| L'ART APPLIQUE DU DETOURNEMENT

Le problème du détournement est comparable aux adaptations de livres à l'écran. A la lecture nous échafaudons notre film, donnons visages aux personnages. Au final, nous critiquons l'adaptation, loin d'être à la hauteur de notre imagination… mais si nous avions eu une caméra, la plupart d'entre nous ne serait parvenue qu'à rapporter un film de vacances. Il en va de même pour le détournement. Notre imagination bat la campagne et échafaude des croisements auxquelles nos mains n'auront souvent pas la capacité de donner forme.

Les créateurs sont des fous. Il faut avoir un minimum de cette qualité pour voir par-delà le possible, le probable et le convenu. Combien sommes nous à avoir imaginé ce fauteuil-brouette ; combien d'entre nous ont pensé convertir une cabine téléphonique anglaise en cabine de douche… Le problème reste le même : la fabrication reste un grand moment de solitude. Etre doté d'un grain de folie ne suffit donc pas. La différence entre la folie des designers et la nôtre est qu'elle est savante. Dans le croisement insolite d'une brouette et d'un fauteuil cabriolet, Philippe Starck maîtrise la génétique des objets, connaît les chemins qui font naître des roses aux mains des jardiniers et des mobiliers de genre aux mains des designers. L'impossible ne les paralyse pas, il les galvanise. A nous l'ingéniosité, à eux l'inventivité !

Existe-t-il un détournement d'art et un autre populaire ? Très certainement ! Si les premiers font naître un produit inspiré, les seconds récupèrent les objets du passé. Le commun n'est pas médiocre, l'engouement pour les meubles populaires, originaires de nos régions ou d'horizons lointains, en témoigne. Difficiles et parfois impossibles à dater, mystérieux dans leur histoire, de biais ou de guingois pour quelques-uns, ils sont l'héritage d'un passé instinctif. Bien loin des canons qui déterminent les meubles de style, ils transportent leur histoire, leurs formes épousaient l'irrégularité des murs et des sols, contournaient les débordements des bâtisses ou se lovaient dans les soupentes et autres descentes d'escalier… Ils ont été construits à même le lieu, à même le besoin et sont riches de leur nature populaire. Il en est de même pour beaucoup de meubles de métier dont beaucoup coulent une retraite paisible dans nos foyers.

Bien loin de s'affronter les détournements se complètent, produits de création ou de récupération, signés d'un designer ou aboutissement de notre dextérité. Si les premiers bénéficient du renom de la main qui les a dessinés, les seconds se chargeront de notre histoire. Parfois le détournement relève de la simplicité. Rafraîchir et redonner usage à un objet ou un meuble que le temps, la modernité et nos modes de vie, ont fait tomber dans l'oubli. Chez Banal Extra, le neuf se charge de références. De l'imagination fertile de Philippe Peyridieu sont nés des pots à crayons et des joueurs de baby-foot porteurs de manteaux ou encore des chaises industrielles endiablées. D'autres comme Angèle Riguidel, Louis-Marie Planquette ou encore Fred Mauve prennent la voie des arts, et créent des objets atypiques au confluent de l'insolite, de l'utile et du décoratif.

Coté récupération, pour convertir un massicot ou un établi anciens en table de cuisine ou de réception, il suffit le plus souvent d'un bon décrassage, de traiter de manière adéquate les matériaux, les surfaces et pourquoi pas d'apporter un revêtement au plateau… Combien ont converti des bobines de câble ou de cordage pour en faire une table basse ou pour les grands modèles une table de jardin… Une idée qui depuis c'est largement répandue, signe d'un détournement réussi. Il y aurait comme une cohérence à imaginer un lit fait d'une ancienne charrette à foin…

Le plus grand côtoie l'accessoire. En première conversion, les seaux à charbon ont longtemps accueilli nos parapluies, pourquoi ne pas leur offrir en contraste la fragilité de quelques fleurs (arums, Sia Home Fashion). Pour y placer des fleurs fraîches, prévoyez de doubler l'intérieur du seau charbon avec un récipient propre à recevoir de l'eau. L'usage rivalise avec la décoration. Une boiserie isolée remplira élégamment le rôle de tête de lit ; un simple casier à bouteilles peut tout à la fois, abriter vos apéritifs ou être équipés de vases et accueillir une brassée de fleurs ; tandis qu'un porte-bouteilles pourra être converti en lampe et garni de vases de verre qui sauront accueillir en transparence photos, sable, galets, coquillages, pommes de pin, marrons, décorations de Noël, souvenirs… et changer au gré des humeurs ou des saisons.

| Image principale, Fred Mauve. | 1. Applique "Wheely" interprétation originale d'une roue de bicyclette en bois (1920 env.) par Louis-Marie Planquette © DR. | 2. "Hand Truck Chair" création fusionnelle d'une chaise industrielle et d'un diable, Philippe Peyridieu pour Banal Extra © DR. | 3. Réalisation privée.

Les détournements les plus élaborés imposent une dextérité et un savoir-faire qui limite le nombre des élus à la réalisation. Mais il arrive que la chance mette sur notre chemin un artisan que l'idée stimule et alors… plus rien n'est vraiment impossible.
L'important est de ne pas perdre le fil de l'histoire, de pouvoir reconnaître les objets ou les meubles qui composent le détournement ou les origines dont il est nourri. Vous êtes libres de ne pas partager ce point de vue, mais dites vous qu'il n'y a pas de petits ou de grands détournements. Il n'y a qu'une folie à partager !

Philippe Starck - www.philippe-starck.com
BanalExtra - www.banalextra.it
Angèle Riguidel - www.angele-riguidel.com
Louis-Marie Planquette - www.lmplanquette.com
Fred Mauve - fred.mauve.neuf.fr
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Sia Home Fashion - www.sia-homefashion.com