Pour l'instauration d'un revenu maximum
Un militant du parti de gauche du Mantois à entamer une série d'articles sur le revenu maximum.
Vous pouvez les retrouver à l'adresse suivante : http://www.partidegauche-mantois.eu/index.php?post/2010/05/05/Pour-l-instauration-d-un-revenu-maximum-un-imperatif-economique

le Mercredi 5 Mai 2010 à 13:18 | Commentaires (0)

Analyse

Des dirigeants d'entreprises trop payés ou corrompus face à des salariés précarisés amènent une situation sociale explosive


Le capitalisme éthique, un principe fragile, par Michel Rocard
Henry Ford, constructeur automobile américain (1863-1947), ne fut pas seulement pendant une quinzaine d'années le plus gros industriel du monde. Il fut aussi l'un des sauveteurs du capitalisme frappé gravement par la crise de 1929: c'est la politique des hauts salaires, dont il est l'inventeur, qui assura le redémarrage de la consommation. C'est dire toute l'importance de ses intuitions.

Il aurait affirmé à diverses reprises que le capitalisme ne saurait vivre et se développer sans respecter une éthique rigoureuse. Il était à ses yeux mauvais — moralement — qu'un chef d'entreprise se paye plus de quarante fois la rémunération moyenne de ses employés. Lui-même respectait cette règle à son propre endroit. La clé de ce jugement tient en ceci que le capitalisme est assurément la forme d'organisation sociale qui garantit les plus grandes marges de liberté à tous les acteurs du système. Cela ne peut évidemment pas tenir sans un haut degré d'autolimitation et d'autocontrôle.

Or il est clair, en ce XXIe siècle débutant, que quelque chose a craqué quelque part dans le système. Même Steve Jobs, l'emblématique créateur d'Apple, vient d'être pris les doigts dans la confiture, à propos d'une obscure affaire de manipulation de dates de valeur pour ses stock-options. La semaine précédente, c'est l'industrie lourde allemande, notamment dans le secteur automobile, qui exhale un parfum de corruption massive. Depuis une dizaine d'années, la liste des grandes entreprises mondiales poursuivies en justice pour irrégularités ou corruption massive s'est allongée de manière impressionnante: Enron, Parmalat, Arthur Andersen, etc. Sans parler d'affaires judiciairement distinctes mais de même nature comme la faillite de la banque anglaise Barings ou l'affaire des frégates de Taïwan. Le Japon également a connu son lot d'affaires douteuses.

Le plus grave, le plus massif, et sans doute le plus immoral de ces scandales ne relève pourtant pas de la même catégorie puisqu'il est légal. C'est le fait que, salaires plus stock-options plus avantages divers, la rémunération des présidents et des deux ou trois plus hauts responsables des grandes sociétés multinationales contemporaines soit passée en quelque trente ans d'environ quarante à cinquante fois le salaire moyen de leurs employés — le ratio de décence d'Henry Ford — à quelque trois cent cinquante ou quatre cents fois aujourd'hui.

S'il est vrai que souvent les surfaces commerciales de ces entreprises se sont étendues dans les mêmes proportions — c'est l'argument essentiel de leurs patrons —, ce n'est pas une raison suffisante pour accepter le principe d'un capitalisme prédateur à ce point-là.

Je crains cependant que la justice et l'indignation populaire n'y puissent pas grand-chose. Une condamnation, et même une mise en faillite, de temps en temps, ne sauraient corriger la logique du système. Car c'est bien d'un système qu'il s'agit.

Un bon exemple nous en fut donné en décembre lorsque la presse française nous informa du montant et des modalités de calcul du bonus des opérateurs bancaires. Et le fait nouveau était l'information selon laquelle les banques employeuses étaient bien obligées d'en passer par là pour garder ces agents qui savent très vite trouver, n'importe où dans le monde, de nouveaux employeurs acceptant d'en passer par leurs conditions. Il y a donc bien un système qui touche la banque mais encore plus le monde industriel au sein duquel se répandent salaires mirobolants et stock-options indécentes. À un tel niveau d'immoralité, le système n'est plus défendable, et cela ne manque pas d'être inquiétant dans nos sociétés fragiles parce que complexes. Mais le plus grave n'est peut-être pas de l'ordre de l'éthique. Il pourrait bien être de l'ordre de l'économie.

En effet, le passage de la rémunération directoriale d'un petit 3 % de la masse globale des salaires à un gros 10 % oblige à pressurer le reste de la pyramide. Cette pression, conjuguée à celle des actionnaires maintenant massivement organisés — fonds de pension, fonds d'investissement, fonds d'arbitrage ou hedge funds — pour exiger le dividende maximal, oblige en effet les sociétés à licencier toute main-d'œuvre non indispensable, à externaliser toutes les tâches non directement liées au savoir et à l'identité de la marque. Et bien sûr à limiter les augmentations au strict minimum. Le salaire réel moyen aux États-Unis est ainsi stagnant depuis vingt ans, il l'est maintenant en France depuis cinq ou six ans. Le développement du travail précaire est le produit direct de cette évolution, qu'atteste dans tous nos pays la baisse tendancielle sur une longue période de la part des salaires dans le PIB. En France, elle a ainsi baissé de 11 % de 1981 à 2005.

L'âpreté au gain de cette nouvelle couche de rapaces, actionnaires et dirigeants, pousse aujourd'hui les entreprises à la fraude, pour compte personnel ou pour compte d'autrui. Je ne vois pas la justice capable de triompher de forces aussi massives. Au demeurant, George W. Bush, qui avait il y a quelques années nommé après le scandale Enron un très vigoureux président de la SEC — Securities and Exchange Commission, la COB américaine —, s'est débarrassé de lui un an et demi après pour en nommer un plus accommodant. Le système résiste à tout.

Il suit de tout cela qu'entre la masse des salariés qui sont atteints par le chômage, la précarité ou tout simplement la pauvreté, celle de ceux qui ne sont plus dans ces situations mais les ont connues, et celle encore plus grande de ceux qui sont rongés d'anxiété à l'idée d'y tomber, une grande désespérance s'est emparée non seulement des classes populaires, mais largement aussi des classes moyennes. Le désarroi des classes moyennes est aujourd'hui au cœur du débat public américain. C'est lui aussi qui explique les réponses négatives des Français et des Néerlandais au référendum récent sur la Constitution européenne. Et si l'Allemagne avait été saisie de la ratification par voie référendaire, elle aussi aurait voté non.

