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Rencontres

| SOUMIYA JALAL MIKOU, CONTEUSE DE TEXTILE

Par Barbara Poirette

Soumiya Jalal Mikou tisse des fils d'émotion et de matières. Comme un trait d'union entre l'architecture et la création, comme un mouvement naturel, cette architecte de formation et de métier prend le temps de suivre sa fibre artistique. Elle devient artisan créateur en tissage et compose des panneaux de matériaux mêlés comme un conteur fait naître les histoires.



La quarantaine comme le point de départ d'une redéfinition, Soumiya Jalal Mikou poursuit son histoire sous une autre forme. "Nous avons tous dans notre histoire une chose comme laissée en suspend et à laquelle on finit par revenir". Une prime orientation artistique, sa formation aux arts plastiques au lycée de Casablanca, la mènera sur les bancs de l'École Spéciale d'Architecture de Paris, mais c'est sur sa terre natale qu'elle revient exercer son métier d'architecte urbaniste. A 40 ans, le besoin viscéral de renouer le fil de son passé artistique se fait pressant, et celle qui ne c'était jamais définie comme telle, finit par accepter son état d'artiste.
|"Sur mon métier à tisser, j'ai cherché à ce que les éléments additionnels au tissage puissent apparaître comme posés à fleur de tissu"… Soumiya Jalal Mikou

| SOUMIYA JALAL MIKOU, CONTEUSE DE TEXTILE
Attirée par le tissage, elle s'engage dans une formation à l'École des Métiers d'Art de Montréal. Elle veut toucher, être au contact, et la forme artisanale s'adapte alors mieux à ses désirs que la voie industrielle. Ses matériaux de prédilection sont détournés, parfois singuliers, mais le plus souvent naturels, "le contact avec le matériau est primordial, il m'inspire, initie la création". Crin de cheval, raphia, laine, chanvre, coton, sabra, bois de thuya, feuilles de palmier… la gamme est infinie et se parsème de plumes de paon, de papiers de soie, de copeaux de cèdres, de fils de cuivre, de coquillages, de lacets de chaussures, de ficelle d'emballages… Chaque rencontre est particulière et l'histoire se conte au fil de la matière.
|Ci-dessus. Tissage de crin de cheval.

TRANSCENDANCE DE LA MATIÈRE


| SOUMIYA JALAL MIKOU, CONTEUSE DE TEXTILE
L'école de tissage lui met la main à la fibre, elle passe de la pratique à la concrétisation de son univers personnel. Elle vit le tissage non comme une autre vie, mais comme un prolongement, une redéfinition. L'urbanisme et l'architecture font parti d'elle et ses panneaux s'élèvent comme autant de constructions textiles. Le tissage et l'artisanat font le lien entre l'artiste et l'architecte. "Je redeviens architecte quand je construit un tissus. Je vais à la rencontre de la matière, je progresse avec elle. J'exerce ma démarche d'architecte. J'expérimente la tenue, la souplesse, du matériau. Je cherche la manière dont il peut prendre corps ; comment transcender le plus précieux des fils de cuivre comme le plus commun des lacets. Chacun dans sa texture, ses couleurs, dans ses reflets ou sa matité, exprime quelque chose, apporte un rythme, une densité. Ma formation et mon vécu d’architecte sont essentiels dans mon rapport au tissage". Un défit comme une énergie positive, elle n'affronte pas la matière, elle l'accompagne pour en révéler le meilleur.
| D'un point de vu technique, Soumiya Jalal Mikou qui a poussé à l'extrême les capacités du métier à tisser artisanal, compte compléter son exploration à la fois technique et plastique du cuivre associé à d'autres éléments naturels en évoluant d'une manière semi-artisanal et pourquoi pas, poursuivre en milieu industriel.

