont gagné 40 % de plus. La bagatelle de 360 000 € annuels supplémentaires ! Certes, il s’agit de données avant impôts, mais cette hausse représente à elle seule l’ensemble des gains d’un smicard durant 30 années… En moyenne, les 90 % les moins riches ont touché 9 % supplémentaires entre 2004 et 2007, soit 1 400 € annuels… Et encore, pour bon nombre la hausse n’est que de quelques dizaines d’euros. Le nombre de riches, lui, il est en plein boom : + 28 % pour ceux qui déclarent plus de 100 000 € annuels et même + 70 % au-delà de 500 000 €.
Que s’est-il passé depuis ? Malheureusement, on en saura guère plus probablement avant 2013 quand paraîtront les données 2010. Les très riches n’ont pas été à la fête en 2008 et 2009 : le krach boursier a sérieusement pesé sur les revenus variables (comme l’intéressement) et les revenus financiers, notamment issus d’actions. Mais le phénomène est impossible à mesurer avec précision. Reste que la baisse récente est loin d’avoir compensé la hausse des années précédentes, et qu’au premier frémissement économique ces revenus se remettent très vite à grimper. En tous cas dans le domaine de la finance où les bonus des traders flambent déjà à nouveau…
La morale de l’histoire
La France est loin d’être le pays le plus inégalitaire du monde. C’est même l’un des pays qui l’est le moins, juste après ceux du Nord de l’Europe. Mais c’est aussi cela qui fâche : on y tolère sans doute moins qu’ailleurs les écarts. La dynamique heurte les esprits plus que les niveaux eux-mêmes. Ces hausses sont d’autant moins supportables qu’une part importante des actifs, notamment des jeunes les moins qualifiés [3], subi de plein fouet les effets du ralentissement économique, que la France n’arrive pas à se débarrasser d’un chômage élevé depuis 30 ans.
Ces progressions sont d’autant plus choquantes qu’elles ont été accompagnées depuis 10 ans par une baisse des impôts, avec en point d’orgue le paquet fiscal de l’été 2007. Le taux d’imposition sur le revenu des plus riches est très loin d’être confiscatoire. Selon l’étude de l’Insee, il est en moyenne de 20 % et n’atteint que 25 % pour ceux qui perçoivent plus de 82 000 euros par mois de revenus… Loin, très loin du bouclier fiscal de 50 % qui ne concerne lui qu’une poignée de contribuables.
Que doit-on faire ? L’Etat ne décrètera pas un revenu maximum. La puissance publique dispose en revanche de l’arme de la fiscalité. La question dépasse de loin la progression des revenus des supers riches : le niveau de déficit et de l’endettement du pays, l’émergence de besoins nouveaux (comme les retraites) impose un vaste effort de solidarité nationale. La croissance même revenue ne règlera pas à elle seule le problème. A moins de supprimer des pans entiers de l’action publique, la question n’est plus aujourd’hui s’il faut augmenter les impôts, mais quand et comment on les augmentera.
Faut-il « faire payer les riches » ? L’équation reste simpliste. D’un, les riches dont on parle le plus souvent sont peu nombreux et l’assiette fiscale n’est pas si large que ça : nos 60 000 individus les plus riches ne suffiront pas. De deux, la solidarité nationale a bien plus de légitimité si tout le monde met la main à la pâte, en fonction de ses « capacités contributives », comme le veut la déclaration de droits de l’Homme. Sans faire payer les plus démunis, il faudra bien que l’effort soit largement réparti en fonction des « capacités contributives », comme le signale la déclaration des droits de l’Homme. Le hic, c’est que le bouclier fiscal protège les plus fortunés de toute hausse d’impôt et donc de solidarité. S’ils ne doivent pas être les seuls à payer, ils ne peuvent pas non plus être exonérés d’un effort supplémentaire. D’où une grogne qui s’étend largement dans les rangs de la majorité même.
Louis Maurin
Ce texte est une version actualisée de "Des riches de plus en plus riches", Alternatives Economiques, n°291, mai 2010.
Salaires : la hiérarchie des fiches de paie
Est-on riche avec un salaire de 4 000 euros net pour un temps complet ? Difficile de prétendre le contraire, puisqu’on appartient aux 5 % les mieux rémunérés . Si l’on s’en tient au brut mensuel, 10 % des salariés touchent moins de 1 400 euros, la moitié moins de 2 100 euros et les trois quarts moins de 2 900 €. La classe moyenne des salaires se situe autour de la fourchette 1 700 – 2 700 euros bruts. Le 1 % des mieux payés (133 000 personnes) touche au minium 10 400 euros mensuels et 18 000 en moyenne. Il s’agit principalement d’hommes, vivant en Ile-de-France, dirigeants d’entreprise ou cadres de haut niveau, notamment dans le secteur de la finance.