C'est l'insécurité dominante de l'emploi qui inquiète tous nos concitoyens. Elle découle directement de l'aggravation démesurée de cette pression capitaliste sur le travail. Nos opinions ne supportent plus un système pareil. Si maintenant la disqualification morale s'y ajoute, les tensions sociales risquent de s'aggraver beaucoup.

Le redressement de cette situation passe naturellement par une correction au profit des salaires dans le partage du produit brut. Mais il ne sert à rien de pousser uniquement le bas de l'échelle vers le haut: augmentation du salaire minimum, appui aux négociations salariales, quand la pression du marché est si forte en sens inverse. Ou alors la prime pour l'emploi prendra des dimensions himalayennes. Il n'y a pas d'autre moyen pertinent que d'alléger le haut de la pyramide, sinon toute hausse momentanée des petits salaires aggravera la pression sur la sécurité des emplois comme sur les rémunérations, pour les couches intermédiaires, c'est-à-dire les classes moyennes.

Il va devenir nécessaire de plafonner fiscalement les hautes rémunérations, de limiter à l'extrême les OPA, et de mettre fin au racket des cabinets spécialisés sur les pouvoirs d'actionnaires. Tout cela, pour être efficace, devrait se faire au niveau européen. C'est affaire de moralité publique autant que de cohésion sociale et c'est aussi le seul moyen de sauver la libre entreprise en lui rendant sa respectabilité.

15 janvier 2007
L'auteur de ce texte, Michel Rocard est député européen. Il a été premier ministre de 1988 à 1991.
http://www.ledevoir.com/economie/127438/le-capitalisme-ethique-un-principe-fragile

Tags : Rocard
le Vendredi 16 Avril 2010 à 15:37 | Commentaires (0)

Analyse

En sortant en même temps deux études sur la montée des inégalités en France, l'INSEE donne les chiffres qui justifient la mise en place d'un salaire maximum.


INSEE : montée des inégalités
Les très hauts revenus : des différences de plus en plus marquées entre 2004 et 2007, par Julie Solard

En 2007, c’est à partir de 84 500 euros de revenu déclaré annuel par unité de consommation qu’une personne se situe parmi les 1 % les plus riches. Alors que la moitié des revenus des personnes les plus aisées ne sont pas des revenus d’activité, les autres très hauts revenus restent principalement assis sur des revenus d’activité, comme la grande majorité de la population. La population des très hauts revenus est plus âgée et plus concentrée en région parisienne que le reste de la population. Entre 2004 et 2007, les revenus moyens des très hauts revenus ont augmenté plus rapidement que ceux de l’ensemble de la population. Le nombre de personnes franchissant des seuils symboliques de revenus annuels s’est également accru, d’où une augmentation notable des inégalités par le haut.

http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/REVPMEN10e.PDF

Les très hauts salaires du secteur privé, par Michel Amar

En 2007, 1 % des salariés à temps complet, les mieux rémunérés du secteur privé, perçoivent un salaire annuel moyen de 215 600 euros : ce sont les très hauts salaires. C’est sept fois plus que la moyenne des salariés à temps complet.
Ce sont principalement des dirigeants d’entreprise, des professionnels de la finance ou des commerciaux. Relativement plus âgés que les autres salariés, ils travaillent majoritairement en
Île-de-France et habitent souvent dans l’Ouest parisien. Même si la proportion de femmes au sein de cette population s’accroît, elle reste modeste (13 %).
Les très hauts salaires qui avaient déjà un emploi en 2002, ont bénéficié, au cours des cinq années suivantes, d’augmentations substantielles : + 5,8 % par an, en moyenne et en euros constants, pour ceux qui étaient déjà « au top de la hiérarchie salariale » en 2002 et + 14,5 % pour ceux qui y ont accédé en cours de période, contre + 2,3 % en moyenne pour l’ensemble des salariés ayant travaillé continûment sur la période 2002-2007.

http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1288/ip1288.pdf

le Dimanche 4 Avril 2010 à 14:49 | Commentaires (0)

Analyse

Jean-François Kahn revient les faramineuses inégalités dans l'entreprise. Le symptôme du surgissement de l'irrationnel dans l'économie de marché.


Salaire maximum : l'indécence existe-t-elle encore ?
J’ai déjà évoqué cette question, mais permettez-moi, ici, de l’approfondir : Les faramineux revenus que s’adjuge une infime petite élite de grands patrons ou de grands financiers non créateurs d’entreprise (héritiers, ex-hauts fonctionnaires cooptés ou promus par le pouvoir politique, voire spéculateurs), ont été peu à peu banalisés.

Or, ce creusement (inconcevable il y a encore une trentaine d’années) des inégalités devrait nous poser une quadruple question : sociale, philosophique, morale et économique.

Sociale

Quel est le niveau au-delà duquel les inégalités deviennent inadmissibles parce qu’indécentes – pour ne pas dire obscènes – socialement ? Rappelons-le : avant-guerre, l’industriel Ford évoquait un rapport de 1 à 10 entre un grand patron et ses salariés ; après-guerre, le banquier Morgan de 1 à 20, et d’autres – a mi-voix – de 1 à 30 ou 40.

Nul n’avait imaginé qu’on atteindrait des éventails de 1 à 400 pouvant culminer de 1 à 1000 ou plus dans le cas d’Antoine Zacarias, l’ex-patron de Vinci drivé par Alain Minc. L’équivalent de 400 000 années de travail accumulées en 6 ans...

J’ai moi-même été « patron » pendant 23 ans. Chef d’entreprise, si on préfère. Dont le chiffre d’affaires était plus élevé que celui d’une PME. J’ai pu gagner jusqu’à 6 fois le salaire le plus bas. Et je trouvais cela beaucoup. Alors 400 ou 600 fois !