Une préparation et une expérimentation qui se prolongent jusqu'au métier à tisser pour mettre en musique chaque matériau. Pour Soumiya Jalal Mikou le métier à tisser se révèle un outil formidable, mais la recherche n'est pas étrangère au résultat. Certains fils détournés ont besoin d'une chimie lâche pour que la fibre s'exprime, "il faut savoir ne pas écraser. La matière se dose relâchée, aérée ou densifiée. Il faut savoir mélanger les ors, les cuivres, jouer de la variété pour obtenir un résultat". Dans cet ordre des choses, la préparation du métier à tisser est cruciale. "C'est un outil d'une richesse infinie, entouré de techniques et de savoir-faire tout aussi précieux, dont il faut savoir tirer partie autrement ; comme un instrument de musique et une partition se prêtent à de nouvelles interprétations" poursuit-elle.

FIL CONDUCTEUR


| SOUMIYA JALAL MIKOU, CONTEUSE DE TEXTILE
Le travail de Soumiya Jalal Mikou peut alors apparaître conceptuel, là ou la matière s'élève différente. Chaque matériau dans sa musicalité participe à une harmonie universelle. Une nouvelle interprétation dans la sophistication de la composition, dans l'élaboration des assemblages, dans les insertions à fleur de tissage. Jeu de verticales et d'horizontales entrelacées, le tissu ouvre un espace de création, tactile et sensoriel. Soumiya Jalal Mikou fait corps avec l'ouvrage "avec le temps je réalise que je vais de plus en plus vers la raideur, mes tissus sont de plus en plus structurés". Elle se nourrit de son passé, mais aussi de ses rencontres. "Le textile est l'une des bases des civilisations, la richesse des savoir-faire est infinie et particulièrement présente au Maroc". Cette part de créativité, Soumiya Jalal Mikou met autant d'énergie à la partager qu'à préserver les savoir-faire des artisans tisserands marocain. De formation en conférences, Soumiya Jalal Mikou développe des modules pédagogiques afin de favoriser la transmission des savoir-faire mais aussi afin de stimuler la créativité pour ne pas les enfermer dans la répétition et ainsi poursuivre l'histoire.
| Tissage de chanvre et de raphia naturel, "la matière atteint le plus haut degré de son expression lorsqu'elle sort du cadre strict de son utilité et de l'usage conventionnel qui en est fait".

Pièces uniques, les panneaux de Soumiya Jalal Mikou se donnent à voir à travers des expositions et des installations artistiques, mais elle habille et structure également l'espace de demeures privées à Barcelone, Bruxelles, Paris, Londres, Athènes ou encore New York, et participe à la décoration d'hôtels. Ses dernières réalisations, la transporte sur les rives de la transparence, jouant de l'opposition des matières pour tour à tour, laisser passer le regard ou renvoyer l'éclat de la lumière. A nouveau l'architecte préside à la création, le tissu se fait parois rigides, s'élève en bannières évanescentes, s'effaçant presque à la lumière du jour pour se révéler, sublimées par l'éclairage, le soir venu.

| SOUMIYA JALAL MIKOU, CONTEUSE DE TEXTILE
Son travail est le fruit d'un métissage, celui de l'architecte et du tisserand. Deux savoir-faire qui la définissent, deux natures qui se complètent dans la grasse et l'harmonie de ses étendards poétiques. Soumiya Jalal Mikou a la passion pour moteur et le touché pour vecteur d'émotions, et ses panneaux nous parlent d'elle. Matière vivante, ils parlent de modernité mais se nourrissent de savoir-faire ancestraux ; architecturés, ils échappent à toute forme de carcan ; techniques et précieux, ils se tissent de matériaux naturels, détournés et parfois surprenants ; opaques, ils dévoilent d'incroyables transparences ; leur trame est parcourue de matière comme autant de chemins de vie et de rencontres, une partition à laquelle s'accroche des notes inattendues… Il n'y a qu'à laisser le charme agir.
| Ci-dessus. Tissage de jonc et de raphia synthétique.

28 Mai 2008



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