Enrichissement des riches : rien de bien nouveau
Contrairement à une idée à la mode aujourd’hui, la France est aujourd’hui beaucoup moins inégale qu’elle a pu l’être au début du siècle, comme le montrent les données publiées par Thomas Piketty et actualisées par Camille Landais [4]] sur la période 1900 à 2006. Les 1 % des revenus fiscaux les plus riches percevaient environ 20 % du revenu total au début du XXe siècle. Dans les années 1940, cette part est tombée à 7,5 %. Le krach de 1929 puis la guerre sont passés par là. La période des trente glorieuses a été marquée par une élévation des inégalités. Elle a été particulièrement glorieuse pour les plus riches : leur part du gâteau remonte à 9,5 % au milieu des années 1960. Mais la fin des années 1960 jusqu’aux premières années de la gauche revenue au pouvoir en 1981 profitent aux moins favorisés, la part des plus riches revenant à son niveau de l’après Seconde Guerre mondiale.
Dès le milieu des années 1980, c’est la reprise : les plus riches s’enrichissent à nouveau davantage dans ce qu’on appellera « les années fric », dont l’entrepreneur Bernard Tapie devient l’emblème. Ces années sont entrecoupées d’une pause liée à la récession de 1993. Les données s’arrêtent à 2006. Tout indique que 2007 aura été une année faste pour les plus riches, mais que 2008 et 2009 marqueront une nouvelle pause. En attendant une reprise de la marche en avant ?
[1] Toutes les données de cet article sont calculées pour une personne seule.
[2] « Top Incomes in France : Booming Inequalities », Ecole d’économie de Paris, juin 2008. Les données ne sont pas directement comparables avec celles de l’Insee.
[3] Voir « Crise : ceux qui trinquent », Alternatives Economiques n°290, avril 2010.
[4] Ces données se trouvent à l’adresse : http://www.jourdan.ens.fr/ clandais/index.php clandais/index.php
Observatoire des inégalités, le 11 juin 2010
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1249&id_mot=30
Les revenus financiers ou de l’immobilier sont encore plus concentrés dans le haut de la distribution. Plus l’on s’élève dans la hiérarchie des niveaux de vie, plus les revenus liés au patrimoine s’accroissent : ils représentent 2,6 % en moyenne de revenus des 90 % les moins rémunérés contre la moitié pour les 0,01 % les plus riches. A ce niveau, ce ne sont moins les hausses de salaires qui jouent le plus dans les progressions des revenus, que les stratégies menées sur les marchés financiers ou dans l’immobilier.
Des riches encore plus riches
Les riches s’enrichissent. On le savait notamment depuis les travaux des économistes Thomas Piketty et Camille Landais de l’école d’économie de Paris [2] (voir aussi encadré ci-dessous). La nouvelle enquête confirme le phénomène. Entre 2004 et 2007, les très très riches (les 0,01% du haut de la pyramide) qui touchent 1,270 million en moyenne par an, ont gagné 40 % de plus. La bagatelle de 360 000 € annuels supplémentaires ! Certes, il s’agit de données avant impôts, mais cette hausse représente à elle seule l’ensemble des gains d’un smicard durant 30 années… En moyenne, les 90 % les moins riches ont touché 9 % supplémentaires entre 2004 et 2007, soit 1 400 € annuels… Et encore, pour bon nombre la hausse n’est que de quelques dizaines d’euros. Le nombre de riches, lui, il est en plein boom : + 28 % pour ceux qui déclarent plus de 100 000 € annuels et même + 70 % au-delà de 500 000 €.
