Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, a travaillé sur les hauts revenus et prône un impôt confiscatoire pour limiter ces derniers.
Les très hautes rémunérations sont-elles justifiées économiquement ?
Pendant longtemps, les dirigeants d’entreprises ont été payés 5 à 10 fois le salaire minimum pratiqué au sein de leur société. Depuis vingt ans, on a changé d’échelle : certains sont passés à 50 ou 100 fois, voire davantage… La financiarisation de l’économie, couplée aux dispositifs toujours plus importants de défiscalisation, conduit à toujours plus de rapacité. Et ceux qui le peuvent se servent des revenus qui n’ont plus rien à voir avec leurs compétences et leur apport à l’entreprise.
N’est-ce pas le prix à payer pour disposer de dirigeants performants ?
Laisser penser qu’on ne trouverait pas de gens compétents parce qu’ils ne seraient payés «que» 10 fois le Smic au lieu de 100 est une approche complètement folle, purement idéologique, et assez méprisante. D’ores et déjà, l’économie tourne avec des milliers de dirigeants très dynamiques et de créateurs de PME innovantes qui ne gagnent «que» 5 000 ou 10 000 euros par mois.
La main invisible du marché serait donc incapable de fixer une «vraie» rémunération ?
J’aime beaucoup l’économie de marché. Mais il y a des choses qu’elle ne sait pas faire. Le marché est incapable de fixer correctement les hautes rémunérations, car personne ne sait évaluer la contribution d’un dirigeant à la production d’une entreprise de plusieurs dizaines de milliers de salariés. On demande à un cabinet extérieur, qui fait la moyenne du secteur, puis ajoute 20% pour que tout le monde soit content. D’où une inflation sans fin… C’est un système qui récompense davantage la capacité à se servir dans la caisse que le mérite réel. Or quand un marché ne parvient pas à fixer un prix, ce qui arrive souvent dans la sphère financière ou environnementale, il faut l’encadrer par des institutions extérieures.
En fixant un maximum par la loi ? L’outil réglementaire peut être utile, mais il a ses limites. Inscrire dans la loi une échelle de salaires comprise entre 1 et 20, par exemple, peut être contourné en versant des rémunérations d’une autre nature (dividendes, plus-values…). L’avantage de l’approche fiscale est qu’elle permet de toucher l’ensemble des revenus. En imposant un taux marginal élevé (60%, 70%, voire davantage), on dissuaderait, en amont, les entreprises de verser des rémunérations inconsidérées, et leurs bénéficiaires d’imaginer des stratégies de contournement.
Un impôt à 70% ne risquerait-il pas de brider l’économie ?
Les Etats-Unis ont pratiqué, en moyenne, un taux marginal d’impôt sur le revenu de 82% entre 1932 et 1980. Soit un taux confiscatoire pendant près d’un demi-siècle ! Avec même des pics, dans les années 40-60, qui ont dépassé 90%. De toute évidence, cela n’a pas tué le capitalisme américain. Tout simplement parce que ces taux volontairement confiscatoires ne s’appliquaient qu’à une toute petite minorité de rémunérations vraiment indécentes (au-delà de 1 million d’euros annuels d’aujourd’hui).
A l’inverse, les hautes rémunérations peuvent-elles être néfastes pour l’économie ?
La crise financière l’a montré : les bonus et autres gratifications extravagantes ont été des «pousse-au-crime», incitant les dirigeants à prendre des risques démesurés. Par ailleurs, à partir d’un certain niveau de rémunération, cela impacte négativement les revenus des autres. Aux Etats-Unis, entre 1976 et 2007, 60% de la croissance économique a été accaparée par 1% de la population, ce qui de toute évidence a dopé l’endettement des moins riches. Les sociétés françaises et européennes ne supporteraient pas une telle explosion des inégalités.
Interview par Luc Peillon, Libération, 23 juin 2011
Pendant longtemps, les dirigeants d’entreprises ont été payés 5 à 10 fois le salaire minimum pratiqué au sein de leur société. Depuis vingt ans, on a changé d’échelle : certains sont passés à 50 ou 100 fois, voire davantage… La financiarisation de l’économie, couplée aux dispositifs toujours plus importants de défiscalisation, conduit à toujours plus de rapacité. Et ceux qui le peuvent se servent des revenus qui n’ont plus rien à voir avec leurs compétences et leur apport à l’entreprise.
N’est-ce pas le prix à payer pour disposer de dirigeants performants ?
Laisser penser qu’on ne trouverait pas de gens compétents parce qu’ils ne seraient payés «que» 10 fois le Smic au lieu de 100 est une approche complètement folle, purement idéologique, et assez méprisante. D’ores et déjà, l’économie tourne avec des milliers de dirigeants très dynamiques et de créateurs de PME innovantes qui ne gagnent «que» 5 000 ou 10 000 euros par mois.
La main invisible du marché serait donc incapable de fixer une «vraie» rémunération ?
J’aime beaucoup l’économie de marché. Mais il y a des choses qu’elle ne sait pas faire. Le marché est incapable de fixer correctement les hautes rémunérations, car personne ne sait évaluer la contribution d’un dirigeant à la production d’une entreprise de plusieurs dizaines de milliers de salariés. On demande à un cabinet extérieur, qui fait la moyenne du secteur, puis ajoute 20% pour que tout le monde soit content. D’où une inflation sans fin… C’est un système qui récompense davantage la capacité à se servir dans la caisse que le mérite réel. Or quand un marché ne parvient pas à fixer un prix, ce qui arrive souvent dans la sphère financière ou environnementale, il faut l’encadrer par des institutions extérieures.
En fixant un maximum par la loi ? L’outil réglementaire peut être utile, mais il a ses limites. Inscrire dans la loi une échelle de salaires comprise entre 1 et 20, par exemple, peut être contourné en versant des rémunérations d’une autre nature (dividendes, plus-values…). L’avantage de l’approche fiscale est qu’elle permet de toucher l’ensemble des revenus. En imposant un taux marginal élevé (60%, 70%, voire davantage), on dissuaderait, en amont, les entreprises de verser des rémunérations inconsidérées, et leurs bénéficiaires d’imaginer des stratégies de contournement.
Un impôt à 70% ne risquerait-il pas de brider l’économie ?
Les Etats-Unis ont pratiqué, en moyenne, un taux marginal d’impôt sur le revenu de 82% entre 1932 et 1980. Soit un taux confiscatoire pendant près d’un demi-siècle ! Avec même des pics, dans les années 40-60, qui ont dépassé 90%. De toute évidence, cela n’a pas tué le capitalisme américain. Tout simplement parce que ces taux volontairement confiscatoires ne s’appliquaient qu’à une toute petite minorité de rémunérations vraiment indécentes (au-delà de 1 million d’euros annuels d’aujourd’hui).
A l’inverse, les hautes rémunérations peuvent-elles être néfastes pour l’économie ?
La crise financière l’a montré : les bonus et autres gratifications extravagantes ont été des «pousse-au-crime», incitant les dirigeants à prendre des risques démesurés. Par ailleurs, à partir d’un certain niveau de rémunération, cela impacte négativement les revenus des autres. Aux Etats-Unis, entre 1976 et 2007, 60% de la croissance économique a été accaparée par 1% de la population, ce qui de toute évidence a dopé l’endettement des moins riches. Les sociétés françaises et européennes ne supporteraient pas une telle explosion des inégalités.
Interview par Luc Peillon, Libération, 23 juin 2011
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