Au moment où l’on demande aux catégories les plus modestes d’accepter des régressions sociales majeures au nom de la compétitivité, il est inacceptable de voir se constituer des fortunes sur la base de pures logiques spéculatives et rentières. Tant pour des raisons de justice sociale que d’ordre public et de politique de santé, il faut donc stopper la dérive folle des très hauts revenus.
Quel est en effet l’argument principal des dealers dans une cité de banlieue quand ils cherchent à convaincre un jeune d’entrer dans un réseau de revente ? « Pourquoi te fatiguer à gagner en un mois ce que tu peux gagner en une journée ? Regarde au JT, on a encore eu l’exemple d’un grand patron qui rafle un paquet énorme de stocks options ou augmente son salaire de 30 % alors que sa boîte est en difficulté… Telle est la loi de la jungle dans laquelle nous sommes. » Au-delà d’un certain seuil, les inégalités de revenu ou de fortune sont des incitations à l’incivisme et à la délinquance. C’est encore plus vrai à l’échelle mondiale. Quand la fortune de deux cent vingt-cinq personnes est égale au revenu de deux milliards et demi d’êtres humains (chiffres officiels du PNUD), le cocktail explosif de l’humiliation et de la misère constitue un réservoir de choix pour les fondamentalismes, les intégrismes et les terrorismes de toute nature. Problème d’ordre public donc, mais aussi problème de santé mentale. Au-delà d’un certain niveau de fortune, il se met en place un phénomène psychique de déréalisation. C’est ce processus qui se produit chez nombre de sportifs, d’artistes, de PDG, de présentateurs de TV, etc., qui « disjonctent » et, circonstance aggravante, entraînent souvent les collectifs ou les entreprises dont ils sont membres ou responsables dans leur propre délire. Le cas Messier-Vivendi en est un exemple patent. Outre des raisons de justice sociale évidentes – rien ne peut justifier que des êtres humains soient à la rue quand d’autres ne savent pas quoi faire de leur argent –, une réforme de ce type devrait être proposée conjointement par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Santé. Plusieurs modalités sont envisageables. L’une d’entre elles, libérale dans ses modalités d’application, consisterait à proposer un processus en deux temps.
1. Le Parlement délibère du niveau maximal d’inégalités réelles (et non statistiques) compatibles avec l’idée que la collectivité se fait de ses propres valeurs. Il définit ainsi un seuil de revenu minimal et un seuil de revenu (personnel) maximal. Les deux revenus sont liés selon le principe thermostatique : quand il y a excès d’un côté, insuffisance de l’autre, on crée une boucle de rétroaction positive. Si l’on veut augmenter le RMA (revenu maximal acceptable personnel), il faut augmenter aussi les minima sociaux. Dans le cas où le Parlement refuserait de définir un plafond, il doit assumer publiquement la réalité du niveau d’inégalités. Reconnaître par exemple, qu’au pays de la Déclaration des droits de l’homme, l’inégalité effective est aujourd’hui dans un rapport de un à mille et au-delà. Aux États Unis, comme le rappelle Alain Caillé, le rapport entre les salaires les plus bas et ceux des PDG est passé entre 1970 et 2000 d’un rapport de 1 à 39 à un rapport de 1 à 1000, soit une multiplication par 25.
2. Le plafond maximal personnel étant défini, tout revenu supérieur peut être, au choix, versé dans l’ISF ou, si l’on démontre l’utilité sociale de ce supplément de revenu, affecté à une fondation. La fondation peut être en effet un bon cadre pour répondre de manière très libérale à cet objectif très radical. Dans ce cas, les personnes dont le revenu dépasse le RMA disposeraient de la première partie de l’année fiscale pour déposer un projet de fondation associant la personne concernée et la collectivité. La fondation peut d’ailleurs porter le nom de cette personne si cela peut satisfaire son ego, mais comme dans toute fondation, la collectivité y est représentée et les objectifs affichés doivent correspondre à des critères d’utilité publique ou sociale (au sens large : y compris écologique).
Il faudra, bien entendu, répondre à l’argument du risque d’évasion fiscale qu’une telle mesure ne manquera pas de susciter. Ce projet devrait donc être couplé avec d’autres propositions concernant la lutte contre les paradis fiscaux, défendues notamment par ATTAC. Mais on peut d’ores et déjà dire que ceux qui sont cyniques et inciviques au point de refuser une telle mesure sont peu utiles à leur pays. Dans une économie de la connaissance et à l’heure de la révolution de l’intelligence, la qualité de l’intelligence est directement liée à la qualité d’écoute et de générosité. L’autisme et le cynisme ne sont guère propices à la fécondité de l’intelligence collective. Leur « délocalisation » volontaire ne serait pas pour le coup un drame national…
Extrait d'un article de Patrick Viveret intitulé "Au-delà de la richesse monétaire" et paru dans le numéro 26 de la revue du Mauss en 2005
1. Le Parlement délibère du niveau maximal d’inégalités réelles (et non statistiques) compatibles avec l’idée que la collectivité se fait de ses propres valeurs. Il définit ainsi un seuil de revenu minimal et un seuil de revenu (personnel) maximal. Les deux revenus sont liés selon le principe thermostatique : quand il y a excès d’un côté, insuffisance de l’autre, on crée une boucle de rétroaction positive. Si l’on veut augmenter le RMA (revenu maximal acceptable personnel), il faut augmenter aussi les minima sociaux. Dans le cas où le Parlement refuserait de définir un plafond, il doit assumer publiquement la réalité du niveau d’inégalités. Reconnaître par exemple, qu’au pays de la Déclaration des droits de l’homme, l’inégalité effective est aujourd’hui dans un rapport de un à mille et au-delà. Aux États Unis, comme le rappelle Alain Caillé, le rapport entre les salaires les plus bas et ceux des PDG est passé entre 1970 et 2000 d’un rapport de 1 à 39 à un rapport de 1 à 1000, soit une multiplication par 25.
2. Le plafond maximal personnel étant défini, tout revenu supérieur peut être, au choix, versé dans l’ISF ou, si l’on démontre l’utilité sociale de ce supplément de revenu, affecté à une fondation. La fondation peut être en effet un bon cadre pour répondre de manière très libérale à cet objectif très radical. Dans ce cas, les personnes dont le revenu dépasse le RMA disposeraient de la première partie de l’année fiscale pour déposer un projet de fondation associant la personne concernée et la collectivité. La fondation peut d’ailleurs porter le nom de cette personne si cela peut satisfaire son ego, mais comme dans toute fondation, la collectivité y est représentée et les objectifs affichés doivent correspondre à des critères d’utilité publique ou sociale (au sens large : y compris écologique).
Il faudra, bien entendu, répondre à l’argument du risque d’évasion fiscale qu’une telle mesure ne manquera pas de susciter. Ce projet devrait donc être couplé avec d’autres propositions concernant la lutte contre les paradis fiscaux, défendues notamment par ATTAC. Mais on peut d’ores et déjà dire que ceux qui sont cyniques et inciviques au point de refuser une telle mesure sont peu utiles à leur pays. Dans une économie de la connaissance et à l’heure de la révolution de l’intelligence, la qualité de l’intelligence est directement liée à la qualité d’écoute et de générosité. L’autisme et le cynisme ne sont guère propices à la fécondité de l’intelligence collective. Leur « délocalisation » volontaire ne serait pas pour le coup un drame national…
Extrait d'un article de Patrick Viveret intitulé "Au-delà de la richesse monétaire" et paru dans le numéro 26 de la revue du Mauss en 2005
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