Que s’est-il passé qui explique un tel écartèlement ? La prise de pouvoir des actionnaires au détriment des « managers », la submersion de l’économie réelle productive par l’économie financière virtuelle et la suppression des tranches marginales de l’impôt progressif sur le revenu qui taxait, y compris aux Etats-Unis après-guerre, à 80 % ou plus le surplus gagné au-delà d’un niveau d’indécence.

La seule façon, non dirigiste, de limiter les rémunérations qui transgressent le seuil d’obscénité, serait évidemment de rétablir, aujourd’hui, ces tranches soumises à la surtaxation.

Philosophique

Un rapport de 1 à 40 (ce qui est beaucoup) peut se justifier par une différence de compétences, d’instruction et de diplômes, de mérite, de taux d’activité, d’effiscience ou même de résultats.

Mais de 1 à 400, ou plus ? Qui travaille 400 fois plus qu’un autre ? Peut afficher 400 fois plus de connaissances ou de diplômes, de mérite ou même de résultats ? Qui court 400 fois plus vite, pense 400 fois mieux, agit 400 fois plus efficacement ? Pas seulement par rapport à un manœuvre (car, là, le rapport de revenus est de 1 à 800), mais par rapport à un professeur agrégé, par exemple ? Ou même à un instituteur ?

Tout le monde sait, en réalité, que cela n’a rien à voir, que tel grand patron ou grand financier qui bat des records de rémunération doit tout à un héritage, aux circonstances qui l’ont placé en situation de pouvoir, aux soutiens politiques dont il a bénéficié, etc.

Combien des bénéficiaires de ces hyper revenus ont mené une entreprise au désastre ou ont eux-mêmes sombré dès lors qu’ils n’étaient plus en situation de diriger ? L’ex-PDG de Péchiney, qui se fit avaler catastrophiquement par une autre boîte, raflât 10 millions au passage. Combien d’« homme d’affaires de l’année » ou de « patron de l’année » qui, une fois écarté pour cause d’échec, se sont tout simplement évaporés dans la nature ?

En vérité, l’inégalité, au-delà d’un certain stade, ne se justifie par aucune différence qualitative, par aucune hiérarchie de mérite, même pas, la plupart du temps, par une effiscience sanctionnée par le marché.
Quel produit de même type et de même catégorie qu’un autre (car un homme, par définition, fait partie de la même espèce qu’un autre homme, un actif est catégoriellement comparable à un actif, comme un diplômé à un diplômé), le marché valoriserait-il, spontanément, à 300 ou 400 fois la valeur d’un autre ?

Jean-Marie Messier, ex-PDG de Vivendi, a laissé croire que ses revenus pharaoniques correspondaient à ceux que lui aurait assuré le marché américain. Il s’est, effectivement, installé aux Etats-Unis ; mais il n’y valait plus grand chose. Et qui a proposé à l’ex-patron de Vinci, le fameux Antoine Zacarias, des revenus correspondants, ne fût-ce à un tiers de ceux qu’il s’octroyait ? Personne, évidemment.

En fait, les inégalités de revenus ont largement dépassé le plafond au-delà duquel la philosophie même du système tout entier s’en trouve ruiné.

Morale

La remarque est certes subjective. Mais dès lors qu’il n’y a plus aucune justification rationnelle ou éthique à une répartition radicalement inéquitable de richesses ou à une amplitude de revenus – d’autant que l’utilité collective (et spirituelle encore moins) de ce que récompensent certains gains ahurissants n’est jamais prise en compte -, le socle moral sur lequel repose cette logique économique s’effondre.

Ici, l’éthique laïque concorde avec tous les textes d’aspiration religieuse. Jaurès et Bernanos se rejoignent.

Economique

Même si on laissait de côté l’aspect social, philosophique et moral de l’ampleur des inégalités que la logique néolibérale a engendré, on aurait du – on devrait – s’y attaquer frontalement, car il était fatal qu’elle engendrât une crise économique majeure. Il n’est nul besoin d’avoir obtenu un diplôme d’HEC pour le comprendre.

Examinons ce qu’était la situation des Etats-Unis en 2007 (comme en 1929 d’ailleurs) : d’un côté, mais au profit d’une minorité, une accumulation inouïe de moyens financiers susceptibles de booster une croissance productive, et, de l’autre, soit une stagnation relative des revenus de 70 % des classes moyennes, soit un recul des rémunérations des travailleurs salariés. Et donc, une consommation incapable de suivre, par insuffisance du pouvoir d’achat, le surplus d’offres accumulées, lui-même exacerbé par le surplus de nouveaux besoins artificiellement créés.

Résultat ? Pour éviter la crise (ou pour la retarder mais, du même coup, on l’a amplifié), on a dopé artificiellement la consommation par une incitation compulsive au crédit. Le summum a été atteint avec la diffusion de crédits hypothécaires immobiliers au sein d’une population très pauvre, laquelle ne prenait ce risque fou qu’en anticipant sur le grossissement continu de la bulle immobilière qui valorisait ses hypothèques.

Que la bulle éclate et c’était la catastrophe. C’est très exactement ce qui s’est passé.
C’est donc bien l’aggravation de la structure fondamentalement inégalitaire du système qui a généré la grande crise, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

En France, le système social beaucoup plus redistributif et le poids de l’Etat (ce que, précisément, les néolibéraux dénoncent) ont joué le rôle d’un édredon qui a (relativement) amoindri la brutalité de la catastrophe.

Ce qui s’est creusé, ce n’est pas l’écart entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres. Mais entre les 1 % du haut et les 60 % du bas et du milieu. Entre les revenus du grand capital et celui du petit et moyen capital. Retenons ce chiffre éloquent : entre 1998 et 2006, 90 % de la population a vu ses revenus déclarés augmenter de près de 5 % (4,6 % exactement), 1 % de plus de 19,4 %, 0,1 % de plus de 32 % et 0,01 % de 43 %.

La question sociale d’aujourd’hui n’est plus seulement celle des exclus, elle est aussi celle des outrageusement inclus.