Que s’est-il passé depuis ? Malheureusement, on en saura guère plus probablement avant 2013 quand paraîtront les données 2010. Les très riches n’ont pas été à la fête en 2008 et 2009 : le krach boursier a sérieusement pesé sur les revenus variables (comme l’intéressement) et les revenus financiers, notamment issus d’actions. Mais le phénomène est impossible à mesurer avec précision. Reste que la baisse récente est loin d’avoir compensé la hausse des années précédentes, et qu’au premier frémissement économique ces revenus se remettent très vite à grimper. En tous cas dans le domaine de la finance où les bonus des traders flambent déjà à nouveau…
La morale de l’histoire
La France est loin d’être le pays le plus inégalitaire du monde. C’est même l’un des pays qui l’est le moins, juste après ceux du Nord de l’Europe. Mais c’est aussi cela qui fâche : on y tolère sans doute moins qu’ailleurs les écarts. La dynamique heurte les esprits plus que les niveaux eux-mêmes. Ces hausses sont d’autant moins supportables qu’une part importante des actifs, notamment des jeunes les moins qualifiés [3], subi de plein fouet les effets du ralentissement économique, que la France n’arrive pas à se débarrasser d’un chômage élevé depuis 30 ans.
Ces progressions sont d’autant plus choquantes qu’elles ont été accompagnées depuis 10 ans par une baisse des impôts, avec en point d’orgue le paquet fiscal de l’été 2007. Le taux d’imposition sur le revenu des plus riches est très loin d’être confiscatoire. Selon l’étude de l’Insee, il est en moyenne de 20 % et n’atteint que 25 % pour ceux qui perçoivent plus de 82 000 euros par mois de revenus… Loin, très loin du bouclier fiscal de 50 % qui ne concerne lui qu’une poignée de contribuables.
Que doit-on faire ? L’Etat ne décrètera pas un revenu maximum. La puissance publique dispose en revanche de l’arme de la fiscalité. La question dépasse de loin la progression des revenus des supers riches : le niveau de déficit et de l’endettement du pays, l’émergence de besoins nouveaux (comme les retraites) impose un vaste effort de solidarité nationale. La croissance même revenue ne règlera pas à elle seule le problème. A moins de supprimer des pans entiers de l’action publique, la question n’est plus aujourd’hui s’il faut augmenter les impôts, mais quand et comment on les augmentera.
Faut-il « faire payer les riches » ? L’équation reste simpliste. D’un, les riches dont on parle le plus souvent sont peu nombreux et l’assiette fiscale n’est pas si large que ça : nos 60 000 individus les plus riches ne suffiront pas. De deux, la solidarité nationale a bien plus de légitimité si tout le monde met la main à la pâte, en fonction de ses « capacités contributives », comme le veut la déclaration de droits de l’Homme. Sans faire payer les plus démunis, il faudra bien que l’effort soit largement réparti en fonction des « capacités contributives », comme le signale la déclaration des droits de l’Homme. Le hic, c’est que le bouclier fiscal protège les plus fortunés de toute hausse d’impôt et donc de solidarité. S’ils ne doivent pas être les seuls à payer, ils ne peuvent pas non plus être exonérés d’un effort supplémentaire. D’où une grogne qui s’étend largement dans les rangs de la majorité même.
Louis Maurin
Ce texte est une version actualisée de "Des riches de plus en plus riches", Alternatives Economiques, n°291, mai 2010.
Salaires : la hiérarchie des fiches de paie
Est-on riche avec un salaire de 4 000 euros net pour un temps complet ? Difficile de prétendre le contraire, puisqu’on appartient aux 5 % les mieux rémunérés . Si l’on s’en tient au brut mensuel, 10 % des salariés touchent moins de 1 400 euros, la moitié moins de 2 100 euros et les trois quarts moins de 2 900 €. La classe moyenne des salaires se situe autour de la fourchette 1 700 – 2 700 euros bruts. Le 1 % des mieux payés (133 000 personnes) touche au minium 10 400 euros mensuels et 18 000 en moyenne. Il s’agit principalement d’hommes, vivant en Ile-de-France, dirigeants d’entreprise ou cadres de haut niveau, notamment dans le secteur de la finance.
Enrichissement des riches : rien de bien nouveau
Contrairement à une idée à la mode aujourd’hui, la France est aujourd’hui beaucoup moins inégale qu’elle a pu l’être au début du siècle, comme le montrent les données publiées par Thomas Piketty et actualisées par Camille Landais [4]] sur la période 1900 à 2006. Les 1 % des revenus fiscaux les plus riches percevaient environ 20 % du revenu total au début du XXe siècle. Dans les années 1940, cette part est tombée à 7,5 %. Le krach de 1929 puis la guerre sont passés par là. La période des trente glorieuses a été marquée par une élévation des inégalités. Elle a été particulièrement glorieuse pour les plus riches : leur part du gâteau remonte à 9,5 % au milieu des années 1960. Mais la fin des années 1960 jusqu’aux premières années de la gauche revenue au pouvoir en 1981 profitent aux moins favorisés, la part des plus riches revenant à son niveau de l’après Seconde Guerre mondiale.
