| TOMBEES DU CAMION, UNE BOUTIQUE DE BELLE LURETTE

Enfant spirituel d'un inventaire à la Prévert et d'une accumulation d'Arman, Charles Mas a imaginé un univers qui échappe aux canons de la brocante et de la boutique. De la première, il garde la rareté et la surprise du passé. De la seconde, il a le nombre et l'état du neuf. Mais ici la quantité est limitée et le neuf est ancien. Une composition qui transporte l'idée du cabinet de curiosité vers d'autres assemblages, moins scientifiques, plus mémoriels… dans un bric-à-brac singulier. Un buste de poupée de porcelaine, qui se répète à l'infini… comme autant de fragilités ayant traversé le temps pour apparaître en nombre ; une enseigne parsemée de centaines d'yeux qui n'ont jamais rejoint les orbites de leurs poupées et dont les paupières s'animent au moindre mouvement ; boites gigognes désuètes, cadenas à grandes oreilles, sifflets de gendarme des années 40, cadrans de montres, flacons anonymes, perles de verre ou de plastique, chemises sortie des 70's ou encore les dessins sur calque du joaillier Delay… autant d'objets anecdotiques et insolites qui ne trouvent pas grâce aux yeux des antiquaires mais s'animent ici dans une étonnante prolifération.

Charles Mas saisi l'occasion d'un hasard pour donner un autre format à son métier de brocanteur. Il sort du schéma de l'objet unique, sans rompre avec le charme de l'ancien, et trouve une voie originale pour ne pas céder aux sirènes de la copie. Ici, pas de reproductions, pas non plus d'objet unique, mais un stock aux allures de série limitée. Il aime créer la surprise "lorsque j'ai trouvé les yeux de poupées, l'idée m'a amusée. J'ai aimé le décalage et ce goût d'inattendu".
Son filon ? Les stocks endormis au fond des usines désaffectées de France et de Navarre, dans les caves et les entrepôts des fabriques artisanales, des ateliers et des manufactures d'une autre époque. Ces stocks qui finissent par tomber dans l'oublie… avant que quelqu'un ne les débarrasse, pour les livrer à la curiosité d'un autre. Les successions alimentent aussi le phénomène. "L'histoire est caractéristique. J'ai récupéré des flacons de parfum qui datent de 1900 en provenance d'une usine fermée en 1920. Pour des raisons d'héritage immobilisé, cette usine est restée sous scellées jusqu'au mois d'août dernier".

"Il y a des histoires que l'on peut remonter, du moins en partie. Mais il arrive que des stocks apparaissent intacts comme sortis d'un chapeau. Parfois nous avons des indices, une étiquette avec le nom d'une usine et un numéro de téléphone à quatre chiffres seulement. Mais souvent l'objet garde son mystère". C'est parfois une évocation familière, comme ces petits flacons sans étiquette dont la forme laisse subodorer l'échantillon d'un parfum au célèbre numéro. Cet assemblage anachronique d'époques multiples et de destinations variées fonctionne ! Ca fonctionne par la surprise, par l'accumulation, par la répétition. Ca fonctionne parce que c'est différent. Le lieu nous transporte ailleurs, dans une dimension qui lui est propre. Il attise la surprise des uns et la nostalgie des autres. Les premiers sont étonnés, amusés. Les seconds sont touchés, émus par un souvenir réveillé, un détail retrouvé. La majorité des trésors de cette caverne d'Ali Baba aux pays des merveilles se situent entre 2 et 10 €.

Ces iris aux paupières mobiles sont devenues le produits phare et bientôt emblématique de la boutique. Un stock de trente mille yeux de poupées (de 4 à 8 € selon les tailles) livré à l'imagination de Charles Mas. Mis dans des casiers, fixés sur des aimants, sur un mur, un panneau… toute la différence se fait dans la suggestion, dans la proposition, dans ce faire autrement qui séduits et donne à l'insignifiant une autre ampleur. Comme cette ligne de bustes de poupées de porcelaine ou cette composition en lettres d'imprimerie mélangées.

La différence se voit dans la capacité d'extraire l'objet de son contexte, de sortir de la pièce détachée pour aller dans le jeu de l'ensemble. Charles Mas nous donne de l'inspiration et l'occasion de nous inventer dans le détail ou la répétition. Libre à chacun de prendre une idée ici ou là, de s'emparer d'un coup de cœur, de s'approprier une idée, de la faire vivre chez lui. L'objet s'invente sans perdre son intégrité. Pour les rares objets de brocante, le choix de Charles Mas est de laisser l'objet dans son jus. Ici, les lampes Jielde se trouvent chargées de toute leur histoire industrielle. Loin du sablage et des chromes, elles assument bosses et plaies de peinture et font le bonheur des puristes du genre.

La boutique a une histoire à travers ses objets, représentants des époques passées ; la boutique a du sens dans la mise en scène et les propositions de Charles Mas ; la boutique est tendance par la force de notre nostalgie qui nous amène à chercher les vestiges des temps que nous n'avons pas connus… En somme une adresse à visiter, à découvrir, à faire sienne. Mais ne vous fiez pas au stock… si tous les casiers sont pleins, il y a une fin à chaque quantité. Et ici plus qu'ailleurs, le plaisir se trouve dans la limite du stock disponible.

Tombées du Camion est installée au 15/17 rue Joseph de Maistre 75018 Paris
Charles Mas - tombeesducamion@hotmail.fr