Vendredi 12 Février 2010
Jean François Kahn
http://www.jeanfrancoiskahn.com/Durand-vaut-il-500-fois-plus-cher-que-Dupont_a52.html

Tags : Kahn
le Samedi 13 Février 2010 à 09:44 | Commentaires (0)

Analyse

Extrait d'un article de Paul Ariès


La révolution par la gratuité, par Paul Arièsi
Ce principe de gratuité généralisable (sous diverses formes) à l'ensemble des biens communs est susceptible de susciter un fort courant de mobilisations populaires donc de créer un débat qui obligera, droite et gauche, à se positionner sur ce terrain. Ce principe a aussi le grand mérite de lier la cause de la liberté (de l’autonomie) à celle de la responsabilité. Contrairement à ce que pourrait être un mariage rouge-vert qui cumulerait les interdits, nous osons la liberté mais nous rappelons qu'elle doit être encadrée et qu'elle a nécessairement un prix. Chacun reste libre de s'offrir du mésusage (dans la mesure où la loi ne l'interdit pas exceptionnellement) : par exemple en possédant une maison de campagne mais en supportant les surcoûts de ce mésusage.

Le danger serait bien sûr que cette politique renforce les inégalités en permettant l’accès aux mésusages à une petite minorité fortunée. Le pire serait de cantonner le peuple au nécessaire (au sérieux) et de libérer, moyennant finances, le futile, le frivole, aux classes aisées. C'est pourquoi ce paradigme de « la gratuité de l'usage » et du « renchérissement du mésusage » ne peut aller sans une diminution importante de la hiérarchie des revenus et sans une réflexion sur l'adoption d'un revenu universel d'existence, RUE, (autour du SMIC) accouplé à un « revenu maximal autorisé », RMA, (au-dessus d'un seuil on prend tout).

Pour un revenu universel inconditionnel lié à un revenu maximum autorisé

Cette vieille idée du 18e siècle d’un revenu universel, qui figure dans l’article 25-1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, est toujours restée lettre morte : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».

La gauche productiviste n’a jamais voulu engager ce combat sous prétexte que l’introduction d’un revenu universel inconditionnel servirait de prétexte à la droite libérale pour supprimer le salaire minimum. Faisons remarquer à nos amis que le patronat et l’Etat n’ont pas attendu l'adoption d'un RUE pour démanteler le droit du travail.... Les inégalités sociales ont même explosé lorsque cette gauche-là était au pouvoir. Conséquence : la société s'est monstrueusement habituée aux inégalités de revenus : qui proposerait aujourd’hui un écart maximal de salaires de un à quatre passerait pour un affreux extrémiste, alors qu’il s’agissait d’une mesure phare du Programme commun de gouvernement de la gauche durant les années soixante-dix. En 1974, le revenu moyen des dix patrons américains les mieux payés était 47 fois plus élevé que le salaire moyen d’un ouvrier de l’industrie de l’automobile ; en 1999, il équivalait à 2381 fois le salaire moyen. Je propose donc d'opposer à l'insécurité générée par l’hyper-capitalisme le principe d’un revenu universel d’existence (RUE) versé, sans condition, à l’ensemble des citoyens : ce RUE est simplement la contrepartie de la reconnaissance du droit de chacun à l’existence puisque nous héritons tous, en tant que membres de l'humanité, de la civilisation.

L'indépendance financière est indispensable pour passer des droits formels aux droits réels et poursuivre le mouvement d’émancipation notamment des femmes et des jeunes. Elle est en outre la condition même de la décroissance, car aucun individu n’acceptera de diminuer ses activités rémunératrices si la société ne lui assure pas une certaine sécurité. Ce choix du revenu d’existence est donc celui de la poursuite de la socialisation face au recours aux tribus, chers à la Nouvelle droite qui préfèrera toujours ses « petites patries » à celui d’une société fondée sur l’auto-limitation des besoins comme condition de l’autonomie. Cette mesure en desserrant l’emprise de l’économie allégerait l’obligation de travailler. Cette libération de l’idéologie du travail est sans doute ce qui gène le plus le co-Président d'ATTAC, l'économiste Jean-Marie Harribey puisqu’il qualifie ce projet de « revenu d’existence monétaire et d’inexistence sociale ». Comment peut-on croire encore au mythe du travail libérateur ? Pourquoi pas « Moulinex libère la femme » ?

Disons-le tout de suite : l’argent ne manque pas pour financer ce RUE. Des pays moins riches notamment l'Alaska et le Brésil l'expérimentent à un niveau financier trop faible. La France a consacré en 2005 un budget de 505 milliards pour ses organismes sociaux. Les ménages en ont reçu 438 milliards au titre des différentes allocations. Le reste est consacré aux services publics (écoles, hôpitaux, etc.). L’affectation directe de tout ou partie de ces 438 milliards aux 60 millions de Français ne pose donc pas un problème comptable mais une question de choix de société : comment voulons-nous vivre ? Ce revenu d’existence est en outre inséparable d’un revenu maximal autorisé (RMA). Là où Sarkozy prône, avec la notion de bouclier fiscal, de ne pas redistribuer une partie des revenus au-dessus d’un certain plafond, nous disons l’inverse : au-delà d’un certain revenu, l’Etat prend tout. L’adoption de ce RMA (par le biais de la pression fiscale) permettrait de financer le revenu universel et l’extension de la gratuité.

Ce RUE pourrait être versé en partie en monnaie locale pour favoriser la relocalisation des activités (pas seulement économiques), en partie en monnaie fondante pour éviter la capitalisation voire sous forme de droits de tirage sur des biens communs (allocations en nature).

Pour lire la totalité de l'article : http://www.contretemps.eu/interventions/revolution-par-gratuite

le Samedi 6 Février 2010 à 14:20 | Commentaires (0)

Analyse

Le Mouvement Unitaire Progressiste de Robert Hue se positionne pour le revenu maximum.


Pour l’instauration d’un revenu maximum
« Si un État veut éviter (...) la désintégration civile (...), il ne faut pas permettre à la pauvreté et à la richesse extrêmes de se développer dans aucune partie du corps civil, parce que cela conduit au désastre. C'est pourquoi le législateur doit établir maintenant quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté. » Platon, Les Lois

Au cours de la conférence de presse annonçant la création du MUP, Robert Hue a présenté la réduction massive des inégalités de salaires comme l’une des trois réformes essentielles à lancer en urgence. Il avait déjà alerté le Premier ministre sur ce problème dans une lettre du 28 juillet 2009 et lui avait rappelé qu’il disposait de l’outil adéquat pour y remédier : l’impôt.