Dès le milieu des années 1980, c’est la reprise : les plus riches s’enrichissent à nouveau davantage dans ce qu’on appellera « les années fric », dont l’entrepreneur Bernard Tapie devient l’emblème. Ces années sont entrecoupées d’une pause liée à la récession de 1993. Les données s’arrêtent à 2006. Tout indique que 2007 aura été une année faste pour les plus riches, mais que 2008 et 2009 marqueront une nouvelle pause. En attendant une reprise de la marche en avant ?
[1] Toutes les données de cet article sont calculées pour une personne seule.
[2] « Top Incomes in France : Booming Inequalities », Ecole d’économie de Paris, juin 2008. Les données ne sont pas directement comparables avec celles de l’Insee.
[3] Voir « Crise : ceux qui trinquent », Alternatives Economiques n°290, avril 2010.
[4] Ces données se trouvent à l’adresse : http://www.jourdan.ens.fr/ clandais/index.php clandais/index.php
Observatoire des inégalités, le 11 juin 2010
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1249&id_mot=30
Du passage à la ville à celui de la tour la plus haute du monde, du passage de la division des tâches à la si ridicule tentative de « société du savoir », nous savons tous ce qu’est la notion de verticalité. Face à des limites, que ce soit les limites naturelles purement quantitatives auxquelles ont eu à faire face les chasseurs-cueilleurs, ou aux limites des concentrations modernes qui vont jusqu’à l’absurde de la virtualité du pouvoir, l’humanité s’est toujours échappée des murs des contradictions par le haut, inventant une solution inusitée, jusque là tout à fait pensable, mais pas encore pensée.
Nous sommes, semble-t-il, à ce stade où les murs se referment, puisque, où que se tourne le regard, on ne voit que contradictions insolubles.
* La virtualité montre sa limite. Celle où une virtualité de niveau x ne se différencie plus vraiment d’une virtualité de niveau x+1. Perte du sens, dans laquelle le nombre de zéros stockés dans des ordinateurs n’a plus grande importance.
* La dominance sociale devient pratiquement indépendante du citoyen massivement désinformé par les médias, dans des choses politiques portant péniblement le qualificatif de « représentatives », ou dans des assemblées dont nul ne saurait dire par qui ni vers quoi elles sont dirigées.
* Comme l’ont signalé les décroissants, le mouvement mondialiste butte sur les limites physiques, ce qui n’est, à l’évidence, qu’une resucée de la problématique mésolithique-néolithique, mais à l’échelle planétaire.
* On voit pointer à l’horizon le stade final de l’entropie sociale. Par fusions d’entreprises, de nations, puis de continents, le mercure sociétal ne formera bientôt plus qu’une masse au creux du tissu des pouvoirs, délaissant à la périphérie le paysan, le pêcheur et le maçon.
* Le bouclier social bute sur la problématique incontournable de la productivité, qui conduira de façon certaine la solidarité des travailleurs à suivre la même voie que celle de la disparition du travail.
L’heure est venue pour une nouvelle verticalité. Les tentatives de verticalités, l’histoire le montre, peuvent échouer ou réussir, et celles qui réussissent possèdent toujours un caractère d’évidence, pour ne pas dire de trivialité.
Dans une situation de blocage comme la nôtre, les portes de sorties sont connues : la guerre, l’abaissement massif du niveau de vie des pays développés, le fascisme unitaire d’un gouvernement mondial… Pourquoi pas les trois à la fois… Parmi ces options, il en est une qui retient l’attention. On a entendu Paul Ariès proposer la mise en place d’un revenu minimal universel et inconditionnel, et partant de cette idée, il a dit : « Il faut un revenu minimum, donc il faut un revenu maximum ».
Cette formule est, à mon avis, très maladroite. Elle laisse supposer que c’est parce qu’il y a des pauvres qu’il y a des riches, alors que – tout le monde le sait – c’est bien parce qu’il y a des riches qu’il y a des pauvres. Ce n’est pas l’existence des paraplégiques, des idiots ou des incompétents, qui crée l’idéologie du mérite, même en creux.
La nouvelle verticalité qui se présente sera donc, bien plus probablement qu’une société des morlocks et des elois, une société qui se résoudra à criminaliser la richesse. La formule complète étant: criminalisons l’excès de richesse relative. Le plafonnement des richesses personnelles, automatiquement, provoquera une hausse des bas salaires, et il sera toujours temps, à ce moment là, de fixer un plancher.