La crise économique et financière actuelle a eu le mérite de replacer dans la lumière les très hautes rémunérations. À la différence des scandales précédents (parachutes dorés de MM. Messier, Schweitzer, Zacharias…), le gouvernement a manifesté la volonté d’encadrer ces rétributions. La « taxe exceptionnelle sur les opérateurs de marché » entrera en vigueur en avril, mais ses effets resteront infimes, puisqu’elle ne concerne que les primes supérieures à 27500 euros distribuées dans les entreprises aidées par la puissance publique, et uniquement au titre de l’exercice 2009. Sur les 360 millions d’euros qu’elle rapportera selon Christine Lagarde, 270 alimenteront le fond de garantie des dépôts. L’État ne récupèrera, au final, que 90 millions, soit… 1,3 % des bénéfices réalisés par les quatre premières banques sur les neuf premiers mois de 2009. Le Medef a lui aussi inscrit des « recommandations sur la rémunération des dirigeants » dans son code d’éthique.

Ces mesures cosmétiques ont été adoptées au nom de la fameuse « moralisation » du capitalisme, pour tenter d’amadouer une opinion révoltée par le versement à certains employés du secteur financier de bonus du même ordre qu’avant la crise. Poudre aux yeux certes, mais que la possibilité de s’enrichir au-delà de toute mesure au nom de la sacro-sainte « liberté d’entreprendre » et de la récompense du risque ait été, ne serait-ce que très légèrement, remise en cause par ses thuriféraires habituels, est révélateur. Le malaise qu’a perçu le pouvoir ne fait que s’accroître. Les conseillers de Nicolas Sarkozy attribuent son décrochage dans les sondages de popularité à l’annonce de la taxe carbone, à laquelle a succédé celle de la fiscalisation des indemnités journalières d’accident du travail. Les citoyens sont prêts à faire des efforts, pourvu que ceux-ci soient équitablement répartis. Or ils se rendent bien compte que le fardeau pèse avant tout sur les classes populaires et moyennes. Désormais, ils n’attendent plus que seule une lutte contre les « abus » soit menée, mais aspirent à davantage de justice sociale.

Car ces vœux pieux ne s’attardent jamais sur le véritable enjeu de la limitation des hauts revenus : la réduction des inégalités. Depuis les années 70, la part des revenus du travail dans le PIB a perdu 12 %, directement transférés à ceux du capital. Et comme le rappelle justement une tribune publiée par des économistes dans l’Humanité du 11 avril 2009, « Entre 2000 et 2007, les profits des entreprises du CAC 40 ont progressé de 97 %, les dividendes qu’elles ont distribués ont augmenté de 255 % tandis que l’investissement reculait de 23 %… En 2007, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont gagné, en moyenne, 6,2 millions d’euros chacun. De 2000 à 2006, les revenus dits de “capitaux mobiliers” (dividendes d’actions, revenus d’obligations…) déclarés à l’impôt sur le revenu sont passés de 14,5 milliards d’euros à 18,8 milliards d’euros, soit une progression de 29,6 %. Les gains en plus-values ont également progressé de 68 % en quatre ans. Entre 1998 et 2005, selon les travaux de l’économiste Camille Landais, 0,1 % des foyers les plus riches ont vu leur revenu progresser de 32 %, alors que, pour 90 % des foyers, la progression globale n’était que de 4,6 %. »

Le déséquilibre est devenu insoutenable, non pas moralement comme certains aimeraient l’y circonscrire, mais, pour commencer, économiquement. L’accroissement formidable des très hauts revenus ces vingt dernières années, et corrélativement, la baisse du pouvoir d’achat de la majorité, ont nourri la spéculation financière et le surendettement, terreaux de la crise actuelle comme l’a rappelé le commissaire européen chargé de l’Emploi et des affaires sociales, Joaquin Almunia. Le système financier fonctionne en effet de telle manière qu’un dirigeant ou un trader qui prend des risques inconsidérés empoche une commission-jackpot en cas de succès, mais n’encourt qu’une faible sanction s’il manque son pari. C’est alors l’entreprise qui paie les pots cassés, ou le contribuable. Ces rétributions illimitées contribuent à déconnecter la prise de décisions financières de l’économie réelle.

Socialement ensuite, de tels écarts génèrent des tensions insolubles. Depuis plusieurs années déjà, la TVA fournit le plus gros volume des recettes fiscales. En 2008, il s’élevait à 131,7 milliards d’euros (50,6 % des recettes fiscales brutes de l’État), tandis que ceux de l’impôt sur le revenu et sur les sociétés ne représentaient que 51,2 et 15,6 milliards d’euros (respectivement 16,8 % et 4,5 % des recettes fiscales brutes). Le Budget de l’État repose donc bien avant tout sur les classes moyennes et populaires. Or comment justifier aux yeux du contribuable que son argent serve à remettre à flots un navire qu’il n’a en aucune façon contribué à faire sombrer ? Car c’est bien là la réalité des différents plans de relance : la majeure partie des citoyens paye pour une crise dont elle n’est pas responsable. Énième illustration d’un vieux principe du capitalisme : la privatisation des profits et la socialisation des pertes... Ce sauvetage sans condition est d’autant moins justifiable que d’autres secteurs, en particulier les services publics de la santé et de l’éducation, qui profitent à l’ensemble de la collectivité, sont systématiquement ponctionnés et leurs personnels réduits depuis huit ans. On pourrait multiplier les exemples. Quelle infime part du plan de sauvetage des banques aurait ainsi suffi à éviter la mort de 353 SDF l’année dernière ?

Force est de constater que la priorité ne réside toujours pas dans le mieux-vivre des habitants de ce pays, mais dans la marche subventionnée de son économie, laissée ensuite à elle-même pour le plus grand profit de quelques rentiers. C’est donc toute l’échelle des revenus (y compris patrimoniaux) qui doit être revue, en commençant par lui établir, de même qu’elle repose sur un plancher, un plafond. Aucune compétence, aucun talent, ne justifie d’être payé 1600 SMIC par an. Plus de cohésion sociale passe par une fourchette plus ramassée. Henry Ford lui-même, qu’on ne peut soupçonner de philanthropie, considérait qu’il ne devait pas gagner 40 fois plus que son ouvrier le moins payé. George Orwell, qui avait expérimenté l’égalité de salaire du soldat au général dans les milices républicaines espagnoles, préconisait un écart maximal de 1 à 10. Robert Hue s’est prononcé pour un rapport de 1 à 50.

Cette réévaluation des revenus présenterait de surcroît l’avantage de freiner l’hyperconsommation et de préparer le passage obligé à une société de la sobriété matérielle. Pour le moment par exemple, 5 % seulement des Français sont responsables de 50 % des émissions de gaz à effet de serre pollutions dues aux déplacements touristiques. Or les modes de vie des plus riches, constamment montrés en exemple par les medias et la publicité, produisent un effet de mimétisme. Gare à l’emballement…

Les modalités d’application et l’échelonnement de cette nouvelle hiérarchie des revenus doivent bien entendu être débattus. L’économiste Thomas Piketty estime ainsi illusoire de fixer un plafond aux salaires, compte tenu des multiples possibilités qui existeraient pour le contourner (sociétés écrans, rémunération de conseils…), et se prononce pour le rétablissement d’une réelle progressivité de l’impôt. Les États-Unis ont longtemps connu un taux d’imposition de 90 % pour les très hauts revenus à partir de 1941. Un taux marginal supérieur à 80 % permettrait de relever les minima sociaux et le salaire de base, qui ne saurait être inférieur à 2000 euros mensuels. Une politique fiscale plus juste est tout à fait possible. Elle existait encore il n’y a pas si longtemps, sans pour autant freiner l’économie. Et même Barack Obama a instauré une rémunération maximale pour les dirigeants des entreprises aidées par le Trésor américain.

Le combat pour l’instauration d’un revenu maximum pourrait enfin être l’occasion d’une refonte globale de l’impôt, fondement de la République. Les nouvelles recettes engrangées permettraient de réduire les impôts indirects, foncièrement injustes puisqu’ils pèsent indifféremment sur les bas et les hauts salaires. Leur part n’a cessé d’augmenter depuis les années 80, là où le taux d’imposition des sociétés est passé de 50 % en 1985 à 33,33 % aujourd’hui. Il n’est même que de 8 % pour les entreprises du CAC 40 en raison de leurs activités dans les paradis fiscaux, soit un manque à gagner de huit milliards d’euros pour l’État !

Cette revendication de justice sociale ne manquerait pas d’être populaire et constituerait une mesure-phare pour des listes d’union de la gauche lors de futures échéances électorales. Qui serait audible en prétendant avoir besoin de plus de 40, et même de 20000 euros par mois pour bien vivre ? Et comme le remarque Patrick Viveret, conseiller référendaire à la Cour des comptes, « le revenu est déjà plafonné pour l'immense majorité de la population. » Aux citoyens d’étendre ce régime à tous.

Théophile Hazebroucq

http://www.mouvementunitaire.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=236:pour-linstauration-dun-revenu-maximum&catid=35:contributions&Itemid=55

le Mardi 19 Janvier 2010 à 18:16 | Commentaires (0)

Analyse

Comment relever le défi des inégalités ?


Inégalites. Sous les revenus, le travail, par Jean-Marie Harribey
La répartition des revenus figure en amont et en aval de la crise actuelle du capitalisme. En amont parce que le mode d’accumulation financière qui a prévalu depuis trente ans a imposé une modification de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du capital et aux dépens du travail. Il en a résulté un formidable accroissement des inégalités, aussi bien au Nord qu’au Sud et entre le Nord et le Sud. La détérioration de la condition salariale (salaires déconnectés de la productivité, protection sociale rabougrie, droit du travail élimé…), sur laquelle ont vogué les dividendes et tous les revenus financiers, de même que les plus-values boursières, a fini par déboucher sur une incapacité du système à écouler les marchandises produites, que n’a pas réussi à compenser l’endettement des pauvres.

En aval de la crise aussi, car à la violence de la répartition des fruits de l’économie en situation favorable a succédé la violence due à la recrudescence du chômage et de la grande pauvreté en période de récession.

Puisque la répartition inégalitaire des revenus est cause et conséquence du délabrement de la société, tout programme de transformation sociale doit prendre ce problème à bras-le-corps. Et cela par les deux bouts : le haut et le bas de l’échelle des revenus.

Le haut ne devrait même plus être controversé. Les revenus faramineux empochés par les actionnaires, managers, banquiers, traders… sont indécents et n’ont aucune justification économique. Il faut les prendre comme symptomatiques de la logique d’un système et non comme des cibles individuelles. Dès lors la proposition d’un revenu maximal est légitime. Dans une fourchette à débattre démocratiquement mais, déjà, l’idée d’un écart maximal de 1 à 5 permet de lancer la discussion politique. Une réforme en profondeur de la fiscalité doit accompagner la fixation d’un tel éventail, car, au-delà du seuil fixé, l’impôt prend tout, plus précisément socialise tout.

À l’autre bout de l’échelle, deux mesures sont possibles. L’une, indiscutable, porte sur la revalorisation importante et immédiate de tous les minima sociaux. L’autre porte sur la définition à moyen terme d’un revenu garanti à tout individu, quelle que soit sa situation, dans ou hors de l’emploi. Cette dernière fait l’objet de discussions au sein des mouvements sociaux, car plusieurs points méritent clarification. Le premier concerne la légitimité d’un revenu inconditionnel. Elle est d’ordre politique et éthique, mais elle est entachée de considérations économiques fausses, telles que le revenu d’existence serait la reconnaissance du fait que « nous héritons tous de la civilisation ». Or aucun revenu n’est tiré d’un stock, tout revenu est un flux engendré par le travail social. Ce qui pose un deuxième problème, celui de la validation sociale d’un revenu versé au titre d’une activité autonome de l’individu. Et qui débouche sur un troisième : la répartition du travail collectif à accomplir pour satisfaire nos besoins : travailler tous mais moins.