En quoi tout cela constitue-t-il une verticalité, demanderez-vous. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, les artifices de la dominance sociale (comprise en tant qu’extension irraisonnée de la dominance naturelle) trouvent leurs limites. La criminalisation de l’excès de richesse n’a jamais été pensé pour la simple raison que, passant d’une société de pénurie à une société de sur-abondance, la chose était impensable. Il s’agit donc d’une chose triviale, facilement faisable, mais impensable, qui est de nature à bouleverser profondément les psychologies, reléguant la rapacité financière au niveau de la dominance tribale : une chose du passé dont plus personne n’a besoin.
« … ne nous contentons pas de briser les sceptres, pulvérisons à jamais les idoles »
« Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! » -Donatien-Alphonse-François de Sade- 1795
http://www.pauljorion.com/blog/?p=12555
Nous sommes, semble-t-il, à ce stade où les murs se referment, puisque, où que se tourne le regard, on ne voit que contradictions insolubles.
* La virtualité montre sa limite. Celle où une virtualité de niveau x ne se différencie plus vraiment d’une virtualité de niveau x+1. Perte du sens, dans laquelle le nombre de zéros stockés dans des ordinateurs n’a plus grande importance.
* La dominance sociale devient pratiquement indépendante du citoyen massivement désinformé par les médias, dans des choses politiques portant péniblement le qualificatif de « représentatives », ou dans des assemblées dont nul ne saurait dire par qui ni vers quoi elles sont dirigées.
* Comme l’ont signalé les décroissants, le mouvement mondialiste butte sur les limites physiques, ce qui n’est, à l’évidence, qu’une resucée de la problématique mésolithique-néolithique, mais à l’échelle planétaire.
* On voit pointer à l’horizon le stade final de l’entropie sociale. Par fusions d’entreprises, de nations, puis de continents, le mercure sociétal ne formera bientôt plus qu’une masse au creux du tissu des pouvoirs, délaissant à la périphérie le paysan, le pêcheur et le maçon.
* Le bouclier social bute sur la problématique incontournable de la productivité, qui conduira de façon certaine la solidarité des travailleurs à suivre la même voie que celle de la disparition du travail.
L’heure est venue pour une nouvelle verticalité. Les tentatives de verticalités, l’histoire le montre, peuvent échouer ou réussir, et celles qui réussissent possèdent toujours un caractère d’évidence, pour ne pas dire de trivialité.
Dans une situation de blocage comme la nôtre, les portes de sorties sont connues : la guerre, l’abaissement massif du niveau de vie des pays développés, le fascisme unitaire d’un gouvernement mondial… Pourquoi pas les trois à la fois… Parmi ces options, il en est une qui retient l’attention. On a entendu Paul Ariès proposer la mise en place d’un revenu minimal universel et inconditionnel, et partant de cette idée, il a dit : « Il faut un revenu minimum, donc il faut un revenu maximum ».
Cette formule est, à mon avis, très maladroite. Elle laisse supposer que c’est parce qu’il y a des pauvres qu’il y a des riches, alors que – tout le monde le sait – c’est bien parce qu’il y a des riches qu’il y a des pauvres. Ce n’est pas l’existence des paraplégiques, des idiots ou des incompétents, qui crée l’idéologie du mérite, même en creux.
La nouvelle verticalité qui se présente sera donc, bien plus probablement qu’une société des morlocks et des elois, une société qui se résoudra à criminaliser la richesse. La formule complète étant: criminalisons l’excès de richesse relative. Le plafonnement des richesses personnelles, automatiquement, provoquera une hausse des bas salaires, et il sera toujours temps, à ce moment là, de fixer un plancher.
En quoi tout cela constitue-t-il une verticalité, demanderez-vous. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, les artifices de la dominance sociale (comprise en tant qu’extension irraisonnée de la dominance naturelle) trouvent leurs limites. La criminalisation de l’excès de richesse n’a jamais été pensé pour la simple raison que, passant d’une société de pénurie à une société de sur-abondance, la chose était impensable. Il s’agit donc d’une chose triviale, facilement faisable, mais impensable, qui est de nature à bouleverser profondément les psychologies, reléguant la rapacité financière au niveau de la dominance tribale : une chose du passé dont plus personne n’a besoin.
« … ne nous contentons pas de briser les sceptres, pulvérisons à jamais les idoles »
« Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! » -Donatien-Alphonse-François de Sade- 1795
http://www.pauljorion.com/blog/?p=12555
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