Ainsi, la question de la répartition des revenus est liée aux rapports sociaux, ce qui, en ces temps de crise, signifie deux choses. Remettre en cause les rapports de production capitalistes dont dépend la répartition des revenus. Et remettre en cause la production elle-même, à la source de tout revenu, car on ne peut plus produire n’importe quoi, au regard de la crise écologique. Derrière la répartition, il y a les finalités du travail.

Jean-Marie Harribey est maître de conférence à l'université Bordeaux-IV
L'Humanité, le 9 janvier 2010
http://www.humanite.fr/2010-01-09_L-Humanite-des-debats_Inegalites-Sous-les-revenus-le-travail

le Mardi 12 Janvier 2010 à 13:51 | Commentaires (0)

Analyse

Tribune publiée dans l'Humanité par Pierre Concialdi, économiste, Réseau d’alerte des inégalités (RAI), Vincent Drezet, secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts, Jean-Marie Harribey, économiste, coprésident d’ATTAC.


D’inacceptables inégalités de revenus !
En pleine crise, l’opinion ne peut que se scandaliser devant la distribution maintenue de stock-options, de parachutes dorés et de bonus exorbitants. Devant le scandale, les responsables politiques ont multiplié les déclarations, en France et au-delà de nos frontières, mais de fait, aucune mesure concrète de portée générale n’est prise pour endiguer le phénomène. Et ce n’est pas le récent décret gouvernemental, limité tant dans sa durée que dans sa portée, qui pourra répondre aux enjeux. Alors que le chômage et la précarité explosent, les « affaires » continuent, une minorité s’obstinant manifestement à accaparer une part croissante des richesses.

Rappelons quelques chiffres qui montrent que le scandale vient de loin. Entre 2000 et 2007, les profits des entreprises du CAC 40 ont progressé de 97 %, les dividendes qu’elles ont distribués ont augmenté de 255 % tandis que l’investissement reculait de 23 %… En 2007, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont gagné, en moyenne, 6,2 millions d’euros chacun. De 2000 à 2006, les revenus dits de « capitaux mobiliers » (dividendes d’actions, revenus d’obligations…) déclarés à l’impôt sur le revenu sont passés de 14,5 milliards d’euros à 18,8 milliards d’euros, soit une progression de 29,6 %. Les gains en plus-values ont également progressé de 68 % en quatre ans. Entre 1998 et 2005, selon les travaux de l’économiste Camille Landais, 0,1 % des foyers les plus riches ont vu leur revenu progresser de 32 %, alors que, pour 90 % des foyers, la progression globale n’était que de 4,6 %. Plus globalement, le baromètre des inégalités et de la pauvreté (BIP 40) montre que celles-ci n’ont cessé de s’aggraver depuis le début des années 1980, hormis de brefs intermèdes en 1989-1990 et 1998-2000.

Les mesures fiscales de ces dernières années ont amplifié les écarts. En allégeant les impôts directs qui imposent plus fortement les hauts revenus et patrimoines, elles ont créé un effet boule de neige qui alimente mécaniquement les inégalités : l’économie d’impôt est réinvestie et génère des revenus supplémentaires, eux-mêmes imposés à taux réduit, etc.

Que faire ? Le levier le plus durable consiste à réduire les écarts de rémunération dans les entreprises. Cela peut passer par une transparence totale des rémunérations, par un relèvement des minima sociaux et des allocations chômage (dont le faible niveau tire les salaires vers le bas) et par un renforcement du pouvoir de négociation des salariés dans l’entreprise. Cela nécessite, surtout, un changement profond de la logique « managériale » actuelle : il faut briser le cercle infernal qui fait de la performance financière et boursière le seul objectif des managers, dont dépend leur rémunération. Il est temps de mettre en discussion dans la société le niveau de rémunération maximal qu’une entreprise peut verser à ses dirigeants ; nous considérons qu’une échelle allant, par exemple, de 1 à 10 constituerait un objectif souhaitable pour amorcer la réduction des inégalités de revenus.

À court terme, la fiscalité doit être mobilisée. Il faut d’abord, bien sûr, supprimer le bouclier fiscal et restaurer la progressivité de l’imposition des revenus financiers : la technique du « prélèvement libératoire » et le taux d’imposition proportionnel pour les plus-values profitent aux plus hauts revenus. Il faudrait aussi élargir l’assiette de l’imposition en éliminant la plupart des niches fiscales et renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu en augmentant le nombre de tranches et en relevant le taux marginal du barème. Par exemple, dans l’immédiat, un taux de 90 % au-delà du revenu maximal acceptable devrait être débattu. Il faut aussi refondre l’imposition du patrimoine en élargissant son assiette. Enfin, au-delà de la redistribution monétaire, mentionnons le rôle des services publics qui jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités puisqu’ils permettent à chacun d’avoir un égal accès à l’enseignement, à la santé…

La question des inégalités n’est pas qu’un scandale moral. La crise actuelle provient d’un surendettement et d’un emballement financier spéculatif, qui trouvent leurs racines dans la stagnation ou la baisse du pouvoir d’achat de la grande majorité et l’explosion des revenus des plus riches. La consommation ostentatoire des privilégiés accroît les pressions sur la biosphère. Réduire les inégalités est nécessaire pour des raisons économiques, sociales et écologiques. Cela suppose, non pas un replâtrage superficiel du néolibéralisme, mais son abandon complet.

L'Humanité, 11 avril 2009
http://www.humanite.fr/2009-04-11_Tribune-libre_D-inacceptables-inegalites-de-revenus

le Mercredi 30 Décembre 2009 à 14:08 | Commentaires (0)

Analyse

Pour les anglicistes, un article reprenant le résultat des recherches de deux économistes français, Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Édifiant, les 1% les plus riches s'octroient les deux tiers des revenus sur la période 2002-2007 aux États-Unis !


Gap between top 1% and bottom 90% now worse than at any time since 1928.

Ottawa (10 Sept. 2009) - Two-thirds of all American income gains from 2002 to 2007 flowed to the top 1% of U.S. households, giving that privileged minority a larger share of income at the end of the period than at any time since 1928.

During the period, the average inflation-adjusted income of the top 1% of households soared by 62% compared to a gain of just 4% for the bottom 90% of households.

S'il fallait encore justifier la nécessité d'un salaire maximum...
The figures, published by the U.S. Center on Budget and Policy Priorities (CBPP), are based on an analysis of newly-released Internal Revenue Service (IRS) data by economists Thomas Piketty and Emmanuel Saez.

The CBPP is a non-partisan research and policy institute working on federal and state fiscal policies and public programs that affect low- and moderate-income Americans.

10 times faster

The last economic expansion began in November 2001 and ended in December 2007, according to the National Bureau of Economic Research (NBER). This means that the Piketty-Saez research essentially covers the full period.

Other information revealed by the data:

* 2007 marked the fifth straight year in which income gains at the top outpaced those of the rest of the population.
* The proportionate share of the nation’s total income going to the top 1% of households also rose sharply, from 16.9% in 2002 to 23.5% in 2007. This was a larger share than at any time since 1928. (In 2000, at the peak of the 1990s boom, the top 1% took home 21.5% of total national income.)
* Income gains have been even more shocking among those at the extreme top of the income scale.
* The incomes of the top 1/10th of 1% of U.S. households grew by 94% or by $3.5 million between 2002 and 2007.
* The overall share of the total national income flowing to the top 1/10th of 1% rose from 7.3% in 2002 to 12.3% in 2007.
* These are the most lopsided figures in Piketty-Saez data going back to 1913, surpassing even the previous peak in 1928.

"The uneven distribution of economic gains in recent years continues a longer-term trend that began in the late 1970s," the CBPP reports.

"In the three decades following World War II (1946-1976), robust economic gains were shared widely, with the incomes of the bottom 90% actually increasing more rapidly in percentage terms, on average, than the incomes of the top 1%," the center says.

"But in the three decades since 1976, the incomes of the bottom 90% of households have risen only slightly, on average, while the incomes of the top 1% have soared."

http://www.nupge.ca/node/2544

Tags : etats-unis
le Mercredi 11 Novembre 2009 à 19:04 | Commentaires (0)

Analyse

Merci à Jean Gadrey de nous citer dans son blog. Je reprends un extrait de son papier de rentrée et retiens une proposition : "Que donnerait en France un référendum d’initiative populaire qui demanderait aux gens s’ils sont favorables à ce que personne ne puisse gagner plus de dix fois le SMIC à temps plein ?"


Moisson d'été, par Jean Gadrey
Je commence par les inégalités, parce que c’est le cœur de toute vraie sortie de crise, y compris la crise écologique. Le retour des bonus des traders a fait la « une », mais c’est l’arbre (assez gros il est vrai) qui cache la forêt des inégalités, en France et dans le monde, tout comme il cache les dérives structurelles d’une finance dérégulée, obèse et dangereuse. Il faut continuer à faire campagne, en France et en Europe d’abord, pour un RMA (revenu maximum admissible) qui, dans un premier temps, pourrait être fixé à dix fois le SMIC. Tout ce qui va dans ce sens est bon à prendre. Il faut des PLAFONDS de revenus (une fiscalité très progressive y contribuerait). Il le faut pour des raisons sociales et morales, pour des raisons écologiques (car les inégalités poussent à la production et à la consommation insoutenables), et même pour des raisons économiques et monétaires (car « l’effet de richesse » emballe tous les phénomènes spéculatifs déstabilisants).

Il faudrait aussi d’ailleurs des plafonds de rendements financiers des actions pour arraisonner la finance (c’est le SLAM de Frédéric Lordon, dont le bouquin « La crise de trop » vaut vraiment le détour). Cela sans préjudice d’une taxe sur les transactions financières, plus que jamais d’actualité et plus acceptable internationalement à moyen terme (même le patron de la régulation bancaire britannique, Lord Turner, vient de s’y rallier, voir le communiqué d’Attac). Cette taxe serait beaucoup moins nécessaire si l’on plafonnait les revenus des actions, mesure plus radicale mais bien plus difficile à imposer en Europe et dans le monde, ce qui n’exclut pas de la défendre chez nous.

L’un de mes commentateurs, Jean-Philippe Huelin, m’a signalé un site excellent qu’il anime. On y découvre l’amorce d’un « mouvement » à conforter. Que donnerait en France un référendum d’initiative populaire qui demanderait aux gens s’ils sont favorables à ce que personne ne puisse gagner plus de dix fois le SMIC à temps plein (ce qui à mes yeux est énorme, d’autant que beaucoup gagnent moins que ce SMIC) ? Qui se lance, à gauche ?

Dans le monde, même s’il est vrai que la crise a un peu rogné, en moyenne, le nombre et les patrimoines des très riches (les millionnaires en dollars, 8,6 millions de personnes, soit 0,13 % de la population mondiale), le World Wealth Report publié avant l’été par Merryl Lynch et Cap Gemini (qui connaissent bien cette population : ce sont leurs clients…) indique quand même qu’ils détenaient ensemble fin 2008, hors résidence principale, des actifs d’un montant de 32 800 milliards de dollars. Scandale : au sein de cette caste existent de fortes… inégalités ! En effet, les « ultra-riches » (78 millions de personnes, soit moins de 1 % des « très riches »), définis par la détention d’actifs dépassant 30 millions de dollars, captent à eux seuls 35 % de la richesse des très riches.

Un ISF mondial appliqué aux très riches, au taux moyen très modeste de 1,5 %, rapporterait donc près de 500 milliards de dollars par an, de quoi financer à la fois les Objectifs du millénaire des Nations Unies et les grands chantiers urgents de la lutte contre le réchauffement climatique, point suivant. Qui se lance, à gauche ?

La suite : http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2009/08/29/moisson-d%E2%80%99ete/

Tags : gadrey rma
le Dimanche 30 Août 2009 à 13:26 | Commentaires (0)

Analyse

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